samedi 21 novembre 2009

1945-1953 : la destruction des "Allemands ethniques" et des prisonniers de guerre allemands en Yougoslavie (fin)

La plupart de ces anciens soldats réguliers de la Wehrmacht périrent dans la Yougoslavie d'après-guerre en trois phases. Pendant la première phase, plus de 7 000 soldats allemands capturés moururent dans les « marches d'expiation » (Suhnemärsche) organisées par les communistes, faisant 1 300 kilomètres depuis la frontière sud de l'Autriche jusqu'à la frontière nord de la Grèce. Pendant la seconde phase, à la fin de l'été 1945, de nombreux soldats allemands en captivité furent sommairement exécutés ou jetés vivants dans de grandes carrières de karst le long de la côte dalmate. Dans la troisième phase, de 1945 à 1955, 50 000 autres périrent comme travailleurs forcés, de malnutrition et d'épuisement. Le nombre total des pertes allemandes en captivité yougoslave après la fin de la guerre - incluant les civils et soldats « allemands du Danube » ethniques, ainsi que les Allemands « du Reich » (Reichsdeutsche) - peut donc être estimé à 120 000 assassinés, affamés, tués au travail ou disparus.
Quelle est l'importance de ces chiffres ? Quelles leçons peut-on tirer de ces drames ? Il convient de souligner que le triste sort des civils allemands des Balkans n'est qu'une petite partie de la topographie de la mort communiste. Au total, entre 7 et 10 millions d'Allemands - personnel militaire ou civils - moururent pendant et après la Seconde Guerre mondiale en Europe et en Union Soviétique. La moitié d'entre eux succombèrent dans les derniers mois de la guerre, ou après la reddition sans conditions de l'Allemagne le 8 mai 1945. Les pertes allemandes, à la fois civiles et militaires, furent sensiblement plus élevées pendant la "paix" que pendant la guerre.
Durant les mois qui précédèrent et suivirent la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands ethniques furent tués, torturés et dépossédés dans toute l'Europe orientale et centrale, notamment en Silésie, en Prusse orientale, en Poméranie et dans les Sudètes. En tout 12 à 15 millions d'Allemands s'enfuirent ou furent chassés de leurs foyers au cours de ce qui reste peut-être le plus grand « nettoyage ethnique » de l'histoire. Sur ce nombre, plus de deux millions de civils allemands furent tués ou perdirent la vie.
Les génocides communistes dans la Yougoslavie d'après-guerre sont rarement abordés par les media des pays qui émergèrent des ruines de la Yougoslavie communiste en 1991, même si, chose remarquable, il y a aujourd'hui dans ces nouveaux pays une plus grande liberté d'expression et de recherche historique que dans les pays d'Europe occidentale. Les élites postcommunistes de Croatie, de Serbie et de Bosnie, largement composées d'anciens communistes, semblent partager un intérêt commun à refouler leur passé criminel concernant le traitement des civils allemands.
L'éclatement de la Yougoslavie en 1990-91, les événements qui y conduisirent, ainsi que la guerre et les atrocités qui suivirent, ne peuvent être compris que dans le cadre de grandes tueries menées par les communistes yougoslaves de 1945 à 1950. Comme nous l'avons déjà noté, le « nettoyage ethnique » n'a rien de nouveau. Même si l'on considère l'ancien dirigeant serbe Slobodan Milosevic et les prévenus croates actuellement jugés par le Tribunal International des Crimes de Guerre de La Haye comme de vils criminels, leurs crimes, soit réels, soit présupposés, demeurent minuscules par rapport à ceux du fondateur de la Yougoslavie communiste, Josip Broz Tito. Tito mena le « nettoyage ethnique » et les tueries de masse sur une bien plus grande échelle, contre les Croates, les Allemands et les Serbes, souvent avec l'aval des gouvernements britannique et américain. Son règne en Yougoslavie (1945-1980), qui coïncida avec l'ère de la « Guerre froide », fut néanmoins généralement soutenu par les puissances occidentales, qui considéraient son régime comme un facteur de stabilité dans cette région de l'Europe.
Par ailleurs, la tragédie des Allemands des Balkans fournit aussi des leçons sur le sort des Etats multiethniques et multiculturels. Deux fois, durant le XXe siècle, la Yougoslavie multiculturelle éclata dans un carnage inutile tout en déclenchant une spirale de haines entre ses groupes ethniques constituants. On peut conclure, par conséquent, que pour des nations et des cultures différentes, sans parler de races différentes, il vaut mieux vivre à part, séparés par des murs, plutôt que de vivre dans une fausse convivialité qui cache des animosités et laisse des ressentiments durables.
Peu de gens pouvaient prévoir les sauvages tueries interethniques qui balayèrent les Balkans après l'effondrement de la Yougoslavie en 1991, et ceci entre des peuples d'origine anthropologique relativement similaire. On ne peut que s'interroger avec inquiétude sur l'avenir des Etats-Unis et de la France ou des tensions communautaires entre les populations autochtones et des masses d'allogènes du Tiers Monde laissent présager un désastre avec des conséquences beaucoup plus sanglantes.
La Yougoslavie multiculturelle fut avant tout la création des dirigeants français, britanniques et américains qui signèrent le Traité de Versailles en 1919, et des dirigeants britanniques, soviétiques et américains qui se rencontrèrent à Yalta et à Postdam en 1945. Les figures politiques qui créèrent la Yougoslavie ex nihilo comprenaient très mal la perception que les différents peuples locaux avaient d'eux-mêmes et de leurs voisins immédiats.
Bien que les morts, les souffrances et les dépossessions subies par les Allemands ethniques des Balkans pendant et après la Seconde Guerre mondiale soient bien connues des autorités allemandes et des historiens indépendants, elles continuent donc à être ignorées dans le reste de l'Europe et aux Etats-Unis. Pourquoi ? On peut penser que si ces pertes allemandes étaient plus largement discutées et mieux connues, elles stimuleraient probablement une vision alternative de la Seconde Guerre mondiale, et en fait de toute l'histoire du XXe siècle. Une meilleure connaissance des pertes civiles allemandes pendant et après la Seconde Guerre mondiale pourrait aussi encourager une discussion sur la dynamique des sociétés multiculturelles d'aujourd'hui. Or, cette démarche, à son tour, risquerait d'affecter significativement les idées et les mythes dominants qui façonnent l'Europe depuis 1945. Un débat ouvert sur les causes et les conséquences de la Seconde Guerre mondiale ternirait aussi la réputation de nombreux spécialistes et faiseurs d'opinion aux Etats-Unis et en Europe. Il est probable qu'une meilleure connaissance des crimes commis par les Alliés pendant et après la Seconde Guerre mondiale, au nom de « la démocratie », pourrait changer les mythes fondateurs de nombreux États contemporains.
Tomislav SUNIC*, Ecrits de Paris
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* Ecrivain et historien. T. Sunic est auteur de Homo americanus, Child of the Postmodern Age (2007).

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