vendredi 26 mai 2023

Le rôle décisif de la Russie et non pas de l’Amérique pendant les deux dernières guerres mondiales, par Marc Rousset

 

L’Europe  aime les Russes, mais pas la Russie, en raison de la propagande américaine, des médias et de deux grands mensonges historiques. Ce n’est pas l’Amérique, mais la Russie qui a joué le rôle décisif pendant les deux dernières guerres mondiales contre l’Allemagne impériale et le nazisme ;  Natalia Narotchnitskaïa l’a rappelé opportunément  dans son  ouvrage (1).  La Russie est une partie intégrante, souffrante, sacrificielle, disait même Pouchkine de la civilisation européenne.

« Les Américains, disait Godard, ont toujours attendu que l’Europe s’entre-tue pour intervenir ; ils sont venus quand tout le monde était fatigué, jamais au début, ni en 1914, ni en 1940. Tout ce qu’ils veulent, c’est envahir ; ils veulent envahir parce qu’ils n’ont pas d’histoire ; ils ont besoin d’envahir les gens qui en ont ».

La seconde guerre mondiale a été gagnée par la Russie dont les sacrifices humains  avant, pendant et après Stalingrad ont permis de vaincre l’Allemagne nazie qui avait lancé le 22 juin 1941 à quatre heures du matin l’opération Barbarossa.  C’est à vingt kilomètres de Moscou que des divisions venues de Sibérie soutenues par le « général hiver » avec une température de -30°C  arrêtèrent  pour la première fois  le 5 décembre 1941 l’offensive de la Wehrmacht. A Stalingrad s’affrontèrent dans une bataille acharnée, de juillet 1942 jusqu’à la capitulation du général Friedrich von Paulus, le 2 février 1943, deux armées de plus d’un million d’hommes, avec une violence qui dépassa toutes celles de la première guerre mondiale pour chaque maison, chaque château d’eau, chaque cave, chaque morceau de ruine. Mais c’est l’offensive allemande  manquée  de Koursk , le 4 juillet 1943, « la plus grande bataille de chars de l’histoire »  avec trois corps blindés, soit  2000 chars et deux corps d’armée d’infanterie sur soixante kilomètres du côté allemand et 20 000 pièces d’artillerie, trois cent pièces d’artillerie par kilomètre de front, des champs de mines d’une densité de 2500 appareils au kilomètre carré, du côté soviétique , qui va permettre à l’Armée rouge dès le 12 Juillet 1943 de s’engager  à fond dans l’offensive jusqu’à la défaite de l’Allemagne.  La Russie a versé un tribut de 23 200 000  morts civils et militaires  sur l’autel de la guerre totale  contre Hitler. La seule URSS a perdu la moitié des victimes de l’ensemble du conflit de 1939-1945.

Le débarquement de Normandie, en juin 1944, n’est intervenu que tardivement, alors que les troupes russes avaient déjà atteint la frontière orientale de l’Allemagne. Le débarquement allié a eu pour seul et principal  effet d’éviter que l’Europe entière devienne soviétique. Il y avait 26 divisions allemandes sur le front occidental contre 170 divisions sur le front de l’Est. Les pertes de l’Amérique en Europe  ont été de 182 070  tués pour l’ensemble des campagnes de 1941 à 1945, alors que pour la seule prise de la ville de Berlin, l’Amérique ayant préféré laisser faire et agir seule l’armée soviétique, les Russes ont perdu  300 000 hommes du 25 avril au 3 mai 1945. La Russie a donc eu, pour la prise de Berlin, plus de tués que les pertes militaires  américaines totales (292 000) des fronts européen et  japonais de décembre 1941 à août 1945 (2). Que ce soit au Japon avec le lancement de la bombe atomique en 1945 à Nagasaki et Hiroshima, à Dresde et à Hambourg avec le lancement de bombes au phosphore sur les réfugiés  pendant la deuxième guerre mondiale, au Vietnam, ou  plus récemment en Irak et en  Europe  avec les Serbes défendant leur territoire national , les Anglo-Saxons  excellent  toujours à engager l’aviation et à bombarder les populations civiles pour  diminuer le nombre de leurs propres pertes militaires en hommes.

Mais ce qui est beaucoup moins connu, c’est la vérité historique sur le triste record des pertes de la Russie de Nicolas II et de la Russie républicaine qui lui a succédé en 1917. Qu’on en juge : sur les 15 378 000 hommes mobilisés pendant la période 1914-1917, 6 400 000 furent tués ou blessés dont 2 700 000 pour la seule année 1916 au cours de laquelle des offensives de grande envergure furent entreprises par l’armée russe pour soulager l’armée française engagée à Verdun, l’armée italienne en déroute dans la région du Trentin en mai 1916, et l’armée roumaine battue en plusieurs endroits en août -septembre 1916. C’est à juste titre que le maréchal Foch pouvait dire : « Si nous avons pu tenir de la Marne à Arras et finalement à l’Yser, c’est que la Russie de son côté retenait une notable partie des forces allemandes ». En ce qui concerne le  chiffre exact du nombre de tués, la Russie avec 1700 000 tués eut même davantage de tués que la France saignée à blanc (1500 000) et légèrement moins que l’Allemagne (1 800 000)  contre à peine 100 000 pour les Etats-Unis ! Les pertes énormes de l’armée russe s’expliquent par le retard de l’industrie de l’armement et sa capacité de production tout à fait insuffisante, tous facteurs conduisant à une pénurie dramatique en armes et en munitions, laissant les troupes désarmées devant l’artillerie allemande. (3)

Lorsque les Etats-Unis entrèrent en guerre en 1917, l’armée allemande était dans un état de crise lui laissant peu d’illusions sur l’issue finale de la guerre. C’est là l’une des raisons qui ont poussé l’état major allemand à permettre la traversée de l’Allemagne du « wagon plombé » contenant Lénine et ses bolcheviques qui prirent le pouvoir, à la suite d’un putsch à Petrograd le 6 novembre 1917, et mirent fin à la guerre, en ce qui concerne la Russie.

Les Etats-Unis ont fait la guerre pour que l’Europe ne soit ni soviétique ni allemande  et non pas pour défendre la liberté des Européens.

Les naïfs croient  et les médias répètent  continuellement que les Etats-Unis sont venus libérer les Européens en 1944, de la même façon que  Lafayette avait défendu l’indépendance des Etats-Unis à la fin du XVIIIe siècle. Tout cela est aussi faux que la propagande  médiatique américaine du plan Marshall qui a été élaboré, selon les dires mêmes  du  professeur Lodge à Harvard, non pas pour aider généreusement les Européens dans leurs efforts de reconstruction, mais tout simplement pour éviter que l’Europe devienne communiste et soviétique. George Marshall raisonnait moins en économiste qu’en diplomate et chef de guerre, soucieux avant tout de contenir l’Union soviétique ! Le mythe de Lafayette, combattant désintéressé pour la liberté, et son discours au Congrès en 1824, c’est également du folklore lyrique pour politiciens démagogues, oublieux des vérités historiques, de la géopolitique et de la « Realpolitik ».

« Nous ne sommes pas venus en Europe sauver les Français. Nous sommes venus parce que nous, les Américains, nous étions menacés par une puissance hostile, agressive et très dangereuse… ». C’est d’un  opuscule que l’armée américaine distribua à ses soldats à la Libération que Philippe de Gaulle tire cette citation, publiée dans son livre « De Gaulle, mon père ». «  Mon père le répétera, ajoute-t-il, les Américains qui sont morts en libérant la France sont morts pour les Etats-Unis d’Amérique et pour personne d’autre. De même que tous les Français qui sont morts sur un champ de bataille, y compris pour l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique, sont morts pour la France et le roi qui la personnifiait ». La France de Louis XVI a aidé les Etats-Unis dans leur guerre d’indépendance non pas pour défendre leur liberté, mais par simple désir politique  de revanche du calamiteux  traité de Paris de 1763, afin de  mieux  contrer la puissance britannique.

Avec le temps, les Européens deviennent donc de moins en moins dupes et se demandent à juste titre pourquoi ils devraient remercier les Etats-Unis ; tout au plus, peuvent-ils les remercier pour n’être pas devenus communistes, ce qui est par contre parfaitement exact.

Marc Rousset. 

Marc Rousset est l’auteur de «  La Nouvelle Europe Paris-Berlin-Moscou » – Editions Godefroy de Bouillon-538p-2009

1) Natalia Narotchnitskaïa  –  Que reste-t-il de notre guerre ? – Editions des Syrtes,  Février 2008

2) Pieter Lagrou - La violence de guerre 1914-1945, p322 – Complexe – Bruxelles – 2002

3) Général (CR) Andolenko – Histoire de l’armée russe-  Flammarion/Histoire, 1967

Photo : Bundesarchiv Bild 183-R77767, Berlin, Rotarmisten Unter den Linden (cc) Wikipedia

https://www.breizh-info.com/2014/06/08/13202/role-decisif-russie-pas-lamerique-les-dernieres-guerres-mondiales-marc-rousset/

La nouvelle guerre des mondes (Michel Geoffroy)

 

Michel Geoffroy est énarque, essayiste, contributeur régulier à la Fondation Polémia. Cet ancien haut fonctionnaire a co-signé avec Jean-Yves Le Gallou le Dictionnaire de Novlangue. Il est aussi l’auteur du livre La Superclasse mondiale contre les peuples.

Son nouvel ouvrage l’affirme sans détour : nous sommes en guerre. Une véritable guerre des mondes qui oppose les partisans d’un monde unipolaire, c’est-à-dire soumis à une direction unique – le gouvernement mondial – à ceux qui aspirent au contraire à un monde polycentrique, c’est-à-dire un monde où la puissance doit se partager et respecter les identités locales. L’auteur considère que cette guerre oppose avant tout les Etats-Unis, souvent alliés à l’islamisme, aux civilisations émergentes de l’Eurasie. Il rappelle aussi qu’une oligarchie mondialiste instrumentalise la super-puissance américaine pour essayer d’imposer son projet cosmopolite. Une oligarchie mondialiste qui a réussi par ailleurs à mettre l’Europe occidentale en servitude.

Cet essai montre que ce que l’on nomme aujourd’hui l’Occident correspond à un espace dominé et formaté par les Etats-Unis, et n’a plus qu’un rapport lointain avec la civilisation qui l’a vu naître, la civilisation européenne. Les valeurs de l’ancien Occident chrétien ont été remplacées par celles de l’idéologie américaniste : le matérialisme, l’individualisme fanatique, le culte de l’argent, le multiculturalisme, le messianisme, l’idéologie libérale/libertaire, et une certaine appétence pour la violence.

Cette guerre des mondes se déroule pour le moment principalement sur le terrain géoéconomique. Mais Michel Geoffroy souligne qu’on ne peut cependant exclure que cette confrontation finisse par déboucher sur un affrontement armé. Cependant, l’auteur estime que les Etats-Unis vont perdre cette guerre des mondes et en explique les raisons ainsi que les conséquences que les Européens doivent en tirer.

La nouvelle guerre des mondes, Michel Geoffroy, éditions Via Romana, 293 pages, 23 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/la-nouvelle-guerre-des-mondes-michel-geoffroy/121794/

ROBERT SURCOUF par Scipion de Salm - Les entretiens du PdF - n°48 - (21/...

jeudi 25 mai 2023

Histoire du terrorisme, de Gilles Ferragu [chronique littéraire et interview]

 

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Après “l’histoire du terrorisme” rédigé par Dominique Venner aux éditions Pygmalion en 2002, les éditions Perrin publie cette année une histoire du terrorisme écrite par Gilles Ferragu.
Agrégé d’histoire, ancien membre de l’Ecole française de Rome et maître de conférence en histoire contemporaine à l’université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense, il est également l’auteur d’un dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège ou encore d’un ouvrage sur le XXème siècle (1914-2001).
Parcourant un peu plus de deux siècles de terrorisme (le mot étant apparu à la fin du 18ème siècle notamment dans le cadre de la révolution française) l’ouvrage évoque cette violence politique qui frappe le monde entier, qui peut émaner de groupes minoritaires comme d’Etats et qui pèse désormais lourdement dans l’Histoire.
Se basant sur une bibliographie impressionnante, l’auteur dresse un vrai panorama d’historien, avec analyses des mouvements, des différents attentats qui ont parsemé le monde ainsi que les liens entretenus de façon temporelle ou historique entre différents mouvements. L’approche est à la fois historique et thématique, chaque chapitre s’attachant à saisir, dans une aire géographique ou au prisme d’une idéologie particulière, l’émergence de la violence, ses principaux acteurs et ses hauts faits, ainsi que les réponses politiques que s’efforcent d’apporter les sociétés ou les pouvoirs.

Même si le lecteur peut rester sur sa faim par manque d’approfondissement de l’historique de chaque mouvement, il est entendu que l’analyse de chaque mouvement politique rentrant dans une lutte armée ferait lui même l’objet de plusieurs ouvrages, d’où la tentative plutôt réussie de Gilles Ferragu de synthétiser, et de terminer par cette conclusion au titre choc : “le terrorisme, une histoire en devenir”

Histoire du terrorisme – Gilles Ferragu – Perrin – 23,50€

L’auteur a bien voulu répondre aux questions de Breizh-info.com

Breizh-info.com :  Pouvez vous vous présenter ?
Gilles Ferragu : Je suis historien, j’enseigne à l’université Paris Ouest – Nanterre ainsi qu’à Sciences Po Paris. A l’origine, je m’intéresse aux questions de relations internationales et de religion, notamment à la politique extérieure du Saint Siège, puis je suis venu à l’histoire du terrorisme en m’interrogeant la manière dont la foi, le sacré, peuvent motiver des individus, tant au service d’un idéal humaniste qu’au nom d’une cause politico-religieuse, jusqu’au martyr ou à la violence. Après avoir travaillé récemment à un Dictionnaire du Vatican (Robert Laffont, 2013) et après avoir réfléchi à la place des Eglises durant la Seconde guerre mondiale (à paraître, chez Folio, au sein de la nouvelle histoire de la Seconde guerre mondiale), je me suis engagé dans cette recherche, passant de la violence d’inspiration religieuse à la violence politique tout court, dans ses divers ressorts. Je m’intéresse maintenant au versant étatique, c’est à dire à l’anti-terrorisme, depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours.

Breizh-info.com : En quoi votre “histoire du terrorisme” se distingue t-elle des autres ouvrages parus à ce sujet, notamment celui de l’historien Dominique Venner ?
Gilles Ferragu : Cette histoire postule déjà que le phénomène ne se réduit pas à une multitude d’attentats, de procès, de groupes, une histoire hétérogène, mais qu’il existe au contraire une généalogie du terrorisme, des pratiques, des méthodes, des discours, depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours. Le simple essai de définition, en introduction, permet de poser la question du phénomène et de sa perception, entre le terrorisme des minoritaires et celui des Etats. Egalement, il s’agit de traiter, en historien, un phénomène généralement analysé par d’autres sciences sociales : mon apport réside à cet égard dans un éclairage porté sur le contexte, pour comprendre comment s’impose la violence politique et le terrorisme dans une situation de crise ou de tension, et comment les sociétés, les Etats réagissent ou instrumentalisent cette violence.
Plus largement, il s’agit d’une synthèse, c’est à dire que je tente d’embrasser, largement, le phénomène, pour lui donner un sens, celui d’une violence politique que la société moderne ne parvient pas à refouler : il faut se demander ce que “dit” le terrorisme d’une situation, d’un problème politique.
Breizh-info.com : Le mot “terrorisme” n’est il pas celui employé par les vainqueurs pour désigner leurs ennemis ?
Gilles Ferragu : Le mot apparaît avec Napoléon, qui qualifie ainsi ceux qui ont orchestré l’attentat de la rue Saint Nicaise (il pensait qu’il s’agissait de Jacobins, partisans de la Terreur de 1793 : Fouché démontrera que c’était faux, mais le terme va demeurer). Plus largement, le terroriste, c’est l’Autre, l’adversaire à qui l’on dénie toute légitimité : rares sont les terroristes qui se définissent comme tels, tous se préfèrent en “résistant, “libérateur”, “moudjahidine”, etc. : le terme n’a pas de réalité juridique, il constitue plutôt une arme lexicale.
Breizh-info.com : Depuis 1940, les plus “grands poseurs de bombe” de la planète sont les Etats-Unis. Ils ne sont pas évoqués dans l’ouvrage . Est-ce un choix délibéré ?
Gilles Ferragu : Il faudrait déjà s’entendre sur cette expression de “poseurs de bombes”.
Sur les Etats-Unis, je parle des bombardements et des stratégies de “bombardement psychologique”, j’évoque la “guerre contre le terrorisme” initiée en 1970 dans le cadre du plan Condor, et réactivée par G.W. Bush, de même que les méthodes employées contre la gauche radicale américaine ou encore le soutien apporté à l’islamisme en Afghanistan jusqu’en 1989… on est là dans le registre du terrorisme, – terreur d’Etat ou instrument dans le cadre d’un conflit larvé.Mais la politique américaine, notamment durant la guerre froide, ne me semble pas relever systématiquement de cette acception, pas plus que maintenant : il s’agit d’une politique de puissance, qui use de la guerre, de la déstabilisation (cf. Allende, etc.) entre autres instruments.
Le terrorisme n’est pas la guerre, c’est une violence autre : la terreur d’Etat relève plutôt des dictatures, quant au terrorisme des minoritaires, il est plutôt dirigé contre les Etats-Unis. Reste la question de l’implication des grands Etats dans des attentats. Et là, faute d’archives, je suis extrêmement prudent.
Breizh-info.com :  Votre conclusion laisse entendre que le 21ème siècle sera celui du terrorisme, nouvelle forme de guerre. Comment voyez vous le monde de demain ?
Gilles Ferragu : L’actualité très récente (Bruxelles) m’incite à penser que la violence individuelle – la plus imprévisible – a un bel avenir devant elle, chaque individu pouvant décider de s’emparer d’une cause, d’une idéologie et de la revendiquer par un attentat.
En outre, dans un contexte de crise, la violence politique semble à certains la voie la plus rapide pour obtenir un résultat (cf l’émergence du terrorisme dans la Grèce actuelle).Les médias, le web 2.0 sont de parfaits relais pour ce type de discours et de pratiques, qui éclairent également les tentatives des Etats pour contrôler, prévenir la violence politique, via notamment le système des Big Data (type NSA)… au risque des libertés. Le dilemme qui s’instaure – sécurité/liberté – est latent depuis les années 70 et l’introduction des portiques dans les aéroports  : à quel moment l’exigence de sécurité autorisera-t-elle le déclin des libertés (cf le 11 septembre et le Patriot Act, temporaire il est vrai).
Breizh-info.com : Pour terminer, une question bonus – pouvez-vous citez les 5 ouvrages du moment que vous conseillez
Gilles Ferragu :
Campi/Zabus/ Bourgaux, Les larmes du seigneur afghan (Dupuis, Aire libre, 2014) : une belle illustration dessinée de la complexité des enjeux afghans
C. van Acker, Ici, (La dilettante, 2014) : une série de petits textes, poétiques, sur la vie en campagne, pour se reposer des fureurs du monde
F. Burgat, B. Paoli, Pas de printemps pour la Syrie (La découverte, 2013) : pour comprendre sans simplisme le cadre syrien
H. Murakami, Underground, (10/18, 2014) : un témoignage sur les attentats de Tokyo, qui sert de base au roman 1Q84, traduction littéraire de ce traumatisme ressenti par une nation
L. L. Kloetzer, Anamnèse de Lady Star, Denoël, 2013 : l’avenir du terrorisme ?

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

https://www.breizh-info.com/2014/06/14/13301/histoire-du-terrorisme-gilles-ferragu-chronique-litteraire/

138 - Bernard Bourdin pour son livre "Le chrétien peut-il aussi être cit...

Et les esclaves européens, on en parle ?

 

Au lieu de pousser les Noirs à haïr les Blancs et les Blancs à avoir honte de leur passé, comme cela se fait en ce moment avec la complicité des médias du système, il serait urgent de réapprendre l’Histoire à des générations incultes.

Cette vidéo fait œuvre utile en se focalisant sur un sujet méconnu : la traite des Européens. Le mot esclave vient du mot slave. Des Slaves ont été réduits en esclavage par millions par des barbares asiatiques. Et des Européens ont été vendus en esclaves durant des siècles.

Ce documentaire nous rappelle aussi que des Européens ont été vendus sur des marchés arabo-musulmans avec l’aide de marchands juifs, comme l’explique un conférencier métisse.

En Amérique, les esclaves européens ont précédé les esclaves noirs mais presque plus personne ne le sait…

mercredi 24 mai 2023

Le mystère des Olmèques [1/3], avec Carmen Bernand

Disparition de Jean Haudry

 

Il va sans dire que Jean Haudry va beaucoup nous manquer. Travailleur infatigable, personne d’une humilité exemplaire, érudit aimable et bienveillant.

Le professeur Jean Haudry est décédé ce matin à 7 heures, à l’âge de 88 ans. Avec cette triste nouvelle, nous apprenons le départ d’un grand savant dont la carrière de chercheur était pleinement consacrée à l’étude de la linguistique et de la civilisation indo-européennes.

Le parcours de Jean Haudry a été exemplaire. Élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, il est reçu au concours de l’agrégation de grammaire en 1959. Il a enseigné successivement aux universités de Montpellier et de Paris comme assistant de latin et de linguistique, avant d’être nommé maître de conférences de sanskrit et de grammaire comparée à l’université de Lyon. Il a soutenu une thèse en 1977 et, cinq années plus tard, fondé un Institut d’études indo-européennes dans la même université. Par ailleurs, Jean Haudry a été élu directeur d’études de grammaire comparée des langues indo-européennes à la IVe section de l’École pratique des hautes études en 1976. Il est devenu professeur émérite en 1998. Parallèlement à son enseignement, Jean Haudry a exercé les fonctions de directeur d’UER dans l’ancienne université Lyon II et de doyen de la Faculté des Lettres et Civilisations de l’université Lyon III. La liste des publications de Jean Haudry est particulièrement abondante : elle comprend plus de cent cinquante titres, dont une dizaine de monographies, traduites pour certaines dans plusieurs langues. Par ailleurs, ses articles ont été publiés dans les revues les plus savantes de linguistique ou d’études indo-européennes : Bulletin de la société de linguistique de ParisJournal AsiatiqueThe Journal of Indo-European Studies ou encore Revue des études latines.

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Jean Haudry a été l’élève de grands maîtres desquels il se réclamait. Pour le sanskrit, dont il deviendra un éminent spécialiste, il est redevable à Armand Minard et Louis Renou. Pour la linguistique, à André Martinet. Pour l’indo-européen, à Émile Benveniste. Pour le grec, à Michel Lejeune. Pour le latin, à Jacques Perret. Sa solide formation universitaire, acquise auprès de ces savants, l’a conduit à devenir un indianiste hors-pair. La publication en 1977 de sa thèse sur l’Emploi des cas en védique : introduction à l’étude des cas en indo-européen était déjà signe de recherches inédites et prometteuses. Toutefois, Jean Haudry s’est éloigné de la reconstruction phonétique et morphologique indo-européenne, bien que la morphologie soit abordée dans un ouvrage intitulé Préhistoire de la flexion nominale indo-européenne en 1982. Ses connaissances en linguistique indo-européenne lui ont permis de publier dans la collection « Que sais-je ? » des Presses Universitaires de France un volume sur L’Indo-européen en 1979 qui, en dépit de la difficulté du sujet, a connu un grand succès d’édition et fut réimprimé à plusieurs reprises. L’éditeur commande alors un second livre à Jean Haudry, portant cette fois-ci sur les Indo-Européens. Le sujet ne touchant pas à la linguistique, il fallait donc se documenter. La présentation de l’exposé doit beaucoup aux trois fonctions duméziliennes. Alors qu’il rédige l’ouvrage, Jean Haudry découvre la traduction française de L’origine polaire de la tradition védique de Bâl Gangâdhar Tilak, dans la traduction de Jean Rémy. Il trouve une idée similaire également chez Ernst Krause : le postulat d’un habitat circumpolaire à un stade précoce de la formation du peuple indo-européen.

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Commence alors une nouvelle phase de recherche, centrée sur la notion de « tradition indo-européenne », que Jean Haudry a développé à partir des années 1985-86. Jusqu’alors, les chercheurs qui s’efforçaient de reconstituer la culture des Indo-Européens le faisaient au moyen de la paléontologie linguistique. Toutefois, un certain nombre d’irrégularités ou d’archaïsmes ont été relevés, et ont posé problèmes. L’exemple bien connu de la crainte que l’aurore ne revienne pas, dans la tradition védique, constitue tout simplement une donnée héritée, transmise. Et ce n’est pas en Inde, évidemment, que cette tradition a pu naître. L’introduction de la notion de tradition a changé complètement les perspectives en matière d’études indo-européennes, comprenant désormais une dimension diachronique, et a permis d’intégrer des réalités beaucoup plus anciennes que celles avec lesquelles on opérait habituellement. Pour revenir à la chronologie, on situe les derniers Indo-Européens, c’est-à-dire les locuteurs de l’indo-européen commun, au quatrième millénaire, dans la steppe pontique. En tenant compte des données de la tradition, on peut en revanche identifier un héritage qui remonte au septième millénaire. Toutefois, une telle perspective ne permet pas de remonter indéfiniment à des états antérieurs. Ce que les linguistes appellent « Indo-Européens » appartiennent à la période reconstruite. L’existence d’une tradition indo-européenne dont ils sont les héritiers permet de dégager de nouvelles perspectives.

Cet apport considérable de Jean Haudry aux études indo-européennes, qui travaille dès lors en diachronie, l’a conduit à s’intéresser à la religion cosmique des Indo-Européens. Il publie sur le sujet une monographie en 1987, dans laquelle il développe une thèse des trois cieux indo-européens. Dans cet ouvrage dense et érudit, Jean Haudry est parvenu à montrer le souvenir précis d’une dimension circumpolaire dans la tradition indo-européenne en se fondant sur les cycles temporels. Cette dimension circumpolaire est une thèse intéressante, car elle est aujourd’hui confirmée par de récentes découvertes en paléogénétique qui ont permis de retrouver les traces d’un héritage génétique de chasseurs-cueilleurs septentrionaux chez les populations des steppes pontiques de la fin du Néolithique.

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Jean Haudry a également exploré la tradition indo-européenne en prenant en compte les nombreuses données de correspondances linguistiques qui sont à la base du formulaire. La reconstruction du formulaire indo-européen, fondée sur la concordance de séquences de formes superposables dans deux ou plusieurs littératures indo-européennes (dans les Védas, chez Homère, mais aussi dans l’Avesta voire dans l’ancienne poésie germanique), sous la forme de syntagmes nominaux composés d’un substantif et d’un adjectif épithète, permet d’approcher la tradition poétique indo-européenne ainsi que d’accorder de l’importance aux notions. C’est ainsi que Jean Haudry relève de nombreuses occurrences formant la triade pensée – parole – action, dont il tire un livre en 2009.

Jean Haudry s’est également intéressé à la présence du feu dans la tradition indo-européenne, en particulier dans un copieux ouvrage paru en 2016. La présence très ancienne du feu, attestée bien avant l’apparition des Indo-Européens – elle se trouve déjà en Europe plus de 300 000 ans avant notre ère – a été intégrée très tôt à la mythologie. Cette réalité ancestrale du feu constitue l’un des points essentiels de la première période de la tradition indo-européenne, celle des temps immémoriaux.

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Jusqu’aux derniers moments de sa vie, Jean Haudry a été un savant prolixe. Preuve en est la parution de deux ouvrages aux éditions Yoran Embanner. Le premier, publié l’an passé, est intitulé Sur les pas des Indo-Européens, et se présente sous la forme d’un recueil d’articles déjà parus ou inédits, précédé d’un bel entretien et complété par une bibliographie exhaustive de ses travaux académiques. Un autre livre a été publié il y a un mois : le Lexique de la tradition indo-européenne. Il s’agit sans aucun doute du grand œuvre de Jean Haudry, élaboré pendant au moins une décennie. La matière contenue dans cette somme montre l’étendue de l’érudition d’un savant qui connaissait aussi bien les langues védiques que la poésie vieil-anglaise, qui était à tu et à toi avec les dieux la Grèce ancienne et de l’Iran.

Il va sans dire que Jean Haudry va beaucoup nous manquer. Travailleur infatigable, personne d’une humilité exemplaire, érudit aimable et bienveillant. Autant de qualités rassemblées en un seul homme qui demeure, pour des générations de linguistes et d’historiens des religions, un véritable mentor dont la gloire est impérissable.

Armand Berger
Membre du Pôle Études de l’Institut Iliade

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2023/05/23/disparition-de-jean-haudry.html

Histoire “Révolution et chouannerie en Morbihan”, par Jean Guillot

 

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15/06/2014 – 07H00 Elven (Breiz-info.com) – Jean Guillot vient de publier un ouvrage intitulé  “Révolution et chouannerie en Morbihan”, paru aux éditions les Montagnes noires.

Cet ouvrage n’est pas seulement l’histoire de la chouannerie, mais aussi, celle de la Révolution. Des persécutions religieuses au culte de la déesse Raison, de Prieur de la Marne, au préfet Jullien, de l’opération de Pont-de-Buis à la bataille du Loch, des combats de Quiberon à l’odyssée de l’armée « Rouge », l‘auteur raconte ici toutes les péripéties de la guerre civile. Un conflit où la vérité a parfois du mal à surgir, entre manipulation jacobine et légendes blanches.

Le lecteur sera souvent guidé, dans son périple, par trois petits paysans bretons, qui à l’âge adulte participèrent aux événements et rédigèrent leurs mémoires. Les anecdotes sont nombreuses ; certaines sont souriantes dans une période qui ne l’était guère.

Le lecteur trouvera en annexe quelques textes en langue bretonne sur cette période.

Jean Guillot, résidant à Elven, est historien de formation universitaire et commissaire divisionnaire de la Police nationale (ER).
Il présente ici son cinquième ouvrage d’histoire régionale réalisé après trois années de recherches.
Situées en plein coeur de la Bretagne, les éditions des Montagnes noires éditent principalement des ouvrages sur le patrimoine Breton, des livres d’histoire locale, des romans ou récits historiques ainsi que des biographies.

Révolution et chouannerie en Morbihan – Jean Guillot – Les Montagnes noires – 21,50€

https://www.breizh-info.com/2014/06/15/13397/revolution-chouannerie-en-morbihan-jean-guillot/

Les vérités cachées de la défaite de 1940 (Dominique Lormier)

 

Dominique Lormier, historien, est l’auteur de plus de 140 ouvrages, dont plusieurs ayant trait à la Seconde Guerre mondiale. Son nouvel ouvrage concerne cette défaite de 1940 qui hante la mémoire nationale, comme un évènement honteux, durant lequel l’armée française se serait effondrée en quelques jours sans combattre, contre des troupes allemandes surpuissantes et invincibles.

Ce livre veut rétablir une vérité bien plus complexe. L’auteur souligne comment une historiographie anglo-américaine souvent francophobe a souvent dénigré l’armée française et déformé la vérité historique. Les manuels scolaires ne sont pas plus objectifs. Or, les témoignages des principaux officiers allemands (le général Erwin Rommel, le général Heinz Guderian, le général Schobert, le général Adolf Galland, le maréchal Keitel,…) attestent d’une résistance courageuse et souvent acharnée des troupes françaises.

En plus de 300 pages, l’auteur tente donc de démontrer au lecteur que la défaite de 1940 n’est donc pas honteuse, mais explicable par les erreurs du commandement français et allié, l’impréparation de la France à une guerre moderne, guerre-éclair fondée sur la rapidité et la mobilité des moyens offensifs allemands. Mais l’auteur rappelle et salue différents faits héroïques tout à l’honneur de l’armée française.

Les vérités cachées de la défaite de 1940, Dominique Lormier, éditions du Rocher, 322 pages, 19,90 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/les-verites-cachees-de-la-defaite-de-1940-dominique-lormier/121861/

mardi 23 mai 2023

GILLES DE RAIS : Condamnation et exécution du seigneur breton

L'aventure de la marine en bois

  


La maîtrise des mers

[Ci-dessus : Construction d'un navire pour la navigation en haute mer au XVIe siècle]

L’Angleterre l’avait compris. La possession de colonies et la liaison avec l’Amérique supposent la maîtrise des mers, donc une puissante marine. Avec ses Normands, ses Bretons ou ses Basques, la France ne manquait pas de marins. Mais les marins ne font pas une marine.

La traversée de l’Atlantique pour rejoindre “les Amériques” fut longtemps une grande aventure. Les histoires de la marine, en privilégiant la Royale, c’est-à-dire la flotte de guerre, restent assez lacunaires — une fois passée la période des grandes explorations — sur les bâtiments armés pour le commerce ou la pêche. Pourtant l’épopée de Terre-Neuve est demeurée très présente dans l’imaginaire des gens de nos côtes jusqu’au début de ce siècle. Pour se rendre outre-Atlantique, il fallait donc des bâtiments, des capitaines, des équipages. Une fois les grandes lignes maritimes inaugurées, un mouvement continuel de navires devait amener sur les terres du Nouveau Monde des soldats, des missionnaires, des négociants et aussi des émigrants, hommes et femmes. L’histoire océanique de la France américaine est étroitement liée à l’évolution de ce qu’on appellera un jour notre empire colonial, dont les possessions canadiennes ou acadiennes sont sans doute moins pittoresques que les multiples comptoirs antillais, avec leur arrière-plan de flibuste, de violence et de plaisirs. L’époque des grandes explorations, qui va tant marquer le XVIe siècle européen, voit la France occuper une place singulière. Elle arrive après les Espagnols, certes, mais elle précède les Britanniques et les Hollandais. Sur la façade maritime du royaume, de Dieppe à Bayonne, on retrouve les héritiers de ces populations dont la naissance et l’activité sont étroitement liées au monde maritime : au nord, les Normands qui n’ont jamais coupé tout à fait les liens avec les Vikings ; en proue avancée du continent, les Bretons qui se souviennent d’être arrivés outre-Manche ; ensuite, au-delà de la Loire, vers le sud, les Poitevins, qui furent à la fois gens de terre et gens de mer, navigateurs et colonisateurs ; enfin les Basques qui, même dans leurs expéditions lointaines, gardent quelque chose de mystérieux toujours lié à leur énigmatique identité.

Mais il n’est pas de tradition navale sans construction navale. Une flotte, ce n’est pas seulement le désir de l’aventure, appel irrésistible vers quelque inconnu situé au-delà de l’horizon. C’est aussi et c’est d’abord un chantier naval. La technique prime et impose sa loi. Les historiens expliquent avant tout l’épopée viking par ces longs serpents à proue et poupe identiques et dont les bordés sont assemblés “à clin”. Ce sera une révolution du même genre — en sens exactement contraire — qui va imposer, dès la fin du XVe siècle, le bordage “à carvel”. Quant au nombre de mâts, il passe d’un seul à deux et même, plus souvent, à trois. Un “château” à l’avant, un autre à l’arrière. Entre les deux, s’étagent les ponts où l’on trouve parfois des canons. La voilure se complique. On commence à jouer habilement d’une garde-robe fournie où voiles triangulaires et voiles carrées s’harmonisent pour régler l’allure de navires auxquels on demande, autant que possible, de remonter au vent, même si cela tient encore de l’acrobatie. Ces navires du XVIe siècle, à l’heure des grandes navigations transocéaniques sont encore de petite taille. Armés pour la guerre, le commerce ou la pêche, ils ne dépassent guère une centaine de tonneaux. Peu à peu, ce tonnage va monter en puissance. On verra même au Havre-de-Grâce, fondé par François Ier à l’embouchure de la Seine, des vaisseaux de mille tonneaux et même davantage. En remontant la Seine, on arrive à Rouen et on découvre, sur les berges du grand fleuve, un des plus singuliers hauts-lieux de la technique marine : le “Clos des galées”, chantier de construction à l’inlassable activité. Il s’agit de construire les bâtiments qui partiront des ports voisins de Fécamp ou de Honfleur pour tenter l’aventure au Nouveau Monde.

Quelques hectares de bois pour construire un navire

Les Bretons, bien entendu, ne sont pas en reste sur les Normands. Mais ils construisent et utilisent des bâtiments d’une taille généralement inférieure à ceux de leurs voisins d’outre-Couesnon. Ces navires y gagnent en maniabilité et un plus faible tirant d’eau va leur permettre de remonter profondément les fleuves américains sans crainte d’échouage. Après viendra l’emploi des canots, sur le modèle des légères embarcations indigènes. Un chantier ce n’est pas seulement des scieries qui débitent les troncs abattus dans la région ou venus des pays du Nord, ce sont aussi des voileries, des corderies, des entrepôts, des magasins. À Rouen, le fameux Clos occupe toute une partie des berges de la Seine. En Bretagne, les chantiers se dispersent, au hasard des abers, en de petites entreprises vivantes et familiales où la tradition s’accompagne de ces multiples initiatives auxquelles se reconnaît la main du maître charpentier. Tout cela coûte cher. D’où l’importance des armateurs qui constituent de véritables dynasties et qu’on verra, les poches pleines, s’intéresser à la course… comme au commerce du “bois d’ébène”. Les écoles d’hydrographie, à commencer par celle de Dieppe, où enseigne le fameux abbé astronome Descellers, forment les pilotes à la navigation hauturière. La science de la navigation ne fait que s’affiner et arrive en renfort d’un sens marin que rien ne saurait remplacer. Du grand explorateur au moindre patron de pêche qui ose affronter l’océan, la qualité des maîtres des navires s’affirme. Encore faut-il des équipages pour mener leurs bâtiments. Le recrutement obéit à certaines règles, souvent empiriques. Ainsi l’historien Philippe Bonnichon précise : « Un homme par tonneau, c’est un ordre de grandeur, variable du simple à la moitié et loin d’être une règle fixe. Mousses et novices embarquent jeunes, souvent avec des parents, pour se former, devenir mariniers et servir jusqu’à la cinquantaine. Communautés de famille et de paroisse se retrouvent à bord et, de retour, travaillent la terre après avoir bourlingué. Les salaires sont peu élevés, proportionnels à la compétence technique ».

Malgré les expéditions des Normands, des Bretons, des Poitevins ou des Basques, le royaume de France n’en reste pas moins une puissance terrienne, peu tournée vers la mer, malgré l’extraordinaire variété de ses côtes. C’est un handicap qui ne va guère cesser tout au long de son histoire. La liaison avec l’Amérique suppose ce qu’on nommera un jour “la maîtrise des mers”. Faute d’être soutenues par une imposante flotte de guerre, bien des aventures coloniales sont vouées au dépérissement et à l’échec. Finalement, les périodes favorables aux entreprises maritimes d’envergure sont rares. On cite la première moitié du XVIe siècle, la première moitié du règne de Louis XIV, la fin du règne de Louis XV et le règne de Louis XVI. Faute de soutien de l’État, les entreprises lointaines sont souvent individuelles ou pour le moins privées. D’où le rôle des fameuses “compagnies”. Mais que peut le commerce seul sans le renfort de la Royale et de ses canons ? Ce royaume qui tourne le dos à la mer et a toujours considéré comme “étrangers” les peuples maritimes qu’il devait subjuguer, à commencer par les Normands et les Bretons, eut la chance de posséder quelques grands hommes d’État qui comprirent que les rivages du nord-ouest de l’Hexagone n’étaient pas des limites mais au contraire des aires d’envol d’où allaient partir caravelles et vaisseaux. Trois grands noms : Richelieu, Colbert et Choiseul. Au lendemain des guerres de religion, une patrie réconciliée pouvait renaître outre-mer. Sur la terre d’Amérique, la Nouvelle-France devenait plus vaste et plus jeune que celle du Vieux Monde. Ainsi vit-on les étendards fleur de lysés battre au Canada et en Acadie, aux Antilles ou en Guyane.

Techniciens dieppois, malouins et olonnais

Les grands ministres qui furent, de leur bureau continental, de véritables “seigneurs de la mer” n’hésitèrent pas à s’inspirer des expériences septentrionales en matière de construction navale. Des ingénieurs et des ouvriers furent même recrutés en Hollande et au Danemark, en Courlande ou en Suède. Ces remarquables techniciens, aidés par le vieux savoir-faire des Dieppois, des Malouins ou des Olonnais amenèrent le bâtiment de ligne à une quasi-perfection technique. On n’avait pas vu une telle science nautique depuis les “esnèques” scandinaves du haut Moyen Âge ! Claude Farrère, qui fut aussi bon historien de la mer qu’il fut bon romancier, a laissé une belle description de la construction d’un vaisseau aux temps les plus splendides de la marine à voile.

« Un vaisseau, au temps de Louis XIV, est d’ores et déjà l’un des chefs-d’œuvre de l’industrie humaine. Voyons un peu ce qu’est un vaisseau. Cela peut mesurer quelque 60 ou 70 mètres de long, sur 15 ou 20 mètres de large. Cela déplace de mille à cinq mille tonneaux. La coque comporte une quille, laquelle joint l’étrave à l’étambot, c’est-à-dire la proue à la poupe — puis des couples, c’est-à-dire de robustes côtes taillées en plein cœur de chêne, et courbées comme il faut ; ces couples prennent appui de part et d’autre sur cette façon d’épine dorsale qu’est la quille, et montent du plus profond de la bâtisse jusqu’au plus haut, jusqu’au tillac, dit aussi pont des gaillards. Une charpente horizontale — les lisses, des préceintes, doublées d’un bordé, qu’on assemble à clins ou à franc-bord — lie les couples entre eux. Et les ponts et les faux-ponts, régnant de tribord à bâbord, et d’arrière en avant, achèvent la solidité merveilleuse de l’ensemble. Au-dessus de la flottaison, deux ou trois entreponts s’étagent vers les gaillards — gaillard d’avant ou château, gaillard d’arrière ou dunette. Ces entreponts vont du faux-pont, qui est juste au-dessous des gaillards. Et, plus haut, il n’y a que les mâts ».

Quatre mâts. Trois verticaux, l’artimon, le grand mât, la misaine. Un quatrième oblique, le beaupré, à l’avant. Deux de ces mâts, le grand mât et le mât de misaine, servent principalement à la propulsion. Les deux autres, beaupré et artimon, principalement à l’orientation du navire, ce pourquoi chaque mât porte des vergues, et chaque vergue sa voile. Le tout fait une montagne de toile blanche, haute de 60 mètres environ, chaque basse voile étant large d’au moins 25. Rien de plus majestueux qu’un vaisseau de l’ancienne marine sous ses voiles. Ce qui va le plus manquer à la marine royale — qu’elle soit de guerre ou de commerce — c’est la persévérance. Certes, au temps des grandes compagnies maritimes, les Français porteront leur flotte marchande de 300 à 1.000 vaisseaux. Mais les Britanniques vont en aligner 4.000 et les Hollandais 16.000 ! Dans cette disproportion se trouve déjà inscrite la perte de la plupart des possessions américaines, malgré les exploits des capitaines corsaires ou des flibustiers. Il n’est pas d’empire sans maîtrise des mers. L’infortuné Louis XVI devait le comprendre, alors que tout était déjà joué depuis le funeste traité de 1763 — dont certains ont voulu faire une date aussi significative que celle de 1789. Claude Farrère devait parfaitement tirer la leçon de près de trois siècles d’aventure navale à la française, une histoire en tragiques dents de scie, où l’héroïsme des équipages n’a que rarement compensé l’impéritie des gouvernants : « C’est une criminelle erreur d’avoir cru qu’on peut avoir des colonies en négligeant d’avoir une marine ».

Jean Mabire, Enquête sur l'histoire n°30, 1999.

http://www.archiveseroe.eu/recent/39

Non, Pétain n a pas séparé la Loire-Atlantique de la Bretagne.

 

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02/07/2014 – 07H00 Nantes (Breizh-info.com) – Avant la manifestation pour la réunification du 28 juin à Nantes, qui a réuni plus de 12 000 manifestants,  plusieurs parlementaires et personnalités se sont prononcés en faveur d’une Bretagne à cinq départements et contre une fusion Bretagne/Pays de la Loire. Ouest France a procédé à un tour d’horizon des arguments utilisés par ces derniers.

Il en est un qui revient régulièrement et qui sent bon le Mouvement breton : “abolir le dernier décret de Vichy” (Alan Stivell) “corriger une décision illégale d’un gouvernement illégal” (Yann Queffelec).
Evidemment, on a le droit d’être musicien ou écrivain et d’être fâché avec l’histoire : ce qui est le cas pour ces deux personnages dont l’horizon se limite au maréchal Pétain.

Si tous les découpages régionaux sans exception, ont séparé Nantes et Rennes, la délimitation territoriale change d’un débat à l’autre. Le premier est l”oeuvre d’un ministre du commerce nommée Etienne Clementel. Il crée les groupements économiques régionaux (5 avril 1919). Le groupement économique régional de Nantes comprend les dix chambres de commerce de Laval, Le Mans, Angers, Cholet, Saumur, Tours, Lorient, La Roche sur Yon, avec Nantes pour centre.

Le groupement économique régional de Rennes comprend les sept chambres de commerce de Brest, Morlaix, Quimper, Saint-Brieuc, Fougères, Rennes, Saint-Malo, avec Rennes pour centre.
Dans la foulée, “les comités consultatifs d’action économique, institués dans chaque région de corps d’armée, deviennent les comités économiques constitués par les groupement des chambres de commerce.” “Ils continuent à fonctionner sous la présidence du préfet du chef-lieu de la région”.

En 1926, Raymond Poincaré, président du Conseil, crée les syndicats “interdépartementaux”. Le décret du 28 septembre 1938 donne naissance à 19 “régions économiques”. “La 5ème région économique (centre administratif Nantes) est formée par les chambres de commerce de : Laval, Le Mans, Nantes, Saint-Nazaire, Angers, Cholet, Saumur, Tours, la Roche-sur-Yon”. “La sixième région économique, centre administratif Rennes, est formée par les chambres de commerce de : Brest, Morlaix, Quimper, Lorient, Saint-Brieuc, Fougères, Rennes, Saint-Malo.” Il y eut ensuite le découpage de 1938, celui de 1941 qui crée le “préfet régional”, celui de 1944 qui insistitue le commissaire régional de la République, celui de 1954 qui met en place “les comités d’expansion économique”, celui de 1956 qui dessine 22 régions, est destinée à favorisé la planification, enfin celui de 1960 qui institue la “circonscription d’action régionale” voulue par Michel Debré.
A chaque fois, la Bretagne est coupée en deux.

Où en est-on aujourd’hui ? Quel est le support juridique du découpage régional actuel ? la réponse est dans le décret n°60-516 du 2 juin 1960 portant harmonisation des circonscriptions administratives.
C’est ce que nous rappelle Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, dans l’exposé des motifs du projet de loi relatif à la délimitation des régions qui vient d’être déposé au Sénat. “Le périmêtre actuel des régions est issu de la définition, à partir des départements, des circonscriptions d’action régionale par le décret 60-516 du 2 juin 1960 portant harmonisation des circonscriptions administratives.
Ce découpage initial a été maintenu, par renvois successifs à ce périmètre original, par l’article 1er de la loi N°72-619 du 5 juillet 1972 portant création et organisation des régions, qui inscrit leur périmètre sans la loi , par l’article 59 de la loi n°82-213 du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, qui en fait des collectivités territoriales.”

Donc prière de laisser le maréchal Pétain là où il se trouve, c’est-à-dire à l’île d’Yeu. Le découpage de Pétain n’est qu’un découpage parmi d’autres et n’a aucune valeur juridique aujourd’hui.

Bernard Morvan

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Russie Occident, l’autre guerre de 100 ans (première partie)

 

par Daniel Arnaud

Lorsque, le 24 février 2022, les forces militaires russes ont franchi la frontière de l’Ukraine, j’étais à Saint-Pétersbourg. J’ai partagé la surprise, l’inquiétude des Russes. J’ai aussi partagé les mêmes difficultés que ceux d’entre eux dont les affaires dépendaient des relations entre l’UE et la Russie, et se faisaient en devises. Mais, en ce qui me concerne, passé les premiers jours de sidération, je me suis souvenu de ces nombreux matins des vingt dernières années où, découvrant, au lever, une nouvelle action hostile des États-Unis contre la Russie, je m’étais demandé : combien de temps encore ? Quand s’usera la patience russe ? Quand est-ce que l’affrontement quittera le terrain économique, et celui de l’information, pour celui du champ de bataille ? Et lorsque la pluie de sanctions s’est abattue sur la Russie, la preuve d’une préparation longue, animée par une volonté stratégique au long cours (celle des USA), s’étalait enfin au grand jour. On ne réunit pas en quelques jours l’Union européenne entière autour de mesures aussi draconiennes, et économiquement sensibles, elle à qui il faut habituellement des années pour discuter de normes telles que la taille des œufs que les poules ont le droit de pondre sur son territoire !

Quelques semaines plus tard, j’atterrissais dans la douceur du printemps Niçois. J’avais laissé les Russes dans une attitude générale d’inquiétude calme, eux dont les vies étaient bouleversées par le conflit, pour une population pour laquelle aucun enjeu vital n’était compromis, qui hier encore aurait eu du mal à situer l’Ukraine sur la carte, mais qui était au bord de l’hystérie collective. C’est là que j’ai pris conscience que ma patrie d’origine, et ma patrie d’adoption avait dérivé au cours du temps. Cela m’imposait, pour comprendre, de replacer l’actualité brûlante dans un contexte historique suffisamment long pour y trouver du sens. Aussi ai-je tenté de regarder les évènements dans la perspective qui pourrait être celle des historiens travaillant sur notre époque dans un siècle ou deux. Et, partant de ce point de vue, m’est venu l’hypothèse que nous assistions aujourd’hui à la conclusion d’une guerre de 100 ans, qui aurait commencé en 1917.

Cela pourrait surprendre, car les périodes d’hostilités, de détente, et même d’alliance, se sont succédées durant ce siècle. Il serait faux de dire que les pays qui composent ce qu’on appelle aujourd’hui l’occident collectif, se sont battus avec la Russie pendant 100 ans. Mais de même, la moyenâgeuse guerre de 100 ans n’est pas faite de 100 ans d’activité militaire. Il y a des périodes de trêves, des retournements d’alliance aussi. On pense en particulier au Compté de Bourgogne, qui s’allie tantôt au Roi de France, tantôt à la couronne d’Angleterre. Si donc, on l’appelle guerre de 100 ans, c’est parce que durant toute cette période, c’est la même question qui motive le conflit : la légitimité du roi d’Angleterre sur une partie des terres françaises. Et cette question ne sera effectivement tranchée qu’à la fin de cette guerre, quand la couronne d’Angleterre devra renoncer à ses prétentions sur le continent.

On note que durant cette guerre commence à apparaître un proto-sentiment national français. Si les Anglais avaient gagné, le monde serait différent. La notion de nation ne se serait probablement pas imposée sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Ainsi, outre les aspects dynastiques et impérialistes, elle se complique d’aspects qu’on qualifierait aujourd’hui d’idéologiques. (Gardons-nous toutefois de tout anachronisme, les termes idéologiques et impérialistes ne peuvent être appliqués au Moyen-Âge avec le sens exact que nous leurs donnons aujourd’hui).

De même, le conflit qui commence en 1914 est purement un problème de concurrence entre impérialismes. Mais il provoque la révolution en Russie, et il devient alors, aussi, un conflit entre deux visions de la société, dans le même temps que les enjeux impérialistes, en particulier concernant l’accès aux ressources russes, demeurent. Commence alors un vingtième siècle un peu décalé dans le temps, s’étendant de 1917 à 2022, durant lequel la question des rapports de l’Europe d’abord, puis de l’occident (après la seconde guerre mondiale et l’établissement de l’hégémonie américaine), avec la Russie, sera la question géopolitique centrale pour tout le continent européen. Je pense que cette question conditionne les politiques intérieures et extérieures des états européens et des USA sur toute cette période. Si la fin du conflit en Ukraine en marque la résolution, alors, l’analogie avec la guerre de 100 ans médiévale se révélera pertinente.

L’occident et la Russie depuis le début du XXe siècle : une guerre de 100 ans

L’hypothèse est donc que dans une centaine d’année, les historiens qui étudieront l’histoire du XXIe siècle y verront, pour certains en tout cas, une nouvelle guerre de 100 ans, s’étendant de 1914 à 2022, opposant l’ensemble des puissances industrielles traditionnelles à la Russie. J’entends par « puissances industrielles traditionnelles », les puissances d’une ère occidentale au sens large : anglosphère, Europe occidentale, et Japon. Elles sont caractérisées par le fait d’avoir fait leur révolution industrielle sur la base d’une privatisation de plus en plus poussée des moyens de productions, ce que nous appelons habituellement la voie capitaliste. On les opposera aux puissances industrielles plus tardives, qui elles, ont choisi la voie de la collectivisation des moyens de production, celle du communisme. On sait, en particulier grâce aux travaux d’Emmanuel Todd, que ce choix n’est pas le fait du hasard, mais correspond aux valeurs profondes des sociétés qui le font, telles qu’elles émergent de la structure de la famille paysanne. Je cite ce fait pour rappeler que si les trajectoires historiques de pays comme la France ou l’Angleterre, et la Russie diffèrent autant, ce n’est pas un caprice du destin. On peut expliquer scientifiquement le lien qui existe entre la structure de la famille paysanne, les valeurs qui en découlent, et le chemin vers l’industrialisation de chaque nation. On conçoit que si la transformation industrielle se produit plus tard en Russie (et en Chine) c’est que ces sociétés sont structurellement plus conservatrices. Et cela se vérifie encore de nos jours, en observant la résistance des sociétés Russes et Chinoises aux « innovations sociétales » de l’occident. On se gardera pourtant de confondre conservatisme et rejet du progrès technique. Sinon on ne comprendrait rien à la créativité technique de la Russie et la Chine. Car, en dépit de ce que nos médias peuvent en dire, il faut savoir que pour qui suit pour des raisons professionnelles les solutions techniques développées en Russie, il apparait clairement que la Russie a des longueurs d’avance dans un certains nombres de domaines, et pas seulement celui de l’armement. Le smart-city russe, par exemple, peut faire rougir les métropoles occidentales. Il n’en demeure pas moins que le retard historique pris sur le plan de l’industrialisation jusqu’au XXe siècle fait que les deux pays les plus importants de la sphère communiste ont aussi été, en leur temps, l’objet de tentatives de colonisations par les puissances dominantes occidentales. Pour la Chine ce fut particulièrement brutal, les tristes épisodes des deux guerres de l’opium en font foi. Pour la Russie, on sait moins que son tardif décollage industriel de la fin du XIXe siècle, début du XXe, est essentiellement financé par des capitaux occidentaux (en particulier Français). Les capitaux s’exportent, l’outil industriel utilise des techniques occidentales, l’Empire Russe se transforme également en colonie, même si celle-ci est plus douce (sauf pour les petits bras qui, dans les usines, gagnent de toutes leurs forces les dividendes des actionnaires européens, bien sûr). Il faut aussi rappeler que quoiqu’on en pense, ce sont bien leurs partis communistes qui rétablissent la souveraineté de ces deux pays.

Ainsi, en zoomant en arrière pour passer du temps bref de l’information, à l’échelle des temps historiques, apparait un long vingtième siècle, structuré autour d’un conflit dont l’objet associe deux enjeux. Le premier économique et impérialiste implique l’accès aux ressources et aux terres de ce qui était l’empire russe, puis l’Union soviétique, et enfin la Russie, et l’ensemble des pays d’Europe et Asie centrale issue de la fin de l’Union. Le second, idéologique, mais également économique, concerne la propriété des moyens de production dans le cadre du développement industriel, privée ou collective. Il est tentant d’affirmer, que le second enjeu est resté secondaire sur le plan de la motivation. La preuve étant fournie par le fait que la pression sur la Russie n’a jamais cessé après la chute de l’URSS. Mais, même si on peut le voir comme un décor masquant les appétits impérialistes, l’enjeu idéologique joue un rôle fort. D’abord il permet de « vendre » les conséquences du conflit aux populations, qui les subissent. Ensuite, l’URSS, en proposant un modèle alternatif de marche vers l’industrialisation, remettait en cause les privilèges des élites issues du capitalisme. On ne rappellera jamais assez combien l’existence de l’URSS a inspiré et renforcé les luttes sociales des classes populaires du monde occidentale. Enfin il joue aujourd’hui un rôle important dans la construction d’une identité européenne. Nous reviendrons plus loin sur ce point. Et puis, la collectivisation des moyens de production entraîne effectivement l’expulsion du capital étranger, et le rétablissement de la souveraineté. Ce fait créé donc un lien causal fort entre les deux aspects du conflit.

Ce n’est pas la place ici d’un long développement historique, et je me dois de renvoyer le lecteur à des sources historiques, qui seront bien plus rigoureuses que tous résumés que je pourrais en faire. Mais quelques faits suffiront, je l’espère, à montrer que ce choix historiographique, qui fait hypothèse d’une guerre de 100 ans, souvent hybride, mais parfois aussi « chaude », faite par l’occident à la Russie, quelle que soit la forme de l’état qui l’incarne, n’est pas complètement fantasmé, mais s’enracine dans la réalité historique. 

Fin de la Première Guerre mondiale, l’ex-empire russe est en révolution, et la guerre civile éclate entre les Rouges et les Blancs. Cette guerre civile est fort peu civile : c’est 14 nations qui envoient des corps expéditionnaires pour participer à ce conflit. Plus intéressant encore, je propose ici une liste non exhaustive des belligérants non russes. (les manquants sont des pays colonisés qui n’ont donc pas eu le choix de se tenir à l’écart) : la France, la Pologne, l’Italie, la Roumanie, la Tchécoslovaquie, le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni, la Chine, le Japon, et bien sûr, les États-Unis, sans oublier, l’Allemagne. Je suggère de comparer cette liste à celle des pays participant aujourd’hui aux sanctions contre la Russie, et soutenant l’Ukraine par des fournitures d’armes. La continuité historique est stupéfiante. On peut constater des différences comme l’Inde par exemple. Mais si celle-ci se battait avec les puissances occidentales, c’est en tant que colonie britannique. Il est assez remarquable que l’Inde souveraine se situe plutôt du côté de la Chine et la Russie, pays avec lesquels les relations sont parfois pourtant compliquées.  

Fin de la seconde guerre mondiale, l’URSS paye la destruction de la machine de guerre nazie de 26 millions de morts, et de la dévastation du tiers le plus riche et industrialisé de son territoire. Une paille ! En échange, elle exige à Yalta la formation d’un cordon sanitaire d’états sur sa frontière ouest, et que la Pologne ne puisse plus jamais servir à l’Allemagne de tremplin pour l’attaquer. Buts de guerre extraordinairement modestes au regard du sacrifice consenti. Modestie qui doit sûrement beaucoup à la conscience précise de la faiblesse de l’URSS après la saignée qu’elle vient de subir. Les USA, eux, s’arrogent la part du lion, avec toute l’Europe occidentale, nettement plus vaste, riche, peuplée et industrialisée que la part qui échoit à l’URSS. URSS qui s’applique à respecter, dans un premier temps, les accords de Yalta, en abandonnant, par exemple, les communistes grecs entre les mains d’une brutale répression britannique. Qu’en est-il des USA ? La réponse tient dans un fait également mal connu en Europe, et souvent aussi en Russie même. Dès 1945, l’OSS puis la CIA « recycle » les bataillons bandéristes pour animer une guérilla meurtrière à l’ouest de l’Ukraine. Cette petite guerre, entièrement financée par les USA, durera jusqu’en 1949 et fera quand même 300 000 morts, 100 000 coté soviétique, 200 000 du côté des Ukrainiens. Manière un peu « virile » de remercier l’URSS d’avoir permis aux USA d’étendre considérablement leur zone d’influence en Europe ! Et aussi, à nouveau une belle continuité, puisque l’on voit déjà les États-Unis s’allier à des nazis (pas encore néo) ukrainiens, pour faire la guerre à la Russie.

Mentionnons également « Le grand échiquier » de Zbigniew Brzezinski (1997), ainsi que les rapports de la Rand Corporation de 2021, véritables déclarations de guerre hybrides. Difficile de nier que l’affaiblissement et la destruction de la Russie demeure un but essentiel de la géo-politique américaine, et par voie de conséquence, de leurs colonies européennes. (Appelons un chat un chat).  

Ainsi, à partir de la révolution Russe, on peut voir les rapports avec l’URSS comme un des facteurs les plus déterminants de la trajectoire historique de l’Europe occidentale, et des USA. C’est cette question qui est aujourd’hui en cours de résolution, et donc, à ce titre, je considère légitime de parler d’une guerre de 100 ans entre la Russie et l’Europe occidentale, en faisant, je le rappelle, le pari, de moins en moins risqué au vu de l’actualité, que cette question sera résolue à la sortie du conflit.

Élargissement de la perspective historique

J’ai rappelé plus haut la communauté de destin historique entre la Chine et la Russie : ces deux pays ont, dans un passé récent, subi les tentatives de colonisation par l’occident triomphant. Celles-ci se sont déroulées essentiellement aux XIXe siècle, puis dans la première moitié du XXe. N’oublions surtout pas, cependant, la « piqure de rappel » particulièrement brutale que fut l’intervention américaine dans la vie du pays et de la société russe durant les années 90. Celle-ci a bien toutes les caractéristiques d’une colonisation, avec ses interventions lourdes dans la vie politique, son pillage de toutes les ressources, etc. 

Ainsi, si nous élargissons le champ de vision géopolitique, le paysage historique et politique qui se développe prend des teintes inquiétantes. Nous voyons un conflit opposant un bloc occidental élargi, à un bloc qu’on appellera Eurasiatique faute de mieux, regroupant d’abord la Russie et la Chine, et d’autres pays qui s’en rapprochent : Iran, Inde, les pays de l’OCS, par exemple. En dehors des pays du bloc occidental élargi, les autres ont adopté une attitude variant entre la neutralité bienveillante vis à vis de la Russie et un soutien discret. Ainsi, la Russie et la Chine ont en commun d’être des nations anciennes (voir la plus ancienne de toutes pour la Chine). Ce sont deux grandes civilisations qui ont joué un rôle important dans l’histoire planétaire, sur le plan géopolitique bien sûr, des arts, mais aussi des techniques. Ensuite, au moment où l’occident « entre » en révolution industrielle, leur conservatisme empêche les évolutions de l’ordre social nécessaires au développement des nouveaux modes de production, et elles prennent donc du retard. Retard qu’elle paye cher, car elles se trouvent affaiblies, en particulier sur le plan militaire, et sont donc l’objet des tentatives de colonisation décrites plus haut. Toutes deux s’en libèrent et rattrapent leur retard en empruntant la voie d’une industrialisation à marche forcée, conduite par la collectivisation des moyens de production. Elles ont aujourd’hui rattrapé leur retard, et dépassé l’occident dans un grand nombre de domaines. Et, elles se retrouvent aujourd’hui de nouveau dans un conflit d’impérialisme et idéologique, avec ce même occident. La raison pour laquelle il faut insister sur cette perspective historique, c’est qu’elle montre que le rapprochement sino-russe est beaucoup moins circonstanciel qu’on tend à le croire. Il est en fait enraciné dans un destin commun vis à vis de l’occident, dont les enjeux dépassent l’appartenance à des sphères de civilisation différentes. Le rapprochement stratégique entre les deux pays est solide, et le fait qu’ils représentent à eux deux, une puissance de production considérable adossée aux ressources naturelles qui lui sont nécessaires, n’augure rien de bon pour les Européens. Et ce d’autant que les humiliations passées animent une rancoeur dans les populations qui assurent un soutien patriotique aux gouvernements. Cela ait particulièrement vrai pour la Chine. Pour la Russie ça l’était moins, car la colonisation n’ayant été qu’économique, le souvenir d’une occupation étrangère n’a pas marqué les esprits comme en Chine. Mais aujourd’hui, il existe une prise de conscience dans la population Russe, de ce que le traumatisme des années 90 était en effet dû à une colonisation de-facto de leur pays.

Dans cette perspective, la question du conflit dans lequel se joue l’émancipation d’un bloc Russe et Chinois des tentatives de colonisation de l’occident, structure toute l’histoire d’un vingtième siècle s’ouvrant avec la première guerre mondiale, et se terminant maintenant, avec le conflit en Ukraine. La question fondamentale, sur le plan idéologique, de la propriété des moyens de production d’hier, a été remplacé par celle du rôle de l’état dans l’économie. À la prépondérance de l’économie sur le politique de l’occident, répond le rôle de l’état dans l’économie de la Chine et de la Russie. On a cru la question réglée en 1991. L’humanité entrait dans les temps messianiques du triomphe du libéralisme économique, du libre-échange absolu, la guerre était vaincue, et l’Histoire connaissait sa fin. Bien sûr, il s’agissait d’un délire idéologique. On remarquera que l’idéologie néo-conservatrice a généré le même phénomène de croyance aveugle que le marxisme en son temps. Le monde loin de converger et même de communier dans l’adoration des « valeurs occidentales », a continué d’évoluer, et de nouvelles divergences, génératrices de conflits d’intérêts sont apparues. Posons-nous la question : se pourrait-il que les différences de valeurs anthropologiques qui ont conduit la Russie et la Chine à emprunter la voie de la collectivisation pour s’industrialiser, soient les mêmes qui imposent un autre équilibre entre pouvoir politique et économique, dans le cadre d’une économie de marché ? Si on accepte ce point de vue, on comprend alors qu’en Chine et en Russie, les souverainetés politique et économique se confondent. En voulant imposer, à l’ensemble du monde, des règles de gouvernance économique surclassant le pouvoir politique, l’occident nie et menace l’identité de ces pays. Son aveuglement, devrais-je dire son autisme culturel, réalise donc les conditions d’un conflit plus profond encore que celui qui nait des divergences d’intérêts géopolitiques et économiques.

Ainsi, en adoptant cette perspective élargie, on conçoit qu’un conflit où se joue la résolution de tensions séculaires ne peut qu’avoir une dimension globale. Et on observe d’ailleurs déjà que les grandes manœuvres diplomatiques autour des BRICS sont bien plus déterminantes que ce qui se passe sur le terrain de combat. Sur le plan strictement géopolitique, j’adopte la vision de John Mearsheimer. C’est donc celle d’un conflit né de la posture impériale américaine, motivant une politique d’extension de l’OTAN et d’affaiblissement de la Russie. Conflit voulu et préparé par les États Unis. Leur position est, rappelons-le, pensée et définie dans de nombreux ouvrages et rapports de « think tanks ». Mieux même, la stratégie de montée en tension des dernières années est parfaitement décrite par deux rapports de la Rand Corporation datant de 2019. Le déclenchement du conflit avec la Russie, par Ukraine interposée, est minutieusement décrit, ainsi que les risques de destruction pour l’Ukraine. La pensée géopolitique américaine justifie cela par la nécessité de conserver le contrôle de l’Eurasie, afin de prévenir la montée d’un concurrent, et donc de conserver leur hégémonie. Il s’agit d’une théorie géopolitique, et comme toute théorie, elle exige d’en accepter les prémisses : les États-Unis, puissance maritime, doivent garder le contrôle de la masse continentale Eurasienne, car qui contrôle ce continent contrôle le monde. Ne jugeons pas ici du bien-fondé de cette idée, ni de son réalisme. Notons quand même qu’elle est héritée de l’Empire Britannique, et l’a conduit à une extension qui n’était pas soutenable. En revanche, à partir du moment où ses prémisses en sont acceptées, et qu’elle forme la base de la pensée stratégique des États Unis, leur hostilité vis à vis de la Russie est rationnelle.

En revanche, la position de l’Union européenne l’est beaucoup moins. Les pays qui la composent (rappelons que la politique étrangère reste, en principe, un privilège des États membres), ont beaucoup à perdre en se fâchant avec la Russie. C’est en particulier vrai pour la France et l’Allemagne. Pourtant, Angela Merkel a avoué avoir saboté les accords de Minsk. Pourtant le chancelier Allemand ne réagit pas quand le dernier pipeline qui aurait pu sauver son économie est détruit sur ordre de Washington. Quant à la France, tellement engagée en Russie qu’elle y était, avant le conflit, le premier pays étranger pourvoyeur d’emplois, elle aussi a participé au sabotage des accords de Minsk, comme l’a reconnu François Hollande. Elle n’a pas réagi quand fut révélé que le téléphone des dirigeants français étaient écoutés par les USA. Bref, France et Allemagne, les initiateurs historiques de l’Union européenne, les deux principales puissances économiques, se laissent faire, et suivent la ligne décidée à Washington. L’irrationalité de l’Union européenne serait donc le fruit de sa perte de souveraineté au profit des intérêts états-uniens. C’est en effet un facteur important, mais nous verrons que d’autres facteurs sont aussi à l’œuvre, entrainant le continent dans la spirale d’un étonnant Hara-Kiri collectif.

Tâchons maintenant, à la lumière du choix historiographique précédemment exposé, d’envisager les trajectoires historiques des différents acteurs, afin d’analyser quelles sont les stratégies de sorties de conflits qui s’offrent à eux. Notons quand même que lorsque nous parlons d’acteurs, il faut en distinguer deux classes : celle des pays souverains, qui donc conservent une liberté de décision politique et stratégique, et celle des pays vassaux, dont le pouvoir de décision est très restreint. Nous rangerons dans la première les USA et la Russie, mais aussi la Chine. Celle-ci n’est pas directement impliquée, mais outre qu’elle fait cause commune avec la Russie, elle jouera un rôle déterminant dans les actions diplomatiques qui concluront le conflit. Enfin, et surtout, elle se sait juste derrière la Russie dans la liste des cibles des néocons, et par conséquent, par sa posture diplomatique, elle défend ses intérêts directs. On peut la décrire comme un acteur engagé sur le plan stratégique et diplomatique, sans l’être sur le plan militaire.

La seconde classe est évidemment composée des pays de l’Union européenne/OTAN et de l’Ukraine. Ceux-ci agissent dans le cadre étroit que veut bien leur laisser Washington, avec le relais de Bruxelles, ne pouvant s’éloigner que marginalement de la ligne définie sur les bords du Potomac.

Qu’un dirigeant tente de s’en éloigner un tant soit peu, et le voilà rappelé sèchement à l’ordre par les relais obséquieux de l’atlantisme, comme l’a montré, à nouveau, la flambée médiatique suivant les propos du président Macron à son retour de Chine.

Dans la seconde partie de cet article, nous décrirons les phases de la guerre de 100 ans russo-occidentale, et montrerons comment elles s’enchainent pour  mener l’occident à « l’âge de la déraison » dans lequel il se débat aujourd’hui. Nous définirons ensuite le conflit entre les USA et la Russie, comme celui opposant les pays producteurs de biens et ceux qui les consomment, et en tirerons les conséquences.

(À suivre)

source : Vu du Droit

https://reseauinternational.net/russie-occident-lautre-guerre-de-100-ans-premiere-partie/