
Un treizième texte de notre rubrique « Souvenez-vous de nos doctrines » est à retrouver aujourd’hui, d’Hypolute Taine…
Reste un dernier impôt, celui par lequel l’État prend non plus de l’argent, mais la personne elle-même ; l’homme entier, âme et corps, et pendant les meilleures années de sa vie, je veux dire le service militaire. C’est la Révolution qui l’a rendu si lourd ; auparavant il était léger, car, en principe, il était volontaire. Seule la milice était levée de force et, en général, parmi les petites gens de la campagne : les paysans la fournissaient par le tirage au sort.
Mais elle n’était qu’un appoint de l’armée active, une réserve territoriale et provinciale, une troupe de renfort et de seconde ligne, distincte, sédentaire qui, hors le cas de guerre, ne marchait pas ; elle ne s’assemblait que neuf jours par an ; depuis 1778, on ne l’assemblait plus. En 1789, elle comprenait en tout 75 260 hommes et leurs noms, inscrits sur les registres, étaient, depuis onze ans, leur seul acte de présence au corps. Point d’autres conscrits sous la monarchie ; en ceci, ses exigences étaient petites, dix fois moindres que celles de la république et de l’empire, puisqu’eux deux, appliquant la même contrainte, allaient lever, avec des rigueurs égales ou pires, dix fois plus de réquisitionnaires ou conscrits.
À côté de cette milice, toute l’armée proprement dite, toutes les troupes « réglées » étaient, sous l’Ancien Régime, recrutées par l’engagement libre.
Même avec des abus, l’institution avait deux grands avantages. En premier lieu, l’armée était un exutoire : par elle, le corps social se purgeait de ses humeurs malignes, de son mauvais sang trop chaud ou vicié… Cela indique l’espèce et la qualité des recrues ; de fait, on n’en trouvait guère que parmi les hommes plus ou moins impropres à la vie civile et domestique, incapables de discipline spontanée et de travail suivi, aventuriers et déclassés, demi-barbares ou demi-chenapans, les uns, fils de famille, jetés dans l’armée par un coup de tête, d’autres, apprentis renvoyés ou domestiques sans place, d’autres encore, anciens vagabonds et ramassés dans les dépôts de mendicité, la plupart ouvriers nomades, traîneurs de rue, « rebut des grandes villes », presque tous « gens sans aveu » ; bref, « ce qu’il y avait de plus débauché, de plus ardent, de plus turbulent ». De cette façon, on utilisait, au profit de la société, la classe antisociale…
En second lieu, par cette institution, le sujet gardait la première et la plus précieuse de ses libertés, la pleine possession et la disposition indéfinie de lui-même, la complète propriété de son corps et de sa vie physique ; elle lui était assurée, mieux garantie que par les constitutions les plus savantes ; car l’institution était une coutume imprimée dans les âmes ; en d’autres termes, une convention tacite, immémoriale, acceptée par le sujet et par l’État, proclamait que, si l’État avait droit sur les bourses, il n’avait pas droit sur les personnes. Au fond, et en fait, le roi, dans son office principal, n’était qu’un entrepreneur comme un autre ; il se chargeait de la défense nationale et de la sécurité publique, comme d’autres se chargent du nettoyage des rues ou de l’entretien d’une digue ; à lui d’embaucher ses ouvriers militaires, comme ils embauchent leurs ouvriers civils, de gré à gré, à prix débattu, au taux courant du marché.
https://www.actionfrancaise.net/2025/10/25/limpot-du-sang-sous-lancien-regime/
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