jeudi 15 octobre 2009

La République contre l'Église

Au commencement furent les Lumières. Non que le christianisme n'ait connu d'adversaires avant le XVIIIe siècle : comme l'écrit Jean de Viguerie dans son livre Christianisme et Révolution, « Des athées, des rationalistes, le monde en avait toujours vu, mais en très petit nombre et de petit public. » Mais la nouveauté est ailleurs : « Il s'agit maintenant des plus grands noms de la littérature : Voltaire, Diderot, Grimm, Marmontel, La Harpe, pour ne citer que ceux-là. Les écrivains antireligieux sont les auteurs à succès. Les adversaires du christianisme sont les maîtres de l'opinion publique. »

Ils triomphent dans les salons, ont le soutien des élites et même, contre les défenseurs de l'Église et de la monarchie, celui des autorités : de 1750 à 1763, la librairie, chargée de délivrer les permissions d'imprimer, est gouvernée par Malesherbes avec, écrit Rousseau, « autant de lumières que de douceur, pour la plus grande satisfaction des gens de lettres » « Écrasons l'infâme », s'exclame Voltaire en désignant le catholicisme ; et des romans comme La Religieuse de Diderot n'ont pas grand-chose à envier au Da Vinci code en fait d'hostilité envers l'Église. Ces attaques font mouche et se diffusent des salons à l'opinion. Elles déboucheront, quelques années plus tard, sur la persécution révolutionnaire, la constitution civile du clergé, les massacres et déportations de prêtres, les condamnations de religieuses ou de fidèles, la déchristianisation et les fermetures d'églises, les mariages ou les « déprêtrisations », les guerres de Vendée et leur cortège d'horreurs... Si la persécution se calme après le 9 thermidor et la chute de Robespierre, elle reprend après le coup d'État de fructidor. La haine du Christ et de l'Église n'est pas un effet de la Révolution, elle en est le moteur. C'est pour abattre l'autel que l'on fit tomber le trône.
Bonaparte ramène la paix religieuse, Napoléon conclut avec Pie VII le concordat de 1801, la Restauration honore l'Église, mais l'anticléricalisme prend sa revanche en 1830 : les insurgés mettent à sac l'archevêché de Paris, Notre-Dame et plusieurs maisons de congrégations. Le départ de Charles X et l'accession au trône de Louis-Philippe ne désarment pas les ennemis du catholicisme : même en province, les processions sont lapidées. En 1831 Saint-Germain-l'Auxerrois, l'archevêché et plusieurs églises parisiennes sont encore saccagés.
Des faits similaires se reproduiront pendant la Commune, pendant laquelle les communards tenteront d'incendier Notre-Dame et fusilleront plusieurs prêtres, dont l'archevêque de Paris, Mgr Darboy. Mais le temps des grandes insurrections touche à sa fin. Avec la IIIe République, la Révolution triomphe et s'institutionnalise. L'anticatholicisme accède au pouvoir.

25 ans de persécution aux débuts de la IIIe République
« Et d'un geste magnifique, nous avons éteint dans le ciel des lumières qui ne se rallumeront plus », s'écriait le radical René Viviani après l'adoption de la loi de séparation de l'Église et de l'État, en 1905. La IIIe République n'avait cependant pas attendu Émile Combes, ni Aristide Briand, pour être anticléricale : elle l'était dès l'origine et Jean Sévillia, dans son livre Quand les catholiques étaient hors-la-loi, rappelle à juste titre le mot d'ordre lancé par Gambetta dès 1877 : « Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! ». Dès 1869, dans son programme de Belleville, le meneur républicain, alors député d'opposition, annonce le programme en effet : suppression du budget des cultes, séparation des Églises et de l'État, instruction primaire gratuite, laïque et obligataore ... En 1878, il y ajoute la dispersion des congrégations, l'application au clergé de toutes les lois civiles, la rupture avec le Vatican... « Ce projet correspond exactement à celui qui sera mis en œuvre, d'étape en étape, jusqu'en 1905 », remarque Jean Sévillia. Cependant, tandis que les anticléricaux s'emparent du pouvoir, le catholicisme connaît en France un renouveau spectaculaire. « Un catholicisme puissant, un anticléricalisme croissant : tout est en place pour la guerre des deux France », constate encore Jean Sévillia. Dans cette guerre, la franc-maçonnerie joue un rôle de premier plan. Son but pourrait être défini par celui que se fixe alors Jules Ferry : « organiser l'humanité sans Dieu et sans rois ». D'autres réseaux œuvrent dans le même sens : la Ligue de l'enseignement, la libre-pensée, les protestants libéraux. La bataille s'installe très vite sur le front de l'enseignement, qu'il convient de contrôler pour décatholiciser et républicaniser les jeunes esprits.
En 1880 le gouvernement Freycinet publie deux décrets contraignant l'ensemble des congrégations à présenter une demande d'autorisation et liquidant les établissements des jésuites, qui sont expulsés de leur maison mère fin juin, non sans que des coups soient échangés entre la foule catholique et la police : premières escarmouches d'un combat qui va durer un quart de siècle. En octobre, Ferry, devenu président du conseil, décide de sévir contre les autres congrégations non autorisées.
Entre le 16 octobre et le 9 novembre 1880, 261 couvents sont fermés par la force publique, 6 000 religieux expulsés.
L'affaire rebondit à l'aube du XXe siècle, avec la loi de 1901 sur les associations, très anticléricale, qui prévoit la confiscation des biens des congrégations non autorisées. Vers la même époque, en juin 1902, Emile Combes, ancien séminariste violemment anticatholique, devient président du conseil. Entre 1900 et 1903, date à laquelle sont examinées par les chambres les demandes d'autorisation des congrégations, pas moins de 430 congrégations sont interdites. Les expulsions donnent lieu à de nouveaux affrontements entre fidèles et forces de l'ordre, tandis que les organisations anticléricales et maçonniques se déchaînent, attaquant les églises ou les processions. En juillet 1904 une nouvelle loi interdit tout enseignement aux congrégations. Combes se vante d'avoir fait fermer 14 000 écoles catholiques depuis 1902. Un mois plus tard commence l'affaire des fiches : on apprend que le général André, ministre de la Guerre, a fait appel au Grand Orient de France pour établir des fiches sur les opinions politiques et religieuses des officiers. L'avancement de ces derniers est favorisé ou bloqué en fonction des appréciations portées par les francs-maçons, qui réalisent un véritable travail de délation. Le scandale est tel qu'en janvier 1905, Combes est contraint de démissionner. Deux mois plus tard, Aristide Briand n'en présente pas moins à la Chambre un projet de séparation des Églises et de l'État. Votée en décembre de la même année, la loi prévoit de dresser un « inventaire descriptif et estimatif » des biens ecclésiastiques, objets du culte compris, provoquant la colère des catholiques lorsqu'une circulaire du ministère des Finances ordonne l'ouverture des tabernacles dans les églises. Partout à travers la France, les fidèles s'opposent aux profanations. En Haute-Loire, dans le Nord, des catholiques sont rués par les gendarmes. Pie X, de son côté, qualifie dans une encyclique la séparation de l'Église et de l'État de « très pernicieuse erreur » et considère la loi « comme profondément injurieuse vis-à-vis de Dieu ».
Jean-Pierre Nomen monde & vie du 25 avril 2009
(avec l'aimable autorisation de monde & vie)

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