mercredi 14 juillet 2010

La Grande Guerre

En janvier 1916, Paris voit apparaître, non sans une certaine stupeur, les premiers objets guerriers d’étrennes. En tête du palmarès des cadeaux à la mode : les culots d’obus. D’abord, ce sont de véritables pièces de cuivre que l’on offre comme cache-pot puis, bientôt, des simulacres de carton emplis de confiseries. On trouve aussi des bagues en aluminium, des bracelets de bronze, des colliers d’acier ouvragé. Tout cela vient du front, envoyé par des poilus qui, notent les chroniqueurs, “ont le sens du pittoresque“.

En fait, ils ont surtout le sens de la nécessité. Car, dans les tranchées, point de boutiques pour faire ses emplettes. On se contente de ce qui tombe sous la main et ce qui tombe le plus souvent, ce sont les obus.

L’autre sujet qui passionne les Français, c’est “l’affaire des fortifications de Nancy”, ou plutôt des non-fortifications. Car le pays vient de découvrir avec ahurissement que l’une des villes de l’Est les plus exposées à l’invasion n’était pas fortifiée.

Pourquoi ? demande-t-on.

La réponse montre, à quatre-vingt ans de distance, que l’incurie, la sottise de la camarilla politicienne est aussi ancienne que la démocratie.

La plus grande ville de l’Est a été laissée sans défense parce que, figurez-vous, au moment de signer l’armistice de 1870 dans cette maison de la rue de Provence, à Versailles, qui appartenait à madame Curelli, la grand-mère de Jessé-Curelli, ce distingué diplomate qui occupait Bismarck, Monsieur Thiers avait donné sa parole au nom de la France que Nancy resterait à jamais sans fortification.

Et cette parole, quoique purement verbale et consignée dans aucun protocole, fût-il secret, fut toujours respectée par les gouvernements qui se succédèrent jusqu’à la déclaration de guerre.

En 1886, le général Billot, ministre de la Guerre, envisagea bien de faire construire les fortifications imaginées par Saussier, Abbatucci et Pouvourville. Mais Bismarck déclara que ce serait un “casus belli”. Et quarante-huit heures plus tard, les travaux étaient suspendus et tout ce que l’on avait commencé détruit.

L’autre préoccupation, en ce début d’année 1916, c’est la mode. “Il y a donc des Parisiennes que la mode préoccupe en ces journées de guerre ?” s’étonne un moraliste. “Oui, quelques-unes”, répond un chroniqueur qui s’empresse de noter que les Parisiennes qui se promènent sur les boulevards vêtues à la mode du jour “ressemblent à de véritables sauteuses de cirque“.

Et de citer cette anecdote à l’appui de son appréciation : une jeune femme qui désire envoyer des colis au front est vêtue de manière si voyante et maquillée avec une telle abondance que le préposé ne lui montre pas tout le respect habituellement dû à la pratique. Le ton monte, la querelle éclate et la jeune beauté finit par traiter le fonctionnaire de balourd.

- Si moi je suis un balourd, réplique l’insulté, vous, vous êtes une grue.

Alors la jeune femme, soudain très calme :

- C’est bien, mon ami ; à présent que vous m’avez baptisée, envoyez donc ces colis à mes filleuls de guerre. Ce sont des poilus qui ne me connaissent pas mais qui ont sans doute de moi une autre opinion que vous.

Et le témoin de cette scène de rue de conclure : “Ce mot très joli rappelle un autre mot de madame de Mailly qui, après avoir été la maîtresse de Louis XV, s’était rabattue sur le repentir et la religion. Un jour, un homme du peuple qui l’avait reconnue au porche de l’église Saint-Roch qu’elle fréquentait assidûment lui décoche le mot de p… Et l’ancienne favorite royale de répondre : Mon ami, puisque vous me connaissez, priez donc Dieu pour moi.”

Serge de Beketch Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 85 du 10 janvier 1996

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