samedi 22 avril 2023

Guerre d’Espagne. Michel del Castillo, le grand témoin qui valide le “franquiste” Pio Moa

 

A 89 ans, l’écrivain franco-espagnol Michel del Castillo est un grand témoin du dernier siècle, à cheval sur les deux versants des Pyrénées. Né à Madrid en 1933, il a passé sa prime enfance dans la guerre civile puis le plus clair de sa jeunesse dans les années les plus dures du franquisme.

Malgré cette expérience, ou peut-être à cause d’elle, plusieurs de ses livres portent une vision équilibrée sur toute la période. Au point de rejoindre sur certains points l’historien amateur Pio Moa, dont le livre hérétique, “Les Mythes de la Guerre d’Espagne“, a été traduit l’année dernière en français. Les points communs concernent :

-la responsabilité écrasante de la gauche espagnole dans le déclenchement de la guerre civile

– la nature de plus en plus totalitaire du régime de Front Populaire issu des élections de février 1936, régime qui ne méritait plus le nom de République

– la réévaluation du personnage de Franco, Del Castillo restant cependant plus critique

Dès 1957, “Tanguy” parle des dérives du camp dit républicain

Chez Del Castillo, cette façon de voir est perceptible dès son premier livre, un roman à base autobiographique qu’il publie à son arrivée à Paris dans les années 50 : 

” Tout avait commencé par un coup de canon. C’était la guerre en Espagne. Mais Tanguy [le double littéraire de Del Castillo] ne gardait de ces années que quelques souvenirs confus. Il se rappelait avoir vu de longues queues immobiles devant des boutiques (…) des miliciennes fusil à l’épaule qui arrêtaient les passants pour leur demander leurs papiers (…) avoir pleuré de peur en entendant les “miliciens” frapper à la porte aux premières heures du matin (…)  Le soir, il écoutait sa mère [proche du président républicain jacobin Manuel Azaña] parler à la radio (…) Les communistes l’arrêtèrent un jour (…) il aperçut sa mère derrière des grilles, avec d’autres femmes (…) Il entendit qu’elle expliquait à sa nurse comment chaque nuit des groupes de prisonnières étaient emmenées pour le “paseo” [= la “promenade”, mot désignant les exécutions politiques].” 

(“Tanguy”, Michel Del Castillo, 1957, page 1)

Mal lu et mal compris, “Tanguy” a été pris en son temps pour un livre antifranquiste (1),  ce qui a valu à son jeune auteur d’être adoubé par l’intelligentsia parisienne. Aussi  cette dernière s’est-elle  sentie trahie, quand Del Castillo récidiva à 75 ans, en publiant ” le Temps de Franco”, un livre remarquable par son impartialité  : 

” Dans les rues des grandes villes, Barcelone, Valence, Madrid, Jeunesses socialistes et phalangistes [phalangisme = version espagnole du fascisme, fondé par José Antonio  Primo de Rivera] règlent leurs comptes. Chaque jour, les assassinats politiques font des dizaines de morts [chiffre exagéré]. Feu mon ami Vasquez Montalbàn a écrit que les señoritos de la Phalange abattaient froidement des syndicalistes et des ouvriers dans l’intention de destabiliser la République. J’ai écrit la même chose avec la certitude que c’était la vérité, ce qui prouve que la propagande est un bon aliment pour la paresse de l’esprit. Ayant creusé le sujet, Payne [historien anglais marqué à droite, un des rares soutiens de Pio Moa] démontre que José Antonio, personnage contradictoire, refusa longtemps la violence.”  

(“Le Temps de Franco, récit”, Michel del Castillo, 2008, page 173)

Les pros, moins calés sur la chronologie que les amateurs…

Mais peut-on faire confiance à des amateurs comme Pio Moa et Del Castillo ? Voici en comparaison ce qu’écrit sur le sujet une “pro” de l’histoire, salariée de l’université Paris VIII comme ” spécialiste du genre dans l’Espagne contemporaine” : 

” La radicalisation de la droite est perceptible aussi dans l’apparition des premiers groupes fascistes ou fascisants. En octobre 1933, la Phalange espagnole fit son apparition (…) Contrairement aux JAP [les jeunes du principal parti de droite], les phalangistes et jonsistes ne reculaient pas devant l’usage de la violence, tout comme ne le faisaient pas les milices formées et entrainées par les carlistes [droite paysanne royaliste] dans leurs fiefs basques et navarrais. A leur tour, les organisations ouvrières constituaient des milices armées, comme les MAOC, les Milices antifascistes ouvrières et paysannes, formées par le Parti communiste espagnol au printemps 1933 pour contrecarrer l’activité des groupuscules fascistes. Ainsi les premières victimes des combats de rue tombèrent dès l’automne 1933.”

(“Histoire de l’Espagne contemporaine”, ouvrage collectif, 2017, page 182, chapitre écrit par Mercedes Yusta)

Selon Mercedes Yusta, c’est la droite qui a enclenché la spirale de la violence et la gauche n’aurait agi qu’après coup, pour la “contrecarrer”. Or elle a mal relu sa copie puisque son texte lui-même établit que les milices staliniennes ont été organisées 6 mois avant l’apparition de la Phalange… (2) 

E.P.

1) “Tanguy” est dès sa parution un grand succès international et est resté depuis un classique de la littérature jeunesse. Il raconte le parcours d’un enfant franco-espagnol à travers la guerre civile de 1936-1939, le camp d’internement de Rieucos sous Vichy, un camp de concentration en Allemagne, une maison de correction-orphelinat et une usine dans la Catalogne d’après-guerre.
“Tanguy” n’est pas antifranquiste : le livre est traduit et publié en Espagne en 1959 ; il est salué par Mercedes Fórmica, avocate et femme de lettres phalangiste, dans ABC, le journal conservateur de référence  ; il a été lu et apprécié par Carmen Polo, l’épouse du général Franco ; Del Castillo est reçu en audience par le dictateur, pour parler de la question des maisons de redressement en Espagne.
“Tanguy” n’est pas non plus profranquiste : il se place au point de vue d’un enfant, qui subit les crimes des adultes, quelle que soit leur idéologie. Apolitique, il est dans une logique de pardon et de réconciliation. Y compris avec sa mère, une grande dame de gauche, irresponsable et égoïste, qui est la cause immédiate de ses malheurs.
Jusqu’à quel point “Tanguy” est-il autobiographique ? L’épisode le plus marquant – le camp de concentration nazi- n’est plus guère développé dans les romans et récits ultérieurs de Del Castillo.

 2) A l’automne 1933, selon les données de Pio Moa, toutes les victimes des violences politiques sans exception sont des “fascistes” :  cela commence en novembre 33 par un mort et une blessée grave parmi ceux qui assistaient à un meeting électoral de Primo de Rivera. C’est seulement en juin 34, après une dizaine de morts dans ses rangs, que la Phalange entamera des représailles, en général de façon proportionnée et ciblée sur les milices adverses.
La chronologie et l’étude factuelle des violences politiques (assassinats mais aussi destruction d’églises, d’oeuvres d’art, d’écoles, de bibliothèques, de médias, de sièges de partis politiques de droite) montrent que ce sont les groupes armés de gauche, opérant dans une totale impunité,  qui ont joué la surenchère – jusqu’à l’assassinat en juillet 1936 de José Calvo Sotelo, un des chefs parlementaires de la droite, qui n’avait pourtant rien à voir avec ces affrontements. C’est cet assassinat volontairement provocateur qui a été l’élément déclencheur de la guerre d’Espagne.
Ces violences s’inscrivaient dans la stratégie insurrectionnelle de type “antifa” adoptée à l’été 1933 par Largo Caballero, principale figure du parti socialiste et du syndicat UGT. Deux cycles de violence ont été orchestrées crescendo : en 1933-1934, puis en février 1936, à chaque fois à l’initiative des groupes armés de gauche. Caballero était alors sous l’influence d’Alvarez Del Vayo, un agent de l’Union soviétique.
Les anarchistes avaient précédé les socialistes dans la violence : entre 1931 et 1933, en pleine République et bien avant l’apparition du moindre groupuscule fasciste, les émeutes libertaires avaient déjà causé  280 morts

Verbatim Michel Del Castillo sur le franquisme

Sur la répression franquiste en 1951

[La mère du narrateur est retournée en Espagne et a été arrêtée comme ancienne républicaine] 

Le matin, le chef, un commissaire, est venu me trouver : ” Son fils a fait unebêtise, Monsieur Bouguet, en s’avançant et en l’assurant qu’elle était graciée. Mais soyez tranquille : nous savons qu’elle n’a tué ni fait tuer personne. Rentrez à votre hôtel. L’affaire risque de durer un bon moment, le temps que nous procédions à certaines vérifications. Je vous donne ma parole d’homme qu’il ne lui sera fait aucun mal. Je vous demande de nous aider en attendant son retour sans faire d’esclandre“.

[Elle sera finalement libérée.]

(“Rue des Archives”, roman, 1994, p 118)

Sur Sartre et ses brillantes analyses

Je me suis également rappelé mes rendez-vous avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir (…) dans les années 60. Nous allions manger  la Palette ou à la Coupole (…) Les serveurs  déroulaient un paravent qui nous cachaient de la salle et à peine installés dans notre coin, Sartre allumait sa cigarette avant de me raconter l’Espagne, qu’il connaissait mal, d’analyser le franquisme, qu’il n’avait pas vécu.”

(“L’Adieu au Siècle, journal de l’année 1999”, p 170)

Le destin étonnant d’un anarchiste devenu chef de prison 

Les massacres se seraient poursuivis jusqu’à l’extermination totale si un grain de sable n’était venu gripper la machine. Il s’appelait Melchior Rodriguez, un anarchiste (…) Le nouveau ministre de la justice, lui-même anarchiste, le nomma directeur des prisons (…) Sitôt en place, (…) il donna l’ordre de ne livrer aucun prisonnier sans un mandat signé de sa main (…) Par sa seule présence, il réussit à sauver des milliers de vies.
Comparaissant après la guerre devant un tribunal militaire, de nombreuses personnalités franquistes vinrent témoigner en sa faveur. Quand l’un de ces témoins parla de ses vertus chrétiennes, Melchior se dressa et protesta avec force, disant (… ) qu’il avait agi par humanité, et non par charité. Il fut condamné à une peine légère (…)
Lorsqu’il tomba gravement malade, il fut soigné à l’hôpital Francisco Franco de Madrid où Martin Artajo, ancien ministre des affaires étrangères du Généralissime, lui rendit visite, arborant pour l’occasion une cravate aux couleurs de l’anarchisme, rouge et noire
.”

(“Le Temps de Franco”, récit, 2008, p 256)

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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