jeudi 13 mars 2008

Marie-Antoinette nous parle

La publication de la correspondance de Marie-Antoinette comble une lacune dans la bibliographie du XVIII' siècle et de la révolution de 1 789. Elle réjouira non seulement les amateurs d 'histoire désireux de disposer de documents pour éclairer leur jugement, mais aussi ceux qui sont sensibles à cette période de haute civilisation en France et Europe. C'est toute la grâce d'une époque qui revit dans ces lignes.
Peu de personnages de l'histoire de France ont été plus calomniés que Marie-Antoinette. Faut-il la réhabiliter ? Cela se justifierait, puisqu'elle a été jugée et condamnée à mort. Cependant, nous ne sommes pas de ceux qui confient aux tribunaux le soin de définir la vérité historique. L'histoire consiste plutôt à chercher comment les choses se sont vraiment passées.

Marie-Antoinette dans le texte
Et pour connaître Marie-Antoinette, quelle meilleure source que sa propre correspondance? Pourtant, on croit rêver en constatant que c'est la première fois que celle-ci fait l'objet d'une publication intégrale, grâce aux soins d'Évelyne Lever, historienne de valeur, auteur d'ouvrages sur Louis XVI, Louis XVIII, Philippe Égalité, Mme de Pompadour et l'affaire du Collier, sans oublier une biographie de Marie-Antoinette elle-même. Personne n'était donc mieux placée pour éditer et annoter ces lettres qui cependant, pour l'essentiel, parlent d'elles-mêmes.
Mais n'avoir jamais publié cette correspondance jusqu'à aujourd'hui en dit long sur la manière dont on raconte l'histoire en France. Dans leur livre Entretiens sur Louis XVI, M. et Mme Girault de Coursac en citent un autre exemple : lorsqu'ils se rendirent à Londres pour consulter la correspondance des émigrés, classée avec soin par les archivistes britanniques, ils eurent la surprise d'apprendre qu'ils étaient les premiers historiens français à s'y intéresser !
Ces lettres rappellent tout d'abord que celle qu'on a surnommée « l'Autrichienne » écrivait en français. C'est dans cette langue que la reine écrivait à sa mère, laquelle lui répondait de même. Et quelle langue! Avant même l'intérêt historique de ces lettres, leur intérêt littéraire est évident. Tous y est net, élégant, dépourvu de l'affectation et du jargon qui aujourd'hui envahissent tout; les sujets délicats y sont abordés sans détour, mais sans trivialité.

L'éclat de la jeunesse
Ces lettres datent pour les premières de 1770, date de l'arrivée de l'archiduchesse Marie-Antoinette en France pour épouser le Dauphin. Elle a alors 14 ans seulement; elle en a 18 lorsqu'elle monte sur le trône, en 1774, et Louis XVI a alors 20 ans. La derrière lettre date du matin même de son exécution. La reine a alors 36 ans.
Cette extrême jeunesse est d'une grande importance pour comprendre les débuts de la vie conjugale de Louis XVI et Marie-Antoinette. Il ne faut pas l'oublier non plus quand on se rappelle les reproches de frivolité adressés à Marie-Antoinette. La coquetterie n' est-elle pas naturelle chez une toute jeune femme? Cette jeunesse et cette joie de vivre expliquent aussi la grande popularité de la Dauphine et de la jeune reine, et le charme qu'elle exerça sur son entourage.
Dans ses Réflexions sur la révolution de France, Edmund Burke raconte comment il rencontra la dauphine à l'occasion d'un voyage en France en 1773 : cette vision, dont il garda un souvenir ébloui, est l'un des passages les plus célèbres de son livre.
L'intérêt des lettres de Marie-Antoinette, pour comprendre son rôle historique et le déroulement des événements, est évident. Elles sont ici complétées par les réponses de ses correspondants, lorsqu'elles sont parvenues jusqu'à nous, et des lettres du comte de Mercy, ambassadeur d'Autriche en France, à l'impératrice Marie-Thérèse. Mais on retrouve aussi toute l'atmosphère d'une époque. Il ne s'agit guère des détails de la vie quotidienne (le goût des détails matériels et du pittoresque n' appartient pas au XVIIIe siècle), mais de la manière d'envisager la vie.

Le devoir et l'amitié
L'une des choses les plus frappantes est de voir cette femme, et cette très jeune femme, plongée dans un siècle où légèreté des mœurs et théories fumeuses vont de pair, aussi consciente des devoirs qui lui incombent: devoirs de femme, d'épouse, de mère, de princesse, de reine, de chrétienne. "Vous pouvez bien croire que je sacrifie toujours tous mes préjugés et répugnances, tant qu'on ne me proposera rien d'affiché et contre l'honneur", écrit-elle à sa mère (elle a alors 16 ans).
On ne trouvera jamais dans ces lettres l'esprit superficiel, ricaneur et méchant qui infeste la correspondance de Voltaire, qui passe pour le plus grand épistolier de son époque. C'est un autre XVIIIe siècle, mesuré et fidèle, qui apparaît au contraire dans les lettres de Marie-Antoinette.
La dernière de ces lettres est la plus pathétique, et elle n'est pas la moins belle. Elle fut adressée à Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, à laquelle d'ailleurs elle ne parvint jamais. "Je viens d'être condamnée, écrit-elle, non pas à une mort honteuse, elle ne l'est que pour les criminels, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui innocente, j'espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments." Parlant de ses enfants, elle demande à sa belle-sœur de leur rappeler "que les principes et l'exécution exacte de ses devoirs sont la première base de la vie, que leur amitié et leur confiance mutuelles en feront le bonheur". Devoir et amitié : ce sont des préceptes que tous les parents pourraient transmettre à leurs enfants.
Marie-Antoinette, Correspondance (1770-1793), texte établi et présenté par Évelyne Lever, Tallandier, 910 p.
Pierre de Laubier: Français d'Abord octobre 2005·

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