lundi 20 avril 2009

26 mars 1962 : une ténébreuse affaire

C'EST celle de la fusillade de la rue d'Isly qui chaque année, dans l'émotion et le recueillement, est commémorée par les Français d'Algérie et leurs amis, qui n'ont rien oublié. Sur cette tragédie, Jean Monneret publie un livre (1). Sa formation d'historien lui a permis d'éviter le sensationnalisme ou l'exagération qui marque souvent les évocations journalistiques. Il s'est appuyé sur une bibliographie comportant une quinzaine de livres dont le plus fondamental (qu'il cite à plusieurs reprises) est celui de notre grande amie disparue Francine Dessaigne, Un crime sans assassins, paru aux éditions Castille (il resterait des exemplaires proposés par « Jeune Pied Noir » et l'Association des Familles des Victimes du 26 mars). L'auteur s'est livré aussi à des enquêtes et recherches car il reste des témoins. Mais certains documents officiels, comme le rapport du commandant de gendarmerie Garat après une reconstitution des faits, sont maintenant interdits de communication, alors qu'ils étaient librement consultables il y a quelques années encore. Heureusement, Jean Monneret y avait eu accès.
Son livre est au fond une enquête très sérieuse. Avec quelques défauts. La carte du centre d'Alger proposée en début de l'ouvrage est trop petite. Dans les annexes, la liste des morts du 26 mars aurait pu être ajoutée même si elle n'est pas définitive puisqu'à ce jour, malgré les efforts de Mme Simone Gautier (voir L'Algérianiste de mars 2008), elle n'est toujours pas complète.
A noter que le 19 mars on a eu la surprise de revoir sur la chaîne Planète le téléfilm (imparfait) sur le 26 mars, projeté l'an dernier sur France 3 (voir RIV. du 26/9/08).
AVANT LE DRAME
Pour comprendre le 26 mars, il faut remonter le temps. La date du 26 avait en effet été choisie pour une manifestation ordonnée par le colonel Vaudrey de l'OAS (mais improvisée et ignorée par d'autres responsables) pour protester contre le blocus de Bab el Oued. Depuis le 19 mars (fausse fin de la guerre d' Algérie), le combat de l'Organisation Armée Secrète était de plus en plus difficile et sa stratégie risquée. Le général Salan avait lancé le 22 une directive prônant dans certaines conditions une insurrection. Le 22 mars en plein, centre d'Alger (le tunnel des Facultés), plusieurs gendarmes mobiles avaient été tués dans une embuscade tendue par l'OAS. Evénement tellement occulté à l'époque qu'il resta inconnu de la population. La stratégie consistant à faire de Bab el Oued un bastion de l'Organisation (avec une fausse comparaison avec Budapest) fut un échec tragique qui aboutit à un blocus impitoyable par les forces de l'ordre (plusieurs milliers de fonctionnaires) aidées par l'aviation et munies de blindés.
C'est pour marquer la solidarité avec le quartier encerclé que fut décidée une manifestation pacifique « contre l'étranglement de Bab el Oued ». Qui vu la configuration d'Alger, ne pouvait passer que par des rues très longues. Faciles à barrer ou à contrôler.
FEU À VOLONTÉ ET MENSONGE D'ETAT
Et à l'entrée de la rue d'Isly, à 14h50, ce fut la fusillade que Jean Monneret étudie de manière scientifique, en confrontant les points de vue contradictoires des Français d' Algérie. des autorités, des officiers et en se livrant à une étude pointue sur des gens armés de fusils-mitrailleurs et qui auraient attaqué la troupe. Pour les premiers, les soldats ont tiré à bout portant et sans sommations. Ce fut un massacre. Pour les autorités, dès le 27 mars, un communiqué officiel fait état d'une enquête dont on donne les « premiers résultats ». Jean Monneret reproduit ce texte. Il est invraisemblable (et prudemment n'a pas été rediffusé par la suite). Mais il annonce la ligne du « mensonge d'Etat » : la troupe a riposté aux tirs de l'OAS. On accuse un petit groupe (dont une femme), protégé par la foule, qui aurait tiré et même aurait eu trois morts. Il y aurait même eu des arrestations mais aucun nom n'a jamais été fourni. On va même (rapport Garat) jusqu'à mentionner un individu avec imperméable (le temps était magnifique) et chapeau noir faisant feu sur les soldats.
La controverse la plus sérieuse porte sur ces fameux FM qui, d'un balcon ou des toits, (pourtant occupés par des soldats), ont ouvert le feu. Jean Monneret fait justice de ces affabulations, après les avoir examinées à la loupe. Parmi les blessés dans la troupe, aucun par tir de FM mais, au contraire, de nombreux civils. Il y aurait douze emplacements de tir sur certains documents ou photos représentés par des cercles ! Mais aucune preuve décisive. Le triste Christian Fouchet, alors Haut Commissaire à Alger, écrit dans ses Mémoires sa "conviction" qu'il y a eu « UN tireur de toit (comme à Paris en août 1944 ?) mais que personne ne le prouvera jamais ». Fermez le ban... Jean Monneret conclut à « une panique de tir », fait courant étudié par des experts militaires.
LA QUESTION ESSENTIELLE
En fait, toutes ces arguties ont pour but de masquer le point névralgique. Ceux qui ont tiré appartenaient au 4e régiment de Tirailleurs, amenés du bled quelques jours auparavant. Une troupe hétéroclite (il y avait parmi eux des ralliés du FLN et des messalistes rescapés des troupes bellounistes ) encadrée par des Européens, mais la moins faite pour le maintien de l'ordre alors que la ville regorgeait d'éléments spécialisés : CRS et gendarmes mobiles. Une troupe qui deux jours auparavant avait reçu pour consigne d'ouvrir le feu contre les tireurs de toit. Jean Monneret consacre plusieurs chapitres à cette énigme D'autant moins explicable que ce régiment était cantonné à Berrouaghia, à plus de cent kilomètres d'Alger, et que son patron, le colonel Goubard, avait élevé de très vives objections sur l'envoi à Alger et l'utilisation de ces hommes. Le général Ailleret l'avait rencontré sur place, et approuvé. De retour à Alger, il avait lancé dans ce sens une note (la 905) qui a disparu mais que de nombreux officiers ont lue. Quelle autorité a donc pesé plus lourd que le général commandant les troupes en Algérie ?
Monneret cite les témoignages d'officiers supérieurs qui ne coïncident pas. Mais nombreux étaient ceux qui n'étaient pas sur le terrain. Comme le colonel devenu général Goubard. Il avait longtemps cru à la responsabilité de l'OAS dont il devait estimer plus tard qu'elle était "indémontrable" ou "indirecte". Et pour lui le 26 mars, c'est un piège qui s'était refermé et sur ses hommes et sur la population. Un « sac à feu » en termes militaires. Jean Monneret donne aussi des extraits de l'entretien qu'eut Francine Dessaigne avec le préfet d'Alger, Vitali Cros. Il n'y a pas eu de sommations, parce que « ça, c'est bon pour le cinéma » ! C'est le général Capodanno, sous ses ordres, qui a pris la responsabilité d'ouvrir le feu, en accord avec lui : « Dès qu'un coup de feu était tiré, nous étions en état de légitime défense.» Et qui a tiré ? Sous-entendu l'OAS.
A noter qu'il y eut une autre fusillade le même jour, beaucoup plus bas. Au carrefour de l'Agha. Et là ce sont les CRS qui ouvrirent le feu, tuant trois personnes. Jean Monneret cite le témoignage de M. Yves Pleven qui a tout vu en sortant d'un immeuble proche, le Mauretania. Mais la revue L'Algérianiste (mars 2007) a publié les photos prises par un photographe de la Dépêche Quotidienne Robert Rolando, grand-père de Thierry Rolando. Les CRS, un genou par terre, alignant froidement sur le trottoir d'en face un groupe qui passait par là. Même pas des manifestants, de simples promeneurs. Qui sait si dans les archives officielles il n'y a pas d'autres documents aussi accusateurs ?
Jean Monneret conclut rapidement. Pour lui il y a bien eu «une machination» dépassant « la simple erreur de commandement ». Il fallait, sous un prétexte quelconque, briser le moral de la population civile complice de la "subversion". En Conseil des ministres le 23 mars, De Gaulle avait donné une directive : « Briser par tous les moyens et réprimer impitoyablement l'insurrection armée qui se développe dans les grandes villes d'Algérie. »
Pour le 26 mars, il ne faut plus parler d'un « crime sans assassins ». L'assassin est connu.
Jean-Paul ANGELELLI. Rivarol du 27 mars 2008
Une ténébreuse affaire par J. Monneret, 159 pages, 15,50 € plus 3,02 € de port (le livre ne sera disponible que le 15 avril). Editions L'Harmattan, 5-7 rue de l'Ecole Polytechnique, 75005 Paris.

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