mercredi 31 août 2022

6 février 1934

 L'atmosphère est lourde en France en la fin de Vannée 1933. La crise économique s'intensifie, le chômage sévit, le déficit budgétaire s'accroît dangereusement. Depuis dix-huit mois les radicaux sont au pouvoir, mais les cabinets se forment, tombent, se reforment à un rythme rapide. Ils se montrent incapables d'opérer un redressement et Je régime parlementaire est de plus en plus déconsidéré.

Sur ces entrefaites un scandale éclate. Un certain Alexandre Stavisky, français originaire de Russie, a monté une incroyable escroquerie à Bayonne. Avec le nommé Tissier, directeur du Crédit municipal (nom donné au Mont de piété de la ville) il a émis de faux bons de caisse pour un total de plus de 200 millions, qui ont naturellement disparu.

Ce Stavisky est bien connu des milieux politiques. Aidé par sa femme, la jolie Ariette, il reçoit beaucoup, toujours fastueusement. Il a pu se faire à Paris des relations utiles. Depuis longtemps il profite de la complaisance de certains parlementaires pour faire ajourner les procès qu'on lui intente. On relèvera plus tard qu'il a bénéficié d'une vingtaine de remises au Palais de justice.

Stavisky se suicide

Mais le pot-aux-roses de Bayonne est découvert. Cette fois, il est trop tard pour échapper au scandale. Stavisky s'enfuit, sa trace est retrouvée à Chamonix, où il a loué un chalet. Le 9 janvier 1934, on le découvre mort d'une balle dans la tête. S'est-il suicidé ? Sa veuve parle d'un « suicide par persuasion ».

Certains journalistes affirment qu'il s'agit d'un meurtre politique, destiné à empêcher l'escroc de nommer ses complices.

L'affaire fait tache d'huile. Le député-maire de Bayonne, Garât, a été arrêté comme instigateur de l'escroquerie du Crédit municipal : il est inculpé de vol, faux, usage de faux, recel. On apprend que d'autres parlementaires, anciennes relations de Stavisky, ont accepté de celui-ci des chèques.

Le président du conseil Chautemps est très ennuyé : son frère a été l'avocat de Stavisky, son beau-frère, M. Pressard, procureur général de la République au tribunal de la Seine, a été à l'origine des remises successives dont a bénéficié le chevalier d'industrie. L'Echo de Paris publie un dessin de Sennep montrant le « suicidé » dans un magnifique cercueil, avec comme légende : Un meuble signé Pressard-Chautemps est garanti pour longtemps.

D'autres journaux d'opinion, de l'Action française à l'Ami du peuple, ou de même la presse d'information, (Le Matin ou l'Intransigeant) se lancent également dans d'âpres critiques. À l'extrême-gauche, mais pour d'autres motifs, l'Humanité prend le gouvernement à partie.

Chautemps démissionne

À Paris la colère gronde. Les ligues de droite vont entretenir l'agitation. La plus dynamique, la plus agressive, est sans doute celle des camelots du roi qui, depuis longtemps, avec l'Action française, réclament un retour à la monarchie. Les membres des Jeunesses patriotes restent républicains, mais ils veulent des changements : exécutif fort, législatif à pouvoirs limités. L'Union Nationale des Anciens Combattants (U.N.C.) se dit apolitique, ce qui ne l'empêche pas de manifester son profond écœurement devant les scandales politico-financiers de l'heure.

D'autres ligues existent, plus ou moins efficaces. Il faut mettre à part les Croix de feu dont le chef, le colonel de la Rocque, partisan de l'ordre, préconise des réformes sociales, économiques, politiques et non un bouleversement des institutions (son rôle modérateur lui vaudra bien des haines). Face aux « ligues de droite », les communistes vont profiter de la situation pour dénoncer ceux qu'ils appèlent « les fascistes ».

Pendant toutes ces journées de janvier, les manifestations se multiplient dans la rue. Autour du Palais Bourbon des cris éclatent : « À bas la république des voleurs et des assassins ». Le 12, à la Chambre, le député de droite Ybarnégaray se lance dans une vive diatribe contre les complices de Stavisky :

- Qu'une pauvre femme vole du pain, elle sentira la poigne de la loi. Pour Stavisky, loi muette, juges sourds...

Il demande la formation d'une commission d'enquête, mais la majorité refuse de le suivre et la confiance est votée au gouvernement par 372 voix contre 196. Quelques jours plus tard, le député de la Gironde Philippe Henriot, plus violent encore, n'obtient pas plus de succès. A l'extérieur de la Chambre, les manifestations augmentent d'intensité. Tout va changer lorsque deux ministres (celui des Colonies et le Garde des Sceaux) se voient contraints de démissionner et, le 28 janvier, Chautemps lui-même, présenté par la presse de droite comme le protecteur de Stavisky, annonce enfin la démission du cabinet tout entier. Mais le calme ne revient pas dans la rue, où la foule applaudit les manifestants.

Le 30 janvier, Daladier est chargé de former un nouveau gouvernement. Eugène Frot devient ministre de l'Intérieur. Deux députés du centre, Piétri et Fabry, acceptent de faire partie du cabinet. Mais Daladier, pour plaire à gauche, a la mauvaise idée de vouloir éloigner de Paris le préfet de police Jean Chiappe, homme de droite, qui, juge-t-il, n'a pas montré assez de vigueur dans la répression des manifestations.

Chiappe est connu comme un préfet à poigne, mais aussi comme un homme sachant user de diplomatie lorsqu'il s'agit d'éviter des effusions de sang. En compensation de sa démission, Daladier lui offre la Résidence générale au Maroc. Chiappe refuse. Son honneur, dit-il, l'empêche de s'en aller alors que ses adversaires crient « Mort à Chiappe ».

Sa mise à pied ravit la gauche : « Enfin, Paris est délivré de son préfet du coup d'État », proclame Le Populaire. On apprend bientôt qu'Edouard Renard, préfet de la Seine, démissionne par solidarité avec Chiappe. Le 4 février, les deux ministres modérés Piétri et Fabry se retirent à leur tour du cabinet Daladier. Nouvelle plus inattendue, M. Fabre, l'administrateur de la Comédie française, est renvoyé de son poste sous prétexte que la pièce Coriolan, montée par lui, donne lieu à des manifestations contre le gouvernement ! Pour le remplacer, on va chercher... le directeur de la Société générale, ce qui permettra à Henry Bernstein de déclarer :

On a placé Corneille, Racine, et Molière sous la protection du quai des Orfèvres.

Daladier a promis de faire toute la lumière sur le scandale Stavisky, mais la confiance ne règne pas et l'effervescence grandit. Les Camelots du roi, les Jeunesses patriotes, les Anciens Combattants, les Croix de feu ne veulent plus attendre. On décide de passer à l'action le 6 février, jour de l'investiture du cabinet Daladier.

Les mouvements commencent d'ailleurs la veille au soir. Des manifestants marchent vers le ministère de l'Intérieur aux cris de « Vive Chiappe ». Le nouveau préfet de police, Bonnefoy-Sibour, se charge du service d'ordre. Le choc avec les gardiens de la paix se produit aux abords de l'Élysée, mais les colonnes, refoulées, se replient en direction de l'Étoile.

La matinée du 6 février est relativement calme. Dans l'après-midi, au Palais Bourbon, Daladier monte à la tribune, mais le chahut est tel qu'il ne peut se faire entendre. Pendant plusieurs heures, clameurs et injures volent à travers l'hémicycle. On assiste même à des pugilats entre députés. Bonnefoy-Sibour a installé tout autour du Palais Bourbon des rangs serrés de gardes. Les rues environnantes, les quais sont interdits aux voitures et des embouteillages monstres se produisent dans les environs. Deux stations de métro ont été fermées au public. Sur le pont, les badauds reçoivent l'ordre de circuler.

Vers le milieu de l'après-midi, la place de la Concorde est noire de monde. Camelots du roi, ligueurs d'Action française, Jeunesses patriotes y sont au premier rang, avec des groupes de mécontents ou de simples curieux. On crie « Vive Chiappe ! ». « À bas Daladier ! Démission ! » Du côté des Tuileries, on commence à dresser des barricades.

Près du Grand Palais, les Anciens combattants attendent l'ordre de descendre les Champs-Elysées.

Vers 18 heures, ils s'ébranlent, drapeaux en tête, en chantant la Marseillaise, en direction de la Concorde. Mais, sur la place, la bagarre a commencé entre les manifestants et les gardes républicains. Un autobus A.C., arrêté par la foule, a été renversé et brûlé. Un agent cycliste reçoit un coupe de barre de fer et tombe sans connaissance.

Très vite la mêlée devient générale. Un petit peloton de gardes républicains arrivés du pont entre en lice. Les manifestants lancent des pavés, des morceaux de grilles ou de réverbères. Armés de couteaux ou de rasoirs, ils tailladent les jarrets des chevaux.

Sur le pont l'inquiétude règne. L'émeute va-t-elle atteindre la Chambre des députés ? Vers 20 heures, les premiers coups de feu claquent. Le directeur adjoint de la police, M. Marchand, a donné l'ordre de tirer. A-t-il fait d'abord les sommations d'usage ? Au milieu des hurlements rien ne pouvait être entendu. En tout cas, les premiers manifestants tombent. La lutte s'intensifie. Le président des Anciens combattants est blessé à la tête.

La situation se détériore rapidement. De nouvelles salves de police éclatent. Cette fois c'est la panique, la foule reflue du côté de la Madeleine. Les blessés, déjà nombreux, sont transportés dans les restaurants de la rue Royale ou dans les hôpitaux les plus proches. Une femme de chambre de l'hôtel Grillon, qui regardait par la fenêtre, est tuée d'une balle perdue. Au ministère de la Marine, des forcenés mettent le feu à des liasses de dossiers et des lueurs rouges illuminent la place.

Au Palais Bourbon, la séance continue dans le même brouhaha fantastique. Mais brusquement les députés apprennent que la troupe a tiré. On demande à Daladier si c'est lui qui a donné l'ordre.

- Le gouvernement aura la responsabilité du sang versé, crie Franklin-Bouillon, alors à la tribune.

Georges Scapini, député, aveugle de guerre, renchérit :

- C'est là un gouvernement d'assassins !... Allez-vous en avant que le pays ne vous chasse comme vous le méritez !

Le vacarme redouble. Protestations du côté du gouvernement, applaudissements de la droite. À l'extrême-gauche les communistes scandent, sur l'air des lampions, les trois syllabes « Les Soviets ! Les Soviets ! ».

Peu à peu, cependant, les rangs de travées s'éclaircissent. Parmi les députés qui se jugent compromis, beaucoup se sont éclipsés, par une porte donnant sur la place de Bourgogne.  Avant que la séance ne soit levée, le gouvernement pose pourtant (pour la troisième fois) la question de confiance. Le renvoi est ordonné par 343 voix contre 237.

On apprend maintenant que la Concorde, point névralgique, n'est pas le seul lieu des combats. D'autres bagarres se déroulent du côté de l'Hôtel de ville et sur les grands boulevards, où les communistes élèvent des barricades, renversant des voitures, arrachant les grilles. Ils organisent l'émeute en brandissant des drapeaux rouges.

Par ordre de la Rocque qui tient bien en main ses adhérents, les Croix de feu ont été divisés en plusieurs groupes. Le principal s'est réuni le long de la rue de Bourgogne. Par la rue Saint-Dominique, il a gagné l'esplanade et le quai d'Orsay, d'où il a pu atteindre les environs du Palais Bourbon. Le barrage a été forcé et quelques horions ont été échangés avec les gardiens. Échauffourées sans gravité, avec juste quelques égratignures. La Rocque expliquera plus tard son point de vue : « Il devait être question de purifier la République, il eut été coupable d'en tenter le renversement. Tant mieux si notre attitude s'est opposée aux contagions de la folie ».

La folie est-elle terminée ? Un triste bilan sera fait. On comptera une vingtaine de morts et plus de douze cents blessés. Daladier ne connaît pas encore ces chiffres (minimisés, au début tout au moins, par la préfecture de Police), mais il comprend qu'il ne peut se maintenir au pouvoir. Le 7 février, au début de l'après-midi, il va à l’Élysée présenter la démission du gouvernement à M. Albert Lebrun. Le président de la République se trouve maintenant face à une décision difficile. Quel homme au-dessus des partis se montrera capable de refaire l'union nationale ?

Un nom est vite avancé, celui de Gaston Doumergue. Agé de soixante-dix ans, l'ancien président de la République a gagné par sa bonhomie, son désintéressement, son sens politique, les suffrages des radicaux comme ceux des modérés.

Il jouit d'une grande popularité dans le pays. Mais acceptera-t-il la fonction difficile qu'on lui offre?

Le 7 février « Gastounet » (ainsi que l'appellent affectueusement les Français) s'apprête à partir pour un voyage familial en Egypte. Lorsqu'il arrive en sa résidence de Tournefeuille un téléphone de Laval, chargé par le président de la République de lui demander d'accourir, il hésite pendant quelques heures. De nouveaux appels, de plus en plus pressants, lui parviennent des présidents des deux assemblées. S'il ne se décide pas à venir former un gouvernement à Paris, lui dit-on, c'est la révolution.

L'annonce de l'acceptation de Doumergue ramène aussitôt le calme dans la capitale. Arrivé le 8 février, « Gastounet » peut présenter le lendemain soir à M. Lebrun la liste des ministres qu'il a choisis. Elle va de Pétain, de Tardieu et de Barthou, à Herriot, à Sarraut et à Marquet. Mais les socialistes ont refusé leur concours et les communistes n'ont évidemment pas été sollicités. Dans un message aux Français, le nouveau président du Conseil annonce qu'il a constitué un « gouvernement de trêve, d'apaisement et justice ».

L'heure de la trêve a-t-elle vraiment sonné ? Bien des heurts vont encore se produire. Le 12 février, une grève générale est proclamée. Une manifestation socialo-communiste s'ébranle à travers Paris, au chant de l'Internationale. Il y aura encore ce jour-là, des morts et des blessés. L'inquiétude redoublera lorsque le public apprendra quelques jours plus tard, l'assassinat du conseiller Prince, mort mystérieuse d'un magistrat qui en savait sans doute trop long sur le scandale Stavisky (1). En politique, une page n'est jamais définitivement tournée...

Bernard Boringe Historia février 1984

(1). : Voir Historia, n°146 et 147, Un escroc fait vaciller la IIIe République par Jacques Robichon ; n°307, Le scandale Stavisky, par Maurice Garçon, de l'Académie française ; n°326, L'affaire Stavisky, par J. Mayran.

(2). : Voir Historia, n°372, Le conseiller Prince s'est-il suicidé ? par Alain Decaux, de l'Académie française.

Le mystère de la mort de Léonard de Vinci : clin d’œil de la génétique à l’histoire

 

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Les mystères de la mort et de la sépulture de Leonard de Vinci pourraient enfin trouver une explication depuis que les scientifiques ont commencé une traque minutieuse de son ADN.

À sa mort en 1519, Leonardo a été enterré dans la chapelle de Saint-Florentin au château d’Amboise dans la vallée de la Loire. Toutefois, ce bâtiment a été détruit sous la révolution française en 1802 ainsi que les tombes qu’il contenait. Les restes du peintre auraient été mis dans un panier et perdus. Cependant des doutes ont émergés en 1863 lors d’une fouille effectuée par un amateur sur le site ; celui-ci a trouvé un cercueil de pierre contenant un squelette et un grand crâne jugé «assez grand pour contenir et le cerveau exceptionnel » de l’artiste. Ces restes ont été découverts près d’une dalle portant l’inscription LEO DUS VINC. Ils ont alors été entreposés à cette époque dans une plus petite chapelle, celle de Saint Hubert. Cependant, une plaque installée au-dessus de la tombe prévient que cet endroit est présumé être celui de sa tombe.

Des religions romaines à la religion impériale, avec Valérie Huet [3/3]

mardi 30 août 2022

Les Badinter, la gauche anti-bling bling (6/9)

 

Badinter

Robert et Élisabeth cultivent la discrétion. Avec eux, s’éteignent les derniers feux de la gauche des Lumières. Leur seul problème, c’est qu’ils n’ont jamais vu le peuple. Ils en parlent comme s’ils étaient des fermiers généraux, mais nous ne sommes plus au XVIIIe siècle.

Ils forment un joli petit couple de retraités, Robert et Élisabeth. Lui, du Barreau et de la politique ; elle, du féminisme. Plus de cinquante ans de vie commune, trois enfants et ils s’aiment comme au premier jour, avec la même fraîcheur touchante et désuète. Le charme discret de la grande bourgeoisie, quoi ! Voilà qui nous éloigne du clinquant habituel des nouveaux riches de la gauche caviar. L’anti-bling bling en somme. Les Publicis n’aiment pas la publicité.

Homo duplex, la femme aussi

Car Élisabeth est l’héritière du groupe Publicis, fondé par son glorieux père, Marcel Bleustein-Blanchet – l’illustre Gaudissart des Trente Glorieuses, celui qui a vendu à des Français médusés par tant d’abondance la société de consommation. Elle se classe au 139e rang des plus grosses fortunes de France, selon le magazine Challenges : 850 millions d’euros, 10 % du capital de Publicis légués à ses enfants, et dont elle a longtemps présidé le conseil de surveillance avec une mâle assurance. Question de chromosomes sûrement.

Le féminisme d’Élisabeth est néanmoins à courant alternatif. Les bimbos siliconées et les maîtres-nageurs bodybuildés, sévèrement bannis de sa production intellectuelle, redeviennent subitement de précieux auxiliaires publicitaires dès lors qu’il s’agit de faire grimper les ventes de déodorants et de grosses cylindrées. Homo duplex, disait Buffon, l’homme est double. La femme aussi. Que l’homme qui est sans contradiction lui jette la première pierre !

Moïse et la Terre promise de l’État de droit

Robert et Élisabeth, c’est comme un vélo en tandem : il y en a un qui pédale et un autre qui guide. Ne pas se fier cependant aux apparences : la femme libérée ne l’est pas tant que ça. Chez les Badinter, c’est souvent la suffragette qui besogne ; et c’est le ténor du Barreau qui ramasse les lauriers. Robert a beau avoir un physique de choriste fluet et longiligne, dès qu’il prend la parole, il fait jouer sa voix de bronze comme un premier prix du Conservatoire. Le résultat est impressionnant. À vous donner la chair de poule. C’est que l’ex-garde des Sceaux et ex-président du Conseil constitutionnel est une autorité morale, héritier en filiation directe de Condorcet et de son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain.

Nous, malheureux que nous sommes, n’avons qu’une conscience. Celle de Robert est si grande, si évasée, si débordante qu’il en a fait son métier. Il est droit, les hommes sont tordus, il va les redresser – au nom du Bien. Les droits de l’homme sont ses tables de la Loi, dont il est le Moïse guidant l’humanité retardataire vers la Terre promise de l’État de droit. Tu condamneras la peine de mort, tu dépénaliseras l’homosexualité, tu chériras le bloc de constitutionnalité, etc. C’est beau comme un film de Cecil B. DeMille projeté dans un amphi de droit constitutionnel.

La gauche divine

C’est à travers des gens comme les Badinter que l’on mesure combien les socialistes ont perdu le peuple. Qu’est-ce qu’une caissière dans la grande distribution ou un maçon de Romorantin ont à faire de l’abolition de la peine de mort ? D’abord en ces matières, ils préconisent des solutions aussi expéditives qu’un tribunal révolutionnaire. Ensuite, ils ont d’autres soucis quotidiens que les débats oiseux qui agitent les prétoires et les dîners en ville.

Question dans la question : comment être socialiste quand on a 850 millions d’euros d’argent de poche ? Il n’y a qu’une seule réponse : transformer la gauche en un parti libéral-progressiste à l’américaine. Côte Est pour les Badinter ; côte Ouest pour les Xavier Niel.

En réalité, la gauche parisienne ne mène plus que des combats compatibles avec son train de vie doré et ses réflexes mondains : hier la peine de mort, aujourd’hui le mariage pour tous et la GPA. C’est le triomphe de la gauche divine, comme disait Jean Baudrillard : morale, avec les Badinter ; immorale avec DSK. Pour l’agenda social, mieux vaut s’adresser à Pôle emploi et à Marine Le Pen.

Prochain épisode : Laurent Fabius, le dandy contrarié (7/9)

Épisode précédent :
Brève histoire de la gauche caviar (1/9)

Bernard-Henri Lévy, le Rienologue milliardaire (2/9)
Dominique Strauss-Kahn, cherchez les femmes ! (3/9)
Jack Lang le Mirifique (4/9)
Pierre Bergé, le milliardaire rose (5/9)

https://www.revue-elements.com/les-badinter-la-gauche-anti-bling-bling-6-9/

La pente despotique de l’économie mondiale (Hubert Rodarie)

 Hubert Rodarie est directeur général délégué du groupe d’assurance SMABTP et auteur de plusieurs ouvrages traitant de la situation économique et financière.

Et si le communisme soviétique et le capitalisme libéral partageaient plus de points communs qu’on ne le pense ? C’est ce que vient constater cet ouvrage écrit par un professionnel de l’assurance, des activités d’investissement et de gestion financière.

Le monde financier veut maîtriser les activités financières en créant des organisations où chaque individu est asservi à un ensemble de règles techniques. Ce mouvement a été appelé la « robotisation des activités financières ».

A travers ce livre, Hubert Rodarie montre qu’il existe une volonté d’installer les déséquilibres comme moteurs de croissance. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, le système économique a organisé des déséquilibres structurels, générateurs continuels de dettes qui ne rencontrent aucune limite. Et cette croissance continuelle de l’endettement rend vaine toute recherche de maîtrise de la qualité des emprunteurs : inévitablement vient un jour où les bornes d’une « décence commune  » selon l’expression d’Orwell viennent à être franchies, en un endroit ou un autre de la planète, et nous pouvons alors égrener ainsi les crises financières au long des dernières décennies. 

Au final, le monde occidental se retrouve dans une situation telle que la vivait et l’analysait Zinoviev à la fin des années 1970 en Union soviétique. Le citoyen est pris dans un système qui, tel un filet, contraint sa liberté d’action.

La pente despotique de l’économie mondiale, Hubert Rodarie, éditions Salvator, 379 pages, 22 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/la-pente-despotique-de-leconomie-mondiale-hubert-rodarie/54462/

lundi 29 août 2022

Contre-enquêtes : L’attentat de la rue Copernic, fausses pistes et manigances

 Le 3 octobre 1980, une bombe explose devant la synagogue de la rue Copernic, dans le XVIème arrondissement de Paris. Bilan : quatre morts et une quarantaine de blessés. L’extrême droite est immédiatement pointée du doigt, et des militants ainsi que des personnes assimilées à la mouvance sont violemment agressés. Le pouvoir politique oriente l’enquête vers les milieux nationalistes, bien que les Renseignements et la police doutent de leur implication. En effet, les informations qu’ils recueillent semblent indiquer une toute autre menace…


https://www.tvlibertes.com/contre-enquetes-lattentat-de-la-rue-copernic-fausses-pistes-et-manigances

Bernard Lugan sans filtre (Orages de Papier)

Légendes de la Corse éternelle (Jacqueline Mosconi-Malherbe)

 

legendes-corse

Jacqueline Mosconi-Malherbe, enseignante et journaliste, a déjà publié plusieurs livres consacrés à la Corse.

« Sur cette terre déchiquetée, âpre et magnifique, le passé de la Corse est semé d’énigmes, peuplé de mythes, tissé de légendes« , écrivait Marie Susini.

Le Corse ne s’est pas encore fondu dans le moule mondial, calqué sur le modèle américain. Les habitants de cette île n’ont pas encore été totalement absorbés par la société de consommation. Les Corses conservent fièrement leur identité.

Ce livre permet d’en savoir plus sur leur histoire, leurs traditions, leurs coutumes et leurs légendes. Pourquoi la tête de Maure est-elle devenue leur emblème ? Comment se fait-il que l’hymne corse soit un chant dédié à la Sainte Vierge, le Dio Vi Salvi Regina ? Quel est l’origine du nom de l’île ? Quels sont les saints vénérés en Corse ? Quelles sont les légendes qui expliquent les sites pétrifiés si typiques de l’île ? Quel est le lien entre Christophe Collomb et la Corse ? Qui étaient les Giovannali, membres d’une secte insulaire ? Quelles sont les superstitions corses ? Ce sont autant de questions, et bien d’autres encore, dont vous trouverez la réponse dans ce livre.

Légendes de la Corse éternelle, Jacqueline Mosconi-Malherbe, éditions du Rocher, 235 pages, 16,90 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/legendes-de-la-corse-eternelle-jacqueline-mosconi-malherbe/54698/

Pour recadrer un peu-beaucoup le "Président" Macron !

 

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François Floc'h

La récente parution du livre de Jean-Pierre Brun, "L'Esprit public ou la dernière flibuste" (1) tombe vraiment à point ! Emmanuel Macron – que d'aucun pourrait légitimement appeler Mohamed Macron – est actuellement en Algérie pour cirer, à nouveau, les babouches des héritiers du FLN.

Et cela aux dépens des intérêts matériels et moraux des Français !

Ce président a décidément toutes les caractéristiques d'un enfant gâté. "Gâté" (2) dans tous les sens du terme. Et il prouve aussi par ses déclarations algériennes qu'un enfant gâté est souvent ignare, lui ne connaissant rien de la vraie vie et de l'histoire de ceux qui nous ont précédés en notre douce et grande France !

Grâce à la revue L'Esprit Public, où de grandes plumes de la littérature n'hésitaient pas à engager leur confort et leur réputation, nous pouvons aujourd’hui recadrer notre président. Parmi ces courageux intellectuels, Jacques Soustelle (1912-1990). Gaulliste de la première heure, membre de la France libre, homme de gauche, ancien Gouverneur général d'Algérie, ethnologue spécialiste des Aztèques, académicien… rappelait quelques vérités historiques que visiblement Macron ne connaît pas. Ce texte lumineux (3) d'un Jacques Soustelle lucide et les commentaires de Jean-Pierre Brun dans son bouquin méritent d'être repris in extenso.
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« Aussi et quelles que soient les péripéties du moment, est-il plus important que jamais de rappeler inlassablement quel est le fond du problème. Au-delà de toutes les campagnes de mensonges et de mystification les données de base du drame algérien demeurent inchangées, et c'est à elles qu'il faut sans cesse revenir.

La première de ces données, c'est que l'Algérie de 1954 n'était déjà plus une colonie. Une évolution politique et sociale commencée entre les deux guerres mondiales s'était accélérée à partir de 1944. Comment peut-on de bonne foi qualifier de « colonie » un territoire dont tous les habitants sont des citoyens d'un même État, qui possède ses propres assemblées élues et qui désigne ses
représentants au Parlement ?

Une discrimination subsistait sans doute sous la forme d'un double collège, avec la règle des 3/5e dans les conseils municipaux, et des 50 / 50 % à l'Assemblée algérienne et au Parlement. Mais c'est précisément ce qui fut supprimé quand, dans le mouvement unanime et enthousiaste du 13 mai 1958, le collège unique fut accepté par tous et notamment par ceux qu'on baptise aujourd'hui "Ultras" : Il est donc faux et de toute fausseté que l'Algérie étant une colonie il faille la "décoloniser" ; ce qui constitue la base de l'argumentation du Président de la République, dans son dernier discours. Comment d'ailleurs oublier que la Constitution ne prévoyait aucune mesure spéciale pour les départements algériens et sahariens, et qu'il n'existe (c'est ce que répondit par la voie du Journal officiel Michel Debré, premier ministre, aux députés Vinciguerra et Le Pen) aucune procédure constitutionnelle (4) qui permette de séparer l'Algérie de la métropole.

En deuxième lieu : si l'Algérie n'est pas une colonie ; qu'est-elle donc non du point de vue juridique (car sur ce point de vue il n'y a pas d'autre réponse que les deux mots : territoire national) mais sous l'angle des réalités historiques, ethniques et économiques ? On peut dire que c'est un pays méditerranéen qui, au cours de sa longue histoire, n'a jamais été un État. Il a été peuplé par des vagues successives d'envahisseurs venus se superposer à la couche ethnique la plus ancienne, la seule qu'on puisse dire  "autochtone", celle des Berbères. Il a été arraché à une ruineuse anarchie par la France qui l'a éveillé à la vie moderne.

Au cours des siècles et plus spécialement depuis un siècle et demi, il s'y est formé deux catégories principales de population : d'une part les anciens indigènes berbères, les Arabes immigrés et le résultat du mélange de ces deux éléments, cette population ayant en commun surtout la religion musulmane ; d'autre part des indigènes israélites, les immigrés de cette religion et les immigrés européens, cette population ayant en commun un certain mode de vie à l'occidentale. Le résultat de ces phénomènes ethniques est qu'il existe deux peuples algériens : le peuple algérien de civilisation musulmane, et le peuple algérien de civilisation judéo-chrétienne.

Tels sont les faits, et il est d'évidente absurdité de prétendre que les Arabes ont tous les droits parce qu'ils sont entrés en Algérie au Xe siècle tandis que les Européens n'y sont arrivés qu'au XIXe.

Sur le plan économique, l'Algérie présente la juxtaposition de deux secteurs qui d'ailleurs ne correspondent pas aux secteurs ethniques : le secteur traditionnel auquel se rattachent essentiellement les fellahs du bled, et le secteur moderne, qui intéresse les agriculteurs européens, une partie des cultivateurs musulmans, et les habitants des villes quelle que soit leur communauté d'origine. »

« Il découle de ces observations — c'est la troisième donnée — que toute solution politique qui implique l'oppression d'un des deux peuples algériens par l'autre doit être condamnée comme contraire aux droits de l'humanité et comme source de conflits et de guerre. Remplacer l'ancien colonisateur déjà liquidé en 1958 par un néocolonialisme panarabe, c'est condamner l'Algérie à la division et à la haine à perpétuité ».

Jacque Soustelle développe ici la doctrine qu'il avait présentée à la suite de son gouvernorat en Algérie : Assimilation ou intégration ? Impact du contexte religieux imposant un droit civil spécifique (famille et propriété). Doctrine qui sera rejetée d'un revers de main par le nouveau maître de l'Élysée, Charles De Gaulle, la considérant comme une « foutaise ».

Quatrièmement, les réalités économiques algériennes montrent que le but à atteindre, à savoir l'extension du secteur moderne à l'ensemble du pays et des habitants, suppose l'incorporation de ce pays à un ensemble économique plus vaste et lui-même plus moderne, et c'est là un des aspects essentiels de l'intégration. Comme d'autre part les deux peuples qui coexistent en Algérie ne peuvent pas voir leurs légitimes intérêts garantis que par un arbitrage impartial, le maintien de l'Algérie dans la République française est de beaucoup la meilleure solution aux problèmes que pose inévitablement la cohabitation de deux populations distinctes inextricables.

Curieusement le plan de Constantine mis en œuvre au lendemain de l'instauration de la Ve République, concrétise parfaitement le plan soustellien. Et pourtant ! Ne serait-ce qu'un leurre pour camoufler les véritables intentions présidentielles ?

La rébellion commencée en 1954 — et c'est ma cinquième constatation — n'est pas le sursaut national d'un peuple opprimé, mais une entreprise systématique de subversion favorisée par le sous-développement économique d'une partie de la population et inspirée, guidée, financée et armée par l'impérialisme panarabe, puis et en même temps par le communisme mondial.

[...]

Jacques Soustelle peut alors conclure son analyse par l'orientation qui aurait dû être donnée à la politique de la France en Algérie : « Ces données étant ce qu'elles sont, il est clair que pour résoudre le problème algérien » il fallait d'une part accélérer le processus de liquidation des derniers vestiges du système colonial (et c'est ce qui a été fait au 13 mai), et d'autre part entreprendre et pousser avec énergie la transformation économique et sociale du pays de manière que l'égalité de citoyens fût complétée par l'égalité de chances. Il fallait en même temps combattre le FLN en utilisant les méthodes appropriées, c'est-à-dire celle de la guerre subversive, que les cadres actifs et intelligents de l'Armée avaient su comprendre et s'assimiler ».

[...]

« Aussi peut-on dire, et pour ma part je, le répète avec la plus inébranlable certitude, qu'au lendemain du 13 mai 1958 toutes les conditions étaient réunies pour aboutir rapidement à la paix dans l'égalité de tous les Algériens : il y avait enfin une doctrine et des cadres résolus à l'appliquer.

Au lieu de cela, en usant d'abord du mensonge et de l'équivoque puis en détournant contre l'intérêt national les pouvoirs de lÉtat, l'homme appelé à la direction des affaires pour sauver l'Algérie s'est employé à boucher la seule issue valable, à disperser et à frapper ceux qui la préconisaient, à liquider les moyens d'action adaptés à cette solution, et, quoiqu'il s'en défendit, à conférer aux rebelles panarabes et communisants la qualité d'interlocuteurs exclusifs de gouvernants de l'Algérie future. »

Personne ne peut contester l'absence dans les négociations entreprises [qui allaient aboutir aux Accords d'Évian du 19 mars 1962] d'une délégation d'européens d'Algérie ou de Français musulmans qui malgré les menaces terroristes viennent d'envoyer des dizaines d'entre eux siéger au Sénat ou à l'Assemblée nationale dont le vice-président est le Bachaga Boualem.

------ Fin de citation

En conclusion, comme aurait pu le dire De Gaulle lui-même dans son langage fleuri, "ce Macron est un foutriquet !"


(1) Pour les plus jeunes : L'Esprit public, parution de 1960 à 1966, fut un hebdomadaire puis mensuel qui s'était donné pour mission de "lutter par tous les moyens pour le maintien dans la République", "Algérie, terre pleinement française. C'est clair !

(2) Un proverbe breton nous enseigne que c'est par la tête que pourrit le poisson !

(3)  Ce texte doit être daté de décembre 1960. Je n'ai pas retrouvé sa trace dans ma collection qui ne commence qu'en 1962 avec le N°32. L'Esprit public fut pour moi l'un des premiers vecteurs de ma formation politique. Je suis très reconnaissant à tous ses contributeurs…

(4) Ah ! Les adorateurs du fameux de l’État de Droit d'aujourd'hui !

"L'Esprit public ou la dernière flibuste", Jean-Pierre Brun, Dualpha, 2022, 256 pages, 29,00 €

Le livre de Jean-Pierre Brun peut être commandé chez Synthèse nationale. cliquez ici

http://synthesenationale.hautetfort.com/

dimanche 28 août 2022

Cette année là n°27 : Le populisme a-t-il ringardisé le clivage droite ...

La dernière croisade : Saint Louis à Tunis (Xavier Hélary)

 Xavier Hélary est professeur en histoire médiévale et auteur de plusieurs ouvrages consacrés à cette période.

La croisade de Tunis a été un échec complet. La préparation en a pourtant été menée avec beaucoup de soin. Les croisés sont suffisamment nombreux, bien équipés, dotés en montures en quantité. Le ravitaillement a sans doute été aussi bien préparé que les conditions logistiques de l’époque le permettent. Les Génois arment une flotte de qualité.

La décime sur l’Eglise, les revenus du domaine royal et notamment les aides fournies par les villes ont donné les moyens financiers nécessaires. Tout au long de la campagne, enfin, l’autorité de Saint Louis comme chef de l’armée est unanimement reconnue et respectée, et la discipline règne dans les rangs.

Cette expédition méthodiquement préparée connaît pourtant une issue désastreuse. Xavier Hélary retrace l’ensemble des événements. Le récit commence avec la reprise de la croix par Saint Louis en 1267, et couvre les immenses préparatifs diplomatiques, financiers, matériels et spirituels que le roi de France supervise pendant les trois années qui précèdent son départ. L’auteur narre ensuite le départ des croisés d’Aigues-Mortes, le 1er juillet 1270, le débarquement sur les côtes tunisiennes le 18 juillet, la prise de Carthage le 24 juillet, puis l’épidémie qui frappe les croisés dès le début du mois d’août et qui emporte Saint Louis le 25 août, jusqu’au retour des survivants en France au printemps 1271. 

Ce livre cherche à comprendre les raisons de ce fiasco.

La dernière croisade, Xavier Hélary, éditions Perrin, 317 pages, 22 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/la-derniere-croisade-saint-louis-a-tunis-xavier-helary/54746/

samedi 27 août 2022

De Gaulle selon les archives US par Justin Curieux

Les trois ou quatre conquêtes de l’Algérie

 

Entretien avec Thierry Nélias

Thierry Nélias n'est pas un historien comme les autres. Sa méthode le conduit à retrouver le sens premier du mot « histoire » : l’enquête. Il met cette fois tout son talent à évoquer la conquête de l’Algérie par les Français. Un sujet passionnant, alors que nous marquons le 5 juillet l’anniversaire de l’indépendance du pays. Une histoire d'hommes, d'adversaires qui se respectent ou bien qui se haïssent, de courage, d'ambitions, ou jamais l’idéologie n'affleure. Propos recueillis par l’abbé Guillaume de Tanoüarn

Thierry Nélias, vous venez d'écrire une histoire de la colonisation de l’Algérie entre 1830 et 1870. Ce n'est pas sans une petite appréhension que j'avais ouvert votre ouvrage ; en réalité, j'ai tourné les pages avec passion il n'y a pas un gramme d'idéologie, aucune condamnation vertuiste des uns ou des autres, mais toujours du réel. Comment faites-vous pour ne pas donner de leçons de morale sur un pareil sujet ?

Je suis fidèle à une méthode que j'avais expérimentée pour mon premier livre sur la débâcle de 1940. J’ai voulu d'abord écouter, écouter de simples citoyens tout en lisant les mémoires des chefs militaires voire des politiques comment ils expriment la débâcle. Tout est par terre : que reste-t-il alors de ce qui fait la France ? J’ai travaillé ensuite plusieurs sujets de cette façon le voyage de Napoléon à l’Île d'Elbe après son abdication, ce qu’en disent les commissaire alliés qui étaient ses proches en la circonstance ; j'ai fait un autre livre sur l’humiliante défaite de 1870 face aux Prussiens. Et cette fois, c'est la colonisation de l’Algérie, à partir de la prise d'Alger par le Maréchal de Bourmont en 1830. J'approche les grands événements de l’histoire à travers le témoignage des personnes. Au fond, je voudrais revenir à l’étymologie : historia en grec, c'est l’enquête. J’avais fait une sorte d'enquête au moment du Sommet de Rambouillet, pendant la guerre en Serbie, en 1999. On rencontrait tout le monde dans les rues de Rambouillet, c’était passionnant. La guerre est épouvantable, c'est vrai, mais elle constitue un moment ou les personnes se révèlent et apparaissent telles qu'elles sont. La colonisation en Algérie, la guerre qui traverse la majeure partie du XIXe siècle, eh bien c'est d'abord une affaire humaine: de quelque coté que vous la preniez, c'était pour l’aventure, ou pour satisfaire des ambitions : des hommes de troupe pouvaient se retrouver en une dizaine d'années à un poste de commandement. Ainsi le comte Fleury, engagé volontaire comme simple spahi dans l’espoir de se rapprocher de Napoléon III, qu'il avait connu quand le futur empereur songeait au coup d’État qui le ramènerait au pouvoir : il deviendra général et Grand écuyer de l’empereur !

On ressent dans ce livre comme un vibrato particulier par rapport au précédent sur la Guerre de 1870...

La famille de ma mère est arrivée en Algérie en 1872. Et ma mère a connu la Toussaint rouge de 1954. Réfugiée dans sa maison, toute la famille a failli y passer mais leurs voisins arabes, qui étaient leurs amis, les ont protégés en expliquant aux assaillants qu'il n'y avait que des Arabes dans la maison d'en face. On peut dire que par procuration, j'ai gardé des souvenirs très violents, qui ont nourri en moi qui n'avais jamais connu ce pays, une vive curiosité pour l’Algérie française, ce mythe familial. Mais c'est la première fois, avec ce livre, que j'aborde le sujet.

Cette conquête apparait immédiatement comme brutale...

Quand les Français débarquent à Sidi Feruch, ils vont découvrir des coutumes auxquelles ils n'étaient pas habitués : ainsi le janissaire turc ou le simple soldat des tribus autochtones décapite son adversaire et le soir de la bataille, il se fait payer sa tête plusieurs douros. Autre habitude locale que reprendront les Français : la razzia qui est la grande manière de faire la guerre en brulant les cultures, en tuant les hommes et en emportant les femmes. Le général Bugeaud fit faire beaucoup de razzias par les tribus alliées sur les tribus ennemies. Ce système était impensable en Occident ; mais plus profondément, les terres qui relèvent de la Régence turque, sont des terres qui n'ont pas d'unité administrative, où les Janissaires turcs se taillent la part du lion par rapport à l’Arabe local, ou les juifs paient la djazzia aux autorités religieuses locales, où les Kabyles ont gardé leur langue et leurs coutumes. Avant de quitter Alger pour Alexandrie, le dey Hussein Pacha, qui a donc perdu la ville blanche, donne au général de Bourmont quelques conseils de real politik. Il a des mots crus sur chacune des catégories de la population : « Débarrassez-vous le plus tôt possible des janissaires turcs ; habitués à commander, ils ne consentiront jamais à vivre dans l'ordre et la soumission ; les Maures sont timides, vous les gouvernerez sans peine, mais n’accordez jamais une entière confiance à leurs discours. Les Juifs qui se sont établis dans ce pays sont encore plus lâches et plus corrompus que ceux de Constantinople. Employez-les car ils sont très intelligents dans les affaires fiscales et de commerce mais ne les perdez jamais de vue, tenez toujours le glaive suspendu sur leurs têtes. Quant aux Arabes nomades, ils ne sont pas à craindre. Les bons traitements les attachent et les rendent dociles et dévoués. Pour ce qui est des Kabyles, ils n’ont jamais aimé les étrangers. Ils se détestent entre eux. Evitez une guerre contre cette population guerrière et nombreuse, vous n'en tireriez aucun avantage. Divisez-les et profitez de leurs querelles ». Contrairement à ce qu'écrit Léon Galibert en rapportant cette conversation, les Français mettront en pratique ces conseils du Dey. L'Algérie n'existe pas, ce territoire qui relève d'une régence turque à l’arrivée des Français, est un entrelacs de populations cloisonnées et souvent rivales. Le Pouvoir militaire français a su jouer sur leurs rivalités internes à son profit. Son premier objectif, ce faisant, était d'épargner la vie des soldats.

Mais on n'a pas l’impression, à vous lire, d'un projet français lentement mis en œuvre, d'une méthode de gouvernement de ces terres...

Il faut dire que l’autorité politique, celle qui nomme le gouverneur militaire, change constamment. Charles X n'avait sans doute pas pour but une Algérie française. Son objectif était de remettre la France dans le concert des nations après le double traité de Vienne et d'obtenir réparation pour le coup d'éventail du Dey, bref de se faire respecter en Méditerranée. Metternich le chancelier autrichien avait parfaitement compris cette politique française, qui avait été menée en Grèce d'abord en 1827, (contre les Turcs), et dans la régence turque d'Alger. À partir de 1830, la fermeté qu'a montré Charles X se révèle payante : il n'y a plus cette guerre de course en Méditerranée, qui était aussi vieille que la présence arabe. L'objectif est atteint, mais le départ du Dey crée un vide, que l’armée va devoir remplir le maréchal Clauzel est le premier gouverneur de l’Algérie. Il est remplacé très vite (des 1831) par le général Berthezene qu'il remplacera de nouveau à partir de 1834. La France estime alors que 10 000 hommes suffisent pour maintenir le statu quo en Algérie. Cette absence de politique, de la part du Pouvoir central, ne pouvait pas durer longtemps. Clauzel est à nouveau nommé gouverneur, il a écrit sur la nécessité de la colonisation (voir Les Nouvelles observations de M. le Maréchal Clauzel sur la colonisation d'Alger, qui date de 1833). Très vite effectivement, le régime militaire trouvera ses limites, les colons récemment arrivés de France revendiquant eux mêmes d’être administrés à la française.

Charles X avait été remplacé par Louis Philippe dès le mois de juillet 1830. Le nouveau roi est obligé de maintenir la présence française en Algérie, parce qu'il ne peut pas s’opposer frontalement au sentiment national de la population française, dont le patriotisme s’était enflammé lors du débarquement de Sidi Ferruch et lors de la victoire de Staouely, qui ouvrait la route à Alger ; mais le nouveau roi ne souhaite pas contrister les Anglais, qui prennent assez mal que, par le biais de Algérie, nous participions à l’aventure coloniale, dont ils estiment qu'elle est leur chasse gardée. Louis Philippe préfère l’entente « cordiale » avec Londres (même si le mot apparaitra plus tard), plutôt que la colonisation de l’Algérie.

Pourquoi la présence française s'est-elle maintenue en Algérie, malgré les réticences initiales de Louis-Philippe ?

Le paradoxe, c'est que c'est sans doute la résistance arabe qui va provoquer le jusqu'au-boutisme des militaires. Bugeaud le gouverneur militaire qui va tenir le manche le plus longtemps, est un bon soldat, formé sous l’Empire napoléonien, la guérilla espagnole. Il s’adapte d'instinct au terrain et à cette nouvelle guérilla en pays arabe. Il est très populaire auprès de ses hommes. Pour l’anecdote, un jour où son camp est attaqué en pleine nuit, rejoint ses hommes au combat, ayant gardé son bonnet de nuit sur la tête, bonnet de nuit qui deviendra célèbre et qui donnera naissance à la chanson sur « la casquette du Père Bugeaud ». Face à Bugeaud, émerge celui qui va devenir son grand adversaire, l’Émir Abd El Kader. Avec lui Bugeaud signe la Paix de la Tafna en 1837. Par ce Traité, qui réserve à la France la cote et les environs d'Alger, Abd El Kader devient le premier gouvernant d'un État arabe depuis la conquête turque. Mais il ne se satisfait pas de ces quelques territoires qui lui ont été concédés par des Français qui ne sont pas assez nombreux. Son but est clairement de les jeter à la Mer. Il prend prétexte d'un passage de troupes françaises par les Portes de fer, sur son territoire, pour rentrer à nouveau en guerre ouverte avec la France, guerre sur un territoire immense ou il a l'avantage du terrain et une bonne connaissance des tribus arabes qu'il appelle - voire contraint ! - à la guerre sainte. La France n'a pas le droit de lui concéder une défaite, ce qui signifierait la perte de tous les acquis de la politique menée depuis 1830... Bugeaud réagit à la guerre sainte en envoyant son émissaire Léon Roches, qui, pour contrer les fatwas du sultan Abd El Kader, obtient une fatwa de La Mecque, favorable aux Français : « Le musulman peut endurer la trêve, quand l’infidèle envahisseur laisse au musulman ses femmes, ses enfants, sa foi et l’exercice de sa religion ». Il s’agit selon une formule célèbre de Bugeaud de « se faire arabe pour le vaincre ». Abd El Kader, parce qu'il a fait l’unité arabe remporte d'abord quelques victoires. À La Macta par exemple les Français laissent 800 hommes sur le terrain, massacrés et mutilés par les Arabes. Mais après la prise de sa smala par le Duc d'Aumale, fils de Louis-Philippe, malgré ses qualités tactiques exceptionnelles et sa victoire de Sidi-Brahim, Abd El Kader doit se résigner la défaite : c'est le général Lamoriciere qui le fait prisonnier, en décembre 1847. Au nom de la France, le duc d'Aumale lui promet une retraite en Terre sainte. À cette époque l’Algérie est devenue partie intégrante de la politique française.

Abd El Kader restera francophile ?

La IIe République renverse Louis-Philippe et ne respecte pas les termes de la reddition. C'est Napoléon III qui tiendra les engagements pris par Aumale. Apres un séjour surveillé en France de quatre ans au château d'Amboise, l’Algérien part s'installer Damas dans une importante propriété, ou, en 1860, il accueillera et sauvera des chrétiens d'Orient persécutés. Venu visiter l’Exposition universelle de Paris en 1867, il s'émerveille devant les bienfaits du progrès technique français. Il a d'ailleurs usé de son influence pour faire aboutir le projet de canal de Suez, creusé par Ferdinand de Lesseps. Au ministre prussien Bismarck qui lui offre l’aide de l’Allemagne pour rallumer la guerre en Algérie, il répond : « Que nos chevaux arabes perdent tous leur crinière, avant qu'Abd-el-Kader Ben Mahi ed-Din accepte de manquer à la reconnaissance qu’il a pour le très puissant empereur Napoléon III. Que votre arrogante et injuste nation soit ensevelie dans la poussière et que les armes de l’Armée française soient rougies du sang des Prussiens ».

Quelle a été la politique arabe de Napoléon III ?

Jusqu'en 1852, Napoléon considérait l’Algérie comme « un boulet au pied de la France ». Devenu empereur, il change d'avis et visitera le pays à deux reprises, en 1860 et en 1865. Dans esprit, l’agriculture devait revenir aux propriétaires locaux (dont les terres ancestrales deviennent incessibles, au moins en théorie).

Les colons occidentaux devaient se charger, eux, de la mise en valeur industrielle du pays. Dès son premier voyage, il s'adresse aux Arabes en ces termes : « La France a remplacé la domination turque par un gouvernement plus éclaire. J’honore le sentiment de dignité guerrière qui vous a portés, avant de vous soumettre, à invoquer par les armes le jugement de Dieu. Comme vous, il y a vingt siècles, nos ancêtres aussi ont résisté avec courage à une invasion étrangère, et de leur défaite date leur régénération. Les Gaulois vaincus se sont assimilés aux Romains vainqueurs et de l'union forcée des vertus contraires entre deux civilisations opposées est né, avec le temps, cette nationalité française. Acceptez donc les faits accomplis : Dieu donne le pouvoir à qui il veut (chap. 2 v. 248): or ce pouvoir que je tiens de lui. je veux l’exercer dans votre intérêt et pour votre bien. Ayez donc confiance dans vos destinées, puisqu’elles sont unies à celles de la France et reconnaissez avec le Coran que "celui que Dieu dirige est bien dirigé" » (5 mai 1860). Napoléon III voulait faire de 'Algérie un royaume arabe dont il aurait lui-même ceint la couronne. Le temps ne lui a pas été donné pour tenter de mettre en œuvre cette utopie. De sa politique en faveur des autochtones, il ne reste que les deux senatus-consultes, l’un sur la propriété des terres et l’autre sur la citoyenneté, qui disparaîtront des la chute du Second Empire.

La Troisième République, elle, veut la colonisation au sens strict

Absolument. Et elle propose la nationalité française aux habitants qui acceptent de vivre selon le droit français. C'est le sens du Décret Crémieux, qui offre la nationalité française a tous les juifs d' Algérie. Les musulmans, qui souhaitaient dans leur immense majorité rester fidèles au droit coranique, avaient refusé I'opportunité de devenir citoyen français grâce au senatus-consulte de 1865, à l’exception de quelques centaines de personnes ayant renoncé au droit musulman.

Il y a là de quoi méditer sur notre époque. Vous citez une formule d'Arthur Girault, dans ses Principes de colonisation et de législation coloniale (1894), qui nous plonge en pleine actualité : « L’autonomie convient à des Anglo-saxons. Nous Français, nous sommes des Latins. L’influence de Rome a pétri nos esprits pendant des siècles. Nous ne pouvons nous soustraire à cette obsession et ce serait forcer notre nature que de sortir de la voie qu'elle nous a tracée. Nous ne savons faire et par suite nous ne devons faire que de l’assimilation ».

Thierry Nélias, Algérie, la conquête, 1830-1870, Comment tout a commencé, ed. Vuibert 272 p., 19,90 €.

Photo Prise de la smalah d'Abd-el-Kader par Horace Vernet (1844).

Monde&Vie 29 juin 2022 

Qui voulait la peau de Daria Douguina ?

 Qui voulait la peau de Daria Douguina ?

L’assassinat de Daria Douguina, fille d’Alexandre Douguine, n’a guère été commenté par les médias français, mais il pourrait avoir des conséquences politiques majeures, notamment sur l’actuelle guerre en Ukraine. Et il est une occasion de réfléchir sur l’idéologie de Douguine (et son influence sur Vladimir Poutine). Nous proposons donc coup sur coup deux articles de catholiques françaises, aux analyses manifestement opposées, mais complémentaires pour tenter de comprendre à la fois ce monde intellectuel et spirituel qui nous est tellement étranger et les enjeux géopolitiques. Tout d’abord, cet article de Raphaëlle Auclert, docteur en études russes, portant principalement sur le refus du mondialisme “occidental” d’Alexandre et Daria Douguine. Puis, dans quelques minutes, un article de notre amie la journaliste Jeanne Smits sur leur idéologie gnostique.

La rédaction

Une voiture en flammes sur une autoroute de nuit. Des policiers qui s’affairent autour d’éclats de tôle épars et un père dévasté qui se tient la tête dans les mains : on se croirait dans un roman de John Le Carré mais, malheureusement, ces images sont bien réelles et datent de quelques jours seulement. Samedi dernier, Daria Douguina a péri dans l’explosion criminelle de son véhicule dans les environs de Moscou. Agée de 29 ans à peine, elle était la fille du géopolitologue Alexandre Douguine, théoricien du néo-eurasisme qui fut au début des années 2000 un proche conseiller du président Vladimir Poutine. Revenons sur cette tragédie et ses conséquences à court et moyen terme.

Un jeune espoir des antimondialistes

Daria Douguina était philosophe de formation et travaillait comme journaliste pour des médias loyalistes tels que RTTsargrad et Zvezda. Dans ses articles, elle appliquait les concepts paternels de « monde russe » et de « néo-eurasisme », théorie qui oppose une Russie imprégnée de tradition et de spiritualité à un Occident décadent et impérialiste dominé par les thalassocraties, Etats-Unis et Grande Bretagne. Mais elle ne se contentait pas d’être une « fille de » ; sa force était de casser les clichés un tantinet rétrogrades des tradis orthodoxes pour offrir aux patriotes un visage jeune et avenant, le sien. Détail inattendu, la jeune Douguina était une adepte de la musique électronique et avait même cofondé un groupe. Au cours de ses études à l’Université d’Etat de Moscou, elle avait passé un an à l’université de Bordeaux III où elle s’était liée avec de jeunes souverainistes français et notamment avec Marion Maréchal.

En outre, les deux jeunes femmes ont beaucoup en commun, à commencer par leur origine sociale (la « nomenklatura » politique) et leur capacité à incarner les idées héritées de leur famille avec leur énergie et le style de leur génération. Comme son père francophile et francophone, elle était une observatrice attentive de la politique française et avait commenté l’issue des élections : bien sûr, ses sympathies allaient vers le discours patriote de Le Pen et sa dénonciation des effets contre-productifs des sanctions contre la Russie, mais elle appréciait beaucoup le bagout de Mélenchon et sa critique irrévérente de l’OTAN.

Sur le plan géopolitique, elle avait soutenu l’opération spéciale russe en Ukraine, la justifiant par la nécessité de provoquer un changement de régime à Kiev, « celui-ci n’étant qu’une marionnette de l’Occident. » Le nouveau régime empêcherait l’expansion de l’OTAN jusqu’à la frontière russe et mettrait fin au calvaire des habitants des républiques de Donetsk et Lougansk. En juin elle s’était rendue à Donetsk et Marioupol et avait publié des photos et vidéos prises sur place, notamment à l’usine Azovstal. Ce reportage lui valut de figurer sur la liste noire du Foreign Office britannique en tant qu’« auteur régulier et reconnu de désinformation au sujet de l’Ukraine » ; plus tôt en mars, elle avait été fichée comme « propagandiste pro-Kremlin » par les Australiens, les Américains et les Canadiens pour ses activités de rédactrice en chef du site United World International. A la fin de l’automne doit paraître Le livre Z, rassemblant des textes de participants et témoins de la guerre, et où figurera sa contribution intitulée « Novorossia et la métaphysique de la marche. »

On l’aura compris, Daria Douguina était l’anti- Navalny, cette idole des libéraux russes et européens, le gendre idéal au charme éventé qui, pour tenter de sortir de l’oubli de ses geôles, multipliait depuis le début de la guerre les déclarations pro-otaniennes. Elle aimait son pays passionnément et allait au devant du danger pour le défendre dans la guerre mondiale de l’information. Sans cette attaque, elle aurait sans aucun doute rejoint les rangs de l’élite politique conservatrice russe.

Précisons que Daria Douguina était bien la cible de l’attentat. Ce fait a été établi par les enquêteurs russes, contrairement à des suppositions ayant circulé dans les premières heures, selon lesquelles c’est son père qui aurait visé. Entre autres détails, l’assassin avait loué depuis juin un appartement dans l’immeuble de sa victime pour mieux surveiller ses déplacements. D’ailleurs, l’intérêt de frapper une figure montante des médias et de la politique russes était bien supérieur à celui de s’en prendre à Douguine, un vieux briscard ayant déjà toute son œuvre derrière lui ; autant empoisonner  Jean-Marie Le Pen ! Et puis, quel plus cruel châtiment y avait-il pour l’architecte de la doctrine stratégique russe que de lui prendre sa fille ? Plus qu’un assassinat politique, cet acte odieux est à l’évidence celui de fanatiques, guidés par la seule haine de ceux qui ne pensent pas comme eux.

De la piste ukrainienne aux méthodes de Guerre froide

Les hypothèses les plus farfelues ont été évoquées ces derniers jours au sujet des coupables. Le journaliste d’opposition pro-ukrainien Andreï Piontkovski affirmait que l’assassinat de Daria Douguina devait être attribué aux services de sécurité russes pour, selon lui, « envoyer un avertissement aux partisans de Douguine qui voudraient que Poutine montre plus de détermination dans la destruction de l’Ukraine ».  Outre que l’argument est fallacieux, Douguine n’ayant jamais appelé à la destruction de l’Ukraine,[1] il néglige le fait que le terrorisme d’Etat n’est pas de mise dans la Russie d’aujourd’hui. En effet, le pouvoir de Poutine bénéficie d’une bonne assise dans le peuple russe, gagnée à la fois par sa longévité et par l’émergence d’une classe moyenne au cours des deux dernières décennies. Or, n’oublions pas que l’assassinat politique porte en germe l’instabilité et le délitement. Instrument classique des luttes de pouvoir au lendemain de révolutions (souvenons des décennies 1790 ou 1940 en France et 1930 ou 1990 en Russie), il devient inutile voire dangereux dans un régime arrivé à sa pleine maturité. Du reste, ce dernier dispose toujours d’un arsenal de moyens de pression moraux, financiers, judiciaires et politiques pour renforcer ou amoindrir l’influence d’une personne. Enfin, à considérer les conséquences catastrophiques pour l’image de la Russie de ce genre d’événements, on imagine mal les autorités organiser leur propre mise au pilori dans la presse internationale… comme si elles avaient besoin de cela en ce moment !

D’après les résultats de l’enquête menée par le FSB, l’assassin se nommerait Natalia Vovk, une citoyenne ukrainienne née en 1979. Elle serait membre du régiment Azov et aurait bénéficié du soutien logistique des services secrets ukrainiens. Elle se serait installée dans l’immeuble de Daria Douguina il y a deux mois pour connaître ses habitudes, puis l’aurait suivie au festival « Tradition » avant de placer une bombe sous sa voiture. L’arme aurait été déclenchée à distance lorsque Douguina rentrait chez elle et Vovk aurait ensuite gagné l’Estonie. La célérité du FSB dans cette affaire (deux jours !) peut surprendre, néanmoins il ne faut pas pour autant rejeter l’explication officielle, qui est tout à fait plausible. Autre élément corroborant la piste ukrainienne : le site du centre Mirotvorets (littéralement « le soldat de la paix »), basé en Ukraine et qui y est reconnu depuis 2016 comme média d’information, a ajouté ces derniers jours sur la fiche de Daria Douguina la mention « liquidée ». Rappelons que l’activité de ce centre douteux – bien qu’autorisé par le pouvoir de Kiev – consiste à publier sur leur site des photos de cadavres décomposés de soldats russes et à jeter en pâture les personnes pro-russes ou supposées telles en y affichant leurs photo et coordonnées personnelles. Ceci posé, il n’est pas exclu qu’on ignore le fin mot de cette affaire. A vrai dire, l(es) exécutant(s) importe(nt) peu.

Plus intéressant est le style de cet assassinat, qui n’est pas sans rappeler les méthodes de la Guerre froide : nous évoquions plus haut John Le Carré, or on se souvient de la tentative ratée d’assassinat en 1948 contre le chef du parti communiste italien Palmiro Togliatti et de l’assassinat en 1973 du président marxiste chilien Salvador Allende. A chaque fois, la cible était un ennemi idéologique des Etats-Unis doté d’une personnalité charismatique. Daria Douguina, fichée sur liste noire, partisane du monde russe et étoile montante des réseaux, faisait partie sans nul doute de ces pions gênants sur le grand échiquier.

Quelles conséquences politiques peut-on attendre ?

Auparavant, les seuls attentats qu’avaient connus le pays étaient le fait d’islamistes tchétchènes qui, pour aussi terrifiants qu’ils fussent, étaient rattachés au territoire national. Malgré la composante religieuse, leurs actions restaient dans le cadre de revendications d’indépendantistes comme en connaît la France, avec le Pays basque ou la Corse par exemple. En revanche, avec la mort de Daria Douguina, la Russie est touchée en plein cœur par un ennemi extérieur.

Partant, deux pièges sont à éviter, celui de l’ire intérieure et extérieure. La colère est une réaction, donc une manière de subjuguer sa volonté aux actes ou aux paroles d’un autre. Durant la Guerre froide et après, l’Union soviétique puis la Russie ont longtemps eu le tort d’être dans le registre de la réaction. Pour cette raison, la Russie avait souvent un coup de retard et n’était pas en mesure de mener le combat idéologique. Avec la doctrine de Douguine, même si son volet mystique est discutable à certains égards, puis le discours de Poutine à Munich en 2007, la Russie a affirmé son intention de fixer elle-même les termes du débat et de définir son propre paradigme spirituel, philosophique et culturel. Autrement dit, elle s’est mise en position de force chez elle et sur l’arène internationale, comme prêtant l’oreille à une réminiscence de Zbignew Brzezinski lorsqu’il disait dans son article « Géostratégie de l’Eurasie » : « le rôle sur le long terme de la Russie en Eurasie dépendra largement de la façon dont elle se définira elle-même ».

Il est ici crucial de rester fidèle à sa propre ligne et de ne pas s’aliéner. Toute réaction impulsive est donc à proscrire. Sur le plan intérieur, cela consisterait à réagir comme l’avaient fait les Etats-Unis en 2001 avec des mesures de type Patriot Act, qui sous-prétexte de traque de la menace intérieure réduiraient drastiquement les libertés individuelles. En outre, cette décision reviendrait à donner davantage encore les coudées franches à une bureaucratie déjà envahissante et qui, pour autant qu’elle permette de lester le régime avec une classe de fonctionnaires acquis à sa cause, alourdit beaucoup la vie courante et suscite beaucoup de mécontentement.

A l’extérieur, une mauvaise réaction pourrait être de lancer un assaut de grande ampleur en représailles de l’attentat pour réaffirmer la puissance russe et l’inviolabilité de son territoire. Une telle offensive causerait inévitablement de lourdes pertes de part et d’autre sans pour autant être décisive. Elle casserait le rythme de progression lente et méthodique de l’armée russe et ternirait son image d’un état-major qui prend pour cible les installations militaires et stratégiques en évitant les habitations. Notons qu’il y a fort à parier qu’un des buts de cet attentat était de remonter le moral des troupes ukrainiennes, composées de malheureux conscrits envoyés de force se faire hacher menu, à telle enseigne qu’il n’y aura bientôt plus personne pour manier les armes livrées généreusement par les Etats-Unis et l’Union européenne.

Alors que faire devant ce crime odieux ? Ne pas réagir, mais persévérer. Après la mort de sa fille, Douguine n’a pas demandé vengeance ; « ils n’écraseront pas notre volonté par la terreur (…) il nous faut la victoire ». Cette mort barbare n’appelle pas de réaction, elle est le reflet de ses coupables. Et que ceux qui disent « qu’elle l’a bien cherché » en défendant son opinion, et qui tenaient déjà le même discours lors des massacres de Charlie Hebdo ou de Samuel Paty, réfléchissent un seul instant au monde qu’ils appellent pour eux-mêmes et pour leurs enfants : un monde lisse et froid comme une lame de rasoir, ne tolérant aucun pluralisme de culture ni d’opinion.

On peut se demander où est l’Europe, et surtout où est la France dans ce monde lisse et normé comme un formulaire de la sécu ? Il faut croire qu’elle s’y sent très bien, au vu de l’absence totale de marque de compassion de nos politiques et de nos médias – à l’exception des milieux patriotes prorusses – envers la Russie pour l’assassinat d’une de ses enfants. L’ambassade de France à Moscou ne s’en est pas émue une seconde. Seraient-ils tous aussi muets si une chose semblable était arrivée au fils Sarkozy pendant la guerre en Libye, ou encore au fils Fabius, à la fille BHL ou à la petite-fille Le Pen ? N’auraient-ils qu’un silence blasé à opposer à cette barbarie ?

Ce silence indifférent, comme celui de l’absence de Daria Douguina, est le même que celui laissé chez nous par la Cancel culture, cette machine à effacer toute voix dissidente, c’est-à-dire trop virile, trop patriote et trop catholique. Alors, pour sa mémoire et pour notre avenir, ne restons plus silencieux et, comme elle, affirmons tout haut notre foi et notre identité.

[1] « Notre opération en Ukraine est un défi au monde unipolaire ; de son issue dépendra l’émergence d’un nouvel ordre mondial », interview d’Alexandre Douguine au journal turc Turkiye Gazetesi, 11 avril 2022.

https://www.lesalonbeige.fr/qui-voulait-la-peau-de-daria-douguina/

Histoire de l’armée de Condé (René Bittard des Portes)

 René Bittard des Portes (1854-1910), avocat à la cour d’appel de Paris et historien de sensibilité royaliste, est l’auteur de nombreux livres d’histoire militaire consacrés notamment à différents épisodes de la Contre-Révolution.

Ce livre de référence est paru pour la première fois en 1896. Disciple de Taine, René Bittard des Portes développe un travail de chartiste qui consiste à dépouiller une masse considérable de documents principalement militaires, à analyser les manuscrits du temps, à faire revivre les héros victimes du fait révolutionnaire, mus par un sentiment patriotique commun, attachés à l’ancien ordre des choses, unis dans leurs opinions pour combattre la Terreur et défendre le trône.

Voici le récit des dix années de guerres et d’exils constitués par les opérations des corps des émigrés placés sous les ordres du prince de Condé. Surintendant général de la Maison du roi, le prince de Condé avait servi durant la guerre de Sept Ans et avait été nommé lieutenant général des armées du roi en 1758. Il fut l’un des premiers à émigrer juste après la prise de la Bastille. René Bittard des Portes examine l’état désastreux des troupes françaises, les raisons de l’émigration, son regroupement sous l’autorité de chefs naturels, la formation des premières légions, composées de régiments appelés Mirabeau, Rohan, Hohenlohe,…, la constitution des premiers corps à Coblence et Worms en 1791, les premières campagnes heureuses suivies assez rapidement des déconvenues sur fond de mésentente croissante avec les puissances coalisées, Saint Empire, Angleterre, Russie, et ce jusqu’au licenciement de l’armée à Freitriz, en février 1801.

L’étude ne manque pas d’aborder le financement de l’armée de Condé et met au jour l’avarice autrichienne avant de s’achever sur le rôle du tsar de Russie Paul Ier, le dernier à solder les troupes.

Nous suivons pas à pas , mois par mois, la magnifique puis pathétique armée de Condé. Près de 40.000 hommes passeront dans ses rangs, sans toutefois qu’elle puisse compter plus de 8.000 soldats sous ses drapeaux au même moment. Angoulême et Berry, les deux fils du futur Charles X, ont commandé de concert la cavalerie noble de 1794 à 1801. Le corps comprendra deux maréchaux de France : Castries et Broglie.

La lecture de cet ouvrage est indispensable pour quiconque s’intéresse à l’histoire de la Contre-Révolution dont l’armée de Condé fut le bras armé héroïque.

Histoire de l’armée de Condé, René Bittard des Portes, préface de Hervé de Rocquigny, éditions Perrin, 446 pages, 23 euros

A commander en ligne chez l’éditeur

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