Une nouvelle étude de paléogénétique (« Early contact between late farming and pastoralist societies in southeastern Europe ») publiée dans la prestigieuse revue Nature vient apporter une pièce déterminante à l’énigme de l’origine des peuples indo-européens. Sortie le 19 juillet 2023 et intitulée « Early contact between late farming and pastoralist societies in southeastern Europe », elle établit à partir de l’analyse de 135 squelettes situés entre l’Europe du Sud-Est et le nord-ouest de la mer Noire que des contacts ont eu lieu depuis 4 500 avant notre ère entre des groupes d’agriculteurs sédentaires et des populations de pasteurs des steppes dans la région du nord-ouest de la mer Noire.
Ainsi ces contacts se seraient-ils produits plus de 1 000 ans avant l’expansion des cultures de Yamna (ou culture des tombes en fosse ayant existé de – 3 300 à – 2 300 dans le sud de la steppe ponto-caspienne, caractérisée par ses sépultures individuelles sous forme de tumulus où les défunts étaient recouverts d’ocre) et de la Céramique cordée (culture d’Europe du Nord allant des rives de la mer du Nord aux steppes russes ayant perduré de – 3 000 à – 2 300 qui doit son nom à des poteries caractéristiques), les deux vecteurs les plus suspects d’avoir véhiculé les langues indo-européennes, dont l’expansion a démarré vers – 3 300.
Depuis quelques années, un faisceau d’indices concordants pousse linguistes, archéologues et certains généticiens à envisager un foyer originel du proto-indo-européen situé dans la steppe ponto-caspienne, entre le centre de l’Ukraine actuelle et les rives de la Volga, au sein de populations de pasteurs nomades. Si la présence dans la steppe de ces populations (que les généticiens appellent « Steppe Pastoralists » ou « Western Steppe Herders ») était clairement attestée dès – 3 300, quand elles ont entamé leur expansion vers l’Europe, l’Anatolie et l’Asie centrale, l’enjeu est désormais de localiser de manière certaine la géographie de leur lieu de vie durant les millénaires qui ont précédé la naissance des cultures de Yamna et de la Céramique cordée.
Cette idée d’un foyer steppique a néanmoins été remise en question en 2022 par une étude de paléogénétique intitulée « The Southern Arc » publiée dans Science et menée notamment par le laboratoire de David Reich, à Harvard, qui postulait un foyer « indo-anatolien » au nord de l’Anatolie, chronologiquement antérieur au moment steppique. Selon ces chercheurs, les locuteurs du « proto-indo-anatolien » auraient été des chasseurs cueilleurs du Caucase (« Caucasus Hunter-Gatherer » pour les généticiens) et non pas des chasseurs cueilleurs des steppes d’Europe orientale (« Eastern Hunter-Gatherer »).
Mais où vivaient finalement les proto-indo-européens avant – 3 300 ?
D’après les nouveaux squelettes analysés, des contacts anciens, à la fois culturels et génétiques, à partir de – 4 500, sont nettement perceptibles dans les zones de contact à la limite de la steppe, tant dans le Caucase (avec la culture de Maïkop) qu’à l’ouest de la steppe avec les groupes d’agriculteurs sédentaires (localisés dans ce qui est aujourd’hui l’ouest de l’Ukraine, la Moldavie, le nord de la Roumanie). Ces contacts semblent limités à ladite zone de contact, les squelettes de l’hinterland d’Europe du Sud-Est (cultures de Pietrele et de Yunatsite) n’offrent aucune ascendance steppique. A contrario, ces squelettes montrent une résurgence de l’ascendance de chasseurs cueilleurs durant le IVe millénaire avant notre ère. Les chasseurs cueilleurs du Mésolithique (période) forment une des trois ascendances communes à chaque Européen (avec les fermiers venus d’Anatolie au Néolithique et les pasteurs des steppes ayant domestiqué le cheval et apporté les langues indo-européennes). Il semblerait que sans laisser de traces archéologiques importantes, ils aient continué à vivre en parallèle des sociétés sédentaires du Néolithique dans certains espaces européens (Balkans, Europe du Nord, espaces peu peuplés). On retrouve ces contacts précoces avec des steppiques notamment sur les sites archéologiques de Majaky et Usatove situés près d’Odessa. Cela confirme un précédent article publié en 2020, dans Nature, qui montre que la culture agricole dite de Cucuteni-Trypillia, située dans la zone mentionnée ci-dessus, comporte des marques de métissage avec des populations dites steppiques à partir de – 3 500, soit 200 ans avant la grande expansion. Tout cela explique par ailleurs la quantité (minoritaire) d’ADN issu de ces agriculteurs présent parmi les Yamnayas et les membres de la Céramique cordée plus tard.
Ces découvertes sont fondamentales. Elles corroborent le fait que dès – 3 300 au moment où débute la grande expansion des peuples indo-européens depuis la steppe au travers des cultures de Yamna et de la Céramique cordée, les grands lignages patrilinéaires qui constituent plusieurs des sous-groupes de peuples ultérieurs (rameaux balto-slave, indo-aryen, notamment) sont nés à partir du Ve millénaire avant notre ère, et ne sont attestés au départ que par des squelettes dont l’ADN a été séquencé en Europe. On peut en effet connaître l’âge de naissance d’un marqueur patrilinéaire du chromosome Y (à partir de la vitesse de mutation génétique du chromosome). Si les ancêtres des Balto-Slaves et des Indo-Aryens ne se seraient séparés qu’au tout début de la Céramique cordée, vers – 3 000 (lignages patrilinéaires R-Z282 et R-Z93 respectivement), la population, qui donnera plus tard Celtes, Italiques et Germains, se serait séparée quant à elle en – 4 100 des futurs Yamnayas. Son marqueur patrilinéaire (R-L51) n’est attesté par l’archéologie que par des descendants immédiats dans la culture de la Céramique cordée en Bohème vers – 2 800 (en Europe centrale donc). Tout plaide par conséquent pour une ramification ancienne et précoce dans l’espace steppique et d’Europe orientale des différents grands groupes linguistiques indo-européens avant – 4 000.
https://www.revue-elements.com/la-paleogenetique-nen-finit-pas-de-retrouver-les-indo-europeens/
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