jeudi 27 août 2009

Le régime politique carolingien (partie 1)

Le régime carolingien, comme tout régime suffisamment évolué, comprend trois ordres d'institutions : gouvernement central, gouvernement local, organes intermédiaires.
Le gouvernement central s'appelle couramment le Palais. Cette appellation était en usage aux temps mérovingiens et remontait à l'époque impériale romaine. Une filiation directe relie ces moments successifs à travers lesquels, en dépit des variations contingentes, se développe une même façon de concevoir l'art de conduire les peuples. Dérivé du Palais mérovingien, le Palais carolingien en diffère tout de même sur un point essentiel : par l'absence d'un personnage qui tenait, sous la « première race », une place prépondérante. Le majordome ou maire du Palais n'a pas survécu au changement de dynastie. Comment en eût-il été autrement ? Pépin, en gravissant les marches du trône, s'est bien gardé de confier à un subalterne, qui eût pu aisément devenir un rival, les fonctions qui avaient si bien servi à l'escalade du pouvoir suprême. Mais alors le Palais n'a plus de chef. Plus de chef en dehors du prince. Et c'est précisément le trait caractéristique du Palais sous la « seconde race ». Point de ministre dirigeant. Une série de services dont chacun a son chef, tous subordonnés au seul souverain.
Le Palais ainsi organisé nous est décrit dans un traité intitulé justement l'Organisation du Palais (De ordine Palatii). Ce traité a pour auteur Hincmar, archevêque de Reims sous le petit-fils de Charlemagne, Charles le Chauve ; mais Hincmar déclare s'inspirer étroitement d'un écrit dû à la plume d'un des conseillers de Charlemagne lui-même, l'abbé de Corbie, Adalard. Bien que certaines préoccupations propres à Hincmar obligent à n'user qu'avec précaution des données qu'il consigne, le De Ordine est une source infiniment précieuse, grâce à laquelle nous pénétrons, pour ainsi dire à l'intérieur des bureaux où s'élabore la politique, de l'État franc.
Qu'y voyons-nous ? Les services, que le Palais juxtapose sont à la fois des services publics et des services privés. L'État est incarné dans la personne du prince. Nulle distinction, dès lors, entre la maison du prince et la gestion des affaires. Notre notion moderne de la vie privée du souverain disjointe de l'État est inconnue des Carolingiens. Pareille distinction leur eût paru incompréhensible. Charlemagne, dans le Capitulaire De Villis, légifère sur l'exploitation de ses domaines ruraux comme il le ferait sur la justice ou la police. Un chef d'État actuel n'aurait jamais l'idée d'administrer sa fortune personnelle au moyen de décrets rendus sous forme officielle.
Les services du palais
Les services palatins sont tous, par quelque côté, des services domestiques, et par d'autres côtés, des services de l'État. Chaque chef de service mène ses bureaux. Il y a six grands offices : l'archichapelain, le comte du Palais, le chambrier (ou camérier), le sénéchal, le bouteiller, le connétable. En somme, les auxiliaires de la maison du prince lui servent en même temps de ministres. L'ordre dans lequel nous venons d'énumérer ceux-ci correspond au rang des préséances, au témoignage formel d'Hincmar.
Celui qui ouvre la liste, l'archichapelain, est toujours un clerc. Il est à la fois chef de la chapelle, chef de l'école palatine, chef de la chancellerie. A ce dernier service se rattachent, comme annexe, les Archives.
Malgré le grand intérêt que présente la chapelle, qui comprend la direction des Affaires ecclésiastiques, malgré l'importance de l'école palatine qui, nous le verrons, est une école de l'élite et une école modèle, l'archichapelain doit surtout son rang dans l'EÉat à sa qualité de grand chancelier. Il est l'héritier du référendaire mérovingien. Sous ses ordres sont des chanceliers et des notaires, et quand, après l'époque carolingienne, l'archichapelain aura rejoint le référendaire au pays des souvenirs, le chef de service qui prendra la tête sera un simple chancelier, cancellarius.
Le comte du Palais (comes palatii) vient au second rang, d'après Hincmar, qui parle assez vaguement de ses attributions « presque innombrables » (poene innumerabilia). C'est un administrateur du Palais en tant que demeure royale et c'est un justicier de tout le personnel qui y vit.
Le chambrier s'occupe des appartements royaux, y compris la chambre du trésor, ce qui entraîne des fonctions assez voisines de celles d'un ministre des Finances. Et comme, d'autre part, aux appartements royaux se rattachent également les réceptions d'ambassadeurs, ce ministre des finances paraît être aussi, par bien des côtés, un ministre des Affaires étrangères. Le Trésor, que le chambrier administre, joue un rôle capital. On n'y conserve pas seulement des espèces monnayées, mais aussi des métaux précieux, des lingots, des objets d'or et d'argent, de la vaisselle, et tout cela constitue l'équivalent d'un stock métallique, couverture de la monnaie courante. Il en sera ainsi tout le long du moyen âge. Les couronnes du souverain ne sont pas seulement des insignes, ce sont des valeurs.
Le sénéchal, le bouteiller et le connétable sont des intendants. Le connétable, en particulier, comme son nom l'indique (comes stabuli), a l'administration des écuries et des chevaux, ce qui entraîne la haute direction de la cavalerie, d'où il suit que le connétable remplit souvent les fonctions de chef d'armée, l'arme à cheval devenant de plus en plus, à mesure qu'on avance dans le temps, l'arme par excellence et la reine des batailles. Aussi les maréchaux, qui secondent le connétable et lui sont subordonnés, sont-ils appelés, comme leur chef, à une haute fortune.
Les six grands officiers qui viennent de défiler sous nos yeux s'entourent de subalternes nombreux, tout un personnel d'action ou de plume qui pullule au Palais et dont Hincmar nous communique la vie intense, Aix s'anime. Les grands officiers sont en même temps les principaux conseillers du maître. Ils sont les palatins par excellence (palatini). Le souverain, suivant les besoins, puise dans ce personnel d'élite et de confiance. Chaque palatin peut être chargé par le prince de missions quelconques. Un comte du Palais, un sénéchal peut, aussi bien qu'un connétable, se voir investi d'un commandement militaire ou d'une ambassade. Le connétable n'est pas encore spécialisé, confiné à des missions militaires. Ses collègues sont donc habilités à recevoir eux aussi de telles missions. Ils ne s'en font pas faute. Dans la pratique, sauf l'archichapelain, qui étant clerc ne peut verser le sang, tous les titulaires de grands offices ont commandé devant l'ennemi.
Pat - (principale source, Charlemagne de Joseph Calmette)

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