vendredi 27 décembre 2019

Nos ancêtres les Gaulois

Nos ancêtres les Gaulois
De Marion Duvauchel :
Nous croyons aujourd’hui assez volontiers que les Français ont de tout temps considéré les Gaulois comme leurs ancêtres.
Il n’en est rien.
Les vestiges d’une Gaule incarnée par Vercingétorix et devenue pour cinq cents ans une partie de l’Empire romain n’ont pas toujours été reconnus, respectés et protégés comme étant les restes vénérables de notre passé  ou les témoins des origines mêmes de la Nation. Cela a pris du temps avant que les monuments ou objets dit «gallo-romains» ne deviennent le legs tangible et visible de cette civilisation latine dont la Gaule aurait eu l’avantage d’être imprégnée, par voie de conquête, à l’issue d’une guerre héroïquement perdue.
Les érudits de la connaissance et du moyen âge  n’ignoraient pas totalement ces Gaulois. Mais la Gaule était étudiée comme un monde «préhistorique» et une partie de l’univers barbare des Celtes, univers imaginé de façon essentiellement mythique, puisqu’il était antérieur à la latinisation. Par ailleurs, cette Gaule romaine a constitué le substrat nécessaire de la Gallia Christiana. La puissante civilisation romaine importée domina un fonds d’indépendance indigène suffisamment original pour être distingué du reste de la Chrétienté. Parfois, les érudits jettent une lueur sur la destinée précocement interrompue de Vercingétorix : mais il n’est rien de plus qu’un chef parmi d’autres chefs.
Les légendes sur l’origine des Celtes répandent la croyance qu’une race étrangère, proche encore des temps mythologiques, est à l’origine de la nôtre, sur laquelle on n’a que des idées d’autant plus floues que Celtes de l’indépendance et Gaulois romanisés sont encore très mal distingués. Le XVIe siècle voit se répandre l’idée que les plus anciens habitants de la France ont une ascendance prestigieuse : petit-fils de Noé par un certain Gomer, les Gaulois auraient en Europe un droit d’aînesse que l’on fait valoir contre les prétentions des Habsbourg à l’hégémonie. En littérature, l’Hercule gaulois, dont un récit de Lucien de Samosate atteste le culte, est chanté par les poètes de la Pléiade. Du Bellay lui fait une place de héros national dans sa défense de la culture française. Les villes dont le passé remonte à l’époque gallo-romaine voient reporter leur fondation beaucoup plus haut que l’Antiquité gauloise et surtout romaine.
A partir du XVIIe siècle, toujours dans le cadre de la civilisation impériale romaine, le monde érudit commence à s’intéresser aux ruines, aux inscriptions, aux œuvres d’art et il réserve aux Gaulois des études qui les confinent dans les clans des barbares. Le mouvement des Encyclopédistes va renforcer la tendance. Favorables avant tout aux Lumières, ils laissent dans l’ombre ces habitants des obscures forêts du Nord, inavouables premiers citoyens d’une France qui se veut une nation moderne, fille de ses idées. Si l’intérêt se reporte massivement  sur le monde gallo-romain, c’est en fonction des vestiges antiques. Colbert fonde l’Académie des Inscriptions (1679) et fait dresser un plan de relevés et de publications des monuments romains de la France, surtout du Midi et particulièrement de Nîmes.
La «celtomanie» est une véritable épidémie intellectuelle qui sévit à la fin du XVIIIe siècle et va conduire à la fondation en 1803 de l’Académie celtique (aujourd’hui Société nationale des Antiquaires de France). L’enthousiasme pour l’ancienne Gaule est désormais soutenu par l’érudition scientifique tandis que les efforts désordonnés voire extravagants des Celtomanes vont aboutir à la promotion de ces Gaulois chevelus.
Dès 1803, l’Histoire de France de l’abbé Anquetil établit que la Gaule est l’étape préliminaire à l’histoire de la France. A l’approche de 1830, les Gaulois sont intégrés à l’ascendance directe des Français. Le livre I de l’Histoire de France de Michelet (1833) est consacré à ces Celtes et notamment aux Gaulois, nos ancêtres, même s’il est encore à peine question de Vercingétorix dans ces pages écrites avec passion à la louange de la liberté. Il revient à Amédée Thierry dans son Histoire des Gaulois (1828) de consacrer une centaine de pages à l’épopée du héros arverne et de poser le principe que la race des Français est d’origine gauloise.
C’est aux environs de 1830 que date l’expression devenue traditionnelle «nos ancêtres les Gaulois».
Une patiente érudition pluriséculaire a ainsi abouti à la formation d’une doctrine historique. Trois siècles durant, depuis la Renaissance, les approximations des historiens et des linguistes ont coexisté avec des tentatives d’inventaire et de timides initiatives de protection matérielle des vestiges. Si la notion d’« antiquités nationales» est admise, la protection officielle s’est appliquée d’abord aux vestiges de la civilisation gallo-romaine, ceux de la protohistoire celtique ne devaient bénéficier que plus tard des moyens créés pour les premiers.
Mais dés son apparition, le service des Monuments Historiques devait faire la part belle au monde « gallo-romain ». L’ouverture en 1845 du Musée du Palais des Thermes et de l’Hôtel de Cluny donna un cadre gallo-romain à des collections médiévales et à quelques sculptures antiques de Paris.
Le mouvement est créé : le Musée des Antiquités nationales sous le Second Empire fait exécuter les fouilles d’Alésia et de Gergovie, propices à la remise à l’honneur de Vercingétorix, qui deviendra populaire après 1870; la loi sur les Monuments historiques de 1903; la fondation du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) à la veille de la dernière guerre mondiale, suivie de la première loi sur la Réglementation des recherches archéologiques en France (1941-1945) avec ses applications successives : création des directions régionales des antiquités historiques, de la revue Gallia, Fouilles et monuments archéologiques en France métropolitaine (1942), prise en charge par le C.N.R.S. qui devait créer ensuite en son Comité national une section Antiquités nationales et histoire médiévale. Institution au Ministère de la Culture, par André Malraux, du Conseil supérieur de la Recherche archéologique (1963) et de la Commission nationale de I ‘Inventaire des richesses artistiques de la France, renforcement du Service des fouilles et antiquités au même ministère (1978) et de la situation des directeurs régionaux.
A aucune époque les Gaulois n’ont cessé de retenir l’attention des savants. S’ils ont été reconnus comme «nos ancêtres»,  ce fut d’abord dans le cadre de l’histoire romaine riche en vestiges prestigieux et au terme d’une lente et patiente recherche. Cette petite formule ramassée est le fruit d’une lente élaboration d’historiens, d’historiographes et d’archéologues.
Il a fallu plusieurs siècles avant que ces Gaulois ne trouvent dans l’opinion et la culture une présence totalement méritée et historiquement fondée. Une présence digne d’être pieusement protégée et comprise par tous.
Peut-être conviendrait-il d’en informer M. Emmanuel Macron, Harlem Désir et accessoirement aussi, le pape François.
Nota bene
Une longue et pernicieuse confusion dans l’emploi du mot «Gaulois»  a fait l’objet, il y a de cela une trentaine d’années, d’une mise au point précise par Paul Marie Duval. Le mot désigne tantôt les habitants de la Gaule indépendante, finalement conquise par les Romains, tantôt les habitants de la Gaule devenue un groupe de provinces romaines, sujets de l’Empire romain, pénétrés d’une civilisation étrangère et supérieure, complètement assimilée. On alla jusqu’à utiliser comme un nom ethnique, les « Gallo-Romains », épithète forgée à l’époque romantique pour désigner non pas des hommes mais ce qui, dans la civilisation de la Gaule, peut être attribué aux Romains, comme l’architecture monumentale gallo-romaine. S’il y a une civilisation gallo-romaine, et des Gaulois devenus sujets de Rome, il n’y a pas de « Gallo-Romains ». Il y a un esprit celtique, qui est celui des Gaulois de l’Indépendance, il y a une culture gallo-romaine, il y a une Gaule romaine, c’est-à-dire romanisée, il n’y a pas une ethnie gallo-romaine. Appliquer le terme aux Gaulois eux-mêmes, habitants de la Gaule occupée par les Romains, c’est ne pas comprendre qu’ils ont coexisté, nombreux par millions, avec quelques centaines de milliers de Romains, administrateurs, militaires, universitaires, propriétaires, qui ont peu à peu divulgué et imposé les techniques méditerranéennes, la langue latine et ses trésors.
Si un érudit a pris la peine de fournir ces précisions, nous pouvons prendre la peine de les examiner et de les partager.
Paul Marie Duval « La notion de Gaulois : une longue confusion ». In: Travaux sur la Gaule (1946-1986) Rome : École Française de Rome, 1989. pp. 177-185. (Publications de l’École française de Rome, 116);

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