lundi 23 mai 2011

Adam Smith, la dette et les politiques impériales

M’intéressant à la pensée traditionnelle britannique, je me suis replongé dans Adam Smith, et j’ai eu ainsi le bonheur de découvrir que je n’étais pas devenu antilibéral ; mais que c’était les libéraux, néolibéraux, usurpateurs se faisant passer pour tels, qui déconsidéraient, en s’en réclamant, cette belle philosophie et cette belle interprétation de la vie. En réalité, que ce soit en Amérique ou ici, nous sommes dirigés par des bonapartistes et ce qui va avec : personnel d’aventuriers et de chevaliers d’industrie, dette publique folle, aventurisme militaire, tourisme colonial et humanitaire à connotation souvent sanglante.
Mais j’en reste à Adam Smith ; devant un génie les commentaires sont superfétatoires. S’agissant de la dette publique, il écrit d’une manière prémonitoire :
Le progrès des dettes énormes qui écrasent à présent toutes les grandes nations de l’Europe, et qui probablement les ruineront toutes à la longue, a eu un cours assez uniforme.

Les technocrates et politiciens aux abois qui ont prolongé l’agonie de la Grèce, de l’Europe et de l’europ feraient mieux de relire ces lignes :
Un fonds d’amortissement, quoique institué pour payer les dettes anciennes, facilite extrêmement les moyens d’en contracter de nouvelles.
Les Etats se sont tous surendettés depuis trente ans en augmentant la dépense publique, y compris ceux qui se disaient libéraux. Et depuis trente ans les niveaux de vie ont tous baissé en Amérique, au Japon ou en Europe. Encore une fois, Adam Smith explique pourquoi :
Le capital avancé au gouvernement par les premiers créanciers de l’Etat était, au moment où ils ont fait cette avance, une portion du produit annuel, qui a été détournée de faire fonction de capital pour être employée à faire fonction de revenu, qui a été enlevée à l’entretien des ouvriers productifs pour servir à l’entretien de salariés non productifs, et pour être dépensée et dissipée dans le cours, en général, d’une seule année, sans laisser même l’espoir d’aucune reproduction future…
L’explosion du nombre de salariés non productifs en France, en Europe, en Amérique, est en effet une donnée de la dernière ligne droite occidentale. En France on sait que c’est au nom du social, du sozial, comme disait Céline, que l’on a ruiné le pays. En Amérique, où l’on a préféré le beurre au canon, c’est au nom de l’impérial… Et Adam Smith tourne le dos non seulement à l’empire britannique mais aussi au colonialisme français ou au militarisme planétarisé à l’américaine.
Il y a déjà plus d’un siècle révolu que ceux qui dirigent la Grande-Bretagne ont amusé le peuple de l’idée imaginaire qu’il possède un grand empire sur la côte occidentale de la mer Atlantique. Cet empire, cependant, n’a encore existé qu’en imagination seulement. Jusqu’à présent, ce n’a pas été un empire ; ce n’a pas été une mine d’or, mais le projet d’une mine d’or ; projet qui a coûté des dépenses énormes, qui continue à en coûter encore, et qui nous menace d’en coûter de semblables à l’avenir, s’il est suivi de la même manière qu’il l’a été jusqu’à présent, et cela sans qu’il promette de nous rapporter aucun profit ; car, ainsi qu’on l’a déjà fait voir, les effets du commerce des colonies sont une véritable perte au lieu d’être un profit pour le corps de la nation.
Le chapitre sur la dette est exemplaire de notre grand humaniste, qui puisait son inspiration dans les faits, les chiffres et les classiques grecs et latins, pas dans les blouses des femmes de chambre… Ce n’est pas un hasard, car il pressent quelque part la fin du monde, le nôtre, lié au mensonge des politiques toujours soucieux de bien faire et donc de dépenser plus.
Certes, il est bien temps aujourd’hui qu’enfin ceux qui nous gouvernent ou réalisent ce beau rêve d’or dont ils se sont bercés eux-mêmes peut-être, aussi bien qu’ils en ont bercé le peuple, ou bien qu’ils finissent par faire cesser, et pour eux et pour le peuple, un songe qui n’a que trop duré. Si le projet ne peut pas être mené à sa fin, il faut bien se résoudre à l’abandonner.
Ils ne l’abandonneront pas.

On pourra lire ou relire ces remarques du grand oeuvre du vrai libéralisme, pas du tout hostile à l’Etat traditionnel d’ailleurs (cf. le début du livre 5), dans le chapitre 3 du livre 5 des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. A l’heure où l’on fête les 15 000 milliards de dollars de la dette publique américaine, ou les 1 600 milliards d’euros de la dette française (soit dix mille milliards de francs tout de même), on se devrait d’apprécier enfin et de lire ses classiques. Et l’on se demandera s’il n’y a jamais eu un libéral dans la classe politique mondiale, sinon en Chine…
par Nicolas Bonnal   http://www.france-courtoise.info/

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