vendredi 29 août 2008

Léon Blum, leader ouvrier et prince d'Israël

Une statue parisienne de Léon Blum, réalisée par Philippe Garel, a été inaugurée le 8 juin 1991 sur la place du même nom, devant la mairie du XIe.
Alain Devaquet, député maire RPR de l'arrondissement, et Georges Sarre, secrétaire d'Etat aux Transports, présents à cette cérémonie, ont rivalisé d'éloquence pour célébrer les mérites du leader socialiste. Quand la « droite » et la gauche se découvrent un ancêtre commun ...
Il est convenu une fois pour toutes que le journaliste ou l'historien qui est amené à parler de Léon Blum - ou de Jaurès, ou de Mendès France, ou de telle autre « grande conscience» de la gauche - ne peut le faire que sur le ton de la dévotion, à tout le moins, du plus profond respect. Cette obligation, à laquelle il ne manque qu'une sanction légale, bien peu usent y contrevenir. Car on a beau vivre en un temps qui, paraît-il, se vante de toutes les audaces : le chapeau de Gessler est toujours là qui reçoit le salut des passants.
Quand on évoque Léon Blum, on pense aussitôt au Front populaire, on a immédiatement à l'esprit les images de la grande kermesse de 1936 - cette kermesse qui devait si tragiquement se terminer par la plus cuisante des défaites. Et c'est Blum, en effet, qui, au regard de l'histoire comme de ses contemporains, incarne cette époque : n'est-ce pas lui qui en assume - ou semble en assumer - les responsabilités essentielles, qui tient la vedette de l'actualité, qui occupe la page de titre de tous les journaux, qui reçoit les acclamations ... ou les injures ?
UN ANCÊTRE DE LA GAUCHE CAVIAR
Pourtant, réfléchissons-y un instant.
Qui aurait jamais pu croire qu'il était destiné à faire figure de tribun du peuple, à s'identifier, même un court moment, aux « aspirations des masses » ? Origines, goûts, mode d'existence, tout l'éloignait de ces foules naïves et pleines d'illusions qu'on voyait processionner dans les rues aux cris de : Pain, paix, liberté (1). Amateur de beaux livres et de pensées rares, recherchant la compagnie des gens cultivés, Blum vivait en esthète dans un luxueux appartement de l'île Saint-Louis, et son ancienne fréquentation des cénacles littéraires non plus que son métier de maître des requêtes au Conseil d'Etat, puis d'avocat d'affaires, ne semblaient spécialement le préparer au rôle de chef charismatique du prolétariat ...
Cela, sans doute, ne l'avait pas empêché de s'intéresser de bonne heure à la politique. L'affaire Dreyfus, à cet égard, eut sur lui une action décisive. En cristallisant des tendances latentes, elle allait faire d'un jeune dandy anarchisant et stendhalien, d'un égotiste à la sensibilité « frémissante », un socialiste de principe. « De l'iniquité subie par un individu, dira-t-il lui-même, nous tâchions de remonter à l'iniquité sociale ... » Toutefois, sa réelle entrée dans la politique active n'eut lieu qu'au lendemain de la Grande Guerre, lorsque ses « camarades », tout fiers d'une recrue aussi distinguée, le chargèrent de rédiger le Programme d'action du parti pour les élections de 1919. Son travail, où les « hypocrisies bourgeoises » étaient dénoncées, et les voies d'accès à la « Révolution sociale » soigneusement déblayées, obtint un vif succès.
Porté sur la liste socialiste du deuxième secteur de la Seine, il fut élu député en novembre 1919 et depuis lors, sauf une interruption d'un an, ne cessa plus de siéger au Palais-Bourbon. Après le « schisme » de Tours, survenu en décembre 1920, il devait rapidement s'imposer, tant à la Chambre que dans les Congrès, comme le leader incontesté de « la vieille maison » durement secouée par l'exode communiste.
ARISTOCRATE DE LA DÉMAGOGIE PARLEMENTAIRE
Egalement député dans cette première législature d'après-guerre, Léon Daudet n'avait pas manqué de remarquer ce collègue à l'élocution facile, à la silhouette élégante, à la nervosité féminine, « sorte de lévrier hébreu, minaudant et hautain », écrira-t-il drôlement. Tout en l'accusant de pasticher, en étriqué, les balancés opportuno-révolutionnaires de Jaurès, il lui reconnaissait de la personnalité. De là à prévoir sa future ascension ... Hélas ! pourquoi faut-il que celle-ci se soit produite au pire moment, tandis que l'Europe glissait sur la mauvaise pente et risquait d'être replongée dans les horreurs d'un nouveau conflit... Savait-on bien à quoi l'on s'engageait en mettant à la tête du pays, sur lequel s'accumulaient les plus graves menaces, un « aristocrate de la démagogie parlementaire » ? Et la France était-elle si pauvre en hommes de valeur qu'elle confiât le soin de la représenter et de la défendre à un intellectuel « raffiné» qui, au temps de son arrogante jeunesse, n'hésitait pas à avouer tout le mépris que lui inspirait l'attachement à un champ, à une terre ? « Si la patrie, affirmait alors Léon Blum, n'était vraiment que le coin de terre où l'on naquit, que des souvenirs, que des habitudes, le patriotisme serait un instinct grossier, une sorte de fétichisme. » A ces fadaises, il opposait une autre définition de la nation, considérée comme « un composé abstrait d'idées, de notions politiques, de conceptions morales ». Quelles conceptions ? Quelles idées ? Celles de 1789, pardi ! Ce qui revenait à dire qu'avant cette date magique, la France n'existait pas, qu'au surplus, elle n'aurait plus aucun titre à s'appeler la France si elle renonçait à son « idéal » révolutionnaire ! La vérité, c'est qu'il plaisait à Léon Blum d'attribuer arbitrairement à la France sa propre idéologie de la Révolution - et qu'il ne l'acceptait pour patrie qu'à cette expresse condition. Emile Faguet l'avait très bien vu qui notait, le 25 février 1907, dans la Revue latine : « M. Blum déteste l'idée de patrie et le patriotisme. »
Mais si la communauté nationale, avec ses devoirs, ses sentiments, ses habitudes, était dénuée, pour lui, de tout attrait, c'est peut-être parce qu'elle était remplacée dans son cœur par d'autres affections et d'autres solidarités. « Blum, observait un jour André Gide, Blum considère la race juive comme supérieure, comme appelée à dominer, et croit de son devoir d'aider à son triomphe, d'y aider de toutes ses forces. » Pendant le Front populaire, cette prédilection et ce favoritisme passèrent la mesure, et l'on sait l'irritation qu'ils suscitèrent. François Mauriac a d'ailleurs eu, là-dessus, un mot révélateur. « Je me souviens, écrira-t-il en mars 1946, que lorsque je pris position contre Franco, durant la guerre d'Espagne, j'entrai en contact avec des confrères du Front populaire qui tinrent des propos antisémites dont je demeurai stupéfait : je leur dis que je me croyais à l'Action française. » Ainsi, même les mieux disposés ressentaient de l'impatience face à ce qui prenait l'allure d'un véritable envahissement ...
APÔTRE DU DÉSARMEMENT ET RESPONSABLE DE LA DÉFAITE
Et ce n'était assurément pas le seul grief qu'on pût formuler à l'encontre de Blum. Prisonnier des vieilles ritournelles jaurésiennes (2), il s'obstinait à ne pas comprendre les nécessités vitales auxquelles la France devait se soumettre dans un contexte international difficile. « Nos députés, déclarait-il à Narbonne en juin 1933, nos députés ont le devoir de voter contre les crédits militaires, c'est un acte traditionnel et symbolique d'affirmation révolutionnaire. » Il croyait à « la vertu de l'exemple », et désarmer dans un monde dangereux ne lui paraissait pas chose paradoxale. En 1935 encore, il combattit - et le parti avec lui - la loi qui portait à deux ans la durée de la conscription. Dans le cas où la France serait victime d'une agression extérieure, c'est à une levée en masse de toute sa population qu'il confiait le soin de la riposte. Comme en 1792 !
Outre que ce souhait, romantique et échevelé, ignorait superbement les exigences de la guerre moderne, il n'y eut, en 1940, rien qui ressemblât à un début d'exécution d'un pareil plan. On ne vit aucun « peuple des travailleurs » se jeter à la pointe de la bataille et refouler les blindés de Guderian ! En fait, a remarqué Charles Maurras, Blum raisonnait comme si, tout un demi-siècle, il avait nourri ses partisans de la moelle de Déroulède, comme s'il n'avait pas eu plus que de la complaisance envers les radotages antipatriotiques et antimilitaristes auxquels se livraient ses amis dans leurs journaux, leurs cercles, leurs syndicats et leurs écoles ... Toute cette propagande avait largement eu le temps de produire ses ravages, de saper le moral national, au point qu'en août 1933 le syndicat des instituteurs pouvait se prononcer à une très forte majorité contre la guerre, même défensive, rendre hommage aux objecteurs de conscience, et se féliciter de voir un nombre croissant d'élèves-maîtres refuser de participer à la préparation militaire supérieure - sans s'attirer le moindre désaveu de la part de la SFIO.
Voilà où en était la gauche avancée à la veille du Front populaire. « Un parti socialiste sensé, se sentant voisin du pouvoir, aurait compris que, par la force de la situation, il devait se nationaliser, se patriotiser, se franciser, soulignera Maurras. Cette forme de socialisme nouveau s'imposait. M. Blum et ses amis crurent qu'il suffirait de s'intituler parti de la guerre ! Ce n'était pas la même chose. » Encore, s'ils avaient su la préparer. Mais allez donc développer sérieusement des programmes d'armement quand, pendant cinquante ans, vous avez refusé de voter ces « budgets de mort » ! Allez donc expliquer au peuple électoral l'évolution nationaliste du monde lorsqu'il a toujours dans les oreilles l'écho de vos prédications pacifistes ! Lié à ses « formules cadavériques » de 1898 et de 1900, Léon Blum ne sut que larmoyer, divaguer et laisser la France s'en aller à vau-l'eau.
(1) Georges Duhamel, dans ses Mémoires, a décrit le président du Conseil Léon Blum « cheminant dans les jardins de l'hôtel Matignon, et levant le poing avec un geste gêné, maladroit, en passant devant un groupe d'ouvriers qui travaillaient là ». Et Duhamel d'ajouter que Blum reste dans son souvenir « comme un distributeur de mots creux ».
(2) L'historien socialiste Charles Andler, dans sa biographie de Lucien Herr, le fameux bibliothécaire de l'Ecole normale supérieure, raconte qu'en 1913, à la demande du Grand Etat-Major, le gouvernement de Berlin sollicita du Reichstag le vote d'un milliard et demi de crédits pour construire un puissant matériel d'artillerie lourde. Membres les uns et les autres de la IIe Internationale, les socialistes français et allemands se concertèrent aussitôt sur cette question. Après discussion, Jean Jaurès et Albert Thomas autorisèrent les socialistes allemands à voter ces crédits. Puis, comme le gouvernement français, à son tour, présentait un programme d'armements, Jaurès intervint à la Chambre pour le faire réduire ! C'est là, a dit Andler, « le fait énorme qui discréditera le socialisme international ».
Michel Toda Le Choc du Mois. Juillet-août 1991

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