mardi 9 décembre 2008

27 juillet 1214 : Bouvines

En faisant procéder au couronnement de son seul fils, Philippe, âgé de quatorze ans et demi, le roi Louis VII a voulu, au printemps 1179, prémunir son royaume contre les effets de cette mort qu'il sentait progresser dans sa chair. Il a ainsi agi aussi sagement que ses prédécesseurs : le principe de l'élection du souverain par les Grands était sauf, mais la continuité du pouvoir était assurée, la couronne restant dans la maison des Capétiens. Ceux-ci, tout en mettant en place une monarchie héréditaire dans les faits, ont su se présenter en gardiens de l'antique tradition franque, qui voulait que le roi fût le chef élu de ses guerriers.
Le royaume de France avait bien besoin d'une telle pérennité. Car la puissance des féodaux était si grande que le pays ressemblait à une véritable mosaïque politique, le domaine royal semblant cerné par ces ducs, ces comtes qui contrôlaient des provinces entières, de la Flandre au Toulousain et de la Bretagne à la Champagne. Le roi n'avait pour lui qu'une poignée de fidèles, sur un domaine royal trop mince, étiré de Beauvais à Orléans. Mais il avait aussi, mais il avait surtout l'aura magique apportée par le sacre. D'ailleurs le vieux roi Louis VII n'avait-il pas vu en songe son fils présenter aux Grands du royaume un calice étrangement semblable au Graal - cette coupe de vie mythique dont la description, dans les romans de la Table Ronde, exaltait en ces temps de chevalerie tous les preux de l'Europe ? Les hommes croyaient alors aux signes : dès le rêve fait par son père, le futur roi de France était marqué par le plus fort des symboles de l'imaginaire médiéval, celui de la souveraineté sacrée.
Tout au long de son règne, le roi Philippe devait se montrer soucieux d'incarner le précepte que l'enchanteur Merlin rappelait au roi Arthur, en chantant les vertus de l'épée Excalibur : « Il faut à la terre un roi, il faut une terre au roi. » Le roi étant la personnalisation emblématique de son peuple, c'était une façon de dire qu'un peuple et sa terre ne font qu'un, qu'un lien vital unit le sol et le sang - et que l'oublier c'est se condamner à mort.
Philippe eut bien souvent, en quarante-trois ans de règne, l'occasion de mettre en pratique ce devoir de souveraineté qui fonde la légitimité d'un pouvoir politique. Il lui fallut guerroyer beaucoup, et longtemps, pour imposer son pouvoir et le principe dont il était porteur.
Le principal adversaire était le Plantagenet. Celui-ci possédait, outre l'Angleterre, la Normandie, le Maine et l'Anjou, l'Aquitaine... Contre Henri III, puis ses fils et successeurs Richard Cœur de Lion et Jean Sans Terre, la lutte fut âpre. Finalement, Philippe réussit à quadrupler par ses conquêtes l'étendue du domaine royal : il méritait ainsi l'épithète d'Auguste (étymologiquement, « celui qui augmente »). Mais, en un dernier sursaut, Jean Sans Terre noua une coalition avec l'empereur germanique Othon IV. Ainsi le sort du royaume se joua-t-il sur le champ de bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214.
D'un côté, Othon IV et ses alliés - vassaux du roi de France révoltés contre lui ; de l'autre, les chevaliers fidèles au roi renforcés par des communiers (hommes des communes) auxquels Philippe a fait appel et à qui il a confié l'oriflamme de Saint-Denis, le rouge étendard de guerre des rois de France. Beau symbole : le peuple, en ses diverses composantes, s'est levé pour défendre la cause nationale. Et le peuple a vaincu. Bouvines est un moment fort de l'histoire du nationalisme français.
✍ Pierre VIAL National Hebdo du 28 juillet au 3 août 1994
Pour approfondir : Gérard Sivéry, Philippe Auguste, Plon, 1993

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