dimanche 22 mars 2020

Apprendre à survivre avec G. K. Chesterton

Apprendre à survivre avec G. K. Chesterton.jpegL'Univers de G, K. Chesterton. Petit dictionnaire raisonné, par Philippe Maxence, Via Romana, 310 pages.
Paul Claudel l'avait traduit, Charles Maurras et Henri Massis l'avaient étudié, puis, lentement mais sûrement, G. K. Chesterton (1874-1936) est tombé dans l'oubli de ce côté-ci de la Manche jusqu'à ce que, ces dernières années, des éditeurs ne s'avisent qu'il manquait à leur catalogue les écrits de celui qui est considéré, à juste titre, comme l'un des plus grands écrivains anglais. Furent ainsi réédités Les Enquêtes du père Brown en un fort volume de la collection Omnibus et, cet automne, l’Oeil d'Apollon (éd. du Panama), recueil de cinq contes publié naguère par l'immense écrivain argentin José Luis Borges, qui tenait Chesterton pour « l’un des premiers écrivains de notre temps et ceci non seulement pour son heureux génie de l'invention, pour son imagination visuelle et pour la félicité enfantine ou divine que laisse entrevoir chaque page de son œuvre, mais aussi pour ses vertus rhétoriques, pour sa pure virtuosité technique ».
Le journaliste et essayiste Philippe Maxence, rédacteur en chef de L'Homme nouveau et critique littéraire à Monde & Vie, n'a pas attendu ce « revival » pour se passionner pour Chesterton, sur l'œuvre duquel il a déjà écrit un ouvrage introductif (Pour le réenchantement du monde, Ad Solem, 2004) et sur lequel il tient un blog aussi réactif qu’érudit. L’Univers de G, K. Chesterton est, comme l'indique son sous-titre, un « dictionnaire raisonné », à savoir un volume de citations dont le choix ne doit rien au hasard et tout à la profonde connaissance que Maxence a acquise de la pensée de celui qu'il décrit comme « apôtre du bon sens, jongleur du paradoxe, serviteur du Christ, fou de la vierge Marie, défenseur des petites nations, amoureux de la vie et ami de l'enfance ».
De A à Z, ou plutôt de A comme Abstraction à W comme Wilde (Oscar), Maxence fait ressortir l'évolution spirituelle d'un Chesterton qui, devenu agnostique après être né anglican, se fera catholique intransigeant, au point d'écrire dans La Vie catholique : « Après une longue période d'étude et de réflexion, j'en suis venu à la conclusion que les maux dont souffre l'Angleterre - le capitalisme, l'impérialisme brutal, l'industrialisme, la richesse malhonnête, le naufrage de la famille - résultent du fait que l'Angleterre n'est pas catholique. » Dommage que ne figure pas en regard le texte qu'un certain Albino Luciani publia en juin 1971 dans un journal italien sous le titre « Le messager de saint Antoine », lettre adressée par-delà les ans à son « Vieux Chesterton » par celui qui allait passer à la postérité sous le nom de Jean Paul Ier.
« Il est vain de vouloir distinguer chez Chesterton l'écrivain et le chrétien », explique Philippe Maxence, comme il est impossible de comprendre le courant « distributiste », dont il se fit le théoricien et le propagateur, avec son contemporain Hilaire Belloc, sans le placer dans la continuité en quelque sorte organisationnelle de la doctrine sociale de l’Église, et sa critique du monde moderne, qui « dépasse en bouffonnerie les caricatures les plus satiriques », est plus qu'actuelle, prophétique : « Le capitalisme fait la guerre à la famille, analysait Chesterton, pour la même raison qu'il combat les syndicats. Le capitalisme veut le collectivisme pour lui, l'individualisme pour ses ennemis. Il veut que ses victimes soient des individus ou, en d'autres termes, des atomes, […] S'il existe un lien, un sentiment de fraternité, une discipline familiale, grâce à quoi les pauvres puissent s'entraider, ces émancipateurs luttent pour relâcher ce lien, ou détruire cette discipline, […] Ces individualistes s'efforcent de mettre les individus en liberté ou plutôt cherchent à l'écraser afin qu'il n'en reste plus que des atomes. »
Sous des allures de dictionnaire, c'est en fait un manuel de savoir-comprendre, voire de savoir-survivre ou même de savoir-combattre que nous fournit Philippe Maxence.

Bruno Larebière Le Choc du Mois novembre 2008

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