vendredi 13 février 2009

26 mai 1944 : des morts sans importance

Le joli mois de mai mérite bien son nom, à Lyon, en 1944. Le 26, le ciel est d'un bleu intense sur la ville. Dans les rues, les filles, malgré la dureté des temps, ont sorti ces robes claires qui font rêver les garçons. L'ambiance est à la joie, au bonheur de vivre.
Pourtant des oiseaux de mort s'approchent. Près de huit cents bombardiers américains, venus d'Italie, ont mission de matraquer Grenoble, Chambéry, Saint-Etienne et Lyon. La vieille capitale des Gaules attire la moitié des rapaces. A 10 h 43, l'apocalypse s'abat sur les Lyonnais, dont beaucoup essayent de gagner - trop tard - des abris qui n'offrent d'ailleurs qu'une protection toute relative. Les aviateurs américains ont pour mission de détruire trois gares importantes. Mais, à la différence des Anglais qui essayent de cibler le plus possible leurs attaques, les Américains - dont la formation a été souvent aussi rapide que sommaire - volent à très haute altitude et, au signal sonné par le leader, lâchent leurs bombes selon la technique du «tapis»... c'est-à-dire au petit bonheur. Deux des trois gares lyonnaises ne sont pas atteintes. En revanche, des quartiers entiers sont ravagés, anéantis. Le long de l'avenue Berthelot, sur plus de trois kilomètres, il n'y a plus que des ruines d'où montent poussière, fumée et gémissements des blessés pris sous les décombres. Il y a 20 000 sinistrés et on relèvera plus de 700 morts, dont le professeur Rochaix, sous-directeur de l'institut bactériologique Pasteur, et Marius Vivier-Merle, délégué du CNR (Conseil national de la résistance ... ) En gare de Vaise, touchée par de nombreuses bombes, un « train de grand secours » est détruit. Ce train avait été mis en place par les autorités de Vichy pour porter rapidement secours aux grands blessés, nourrir et habiller des milliers de sinistrés, fabriquer des pièces d'identité pour ceux qui les ont perdues à cause des événements.
Le 29 mai, 432 cercueils alignés sur la place Saint-Jean illustrent le deuil de la ville de Lyon. Son archevêque, le cardinal Gerlier, constate que l'appel lancé par les archevêques de France aux épiscopats anglais et américain, afin qu'il n'y ait plus de bombardements aveugles, est resté sans écho. L'émotion est grande au sein de la population, beaucoup de Lyonnais se demandant quelle peut être la justification d'un tel massacre.
La question se pose un peu partout en France, dans les villes et villages massacrés par l'aviation «alliée». Le prétexte de la lutte contre l'Allemagne parait dérisoire et Philippe Henriot touche juste lorsqu'il déclare à la radio :
« On serait curieux de savoir combien d'Allemands ont pu périr dans les logements ouvriers de Saint-Denis, de Saint-Ouen, de La Courneuve, de Noisy-le-Sec, de Bobigny, dans les pavillons de Romainville ou d'Athis-Mons ? » .
Car le martyre de Lyon est partagé, pendant des mois, par Nantes, Le Mans, Limoges, Toulouse, Lille, Denain, Strasbourg, Bourges, Clermont-Ferrand, Paris et toute sa ceinture ouvrière et industrielle. La liste est trop longue pour pouvoir être donnée : Mais la Normandie paye un tribut particulièrement sanglant. Les grandes villes sont martyrisées mais aussi des villages, dont certains sont rayés de la carte par les «libérateurs». Partout, dans les ruines, au milieu de restes humains affreusement déchiquetés s'activent les filles et les garçons des équipes nationales, qui essayent de sauver ce qui peut encore l'être. En quelques heures ces jeunes, dont certains payent de leur vie leur dévouement, vont faire le terrible apprentissage de la vie et de la mort. Marqués à jamais par ce qu'ils ont vu.
P. V. National Hebdo du 22 au 28 mai 1997

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