dimanche 31 juillet 2022

La poésie et le sacré 2/2

 À présent que Breton n’est plus, l’on peut se demander ce qu’il est advenu de la quête métaphysique qui a toujours été sous-jacente a toutes les démarches de Breton ? Comme on l’a fait remarquer plus d’une fois, toutes les préoccupations surréalistes de Breton n’ont cesse de converger vers certaines préoccupations initiatiques, alors que pour bien des surréalistes mineurs le surréalisme n’est somme toute guère plus qu’un prolongement d’un dadaïsme en quête de l’insolite, de l’incongru et du plus fol débordement de l’imaginaire, sans le moindre souci de ce “point suprême” si cher a leur maître défunt.

Il est certain que la plupart ont cesse de s’en référer a l’alchimie et aux sciences occultes, et cela pour autant qu’ils s’en soient jamais préoccupés. Si le surréalisme veut poursuivre sa quête sur la lancée qui fut celle d’André Breton, il devrait rechercher à travers les romantiques allemands et les auteurs spirituels de nouvelles ouvertures sur l’immense univers des choses cachées, mais qui ne demandent qu’à être révélées. « À nous, avait déjà écrit Breton, de chercher a apercevoir de plus en plus clairement ce qui se trame à l’insu de l’homme dans les profondeurs de son esprit, quand bien même il commencerait par nous en vouloir de son propre tourbillon. »

Pour explorer les profondeurs de l’esprit humain, André Breton et ses amis s’étaient rallies au freudisme, mais voici que le psychologue suisse Jean Piaget vient d’affirmer que les théories psychanalytiques de Freud relèvent, elles aussi, du domaine des mythes et ne reposent que sur des vues purement subjectives quant au monde de nos volitions et de nos émotions. Selon ce savant, le mystère de l’âme humaine et de ses variables ne pourrait être décrypte que par des analyses endocrinologiques. Sans aller aussi loin, C.G. Jung avait déjà élaboré sa théorie de l’inconscient collectif et du monde des archétypes, tandis que Gaston Bachelard et ses disciples se sont mis en devoir d’explorer tout l’incommensurable domaine de l’imaginaire. Il va de soi que point n’est ici le moment de faire l’inventaire de tout ce que ces récentes recherches ont déjà révélé à notre émerveillement, aussi nous contente-tons-nous de constater que toutes ces disciplines de même que l’existentialisme heideggerien ont déjà apporte maintes lumières sur l’essence de la poésie ainsi que sur les relations de celle-ci avec ce qu’il est convenu d’appeler le monde de l’ineffable.

Mais retournons a Paul Van Ostaijen qui a été en mon adolescence un peu comme mon maître a penser en matière de poésie. Prenant le contrepied des affirmations selon lesquelles la vraie poésie, la poésie qui serait expression de l’ineffable commencerait avec Lautréamont, Rimbaud et les poètes symbolistes, Van Ostaijen proclamait : « Je veux exagérer également pour me faire comprendre : la littérature française commence avec Marie-Jeanne Bouvières de la Mothe-Guyon. Tous les manuels seraient à recomposer d’après une valorisation de cet ordre : oui, celui-là est le plus grand qui retient le plus de transcendance dans son œuvre. Voici que saint Jean de la Croix devient la figure centrale de la littérature espagnole; les Allemands se mettent a relire enfin leur véritable littérature : Mechtild de Magdebourg, Meister Eckehardt, Jacob Böhme, Tauler et Angelus Silesius ».

Paul Van Ostaijen insiste alors sur le fait que nos poètes actuels ne peuvent plus que difficilement se réclamer de la “poésie subconsciemment inspirée” qu’il venait d’évoquer. Et il ajoutait : « Il ne nous reste que la poésie consciemment construite, mais cette construction participera du subconscient par la récupération complète de la matière première. Il ne s’agit donc pas de noter les successions de mots que notre subconscience pousse à la surface, comme si a priori le bon Dieu parlait par notre intermédiaire, mais bien de cet acte conscient qui consiste à rechercher les affinités électives des mots; le son et les rapports sensibles et métaphysiques entre le son et le sens constitueront dans cette recherche les guides les meilleurs ». En somme, selon Van Ostaijen, il s’agit pour le poète d’avoir recours à une véritable “alchimie du verbe” en laquelle le “premier vers qui nous est donné” peut servir de départ à toute une métaphysique du mot où le sens et le son et leur résonance profonde jouent un rôle primordial.

Par ailleurs, Paul Van Ostaijen se posa également la question de savoir s’il est possible de créer volontairement une école mystique”. Et il répondait : « Non certes, mais on peut, sans se proposer cette fin et cependant sans mystification, assez loyalement, si j’ose dire, se servir de ses moyens d’extériorisation ». Et Van Ostaijen poursuivait : « Il ne faut pas oublier que dans notre intention une mystique dans les phénomènes remplace le mysticisme en Dieu et que, d’autre part, ce dernier s’exprime, chez les auteurs mystiques, surtout par un mysticisme réaliste, haussant les phénomènes par les-quels il se manifeste, à une ambiance visionnaire. Il y a une rencontre dans la mysticité des phénomènes qui nous permet, sans employer ce divin, d’user des moyens d’application subjective dans les rapports des phénomènes et des mots comme seuls l’ont fait les mystiques ». Pour conclure, Van Ostaijen ajoutait encore : « Bien que ne participant pas de l’extase, mais bien au contraire relevant toujours de la littérature volontaire – une fois cette différence située – l’émerveillement devant les possibilités de l’expression comme expression centrale, nous fait rejoindre les mystiques. Farce qu’il supprime l’extase, cet émerveillement porte sa fin en soi. C’est donc de cet état d’émerveillement que partiront nos recherches ».

Nous ne serons pas aussi kantien que notre ami Van Ostaijen, et ne retiendrons de ces dernières lignes que le mot “émerveillement”, pour le rapprocher, ne serait-ce qu’un instant, du mot “extase”. Le premier n’est-il pas un peu comme un reflet quelque peu affadi du second ? L’émerveillement n’est-il pas un peu comme l’aspect profane de l’extase, comme une extase au moindre degré ?

Dès lors, dans une approche vraiment profonde, disons métaphysique, du phénomène poétique, ne serait-il point possible de passer de l’émerveillement à l’extase, en se représentant la poésie comme un exercice spirituel à la seule portée de certains êtres d’exception susceptibles de concevoir un mysticisme sans Dieu, un mysticisme dont l’approche du numineux n’aurait point besoin du support de la foi, mais qui trouverait son illumination au plus profond de l’âme de ceux qui l’éprouvent? Et Rimbaud ne parlait-il déjà pas d’un “dérèglement de tous les sens” pour arriver a un véritable état de poésie? Cet état est-il vraiment si éloigné que cela du “mysticisme en Dieu”, ce mysticisme, lorsqu’il aboutit à la fruition, peut également provoquer un dérèglement de tous les sens, au point que des psychologues n’ont pas le site a parler d’hystérie…

Certains théologiens parlent volontiers d’un “mysticisme naturel” auquel ils opposent alors un “mysticisme surnaturel”, alors que d’autres encore, a propos de Nietzsche, ont parle d’un “mysticisme luciférien”. En réalité, peu importent ces subtilités théologiques alors que dans l’un et l’autre mysticisme il doit y a voir avant tout ce que nous pouvons appeler un “état de grâce mystique”, une exaltation intérieure qui peut aussi bien être le partage du croyant que de l’incroyant. Cet état, que d’aucuns qualifient d'”état second”, prend son départ dans une certaine vacuité d’être, cependant que ce que nous avons l’habitude d’appeler l’aime flotte dans les limbes d’une sorte de rêve éveille et que des mots viennent comme des profondeurs à la surface de ce qui, pour un poète, peut devenir un poème. Il y a alors là comme des murmures qui viennent du plus lointain des âges, qui sont comme des archétypes d’une certaine notion ancestrale du sacré et qui conduisent a chanter les vertus de l’indicible “mysterium fascinans”. Peut-être ne s’agit-il après tout que de ce que les surréalistes appellent d’une manière fort approximative et certainement très impropre l’automatisme psychique”. De toute façon, automatisme psychique ou non, tout dépend de la qualité de l’état de pureté et de sérénité ou non de celui par lequel l’indicible vient à se manifester par la bouche de ce tout grand mystère sacré qui s’appelle un poète vraiment inspire.

Marc. Eemans, Antaïos n° 8/9, 1995.

Texte emprunté à : Approches du poétique, éd. Henry Fagne, Bruxelles, pp. 21-36.

Notes :

(1) Que l’on se souvienne que les notions de “sacré” et de “numineux” ont été admirablement définies par Rudolf Otto dans son livre Le sacré (Das Heilige), paru en 1917 et dont la traduction français par André Junat date de septembre 1929. Le savant professeur de l’université de Marbourg y a cerne de près « l’élément non-rationnel dans l’idée du divin et sa relation avec le rationnel ». Depuis lors toute allusion au “sacré” doit nécessairement se référer a cet ouvrage, comme nous l’avons d’ailleurs fait ici.

(2) Dans la monographie que notre ami le Professeur Piet Tommissen a consacrée à la continuité dans l’évolution de la pensée de Marc. Eemans”, celui-ci rappelle l’affirmation de Pierre Drieu la Rochelle selon laquelle celui-ci aurait connu, en l’année 1914, au cours de deux combats a l’arme blanche, une extase dont il prétend qu’elle a été « égale à celle de sainte Thérèse et de n’importe qui s’est élancé à la pointe mystique de la vie ». De son côté Ernst Jünger, un autre combattant de la guerre 1914-18 – et c’est également notre ami Tommissen qui le rappelle – témoigne de même dans ses mémoires de guerre, et cela à plusieurs reprises, du “Rausch”, de l’ivresse mystique qui peut s’emparer du combattant au cours des plus furieuses mêlées.

(3) Sœur Hadewych vécut vraisemblablement au milieu du XIIIe siècle. On ignore tout quant à sa biographie. Il est toutefois a peu près certain qu’elle connaissait le latin ainsi que la poésie de son temps. Elle est l’auteur de visions et de poèmes strophiques ainsi que de quelques lettres, le tout écrit dan un moyen-néerlandais fortement imprégné du dialecte brabançon. Elle se trouve a l’origine de la mystique flamande et, à travers Ruusbroec l’Admirable, à celle de la mystique française et espagnole.

(4) En ce qui concerne le délire de la Pythie, Plutarque, dans son dialogue sur les oracles de la Pythie, précise au chapitre 7 de celui-ci : « Ce n’est pas au dieu qu’apparient la voix, les sons, les expressions et les vers, c’est à la Pythie ; pour lui (le dieu), il se contente de provoquer les visions de cette femme et de produire en son âme lumière qui lui éclaire l’avenir : c’est en cela que consiste l’enthousiasme ».

(5) Rappelons ici l’importance de ce que l’on appelle “la nuit de Gênes” pour le cours ultérieur de l’inspiration poétique de Paul Valéry.

(6) Dans le dialogue intitulé Ion, Platon affirme sans ambage que l’inspiration poétique est comme l’effet d’une véritable possession, et il écrit : « C’est de cette sorte que la Muse fait les inspires (entheoi, exactement dans la main de dieu). C’est par les poètes, ces inspirés que les autres reçoivent l’inspiration: il s’établit ainsi une chaîne ». Plus loin, s’adressant a Ion, il dit encore : « C’est une participation divine (theïa moira) et une possession, comme celles qui font les corybantes, qui ressentent immédiatement cet air qui est celui du dieu par lequel ils sont possédés et qui, sur cet air, improvisent avec abondance gestes et paroles, sans se soucier des autres » (Cf. H. Jeanmarie, Dyonysos, histoire du culte de Bacchus, Payot, 1961, pp. 134-135).

(7) Le poète expressionniste flamand Paul Van Ostaijen naquit à Anvers le 22 février 1896. Il est mort de la tuberculose a Miavoye-Anthee (Prov. de Namur) le 17 mars 1928. Il a résidé durant de nombreuses années, en exil, à Berlin, où il entra en contact intime avec le mouvement expressionniste allemand. Il est l’auteur de plusieurs recueils de poèmes, de “grotesques” en prose ainsi que de nombreux essais et articles critiques tant dans le domaine littéraire que plastique.

(8) À l’issue de la présente communication, Jean MarKale, l’auteur de maints ouvrages sur le monde et la civilisation celtes, dont Les grands bardes gallois (1956) préfacé par André Breton avec un texte intitule « Braise au trépied de Keridwen », a fait remarquer dans une courte réplique, qu’André Breton était, tout au mains dans les dernières années de sa vie, un lecteur attentif non seulement de la Bible, mais aussi des grands auteurs mystiques. Lorsque nous lui avons demandé par la suite des précisions à ce sujet, Jean Markale s’est toutefois retranché dans un silence prudent.

Bibliographie :

  • Ars magna : Marc Eemans, peintre et poète gnostique, Serge Hutin & Friedrich-Markus Huebner, éd. Le soleil dans la tête, Paris, 1959
  • Les Trésors de la peinture flamande, M. Eemans,  Meddens, 1963
  • Anthologie de la mystique des Pays-Bas, préf. et tr. M. Eemans, éd. de la Phalange, 1938 

Lien :

Voir aussi sur notre site :

http://www.archiveseroe.eu/lettres-c18386849/28

La poésie et le sacré 1/2

 Au seuil de cette communication en forêt de Brocéliande où mythes et légendes affleurent encore, je tiens à dire que je n’entends nullement empiéter sur le domaine de l’ethnologue, du philosophe, du psychologue des profondeurs ou de l’historien des religions, pour me contenter de partir de ce postulat que “l’homme est un mystère sacré”, comme l’a écrit un jour le poète Patrice de la Tour de Pin. Oui, l’homme est un mystère sacré aussi bien en sa chair qu’en son âme. Que l’on n’entende cependant point par la que l’homme est un saint ou un ange, comme l’affirme parfois l’adage populaire, mais qui ajoute aussitôt que “celui qui veut faire l’ange, fait la bête”. En vérité, l’homme, avec toutes ses tares et toutes ses vertus ou ses vices, n’est somme toute qu’un bien pauvre hère qu’il faut plutôt plaindre que condamner ou louanger. Mais si l’on réduit l’homme à son essence profonde, a sa vertu première, qui est celle d’être, l’on approche aussitôt de son mystère ontologique et des lors il s’ouvre a tous les possibles.

Toutefois, à présent que l’homme vit dans une société de plus en plus désacralisée, il appartient aux meilleurs d’entre les humains de restituer l’homme a cette essence profonde, de détecter et de sublimer ce qu’il peut encore receler en lui de sacré en dépit de tout ce qui tend a le rendre veule et le réduire a cet être de réelle inconsistance qu’il est devenu en notre monde qui est bien celui du mépris de l’homme, bien que notre civilisation par trop matérialiste ne cesse de lui faire accroire qu’il a enfin accédé ou est près d’accéder a ce royaume paradisiaque ou tout ne serait plus que “liberté, égalité et fraternité”, ce slogan d’imposture in vente il y aura bientôt deux siècles afin de mieux pouvoir l’aveugler et le réduire en esclavage. “Homo homini lupus”, certes, mais en certains moments de grâce, ou quelque expérience privilégiée vient le toucher, même l’homme le plus ville plus démuni du sens du sacré s’élève aussitôt vers des sublimités dont lui-même continuera peut-être a ignorer toutes les résonances dans les vraies profondeurs de son être. Il en est ainsi de ses expériences de l’orgasme au cours desquelles, même s’il les aborde avec salacité ou avec le sordide sentiment du péché, il dépasse, ne serait-ce qu’un instant, sa quotidienneté d’être pour atteindre a cette illumination d’au-delà de lui-même qui précède ce qu’il est convenu d’appeler “la petite mort”.

Comme je l’ai écrit un jour, « l’orgasme est peuple de dieux ». Mais bien que l’amour, voire ses contrefaçons les plus veules, puisse être un des catalyseurs privilégiés du sacré, il y a d’autres expériences, parfois ou plutôt souvent plus transcendantes, qui peuvent transfigurer l’homme et le conduire vers certaines exaltations et des extases ou il échappe à lui-même et à son sentiment de déréliction et de n’être la que pour la mort, comme le souligne la philosophie de Martin Heidegger. Songeons tout d’abord aux hallucinogènes qui ne le conduisent que trop souvent vers ces paradis artificiels dont Baudelaire, Thomas de Quincey et Henri Michaux ont fait l’expérience avec l’illusion d’à voir pu satisfaire leurs impérieux besoins du numineux et de ses extases (1). Certaines âmes d’élite douées d’une sensibilité particulière sont parfois plus ouvertes que d’autres aux appels du divin et parmi celles-ci figurent incontestablement ceux que l’on désigne sous les noms de mystiques et de poètes, certains poètes s’en tend, car parmi ces derniers il faut écarter ceux qui ne sont que rimailleurs et qui se suffisent de quelques métaphores, de quelques sentences bien senties et du ronron de leurs vers plus ou moins bien tournés (2). Bien souvent mysticisme et poésie vont de pair, et pour ne point nous aventurer dans le vaste et trop lointain univers des mystiques orientales, constatons qu’en notre Occident plus d’un grand auteur mystique a été un poète particulièrement inspire et doué des plus hautes grâces du numineux. Qu’il me suffise, par exemple, d’évoquer les prodigieux élans poétiques du Saint Jean de la Croix du “Cantique spirituel” ou les poèmes si ineffablement numineux du Cherubinischer Wandermann [Le Pèlerin chérubinique] du mystique baroque allemand Angelus Silesius.

En tant que Flamand, que l’on me permette de citer ici les trois dernières strophes d’un poème de la grande mystique et visionnaire médiévale que l’on appelle communément Sœur Hadewych. (3) Je vous citerai ces trois strophes dans leur version originale, car leur traduction ne pourrait être que trahison. Cette version est en moyen-néerlandais et bien que vous soyez très probablement ignorants de cette langue, je puis vous affirmer que peu importe en fin de compte le sens des mots, des que vous saurez que ce poème parle de l’amour divin ou plutôt des émois et des transes de la fruition, de l’union d’amour de l’âme avec Dieu. Il s’agit en l’occurrence d’une véritable glossolalie en laquelle les assonances et les allitérations se répondent avec des soupirs et des exclamations qui témoignent des affres et des brûlures de l’orgasme divin. Dans la première de ces strophes il y a encore trace du mysterium tremendum, de l’effroi devant l’irruption du numineux dans le pauvre “état de créature”, avec « le sentiment de la créature, comme le dit Rudolf Otto, qui s’abîme dans son propre néant et disparaît devant ce qui est au-dessus de toute créature ». Puis, dans la dernière strophe, ce sont enfin les transes de l'hénosis qui précède l'hésychia. Bref, c’est la mania du délire sacré des Grecs, de l'évohé des ménades et des bacchantes. Voici :

Ik beve, ik kleve, ik geve.
Ik leve op hagen waan ;
Dat mijne pijne, die fijne,
In de zijne zal ontvaan.

Ay, lief, hebb’ik lief een Lief.
Zij dij, Lief, mijn lief,
Die Lief gavet omme lief
Daar Lief lief me de verhief !

Ay, Minne, ware ik minne
Ende met minnen, Minne, u minne !
Ay, Minne, om Minne gevet dat Minne
Die Minne al Minne volkinne !

À la réflexion, et ayant trouvé une version française de ces vers particulièrement inspirés dans un livre paru en 1954 aux éditions du Seuil, intitulé Hadewych d’Anvers, voici tout de même une approximation de ces trois strophes :

Je tremble, j’adhère et me donne (a Lui);
Je vis dans la haute foi
Que ma peine, ma noble peine recevra tout dans
Sa peine divine.

Ah! cher Amour, s’il est un amour que j’aime,
c’est Vous, mon amour,
vous qui donnez grâce pour grâce, par quoi
l’Aimé soutient l’aimée.

Ah ! bel Amour, si j’étais amour
et vous aimais, Amour, avec l’amour même !
Ah! bel Amour, donnez-moi par amour
que l’amour connaisse pleinement l’Amour

En vérité, Hadewych est tout entière possédée par la Minne, cet amour divin qui pulvérise l’âme dans le grand mystère de l’ineffable de ce qui n’est ni conçu ni compris, mais profondément ressenti dans le grand effroi mystique, dans la nuit de l’âme qui précède l’illumination et qui conduit, à reconnaître le “mysterium fascinans” au sein de l’indicible Béatitude.

C’est également par des sons inarticulés, que devaient interpréter les prêtres d’Apollon, que la pythie de Delphes, lorsqu’elle se trouvait en transe de son dieu, transmettait ses messages de l’au-delà pour guider les humains en leurs actes publics ou privé (4). Pour en rester un moment au domaine grec, rappelons également que les curetès et les corybantes, en leurs rites orgiastiques poussaient des cris frénétiques au son des tympanons, des crotales et des boucliers frappés. En faisaient de même les galles, tout comme le faisaient également à Rome les prêtres saliens et les vierges qui les accompagnaient. En Grèce, après le culte de Cybèle, de Rhéa et d’Attis, vint celui de Dionysos avec ses grandes et petites Dionysies. Euripide, de son côté, nous a laisse a ce propos une tragédie d’une étrange puissance d’évocation, en laquelle les bacchantes revêtues de la nébride sacrée s’adonnent à la démesure de l’ivresse divine. Nous pourrions citer bien d’autres exemples encore de l’exaltation qui accompagne l’hénosis précédant l’hésychia et qui nous font entendre, par la bouche de ceux et de celles qui en sont possédés, la voix de Celui qui se trouve au-dessus de toute créature”. De nos jours encore l’appel du divin résonne à de certaines heures dans l’œuvre des poètes. Que l’on se souvienne de l’affirmation de Paul Valéry selon laquelle le premier vers nous est donné (5), alors que pour le poète romantique c’est le baiser de la muse qui lui procurait l’émoi de ce qu’il appelait l'”inspiration” (6).

Comme l’a si justement fait remarquer le poète expressionniste flamand Paul van Ostaijen (7), au cours d’une conférence faite à Bruxelles en l’année 1925, « il y a deux tendances poétiques : la poésie subconsciemment inspirée et la poésie consciemment construite, avec cette réservé qu’entre les deux extrêmes glissent tous les degrés intermédiaires ». Et Paul van Ostaijen d’ajouter que « la poésie subconsciemment inspirée résulte d’un état extatique ». Par ailleurs nous pouvons nous étonner avec lui que nos historiens de la littérature aient toujours tenté de séparer les écrits extatiques de la littérature proprement dite. Et c’est également lui qui a fait remarquer que les dadaïstes – et nous pourrions ajouter les surréalistes – « sans doute peu au courant de la littérature mystique, ont fait commencer la littérature à Lautréamont ». Il est, en effet, assez symptomatique de constater que Jules Monnerot, dans son essai La poésie moderne et le sacré, nous parle de bien des choses, y compris d’ethnographie et de sociologie, sans qu’il fasse la moindre allusion à l’expérience mystique proprement dite, bien qu’il y soit question de l’expérience des gnostiques et qu’il se réfère à plusieurs reprises à un ouvrage de Levy-Bruhl consacré à L’expérience mystique et les symboles chez les primitifs.

De même, lorsque Breton, dans son Premier manifeste du surrealisme énumère tous ceux qu’il considère à l’un ou l’autre titre comme des surréalistes avant la lettre, il ne cite aucun auteur mystique chrétien ou non, peut-être parce qu’en son athéisme foncier il ne pouvait reconnaître quelque vertu “surréaliste” a quiconque pouvait être l’interprète d’une quelconque voix divine (8). Toutefois, dans ses Prolégomènes a un troisième manifeste du surréalisme ou non, qui datent de 1942, il reconnaît que sa « propre ligne, fort sinueuse », passe entre autres par Abélard et Eckhardt qui relèvent cependant tous deux de cette religion tant abhorrée par les surréalistes. Si nous ne nous trompons, André Breton doit également avoir reconnu, un peu tard il est vrai, qu’un mystique romantique comme Novalis était, lui aussi, en quête de ce « certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passe et le futur, le communicable et l’incommunicable, cessent d’être perçus contradictoirement ». Michel Carrouges, de son côté, dans son André Breton et les données fondamentales du surréalisme, cite dans sa “Bibliographie des références”, parmi les ouvrages de sa bibliographie générale, les “œuvres choisies” du Cardinal de Cuse, parues chez Aubier.

Reconnaissons toutefois que des l’abord le surréalisme, notamment par la plume d’André Breton, a réservé une place de choix à l'”alchimie du verbe” et s’est réclamé non seulement de Rimbaud et de Lautréamont, mais aussi, et peut-être un peu trop, de Nicolas Flamel et de cet Agrippa dont Breton a salue les préoccupations quant à la “furor” a laquelle les surréalistes auraient également eu a faire. Et Breton de préciser : « qu’on me comprenne bien qu’il ne s’agit pas d’un simple regroupement des mots ou d’une redistribution capricieuse des images visuelles, mais de la recréation d’un état qui n’ait plus rien a envier a l’aliénation mentale ». Et voila donc que Breton, lui aussi, mais par les voies de l’alchimie aboutit à la “mania” et au délire inspiré… Un peu plus loin André Breton reproche a Rimbaud quelques lâchetés a propos de l’alchimie du verbe du fait que chez lui la “vieillerie poétique” tiendrait encore trop de place. Et Breton de préciser : « Le verbe est davantage et il n’est rien mains pour les cabalistes, par exemple, que ce a l’image de quoi l’âme humaine est créée ; on sait qu’on l’a fait remonter jusqu’à être le premier exemplaire de la cause des causes ; il est autant, par la dans ce que nous craignons que dans ce que nous écrivons, que dans ce que nous aimons ». Immédiatement après cette phrase, André Breton reconnaît en toute humilité que « le surréalisme en est encore à la période des préparatifs », et il ajoute : « Je me hâte d’ajouter qu’il se peut que cette période dure aussi longtemps que moi ».

À suivre

La petite Histoire : Le destin brisé de l’Aiglon

 Pour ce dernier épisode de la saison, retour sur la vie et le destin brisé de Napoléon II, roi de Rome. Unique fils héritier légitime de Napoléon Ier, le jeune Napoléon François Charles Joseph aura eu une triste destinée. Ramené en Autriche à l’âge de 3 ans après la première abdication de son père, il ne reverra plus jamais la France et sera élevé en prince autrichien, complètement coupé de ses racines. Sur la fin de sa courte vie, il tentera de renouer avec son passé, devenant l’espoir du parti bonapartiste, la grande peur des monarchies européennes ainsi qu’une icône romantique. Malheureusement, l’Aiglon mourra en 1832, à seulement 21 ans, d’une tuberculose mal soignée.

https://www.tvlibertes.com/la-petite-histoire-le-destin-brise-de-laiglon

samedi 30 juillet 2022

Génie des gros, férocité des secs (3/5)

 

Illusions perdues

Il n’y a pas qu’une politique du pamphlet, ni seulement une esthétique, il y a encore une physiologie de la polémique. Car un pamphlétaire, c’est d’abord un homme qui métabolise ses humeurs et les libère différemment selon qu’il est gros ou maigre, rond ou sec. L’équilibre intestinal et la charge pondérale ont leur mot à dire ici. Les uns rugissant, les autres barrissant. Rien n’interdit donc d’appliquer la théorie des quatre humeurs à l’art de médire : il y aurait alors les sanguins, les colériques, les atrabilaires et les flegmatiques.

Mais de toutes les familles, celle des gros est la plus riche. Splendeur du ventre. Elle a hérité du coup de fourchette de Pantagruel et de Gargantua. Balzac, Drumont, Léon Daudet, Henri Béraud et même Mirabeau, aussi vérolé que corrompu, le grand orateur de la Révolution, à eux tous, ce sont les « 38-tonnes » de la polémique.

Au premier rang, Balzac, notre père à tous, disait Henry James. L’homme enceint d’où tout est sorti. Le plus ogre de la bande. La polémique est presque partout dans La Comédie humaine, mais c’est dans son impérissable Monographie de la presse parisienne qu’il en a dit le plus sur notre sujet. Quand Balzac parle, il faut sortir son cahier d’écolier. C’est l’école de la vie. « Qui dit Pamphlet, dit Opposition. On n’a pas encore su faire en France de pamphlets au profit du pouvoir. […] Le vrai pamphlet est une œuvre du plus haut talent, si toutefois il n’est pas le cri du génie. »

Les tontons flingueurs de la polémique

Autre ogre, Drumont. Il fut pour ainsi dire un tribun de plume. On entend dans sa prose sonore la colère qui gonfle. Pour se faire une idée de sa puissance de feu, il n’est qu’à lire les pages inoubliables que lui consacra Georges Bernanos dans La Grande peur des bien-pensants, où l’ancien camelot du roi célèbre « un style plein et chaud, sombre et tendu, avec une pitié mâle et cette puissance de mépris qui porte au rouge sombre presque chaque page de ses livres ».

Prix Goncourt avec Le Martyre de l’obèse, Henri Béraud a vaillamment honoré les gros et vilipendé les maigres. Voir sa Croisade des longues figures contre la NRF avec son définitif : « La nature a horreur du Gide ». « Mes distractions, disait-il ? La pipe, la vie nocturne et la polémique ». Avec le gros Léon Daudet – qui appelait le maigrelet Blum « l’hermaphrodite circoncis » –, c’est un peu les Tontons flingueurs du pamphlet qui tirent sur tout ce qui bouge, ayant trop de munitions dans leur cartouchière.

Le fouet d’Arouet

Plus économes, les secs sont aussi plus précis. Voltaire en est l’archétype le plus achevé, tel qu’en lui-même les bustes d’Houdon nous l’ont conservé : féroce, sardonique, intérieurement hilare. Ah, le fouet d’Arouet ! Rousseau s’en souvient encore, à qui Voltaire réserva quelques-unes de ses pointes : « On n’a jamais employé tant d’esprit à vouloir nous rendre bêtes ; il prend envie de marcher à quatre pattes quand on [vous] lit. » On ne vit jamais dîner en ville plus drôle que l’hôte de Ferney. Rarement plus profond qu’un mot d’esprit, on ne se lasse cependant pas de relire sa correspondance ou L’Homme aux quarante écus. Dans ses contes, qu’il regardait comme de la petite monnaie, il est pourtant parvenu à égaler La Fontaine.

Un sec de moindre envergure, Henri Rochefort, marquis de son état, « l’archer fier, le hardi sagittaire », disait de lui son maître, Victor Hugo. Rochefort fut le vrai opposant à Badinguet. C’est lui qui fonda la mythique Lanterne, dont tous les numéros furent poursuivis et où il lança son célèbre : « La France compte trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement ». Après la Commune, il finira boulangiste, nationaliste et antidreyfusard.

Un paon majestueux aux serres d’aigle royal

Changement de décor avec les flegmatiques, généralement portés à la mélancolie. Ils ont fourni trois de nos plus grands polémistes. L’albatros baudelairien aux ailes de géant, Barrès à la cruauté orientale, auteur avec Leurs figures du plus implacable pamphlet antiparlementaire, et Chateaubriand étrillant « l’Usurpateur » (Napoléon). « Lorsque dans le silence de l’abjection, l’on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du délateur ; lorsque tout tremble devant le tyran et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’Empire ; il croît, inconnu, auprès des cendres de Germanicus et, déjà, l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde. » Jamais Hugo n’atteindra à la puissance de « René ».

Chateaubriand n’était pas exempt de ridicule. Son courage était à éclipse, son christianisme humide, son romantisme poitrinaire, son ego « moitrinaire » – ne publia-t-il pas de son vivant ses Mémoires d’outre-tombe (quitte à être immortel, autant l’être ici et maintenant) ? –, mais plume à la main, c’était un paon majestueux aux serres d’aigle royal.

Le Tigre était un lion

On n’en finirait pas d’égrener les variétés de pamphlétaires : professionnels, comme Paul-Louis Courier ; contrariés, à l’instar de Flaubert ; incendiaires, façon Bloy ou Barbey d’Aurevilly, « le connétable des lettres » qui clamait : « J’ai soif de polémique, parce que, comme Ney, je ne commence à y voir clair que dans la mêlée » ; ou encore coriaces à la manière de Clemenceau, dont Léon Daudet disait qu’il avait une « tête de mort sculptée dans un calcul biliaire », ajoutant, admiratif : « Sa polémique était de verbe et d’action, et non de plume ». Tireur d’élite, Clemenceau n’avait besoin que d’une balle – un mot – pour tuer son adversaire. À tous les coups, il faisait mouche. Jaurès ? « On reconnaît une phrase de lui à ce que tous les verbes sont au futur ». Le seul « Tigre » à ranger dans la classe des lions.

Photo : Illusions Perdues de Xavier Giannoli (2021)

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L’âge d’or de la polémique (1/5)

Royauté de la droite, misère de la gauche (2/5)

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Blondin (Jean Cormier et Symbad de Lassus)

 

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Jean Cormier, journaliste, écrivain et réalisateur, fut l’un des proches de l’écrivain Antoine Blondin. Symbad de Lassus est le petit-fils de l’écrivain.

Voici vingt-cinq ans qu’Antoine Blondin (1922-1991) décédait dans son refuge de Saint-Germain-des-Prés. Il faisait partie de ces écrivains surnommés les Hussards (en référence au roman de Roger Nimier Le Hussard bleu), opposés aux existentialistes et à la dévotion dont bénéficiait Jean-Paul Sartre. 

Antoine Blondin avait aussi été journaliste. On retrouve sa signature dans beaucoup de journaux parmi lesquels L’Humanité et Le Figaro mais aussi  Aspects de la FranceLa Nation française et Rivarol.

Un singe en hiver, adapté au cinéma par Henri Verneuil, reste probablement son œuvre la plus connue.

Ce livre vient lui rendre hommage, avec la gouaille qu’il appréciait. C’est tout l’univers blondinien qui défile, la passion pour le Tour de France, le plaisir des calembours et le goût prononcé pour les bonnes bouteilles. Ses amis encore en vie, de Michel Déon à Jean-Paul Belmondo, sa première femme et ses filles livrent de jolis témoignages et rendent le portrait d’Antoine Blondin d’autant plus attachant.  

Blondin, Jean Cormier et Symbad de Lassus, éditions du Rocher, 16,90 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/blondin-jean-cormier-et-symbad-de-lassus/57327/

vendredi 29 juillet 2022

Notre combat pour l’Europe

 Discours de Nicolas Pradines, de la promotion Dante de l’Institut Iliade, prononcé le 11 juin 2022 à Florence.

« Exister, c’est combattre ce qui me nie » est sans doute la citation de Dominique Venner la plus appropriée à laquelle je peux rattacher mon engagement dans le combat pour notre identité.

Je fais partie de ceux qui, comme beaucoup, se seraient contentés de vivre une vie ordinaire sans se soucier de l’avenir de notre civilisation, s’il n’était pas gravement menacé. Mais l’époque en a voulu autrement. Admiratif depuis mon enfance des grands personnages de notre longue histoire européenne, des valeurs et vertus qu’ils incarnent, je réalisais que le monde nouveau qui se dessinait, voulait effacer ces modèles et tout ce qui a permis la grandeur de notre civilisation.

Écœuré par le reniement général qui frappe notre continent, par la mise en avant de la lâcheté et de la faiblesse, en réaction à cette dystopie, j’ai choisi d’agir en prenant part au combat pour notre identité, comme pour me définir face au monde du laid omniprésent, et répondre à l’appel du devoir, comme tant d’autres de ma génération.

En effet, une part croissante de notre génération est bien consciente du caractère inestimable et sacré de l’héritage civilisationnel commun que nous ont légué nos aïeux, et dont nous sommes de fait dépositaires. Héritage qui nous est donné avec la charge de nous en montrer digne, autant que nous le pouvons, de le conserver et le transmettre aux générations qui nous succéderont.

Pour nous lancer dans cette reconquête de l’identité, il est nécessaire de s’assurer d’avoir les bases théoriques.

C’est là la vocation de la formation proposée par l’Institut Iliade.

Cette formation se déroule sur une année universitaire. Chaque promotion est composée d’une vingtaine d’auditeurs sélectionnés par un entretien, permettant ainsi de rassembler des personnes déjà engagées dans divers mouvements, et qui ont toutes à cœur la défense de ce qui fait ce que nous sommes, de nos valeurs et de nos traditions.

Véritable formation métapolitique, elle est fractionnée en cinq week-ends à thèmes permettant aux auditeurs d’acquérir les bases ou de compléter leurs connaissances sur l’Histoire de l’Europe : les fondements de nos racines grecques et romaines, l’Histoire des idées, la géopolitique, et les pensées non conformes. Les conférences données par les intervenants éminents de l’Institut jettent les principes nécessaires et les références utiles à l’approfondissement personnel.

Chaque promotion commence par élire une figure tutélaire. Notre promotion, la 11ème, a ainsi choisi de se placer sous l’égide de Dante Alighieri, « Il sommo poeta », en hommage à son héritage, pour l’anniversaire des sept siècles de sa disparition. Père de la langue italienne et fondateur de son identité, son engagement fut total, et il nous rappellera sans cesse que la pensée accompagne l’action.

Pour stimuler la cohésion du groupe, l’une des sessions se déroule ainsi en province, à l’initiative des auditeurs, permettant de resserrer les liens au gré d’activités culturelles régionales autour du triptyque cher à l’Institut : la nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon.

Au-delà de la formation théorique, c’est un véritable esprit de cohésion qui se crée entre les membres des promotions, et des liens perdureront bien après le calendrier initial. Car la formation n’est pas une fin en soi, mais un moyen permettant de se forger les armes nécessaires au combat culturel que nous souhaitons mener. En prenant exemple sur nos figures tutélaires, il est demandé aux auditeurs de traduire dans l’action leur engagement, en produisant un travail personnel exploitable par l’Institut Iliade, sous forme d’article, d’évènement ou de toute autre initiative personnelle.

Il est en effet important de mettre l’accent sur l’action :

Face aux menaces qui pèsent sur notre civilisation, le temps n’est pas à la complaisance dans un bovarysme confortable, à rêver à la beauté d’un monde disparu, sans participer à la vie de la cité. Nous refusant à être des spectateurs, nous nous inscrivons en tant qu’acteurs de notre Histoire. Rejetant le statut de consommateur, nous aspirons à la création au service de nos valeurs. Sans pour autant vouloir en vain recréer ce qui a existé, mais en retrouvant l’esprit même qui a permis de bâtir ce monde, autour de ce qui a toujours eu et aura toujours de la valeur. Pour que nous n’ayons pas à rougir devant ceux qui nous ont précédés, et que nous puissions dire comme les spartiates : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes. »

Il y a maintes façons pour les jeunes Européens de mener leur action. Chacun selon ses talents et ses aspirations peut agir. Le réseau des promotions successives de l’Institut Iliade va ainsi permettre la mise en relation de ces compétences pour travailler en commun. Enfin, gardons l’espérance. Soyons convaincus du réveil des Européens appelé par Dominique Venner, et travaillons à l’amorcer.

Je finirai sur une anecdote relative à l’espérance :

Espérance que j’ai bien failli perdre une fois, un soir de novembre 2018. Nous nous étions rendus, avec le chœur dont je fais partie, sur la crête des Éparges, non loin de Verdun, haut lieu de sacrifice et d’héroïsme dans la Grande Guerre civile européenne.

Ceci afin de rendre hommage à notre poète Maurice Genevoix qui y combattit, et à nos ancêtres qui tombèrent au champ d’honneur, en chantant à nouveau les chants qui avaient été entonnés par eux, un siècle plus tôt, et ainsi raviver leur souvenir.

Après la prestation, regrettant tristement le maigre intérêt qu’avait suscité le centenaire de cette guerre pour nos contemporains et la trentaine de villageois seulement rassemblés, notre hôte m’interrompit : « Mais, ce que vous faites ici, c’est comme une étincelle dans la nuit, et ne vaut-elle pas davantage qu’un feu d’artifice en plein jour ? »

Si notre action ce soir-là, en rendant un bel hommage à nos anciens, a procuré de la ferveur et de la fierté aux habitants des Éparges, ce n’est pas en vain.

Il n’y a pas d’actions inutiles, si elles s’inscrivent dans la ligne de nos valeurs, et chaque étincelle que l’on fera scintiller participera au combat de la reconquête. La beauté, surgissant d’un acte si modeste soit-il, est toujours bonne à saisir. Et dans notre tenue, nos attitudes, en tous lieux, sachons toujours montrer notre enthousiasme dans notre combat.

Texte repris du site institut-iliade.com

Via https://fr.novopress.info/227643/notre-combat-pour-leurope/

Royauté de la droite, misère de la gauche (2/5)

 

Charles Maurras et Léon Daudet - fête de Jeanne d'Arc
Les révolutionnaires de 1789 furent des polémistes au petit pied, pour la plupart auxiliaires de police. C’est à droite et dans les rangs de la contre-révolution que l’on trouve les plus grands noms de la polémique. Question de tempérament. Et de pointure de chaussures. Quand on chausse large, c’est plus facile de botter les fesses.

La bonne littérature est de droite. Le grand critique Albert Thibaudet l’a dit une fois pour toutes. Il en va de même de la bonne polémique. Quoique née dans sa forme moderne en 1789, elle s’est épanouie à droite. La Révolution fut trop sanguinaire pour élever les écrivaillons dont elle louait les services au rang de polémistes.

À lui seul, Marat nous montre ce qu’il advient des plus mauvais d’entre eux lorsqu’ils épousent le pouvoir – des égorgeurs. Ses appels au meurtre dans L’Ami du peuple rythmèrent le sabbat infernal de la Terreur. Ami du peuple, ennemi du reste. C’était l’idole des tricoteuses et des sectionnaires jusqu’à ce que Charlotte Corday vienne venger ses victimes. Du roi, il disait : « Égorgeons le cochon ! Faisons-en autant de quartiers qu’il y a de départements pour en envoyer un morceau à chacun. » Son eczéma le démangeait, il s’en vengeait dans son bain en égrenant la liste des suspects.

L’hagiographie républicaine l’a canonisé, mais c’était un pourceau qu’excitait la vue du sang, comme Camille Desmoulins, le plus brillant de la bande, déchaînant sa verve macabre à la vue de la guillotine.

Desmoulins a mis la Terreur dans le latin des cuistres, Marat dans la langue des corps de garde et Hébert dans celle de l’ordure, assortissant sa logorrhée de « foutre » et de « bougre ». Son journal, Le Père Duchesne, était un gland. Il n’y en a pas un pour sauver l’autre. Seul, dans cette bande d’assassins, surnage Chénier, l’ange et la colombe de la Révolution. De prison, il éleva un chant déchirant. « Console-toi, gibet. Tu sauveras la France. »

Rivarol, le vrai

Mais le vrai polémiste de 1789, c’est Rivarol, le contre-révolutionnaire qui fut paradoxalement le meilleur élève de Voltaire. À deux siècles de distance, son Journal politique et national et son Petit dictionnaire des grands hommes de la révolution restent des bijoux. Il avait des prémonitions stupéfiantes, sur Napoléon entre autres, dont il annonça le destin à la virgule près. Sainte-Beuve disait de ses textes qu’il laissait échapper « le cri de la civilisation perdue ». Et la civilisation avait de beaux restes chez lui. « Mirabeau est capable de tout pour de l’argent, même d’une bonne action. » La Fayette ? « Quel est cet homme qu’une Révolution n’a pu grandir et que le malheur n’empêche point d’être méprisable ? »

Les révolutionnaires espèrent. Ça fait des prêtres, pas des prophètes. Les réactionnaires désespèrent, ça fait des pamphlétaires. Mais alors que faites-vous des Hugo, Marx, Proudhon, Vallès ? Pas grand-chose à la vérité. Hugo est trop « hénaurme », trop « kilogrammatique », pour faire un pamphlétaire digne de ce nom. Dans Les Châtiments, il déclenche un feu nucléaire sur Napoléon III, malheureux roitelet affligé de calculs urinaires en qui il voit l’héritier de Tibère, Caligula et Néron. Il aurait dû s’en tenir à la bataille d’Hernani dont l’esthétique tragicomique annonçait dans ses grandes lignes le règne de Badinguet.

Semelle lourde et pieds plats

Il y a bien Jules Vallès, « le candidat de la misère », aussi enragé que Louis-Ferdinand Céline, mais comme lui, bien meilleur dans le roman. Marx était le plus doué. Proudhon en fit les frais, qui vit l’auteur du Capital répliquer à sa Philosophie de la misère par un terrible et sans appel Misère de la philosophie. Marx, cependant, était trop occupé à ériger son monument à la gloire du prolétariat pour se disperser ainsi.

Proudhon, d’ailleurs, n’en demandait pas tant. On trouve dans sa polémique autant d’éléments révolutionnaires que réactionnaires. Il rêvait d’un peuple vertueux se nourrissant de tubercules et de tisane. C’était une sorte de témoin de Jéhovah du socialisme, solide comme une vieille charrue, mais qui s’enivrait d’eau plate.

Paul-Louis Courier, pourtant auteur d’un Pamphlet des pamphlets, est lui aussi un peu mou du stylet. On a l’impression que ce brave démocrate disserte sur le pamphlet plus qu’il n’en écrit un. On le cite, mais on ne le lit pas (sans quoi, on ne le citerait pas).

Pour Zola, l’affaire est plus grave. Quoique auréolé de son « J’accuse », il avait la semelle lourde et les pieds plats. Sa polémique suggère le piétinement d’un veau. Avec un pareil avocat, Dreyfus a eu beaucoup de chance de s’en tirer.

Action française, réaction gauloise

Voilà pour la gauche. Sous ces latitudes, on rêve et on bêle ; éventuellement, on critique. Il n’y a qu’aux hautes latitudes droitières qu’on polémique. C’est ainsi depuis deux siècles. « Le polémiste d’envergure, affirmait Daudet, est généralement réactionnaire, pour la bonne raison que ce genre de combat est une “réaction”, au sens étymologique du mot. »

Voyez Barbey, vigie flamboyante de la chouannerie, le meilleur tireur d’épée de son temps. Ses Quarante médaillons, où il rosse avec la superbe d’un aristocrate d’âme et de naissance les vieux barbons de l’Académie, cette « Salpêtrière de ministres tombés et de parlementaires invalides », autrement appelée par lui « havre de vieux hérons moroses », sont un chef-d’œuvre.

Si les antimodernes – et la liste est longue, de Joseph de Maistre à Bloy, de Chateaubriand à Baudelaire – ont fait basculer la polémique à droite, c’est l’Action française qui l’y a définitivement arrimée. Elle fut la grande école du combat de rue et du combat de plume. La plupart des polémistes y sont passés, même Rebatet, qui se plaisait à railler « l’inaction française ». Le plus grand des maîtres d’armes y a exercé ses talents, le roi des polémistes, Léon Daudet, dit le gros Léon, qui arrachait les poils un à un ou assommait sans façon. L’épilation sadique ou le massacre réjouissant. Parfois les deux. Action française, réaction gauloise. On n’a pas fait mieux depuis.

Photo : Charles Maurras et Léon Daudet à fête de Jeanne d’Arc 

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L’âge d’or de la polémique (1/5)

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Arguments pour la Monarchie royale active "à la française". Partie 3 : "Le roi est mort ? Vive le roi !"

 

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« Le Roi, c’est l’arbitre-né » : il n’a choisi ni de naître, ni de naître fils de roi appelé à devenir, un jour, roi lui-même… Et pourtant, ce qui semble injuste ou hasardeux est le meilleur moyen d’assurer l’indépendance de l’arbitre, tout simplement. La simplicité dynastique de la Monarchie royale peut être un formidable atout pour l’État quand la République, par nature, divise et, plus encore, se nourrit des divisions qu’elle crée…

La Monarchie arbitrale l’est par statut, par essence même en France, et c’est la transmission héréditaire qui lui donne ce caractèreC’est pourtant ce qui est le plus difficile à accepter par nos concitoyens, désormais attachés au principe de l’élection présidentielle, à ce que les politologues nomment « la reine des élections » (hommage du vice à la vertu, s’amuseraient quelques royalistes taquins…), et cela même s’ils sont de moins en moins nombreux à se déplacer pour aller glisser un « bulletin d’espoir » dans l’urne, au regard des précédentes décennies depuis 1965.

Pourtant, c’est bien le fait d’être libre du choix des autres, c’est-à-dire de ne pas dépendre des jeux de partis et de la guerre des ambitieux, qui fonde l’indépendance du monarque et lui permet d’être l’arbitre au-dessus des intérêts privés ou communautaristes. « Le roi est mort… vive le roi ! » : cette formule rituelle est le cœur même du miracle renouvelé de la Monarchie royale, et sa brièveté n’enlève rien à sa puissance symbolique et à son efficacité. Quand la conquête de la présidence de la République nécessite de l’argent, une communication efficace, des réseaux puissants, et une longue et permanente campagne présidentielle, jamais vraiment achevée (même au soir du second tour effectif de l’élection elle-même), la transmission de la couronne, elle, prend quelques minutes, et cela même si le protocole qui, ensuite, valide et valorise la passation de la magistrature suprême de l’État, peut prendre de multiples formes cérémonielles et quelques mois de présentation du nouveau souverain aux différents corps constitués du pays. Sauf abdication, le processus est d’une simplicité absolue tout en revêtant un double aspect, tragique et joyeux : le roi en exercice rend le dernier soupir, et c’est la tragédie de la mort, et ce deuil qui semble tout emporter. A l’annonce de l’assassinat de son mari Henri IV, la reine Marie de Médicis se répand en larmes et gémissements, se frappant la poitrine de douleur… « Le roi est mort, le roi est mort », se lamente-t-elle. La même scène ne se produit-elle pas à la mort de chaque roi et quelles qu’en soient les circonstances, en fait ? Mais la douleur ne peut être que temporaire car déjà la vie triomphe : « vive le roi ! » (5). Ainsi, en quelques instant, la mort est surmontée, non pas effacée physiquement, mais sublimée par l’annonce du nouveau roi : en criant « vive le roi », le héraut du moment semble dire « Mort, où est ta victoire ? ». La transmission héréditaire affirme la continuité, voire la perpétuité de l’État en sa magistrature suprême, au-delà des souverains qui, un temps, en assurent et en assument la charge.

Avec l’hérédité royale, l’ordre de succession est connu bien avant que le moment de celle-ci ne survienne : cela permet de préparer le futur monarque à sa charge, à son métier de roi par une éducation appropriée et par une entrée progressive dans la sphère politique et symbolique de la Couronne, ce qui a aussi le mérite d’apprendre ce qui doit aussi être une qualité pour régner, la patience. En somme, la Monarchie royale accompagne le temps sans chercher à le forcer : elle se fait « humilité » devant lui, ne sachant ni le jour ni l’heure du passage de sceptre du mourant au vivant, mais en acceptant la « finitude » des êtres royaux et en préparant la suite des vivants. Un roi bien instruit et soucieux de bien dire comme de bien faire sera toujours plus utile et crédible qu’un président de passage se livrant à la démagogie pour conquérir la place élyséenne… N’est-ce pas ce que voulait dire le père du socialisme révolutionnaire français (ou anarchisme), Pierre-Joseph Proudhon quand il déclarait : « Un homme qui travaille à assurer sa dynastie, qui bâtit pour l’éternité est moins à craindre que des parvenus pressés de s’enrichir et de signaler leur passage par quelque action d’éclat » ?

D’ailleurs, le principe de la transmission héréditaire rejoint le cycle de la nature, y compris des hommes, et c’est le plus naturel des modes de transmission : n’est-ce pas pour nos enfants, nos héritiers les plus proches, que nous nous démenons, travaillons et économisons ? Ne sont-ils pas les prolongements de notre propre être, de notre propre vie ? Bien sûr, ils ne nous ressemblent pas toujours, n’ont pas les mêmes goûts ni les mêmes envies, et nous déçoivent-ils, parfois, parce qu’ils ne sont pas les « mêmes » que nous. Mais, n’est-ce pas, et c’est vrai aussi pour la magistrature suprême de l’État, la condition même du renouvellement, de la continuité sans le fixisme ? «Le monarque qui meurt ou qui abdique fait place à un successeur qui représente une nouveauté et une espérance. Les éléments de l’avenir, tels que les fournit la génération nouvelle, se sont groupés autour de lui. Le passé paternel lui confère des droits, sans l’enchaîner aux fautes, aux erreurs, aux revers. C’est une aurore qui s’éveille, c’est une jeunesse qui brille, un personnel nouveau et des idées nouvelles qui se font jour pour reverdir sur le vieux tronc. » (6) : cette longue citation de Maurras nous rappelle ces choses simples qui font que l’avenir s’enracine dans le passé sans y rester enfermé.

(à suivre)

Notes : (5) : Alors que sa mère la reine se lamente, l’un des conseillers de feu Henri IV lui fait remarquer que, non, le roi n’est pas mort, et qu’il est bien là, à côté d’elle, en désignant le jeune garçon de 9 ans qui, pour l’histoire, s’appellera désormais Louis XIII...

(6) : Une citation extraite du recueil de fragments d’écrits politiques de Charles Maurras, « Nos raisons, contre la République, pour la Monarchie », publié en 1936.

https://jpchauvin.typepad.fr/jeanphilippe_chauvin/2022/07/arguments-pour-la-monarchie-royale-active-%C3%A0-la-fran%C3%A7aise-partie-3-le-roi-est-mort-vive-le-roi-.html

Mexique, de l’indépendance aux Cristeros (Alain Sanders)

 Alain Sanders est un journaliste et un écrivain passionné par l’histoire du continent américain.

La guerre des Cristeros a opposé les peones catholiques mexicains à un Etat dictatorial franc-maçon et haineusement anticatholique.

La mobilisation des catholiques mexicains avait débuté pacifiquement. Mais les persécutions, les profanations, les assassinats et les enlèvements organisés par l’Etat sur ordre du président Calles, 33e degré de la franc-maçonnerie, imposèrent aux catholiques de prendre les armes.

L’épopée des Cristeros, ces chouans mexicains, fut héroïque.

Pour permettre de comprendre comment la haine anticatholique a conquis le pouvoir au Mexique, Alain Sanders remonte en 1821 et à la déclaration d’indépendance du Mexique. L’auteur montre aussi comment les Etats-Unis ont précipité le Mexique dans le chaos en soutenant, dès les premières années qui ont suivi l’indépendance, des généraux francs-maçons révolutionnaires. 

Mexique – De l’indépendance aux Cristeros, Alain Sanders, Atelier Fol’Fer, 103 pages, 15 euros (prix franco)

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/mexique-de-lindependance-aux-cristeros-alain-sanders/57418/

Arguments pour la Monarchie royale active "à la française". Partie 2 : La Monarchie n'est pas la monocratie.

 

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La Sixième République ne serait que le retour à un parlementarisme façon Quatrième, voire Troisième République, et le désordre des dernières discussions parlementaires de ce mois de juillet conjugué à l’autoritarisme malsain de certains partis n’est pas très enthousiasmant. Mais la Cinquième n’est pas satisfaisante non plus, et cette « semble-Monarchie », si elle a pu un temps (l’époque gaullienne et pompidolienne seulement ?) faire illusion, paraît désormais mal adaptée aux enjeux contemporains. C’est l’occasion de rappeler les différences fondamentales entre la Monarchie royale issue de l’histoire capétienne et la Cinquième République monocratique et a-dynastique…  

En fait, la Cinquième République n’est pas la Monarchie et le président n’est pas le roi, comme l’a signalé avec justesse le philosophe Marcel Gauchet il y a quelques années : «  Mais [Macron] s’est trompé sur ce que l’on attendait d’un roi. Un roi, ce n’est pas un manager, pas un patron de start-up qui secoue ses employés pour qu’ils travaillent dix-huit heures par jour pour que les Français, par effet d’entraînement, deviennent tous milliardaires ! Dans la tradition française, un roi, c’est un arbitre. Quelqu’un qui est là pour contraindre les gouvernants à écouter les gouvernés. Quand les gens accusent Macron d’être le président des riches, ils lui reprochent surtout de ne pas être l’arbitre entre les riches et les pauvres. (3) »  En quelques lignes, le philosophe fait litière de la confusion savamment entretenue par certains doctrinaires d’une Gauche qui se veut républicaine façon Révolution française pour éviter de se pencher sur les limites de leur modèle idéologique, souvent plus idéalement fantasmé que réellement convaincant, au regard de l’histoire comme de la promesse du lendemain… Dans le même temps, Marcel Gauchet peut nous permettre de préciser ce qu’il ébauche de la nature et de la forme de la Monarchie royale en France, qui ne peut être confondue avec la « monocratie » (4), qui est sans doute un terme plus exact pour définir la Cinquième République fondée par le général de Gaulle. Quand la monocratie est le pouvoir d’un seul sans contre-pouvoirs effectifs et efficaces, nous sommes bien loin d’une Monarchie royale à la française où le pouvoir central ne peut s’émanciper complètement des pouvoirs locaux (provinciaux et communaux) ou sociaux (socioprofessionnels, corporatifs et syndicaux, entre autres). En Monarchie, le pouvoir royal « ordonne » l’ensemble, il n’intervient pas forcément dans le fonctionnement et les décisions des organes et des corps intermédiaires : il est, d’abord, un arbitre, et il laisse « jouer les ordres et libertés » selon le principe de subsidiarité, rappelé régulièrement par Maurras, reprenant la vieille formule héritée des légistes médiévaux, « Sous le Roi, les Républiques » : ce qu’il faut bien entendre ici, ce n’est pas un rapport de soumission des républiques locales, professionnelles ou universitaires à l’État central, mais le fait qu’elles se trouvent à l’abri de l’État royal, leurs libertés étant garanties par cet État qui les surplombe sans les plomber. Tout l’inverse de cette République qui, en se disant aujourd’hui inclusive, se fait de plus en plus intrusive, au risque d’étouffer toute initiative libre ou non-conforme aux dogmes de l’idéologie dominante.

Si la Monarchie royale se veut arbitrale, elle ne se fait pas arbitraire : sous l’Ancien Régime, elle se doit de respecter les lois fondamentales du royaume, sorte de constitution coutumière qui encadre l’exercice du pouvoir, mais aussi les multiples lois particulières qui « hérissent la France de libertés ». L’intérêt de la Nouvelle Monarchie, une fois instaurée, serait de permettre de desserrer l’étau d’acier de la centralisation toujours effective sans être, pourtant, efficace pour garantir la pérennité et la force du pays. Il n’est pas certain que cela soit facile à faire, car l’État républicain, par sa centralisation et son assistanat organisé et coûteux, a asservi les citoyens-contribuables à « tout » (ou presque) attendre de lui, des services publics au pouvoir d’achat : un assistanat qui n’est pas l’assistance mais bien plutôt une forme de déresponsabilisation des citoyens et de forte dépendance à l’argent versé plutôt qu’aux moyens de le gagner. La grande faute de la République qui s’est voulue « Providence » est d’avoir enfermée les Français dans une prison dorée, confortable sans doute mais destructrice des libertés concrètes de ce que Maurras nommait le pays réel.

(à suivre)

Notes : (3) : Marcel Gauchet (Entretien à Le Soir du 25 décembre 2018).

(4) : La monocratie, qui vient du grec monos (le seul) et kratein (l’emporter sur, dominer), c’est le pouvoir, la domination sans partage d’un seul, sans contre-pouvoirs (au contraire de la tradition monarchique française et de ses lois fondamentales) et sans légitimité autre que celle de Créon...

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