"Il faut avant tout rédiger un C.V. qui doit « faire ressortir les détails de la vie du postulant, son origine sociale précise, sa fortune, les activités diverses exercées dans le domaine social et politique, les motivations qui le poussent à entrer au parti communiste. »
C'est ce que tente de faire cet homme qui tient à tout prix à montrer qu'il n'est pas le fils d'un adepte de l'exploitation de l'homme par l'homme :
« Mon père était cordonnier, je tiens à dire qu'il travaillait tout seul, sans apprenti, sans exploiter qui que ce soit, comme un véritable prolétaire. C'était pas souvent qu'il y avait aut'chose sur la table que du pain noir et de la soupe aux choux. »
Essentielle aussi, la pauvreté, qui est revendiquée parfois avec difficultés tant il est difficile de rendre compte des évolutions d'une vie, qui peuvent ressembler à des améliorations matérielles dorénavant suspectes. Les explications se font alors laborieuses :
« ... Je suis né paysan pauvre et je l'ai été jusqu'à l'âge de dix ans, lorsque mon père, en 1909 a acheté des terres. Il est alors passé dans la catégorie des paysans moyens, ce que je n'ai jamais caché. Pendant la révolution, l'exploitation de mon père est toujours demeurée une exploitation moyenne, et même jusqu'en 1923, mon père n'avait pas de cheval, et celui qu'il possède aujourd'hui ne vaut guère plus de cinquante à soixante roubles. Si la commission s'inquiète du fait que mon père, avec l'aide de la banque paysanne avait acheté, en 1919, 27 Ha, en s'endettant pour 49 ans, sachez qu'une bonne partie de ces terres est formée de marécages et que notre famille comptait toujours plus de 12 personnes. En 1917-1918, 7 personnes sont mortes chez nous ... Aujourd'hui, on aurait pas moins de 18 personnes sur 18 Ha. Nous sommes donc des paysans pauvres ou tout au plus des paysans moyens. »
Il est difficile de concilier une situation réelle et une image prolétarienne, les justifications tentent d'atténuer l'image qui apparaît malgré tout. Parfois, le candidat tente la preuve par l'inventaire :
« J'ai deux vaches, un cheval, une maison avec un toit de chaume, un hangar, une remise, une bania, deux fourches, deux râteaux, une herse, six poules. »
Il est difficile de déterminer ce qui fait l'ennemi du peuple, voire le contre-révolutionnaire. Et si c'était un intellectuel ?
« On m'a dit que j'avais peu de chances d'être acceptée au parti, parce que j'étais une employée, et que j'avais une instruction secondaire. Or, je le répète, je n'ai pas d'instruction secondaire. »
De toutes façons, c'est très confus, même pour les dirigeants du parti qui doivent préciser les catégories : le manuel des « instructions pour remplir la carte du parti », à la page 28, alinéa 3 met les choses au point :
« Les soldats sont classés dans le groupe social auquel ils appartenaient avant leur service, sauf s'ils ont, au cours de leur service, acquis une compétence professionnelle. »
Les groupes sociaux sont donc très importants. Et pour certains, il faut montrer sa capacité à dépasser ses instincts petits-bourgeois, au besoin en faisant preuve d'un véritable zèle révolutionnaire :
« Membre du soviet local, responsable du cercle des athées, membre de l'organisation "pour la bonne marche de la campagne de semailles de printemps", attaché à la direction au travail politique, membre du groupe de cavalerie légère des Jeunesses Communistes, aide metteuse en scène du cercle théâtral politique, responsable du "coin rouge" de la bibliothèque du village. »
Cela doit remplir une vie. Mais, au fond, pourquoi adhérer au parti Bolchevik ?
Il y a la stricte position de classe :
« Je sais que ce sont les Bolcheviks qui défendent les paysans pauvres. »
Parfois, c'est un sentiment de reconnaissance :
« Le parti m'a donné des biens : un cheval, une vache, une maison, une étable. Quels jours heureux j'ai connu depuis l'arrivée du pouvoir soviétique ! ».
Certains ont une idée un peu particulière du rôle de membre du parti, à moins que confusément, ils n'anticipent la naissance d'une bureaucratie ?
« Je veux être communiste pour passer mon temps à lire des livres et des journaux ».
D'autres prennent en compte les slogans du moment :
« Plus on avance dans l'édification du socialisme, plus la lutte des classes s'intensifie ».
D'autre fois, il s'agit de réintégrer le parti que l'on a quitté. Il faut alors montrer patte rouge et fournir des explications sur l'arrêt antérieur de l'adhésion : c'est parfois très tiré par les cheveux. Réparer si possible une faute politique :
« En 1924, une vie difficile et une santé chancelante m'obligèrent à me marier, et, à cause de ces quelques minutes que je restais dans une église, je fus rejeté dans les ténèbres, je fus tué politiquement. Je ne pouvais pas me rendre compte que je venais de commettre un si grand crime. Je me suis repenti, et je me repens, et je demande à mes chers camarades et à la cellule de me reprendre dans leurs rangs. »
Enfin, pour pouvoir adhérer, trois parrains sont nécessaires, qui donnent leur avis sur les qualités de l'impétrant :
« Il accomplira sans broncher toutes les directives du parti » : c'est qu'il faut obéir, surtout.
« Kaminski pourra faire un bon communiste car il mène bien son exploitation » Le rapport n'est pas immédiatement évident. Mais que dire de ce parrain qui donne ce dernier avis :
« Je le recommande, car il ne boit pas trop. »
" Extrait de Nicolas Werth, Être communiste en URSS sous Staline, collection Archives, éd Julliard, 1981
C'est ce que tente de faire cet homme qui tient à tout prix à montrer qu'il n'est pas le fils d'un adepte de l'exploitation de l'homme par l'homme :
« Mon père était cordonnier, je tiens à dire qu'il travaillait tout seul, sans apprenti, sans exploiter qui que ce soit, comme un véritable prolétaire. C'était pas souvent qu'il y avait aut'chose sur la table que du pain noir et de la soupe aux choux. »
Essentielle aussi, la pauvreté, qui est revendiquée parfois avec difficultés tant il est difficile de rendre compte des évolutions d'une vie, qui peuvent ressembler à des améliorations matérielles dorénavant suspectes. Les explications se font alors laborieuses :
« ... Je suis né paysan pauvre et je l'ai été jusqu'à l'âge de dix ans, lorsque mon père, en 1909 a acheté des terres. Il est alors passé dans la catégorie des paysans moyens, ce que je n'ai jamais caché. Pendant la révolution, l'exploitation de mon père est toujours demeurée une exploitation moyenne, et même jusqu'en 1923, mon père n'avait pas de cheval, et celui qu'il possède aujourd'hui ne vaut guère plus de cinquante à soixante roubles. Si la commission s'inquiète du fait que mon père, avec l'aide de la banque paysanne avait acheté, en 1919, 27 Ha, en s'endettant pour 49 ans, sachez qu'une bonne partie de ces terres est formée de marécages et que notre famille comptait toujours plus de 12 personnes. En 1917-1918, 7 personnes sont mortes chez nous ... Aujourd'hui, on aurait pas moins de 18 personnes sur 18 Ha. Nous sommes donc des paysans pauvres ou tout au plus des paysans moyens. »
Il est difficile de concilier une situation réelle et une image prolétarienne, les justifications tentent d'atténuer l'image qui apparaît malgré tout. Parfois, le candidat tente la preuve par l'inventaire :
« J'ai deux vaches, un cheval, une maison avec un toit de chaume, un hangar, une remise, une bania, deux fourches, deux râteaux, une herse, six poules. »
Il est difficile de déterminer ce qui fait l'ennemi du peuple, voire le contre-révolutionnaire. Et si c'était un intellectuel ?
« On m'a dit que j'avais peu de chances d'être acceptée au parti, parce que j'étais une employée, et que j'avais une instruction secondaire. Or, je le répète, je n'ai pas d'instruction secondaire. »
De toutes façons, c'est très confus, même pour les dirigeants du parti qui doivent préciser les catégories : le manuel des « instructions pour remplir la carte du parti », à la page 28, alinéa 3 met les choses au point :
« Les soldats sont classés dans le groupe social auquel ils appartenaient avant leur service, sauf s'ils ont, au cours de leur service, acquis une compétence professionnelle. »
Les groupes sociaux sont donc très importants. Et pour certains, il faut montrer sa capacité à dépasser ses instincts petits-bourgeois, au besoin en faisant preuve d'un véritable zèle révolutionnaire :
« Membre du soviet local, responsable du cercle des athées, membre de l'organisation "pour la bonne marche de la campagne de semailles de printemps", attaché à la direction au travail politique, membre du groupe de cavalerie légère des Jeunesses Communistes, aide metteuse en scène du cercle théâtral politique, responsable du "coin rouge" de la bibliothèque du village. »
Cela doit remplir une vie. Mais, au fond, pourquoi adhérer au parti Bolchevik ?
Il y a la stricte position de classe :
« Je sais que ce sont les Bolcheviks qui défendent les paysans pauvres. »
Parfois, c'est un sentiment de reconnaissance :
« Le parti m'a donné des biens : un cheval, une vache, une maison, une étable. Quels jours heureux j'ai connu depuis l'arrivée du pouvoir soviétique ! ».
Certains ont une idée un peu particulière du rôle de membre du parti, à moins que confusément, ils n'anticipent la naissance d'une bureaucratie ?
« Je veux être communiste pour passer mon temps à lire des livres et des journaux ».
D'autres prennent en compte les slogans du moment :
« Plus on avance dans l'édification du socialisme, plus la lutte des classes s'intensifie ».
D'autre fois, il s'agit de réintégrer le parti que l'on a quitté. Il faut alors montrer patte rouge et fournir des explications sur l'arrêt antérieur de l'adhésion : c'est parfois très tiré par les cheveux. Réparer si possible une faute politique :
« En 1924, une vie difficile et une santé chancelante m'obligèrent à me marier, et, à cause de ces quelques minutes que je restais dans une église, je fus rejeté dans les ténèbres, je fus tué politiquement. Je ne pouvais pas me rendre compte que je venais de commettre un si grand crime. Je me suis repenti, et je me repens, et je demande à mes chers camarades et à la cellule de me reprendre dans leurs rangs. »
Enfin, pour pouvoir adhérer, trois parrains sont nécessaires, qui donnent leur avis sur les qualités de l'impétrant :
« Il accomplira sans broncher toutes les directives du parti » : c'est qu'il faut obéir, surtout.
« Kaminski pourra faire un bon communiste car il mène bien son exploitation » Le rapport n'est pas immédiatement évident. Mais que dire de ce parrain qui donne ce dernier avis :
« Je le recommande, car il ne boit pas trop. »
" Extrait de Nicolas Werth, Être communiste en URSS sous Staline, collection Archives, éd Julliard, 1981
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