mercredi 27 juillet 2011

22 avril 1961 : dernière révolte des centurions avant qu’ils ne deviennent gendarmes

C'était il y a cinquante ans. Un anniversaire que chacun s'empresse, l'ayant essentiellement dénaturé, de repousser dans le trou de l'Histoire. Les gaullistes au premier chef parce qu'il s'inscrit dans le XXe siècle comme l'un des plus honteux de leur Histoire qu'on dira palinodique tant elle est fertile en volte-faces, revirements, apostasies. Disons-le, en trahisons. Ne s'agissait-il pas plutôt d'une rébellion de centurions trahis par un État qui depuis des années les traitait sans égards ni respect, comme il l'eut fait de ses gendarmes ? Or si la vocation du gendarme n'a jamais été de sacrifier sa vie, c'est souvent cela le destin du centurion. Les gnomes d'État ne manquant jamais une occasion de se couvrir de leur gloire.
Pourtant reste à savoir, après un demi-siècle de recul, si les événements de ces quatre jours certes dérisoires mais aux conséquences incalculables sur notre destin, n'ont pas une fois de plus précipité ce peuple et cette armée dans une épouvantable duperie.
« L'Armée a pris le contrôle de l'Algérie et du Sahara... ». Un bref communiqué répété ce samedi 22 avril 1961 sur la radio d'Alger à partir de 7 heures, résume les graves événements de la nuit. Se lève sur la capitale une belle journée, fraîche et légère, comme elles le sont souvent en début de printemps. Une atmosphère de fête frémit sur la ville, parcourue en tous sens par des hommes léopards. Alger a pris l'habitude depuis des années d'accompagner le retour des parachutistes d'espoirs fous. Pendant quelques heures, l'illusion, rapidement dissipée, redonnera corps au fantasme d'un autre 13-Mai venu gommer lâchetés et trahisons.
Une illusion qui ne dura que quelques heures. Des milliers de jeunes pied-noirs regroupés sur tout le territoire, se convainquirent que serait immédiatement appliqué le « plan Salan », dont on connaissait les grandes lignes. Mobilisation des bataillons territoriaux dissous après les Barricades, 13 mois plus tôt, et levée de huit classes sur place afin de remplacer le contingent renvoyé sans perdre de temps en métropole. Les unités « opérationnelles » demeurant pour achever leur travail d'éradication de l'ALN.
C'était oublier que les représentants de la faction civile, installée en Espagne, Lagaillarde, Ortiz, Susini, le général Salan et quelques colonels très “politiques” comme Lacheroy et Gardes, n'étaient pas de la fête si les derniers s'y invitèrent par leurs propres moyens. Le 3 décembre 1960 à Madrid, était née l'Organisation Armée Secrète dont le sigle, OAS, ne deviendra célèbre qu'après la reddition de l'organisateur du Putsch, le général Challe.
Sans doute les généraux Salan et Jouhaud tentèrent-ils de transformer la rébellion militaire en révolution tout court. Ils se heurtèrent à la mauvaise volonté de Challe strictement intéressé par l'achèvement du plan de paix portant son nom : conclure la pacification, détruire le FLN, montrer à De Gaulle que la Guerre d'Algérie pouvait être gagnée dans le djebel. Sauf qu'en Algérie seul le Sahara l'intéressait. Désengagement algérien, retour sur l'Hexagone, tels étaient ses projets. Et surtout la désintégration de cette armée trop politique qu'il s'agissait de remplacer par l'outil professionnel technique qu'elle est devenue aujourd'hui, bras fliqué et docile du Nouvel Ordre Mondial.
UNE ARMÉE DE “QUILLARDS”
Il faudra 24 heures à Challe pour comprendre que la majorité des cadres de l'armée d'Algérie, gardait un œil sur l'échéance de la solde, l'autre sur les tableaux d'avancement. Une vingtaine d'unités d'élite, seulement, pour la plupart appartenant aux 10e et 25e Divisions Parachutistes échappaient à ce désolant schéma.
Deux heures suffirent à Salan pour saisir à quel point le contingent de bidasses hilares, brandissant leurs quilles et leurs slogans communistes, rendait leur tentative suicidaire : toute révolution devrait se faire contre cette troupe et pas avec elle. Parce que l'image lui convint ainsi qu'aux média, De Gaulle s'empressa de l'imputer à son discours du 23 avril. Glorifiant les « 500 000 gaillards et leurs transistors ». Mais, intervention ou pas du général, les comités de soldats contre le fascisme se fussent constitués. Les “putschistes” eux-mêmes étaient divisés en deux camps. Militaires et révolutionnaires. Les premiers, majoritaires, se regroupaient derrière Challe : « Rétablir l'ordre républicain ». Au quatrième jour ils se rendirent, l'honneur était sauf, l'unité de l'armée préservée. Hélie Denoix de Saint Marc, qui commandait par intérim le 1er REP, s'il condamna sa carrière militaire, était de ceux-là. Il n'était pas un soldat politique comme la plupart de ses jeunes officiers et légionnaires. Il expliqua cependant au tribunal qui le jugeait pourquoi il se trouvait devant lui. « On peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir. C'est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer... ». Les seconds, souvent « Français par le sang versé », allèrent beaucoup plus loin que St Marc et furent dans les mois qui suivirent, l'un des bras armés de l'OAS. Dans l'épilogue tragique de la Guerre d'Algérie que fut le « maquis de l'Ouarsenis » où l'armée française pourchassa au coude à coude avec le FLN les derniers combattants de l'OAS que mitraillait l'aviation, un nombre considérable d'entre eux, officiers et soldats, étaient issus du 1er REP.
Derrière Salan, Jouhaud, Vanuxem, Faure (ces deux derniers arrêtés à Paris dès le 22 avril) très impatients de réaliser la symbiose entre population civile et armée révolutionnaire issue des troupes parachutistes et légionnaires, l'organigramme de l'OAS, constitué après le putsch, est un véritable répertoire des techniciens de la guerre subversive qui ont en trois ans détruit le FLN. Lacheroy, Argoud, Godard, Trinquier, Guillaume, Château-Jobert, Dufour, Vaudrey, de Sèze, Roy. Guidés par la haute autorité morale de Jean Gardes et de Joseph Broizat, ce dernier, souvent défini comme un « moine/soldat », docteur en théologie, en sciences et en histoire, jusqu'à ses derniers instants tourmenté par les plus profondes interrogations de l'exégèse humaniste. S'ajoutèrent à eux par dizaines les capitaines et lieutenants les plus brillants. Roger Degueldre, Loustau, Sergent, Souêtre, Bernard, Ponsolle, Labriffe, de la Bigne, Curutchet, Léger, Branca, Montagnon, Godot, Delhomme, Picot d'Assignée, de la Tocnaye, De Condé, Collin, Pouilloux, Kayannakis, le Pivain, Holeindre, de Saint Rémy etc. L'élite des jeunes officiers français d'alors. Pendant près d'une dizaine d'années ne fut-il pas de tradition que les premiers de St-Cyr intègrent les régiments parachutistes et légionnaires ?
Très tôt est apparue une fracture irrévocable entre cette armée citoyenne, utilisée dans une guerre d'horreur taillée au mensonge et à la trahison par le « pouvoir de fait » et celui-ci acharné à la destruction de cette armée-là. Personne plus clairement que Jean Marie Bastien-Thiry tenant tête à ses juges/bourreaux, n'en démontra les sophismes dont il se nourrissait : « Malgré l'extraordinaire mauvaise foi des hommes au pouvoir, malgré leur extraordinaire cynisme, c'est une vérité qu'il y a eu, qu'il y a en France et en Algérie, des milliers de morts et de martyrs, qu'il y a des milliers de disparus et des centaines de milliers d'exilés, qu'il y a des camps de détention et de tortures, qu'il y a eu de nombreux viols et de nombreux massacres, qu'il y a des femmes françaises obligées de se prostituer dans les camps du FLN. C'est une vérité que le pouvoir défait aurait pu épargner ou limiter toutes ces horreurs s'il l'avait voulu; mais c'est une vérité qu'il ne l'a pas voulu ».
DE GAULLE : EN FINIR AVEC LES PIEDS-NOIRS ET LES PARAS
Il ne l'a pas voulu ! Et c'est là toute la fracture. Comme ne l'a pas voulu l'immense horde de lâches, de gauche, de droite, d'extrême gauche et du centre, qui s'agglutina derrière ce pouvoir. Les uns et les autres ayant pour priorité l'annihilation des “colons” et celle des soldats révolutionnaires qui depuis un siècle - La Guerre des Boers - font trembler le pouvoir intello-médiatique régnant exclusivement sur le droit de penser en Occident.
Cette armée désira ardemment se débarrasser de Charles de Gaulle. La France “moderne” dont il rêvait, et dont ceux qui le commanditaient voulaient, exigeait nécessairement l'éradication de toutes les forces profondes enracinées dans ce pays. À commencer par les soldats révolutionnaires d'Algérie.
À partir du 24 avril, sur décision du président de la République actionnant l'Article 16, 150 officiers seront traduits devant des tribunaux spéciaux. Puis 534 autres feront l'objet de sanctions disciplinaires ou “statutaires”. On casse tout ce qui pue « l'Algérie Française » dans la nouvelle armée. Les trois régiments parachutistes, fer de lance du putsch, 1er REP, 18e et 14e RCP, l'élite des troupes de choc, sont dissous, leur encadrement - les meilleurs sous-officiers et officiers parachutistes - est purgé. La voie est libre. L'armée des bidasses et la gendarmerie réorganisées peuvent combattre l'OAS. Puis la population européenne - bombardements d'Oran et de Bab el Oued, massacre de la rue d'Isly. Pour en arriver, à partir du 19 mars 1962, à une collaboration directe entre les forces françaises - “barbouzes”, Mouvement Pour la Communauté, Sécurité Militaire, Gendarmerie Mobile, CRS, Mission C. - et le FLN dans les massacres et les enlèvements de centaines d'Européens. Le bouquet final étant la destruction des maquis de Saint Ferdinand et de l'Ouarsenis.
Cette armée-là, qui depuis 1945, fait la guerre qu'on lui a dit de faire, contre l'ennemi sans conscience qu'on lui a désigné, avec les armes qu'on lui a données, mitrailleuses et hélicoptères, face à des armes autrement redoutables, la terreur, le découpage en lanières, sur les places publiques, des civils réfractaires, l'immense collaboration planétaire des lâches intello-médiatiques qui accaparent « l'espace de cerveau humain disponible » pour y enfoncer leur marxisme, cette armée-là une fois achevée sa tâche a été catapultée devant des cours spéciales dont les procureurs et les juges étaient ceux qui leur avaient enjoint de se salir les mains. À Nuremberg aussi étaient couverts d'hermine les assassins de Dresde et d'Hiroshima, des filles enceintes clouées vivantes à l'Est sur les portes des granges, des milliers de Waffen-SS de 20 ans sommairement abattus, des dizaines de milliers de réfugiés de la Baltique coulés par des sous-mariniers héros de l'Union Soviétique et des bouchers/pilotes décorés de la RAF, ou encore des petites berlinoises violées par des files de GI nègres ou de Kalmouks à étoile rouge.
Pierre Abramovici, grand reporter de la télévision, dans un livre d'une grande pertinence, « Le Putsch des Généraux » (mars 2011), offre une théorie rendue séduisante par le recul. De Gaulle avait besoin de casser et l'obstination des Pieds-Noirs et cette minorité révolutionnaire représentée par les troupes de choc. Certes il lui devait la victoire militaire mais elle s'opposait à son projet de négocier avec le GPRA le troc de l'indépendance contre la libre disposition du Sahara. Le putsch - agencé par ses officines - lui permettra de dissoudre les corps d'élite, d'exploser cette aristocratie intellectuelle et tactique représentée par les officiers de paras et de Légion. Puis, les remplaçant par une armée sans âme, par des gendarmes et des “barbouzes”, il écraserait l'OAS avec l'aide de ses nouveaux amis du FLN. Ce tour de force il l'aura réalisé en quatorze mois. Depuis 50 ans, la France n'a pas fini d'en payer le prix.
René BLANC. RIVAROL 22 AVRIL 2011

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