mercredi 19 août 2020

Loustaunau-Lacau la Résistance en dissidence

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Fait inédit, une promotion de l’ESM Saint-Cyr doit être « débaptisée »  Le motif ? Son parrain, résistant et déporté, mort en 1955, était un officier de droite nationaliste.

« Quels sont vos nom, prénom, âge, adresse et qualité ? » « Loustaunau-Lacau, Georges. Né le 17 avril 1894. Déporté politique. Habitant à Oloron-Sainte-Marie ».

30 juillet 1945, huitième jour du procès Pétain. Cette franche voix pyrénéenne résonnant devant la Haute Cour, est celle d'un témoin discrétionnaire. Les magistrats veulent en savoir plus sur les liens existant entre le résistant nationaliste Loustaunau-Lacau et le Maréchal. Ce saint-cyrien béarnais, héros de deux guerres, est connu pour ses opinions anti allemandes - cela va de soi - mais aussi anticommunistes. C'est plus délicat, surtout dans la France de 1945. Loustaunau-Lacau est un homme de droite nationale. Sa déposition, prêtée sous serment, transpire de ses opinions. Les magistrats rendent la justice; ils sont vêtus de pourpre et d'hermine. Loustaunau, lui, s’affiche en complet sombre, s'aidant d'une canne. Fondateur du réseau Alliance, il revient de Mauthausen, camp autrichien de sinistre réputation où la Gestapo l'a envoyé en octobre 43. Il y est resté jusqu'à la fin, survivant même aux terribles marches de la mort imposées, onze jours durant, par les geôliers nationaux-socialistes.

De France et de Navarre

C'est donc un revenant qui se présente, à l'été 45, dans le saint des saints de la Justice française. Sa thèse ? Le Maréchal aurait, selon lui, eu parfaitement connaissance de ses activités clandestines sous Vichy, et notamment du réseau Navarre (bientôt baptisé Alliance), alors même que Loustaunau officiait depuis septembre 1940 comme délégué général de la Légion française des combattants, organisation maréchaliste. « Je le dis tout de suite, parce que c'est la vérité, que le Maréchal, quoiqu'il ait fait par la suite n'ignorait rien de ce réseau », déclare le natif de Pau. On n'est pas très loin du glaive et du bouclier évoqués avec bien plus d'emphase par Me Isorni, avocat de Pétain, quinze jours plus tard : « Depuis quand notre peuple a-t-il opposé Geneviève, protectrice de la ville, à Jeanne, qui libéra le sol ? Depuis quand, dans notre mémoire, s'entrégorgent-elles, à jamais irréconciliables ? ». Déjà, en 1938, la découverte de ses activités clandestines - il veut dénicher les cellules clandestines dans l'Armée - a valu à Loustaunau-Lacau d'être sanctionné par ses supérieurs et par Daladier. On le suspecte d'être cagoulard. Après-guerre, en 1947 c'est à nouveau son activisme anticommuniste qui le fait comparaître devant les juges. On l'accuse d'avoir participé au « Plan Bleu », projet de complot visant à prendre le pouvoir en France, face au péril rouge. Chou blanc : l'inusable Loustaunau est libéré et s'adonne désormais à la politique, devenant en 1951 député des Basses-Pyrénées sous la bannière conservatrice des « Français indépendants ». Commandeur de la Légion d'honneur, ce vieux briscard des droites s'éteint en 1955 sur la terre ancestrale qui lui avait inspiré son nom d'emprunt et celui de son réseau : Navarre. Le même jour, il est fait général. Ses obsèques ont lieu aux Invalides, panthéon des braves.

Une affaire politique

Ce nom aurait pu sombrer dans l'oubli douillet des gloires poussiéreuses, si la 203e promotion de Saint-Cyr (2016-2019) n’avait décidé d'en faire son parrain. Choix dûment accepté par la hiérarchie et par les services du Ministère. La presse ne s'en émeut guère, jusqu'à l'annonce subite, par le porte-parole de l'Armée de Terre, du « débaptême » de la promo. Motifs invoqués un tel patronage ne se révélait finalement pas « acceptable », en raison des activités du général entre les deux guerres. On lui reproche essentiellement d'avoir dirigé deux publications d'extrême-droite, anticommuniste et antisémite. Que Loustaunau-Lacau ait été, en sus d'un officier, un activiste de droite nationale, nul ne le conteste. Qu'il ait été proche du Maréchal et animateur de la Légion des combattants, non plus. Mais cela doit-il effacer les mérites de l'homme ? Répétons Croix de guerre 14-18 avec palmes, sept citations et trois blessures pendant la Grande guerre - « comme tout le monde », confessa-t-il avec humilité résistant et déporté politique député commandeur de la Légion d'honneur. Et il ne ferait pas un bon parrain pour une promo de cyrards ?

Un « débaptême » est inédit dans l'histoire de la Spéciale. De Gaulle lui-même avait refusé qu'on débaptise la promo Pétain (1940-1942). Le communiqué de l'Armée de Terre (17 novembre) évoque notamment le souci de choisir une personnalité plus consensuelle, l’affaire Loustaunau-Lacau a quitté les cénacles de la seule Grande Muette, pour acquérir une dimension publique et politique. Histoire, mémoire et politique se mêlent en effet intimement sur ce dossier.

En première ligne, on trouve Jean-Dominique Merchet, journaliste chez L'Opinion et spécialiste, pour le compte de ce média libéral et européiste, des questions de défense. Depuis que l'affaire a éclaté, Merchet a consacré deux articles à l'affaire. Cet ancien journaliste de Libération, auteur en 2017 d'un ouvrage intitulé Macron Bonaparte (sic !) s'y félicite du choix de l'Armée de Terre : pas de « figure d'extrême-droite » à Saint-Cyr ! Dans le même article (18 novembre), alors même que la polémique sur l'hommage nationale à Pétain bat son plein, Merchet pointe le « repli identitaire de certains cercles dirigeants de l'armée française », qui « n'en reste pas moins inquiétant » !

Merchet évoque en outre une note émise par le service historique de l'armée allemande, selon laquelle Loustaunau aurait, en septembre 1940, proposé par courrier ses services au Reich, dans une perspective anticommuniste. Non content d'être anticommuniste et antisémite, voilà le Pyrénéen devenu agent pronazi ! Le communiqué militaire français aborde aussi ce courrier, mais en expédiant rapidement et prudemment l'affaire : « l'appréciation du contexte et de la portée de cet écrit reste à mener ». Et pour cause ! Loustaunau fonde trois mois plus tard le réseau Navarre/Alliance, comme le précise le même communiqué français. Ce qui est certain, c'est qu'à cette époque, le Béarnais joue justement de ses contacts à Vichy pour tisser sa toile. Son engagement maréchaliste est une couverture efficace. Le réseau Navarre/Alliance, qu'il mène avec Marie-Madeleine Fourcade, est en liens étroits avec l'Intelligence Service, le renseignement britannique. C'est en Afrique que le vichysto-résistant entend poursuivre ses activités anti allemandes mais Weygand le fait arrêter. Évadé, puis repris dans sa ville natale de Pau, il est jugé à Clermont-Ferrand puis interné à Vichy. On le livre à la Gestapo. C'est non loin de l'Hôtel du Parc (résidence du Maréchal) que Loustaunau subit cinquante-quatre interrogatoires, sous l'autorité du capitaine SS Geissler, bourreau de nombreux patriotes français. Condamné à mort - en voilà, un vrai nazi ! -, il subit alors les affres de la déportation. On connaît la suite.

Les catacombes de la droite résistante

Il est malheureux que le nom de Loustaunau-Lacau revienne sur le devant de la scène en vertu d'une polémique avilissante. Cela ne concerne pas que les saint-cyriens, dont on imagine par ailleurs l'émoi : l'affaire intervient précisément à un moment où les élèves-officiers de la 203e promotion sont dispersés à travers le monde, dans le cadre de leur formation. C'est la nation elle-même qui est touchée par le scandale. Car l'authentique scandale, c'est l'oubli total dans lequel est tombée la résistance de droite, nationaliste et anticonformiste. Parfois gaulliste, parfois giraudiste, disposant de réseaux propres ou agissant de concert avec d'autres structures transversales, la droite combattante n'a à rougir devant personne. Alliance (438 morts) constitue, avec la Confrérie Notre-Dame du maurrassien breton Gilbert Renault (alias colonel Rémy), l'un des principaux réseaux de résistance française. En 2016, un beau documentaire de la chaîne Histoire, alors dirigée par Patrick Buisson, avait été consacré à cette geste méconnue (voir Monde&Vie n°926, juillet 2016) « Au premier rendez-vous de la résistance ». Éric Deroo, réalisateur du documentaire, expliquait alors dans nos colonnes « ce ne sont pas les motivations politiques qui font les engagements en 1940, mais une réaction patriotique. C'est ainsi que des hommes de droite entrent en résistance. Ajoutez à cela que, pour certains, dans les milieux d'extrême-droite, la clandestinité est familière […] À droite, la lutte est nationaliste, tandis que beaucoup de communistes, lorsqu'ils entreront en résistance, le feront par idéologie internationaliste ». Un thème qui est devenu le cheval de bataille de l'historien Simon Epstein, auteur en 2008 d'un tonitruant ouvrage, Un paradoxe français : Antiracistes dans la Collaboration, Antisémites dans la Résistance (Albin Michel). Selon Epstein, « le poids de l’extrême-droite est considérable dans la résistance non communiste. Replacé dans la Résistance des débuts, quand il n'y avait personne ou presque, leur apport est crucial ».

Il est singulier qu'à l'heure du macronisme, on ne comprenne plus qu'on ait pu être « en même temps » nationaliste - avec tout ce que cela comporte dans le contexte des années 30 et 40 - et résistant. Mais c'est peut-être, justement, cette défiance du pouvoir envers toute forme de nationalisme qui explique le scandale. L'oubli doit donc demeurer, dans un silence de catacombes.

Dans ce vide, résonne de manière plus poignante encore le refrain du chant de la promotion Loustaunau-Lacau : « Pour votre vie qui fut Résistance, nous marcherons dans vos pas. Vous avez tout donné pour la France, et la France vous le rendra. »

François La Choüe monde&vie 6 décembre 2018 n°963

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