jeudi 23 novembre 2017

Centenaire de la Révolution d’Octobre

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Francis Bergeron
Bien entendu, on sait tout du communisme, de ses crimes, de son projet utopique et mortifère, de ses échecs aussi, de sa quasi-disparition en Europe. On sait tout, mais la mémoire doit être constamment ravivée. Et le centenaire du « communisme réalisé », sous Lénine, puis Staline et les autres, est une bonne occasion de faire notre « devoir de mémoire » à nous.
Parmi les livres publiés à cette occasion, il convient de signaler celui de Christian Bigaut, Communisme, le centenaire – Séduction et illusion. Cet ouvrage n’est ni un témoignage, ni une démonstration, ni un pamphlet. Il ne propose aucune alternative au communisme, politique ou religieuse, et ne porte pas de jugement de valeur. Il ne fait que raconter le communisme, en 200 pages. C’est en fait une sorte de manuel universitaire, un précis du communisme, comme vous pouvez trouver un précis du droit administratif ou du droit constitutionnel.
Rien d’étonnant à cela : l’auteur, Christian Bigaut, n’est pas écrivain, journaliste, militant, et pas même une victime. C’est un juriste, l’un des plus reconnus dans sa spécialité : le droit public.
C’est tout l’intérêt de son livre : il traite du communisme, de son histoire, de son bilan, comme il traite par exemple, dans d’autres ouvrages, de la Constitution et de ses réformes successives. C’est une sorte de manuel qui peut – qui devrait – être conseillé à tout étudiant en histoire, en sciences politiques, en économie.
Il commence par rappeler que le communisme fut la rencontre d’un événement historique : la prise du Palais d’Hiver, avec une philosophie, considérée comme scientifique, le communisme. Résumer en quatre pages ce qu’est le communisme est une gageure. Mais l’ouvrage y parvient.
À l’origine : la Révolution française
Comment expliquer l’acclimatation du communisme en France ? Le manuel identifie sept moments qui l’ont légitimé, la France ayant constitué un terreau spécialement favorable à cette nouvelle doctrine.
Le premier fait historique, c’est la Révolution française. Avec Robespierre et Gracchus Babeuf, elle fait naître une idéologie. La Conjuration des égaux, menée par Babeuf, a inspiré à Blanqui, puis à Lénine, l’idée de la dictature révolutionnaire et du rôle des minorités agissantes. La Révolution française a créé une dynamique révolutionnaire intégrant et même nécessitant la violence. Cette tradition plébéïenne, ce mythe révolutionnaire vont ensuite irriguer l’aile gauche, jacobine, pendant deux siècles. Tocqueville, ironique, notait que « les Français préfèrent l’égalité dans la misère à la prospérité dans l’inégalité ».
Le deuxième fait est la révolution de 1848, qui correspond à la publication du Manifeste du Parti communiste. L’époque voit naître une « classe ouvrière ». L’échec de l’insurrection de 1848 légitime le concept de « lutte des classes » imaginé par Karl Marx dans son Manifeste.
La Commune de Paris va enrichir le communisme naissant du mythe du sang révolutionnaire versé, la répression de l’insurrection parisienne ayant fait 20 000 morts ; et aussi le mythe de la trahison des droites, par la capitulation de Paris face aux Prussiens. La violence, le drapeau rouge, les barricades : l’imagerie communiste se façonne.
La réussite de la révolution bolchevique d’octobre 17 est appréhendée comme une confirmation du caractère scientifique des schémas marxistes.
Autre épisode : en France, l’alliance des gauches au sein du Front populaire, avec le soutien extérieur des communistes français, permet à ceux-ci, lorsque l’expérience socialiste vire au fiasco, de fustiger le non interventionnisme en Espagne et les demi-mesures sociales. Le pacte germano-soviétique remet en cause le discours des communistes français mais, comme le note l’auteur, « l’histoire communiste ne retiendra que le gouvernement du Front populaire et son action sociale ».
La sixième séquence, c’est la libération de 1944 et la participation des communistes au gouvernement. Le PCF est devenu « statutaire », ce qui facilitera la mainmise communiste sur la CGT.
L’Humanité, monument à préserver
Chritian Bigaut analyse comme un « septième fait » la prédominance de la politique sur l’économie et le refus de l’économie de marché. Après la guerre, la place de l’Etat est prépondérante en France : c’est « un acteur surpuissant », dont le budget représente plus de la moitié du total des richesses créées. Ce semi-communisme va dominer toute la vie politique et intellectuelle quasiment jusqu’à nos jours. « L’historique du PCF souligne, avec quelques soubresauts, l’intégration du parti à la vie nationale », explique l’auteur, qui rappelle par exemple que le quotidien L’Humanité reçoit encore aujourd’hui l’aide d’Etat directe (hors abonnements de complaisance des administrations et entreprises publiques ou semi-publiques et effacement des dettes) la plus importante : 3,6 millions d’euros par an. Un peu comme si, pour les Français, L’Humanité était une sorte de monument à préserver, même si plus personne ne le visite.
De 1917 à la fin des années soixante-dix, le communisme va incarner une sorte d’alternative planétaire à l’ordre du monde, marquée par des victoires militaires et la séduction croissante des esprits.
Puis surgissent les premiers craquements (Yougoslavie, Chine, révoltes populaires en RDA, en Hongrie, en Tchécoslovaquie), et, progressivement, la dissidence intellectuelle, à l’Est mais aussi dans l’intelligentsia occidentale et singulièrement française.
Avant de terminer son tour d’horizon par un descriptif rapide de l’écroulement du modèle soviétique et par une analyse fine de l’état des lieux dans les autres Etats communistes ou ex-communistes, Christian Bigaut attire l’attention sur deux étapes de la décommunisation des esprits : la publication de L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne (1974), et Le Livre noir du communisme, de Stéphane Courtois (1997). C’est plus par la découverte de l’ampleur de la catastrophe humaine que par l’échec économique, social, culturel, scientifique, de l’utopie que va disparaître la séduction communiste. Certes, il n’existe pas de lois contre les négationnistes du génocide communiste. Mais ni Soljenitsyne ni Courtois n’ont pu être sérieusement contredits, créant ainsi les conditions d’une levée des tabous sur la critique de fond du système communiste.
Dans sa conclusion, Christian Bigaut note que la doctrine marxiste est désormais répudiée à peu près partout, si ce n’est en Corée du Nord, mais que la concentration des pouvoirs, dans un pays-continent comme la Chine, n’exclut pas une rechute. Néanmoins, « les schémas explicatifs marxistes continuent de structurer le substrat idéologique dominant », tout au moins en France et dans plusieurs autres pays.
• Communisme, le centenaire. Séduction et illusion, par Christian Bigaut, L’Harmattan, 2017.
Article paru dans les colonnes du quotidien Présent.
Source EuroLibertés 

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