vendredi 22 août 2008

L'année 1917 (1)


Le chemin des Dames
Au cours de la Première Guerre mondiale, 1917 fut l'année de tous les dangers. Elle commença en effet par la célèbre et désastreuse offensive du chemin des Dames, ordonnée par le général Nivelle. On a le cœur serré au spectacle de cette tragédie, désastre humain qui jaillît bien tourner au désastre militaire et politique. Mais qui était responsable ?
Pourquoi le président du Conseil, Briand, et ses ministres avaient-ils nommé Nivelle au détriment de chefs plus chevronnés et plus haut placés, Foch, Pétain ou Castelnau? Ce choix plut à l'état-major de Chantilly, d'autant plus qu'il avait été proposé par Joffre, mais déplut à la plupart des officiers.
Toutefois. en 1916, Nivelle avait contre-attaqué avec brio à Douaumont et multiplié les contre-offensives pour briser l'effort allemand contre Verdun. Or les politiques étaient avides d'une victoire que la plupart des militaires estimaient encore lointaine.
Nivelle, commandant en chef
L'offensive préconisée par Nivelle devait prendre les Allemands en tenaille dans le saillant d'Arras, Noyon et Soissons, et, pensait-on, réduire de beaucoup la durée de la guerre. L'attaque prudente et progressive prévue par Joffre devait se transformer en assaut concentré sur deux jours, destiné à rompre le front.
Par malheur, fin février, les Allemands se replièrent sur la ligne Hindenbourg, échappant à la prise en tenaille, et, début mars, ils s'emparèrent sur un officier tué des plans de l'opération. Tout était donc à refaire. Ou plutôt à ne pas faire, car le repli allemand avait fait perdre toute confiance dans l'attaque aux militaires et aux politiques.
De plus, à l'issue d'un hiver difficile, le moral des troupes était bas. Le nouveau président du Conseil, Ribot, ne se montrait pas enthousiaste, et le ministre de la Guerre, Painlevé, qui avait accepté de revenir après avoir donné sa démission à la nomination de Nivelle, l'était encore moins.
Pétain ne croyait pas à la percée. « Nous ne possédons pas les moyens de la réaliser. Les posséderions-nous qu'il nous faudrait des troupes fraîches pour l'exploitation. Disposez-vous des cinq cent mille hommes qui seraient alors nécessaires ?» Les Britanniques, eux aussi, se montrèrent sceptiques, même s'ils accomplirent avec loyauté leur part de l'effort. Seuls deux hommes gardaient confiance : Nivelle et Poincaré.
La responsabilité de Poincaré
Néanmoins, Nivelle, se trouvant seul contre tous, offrit alors sa démission. Mais l'homme de la situation était là: Poincaré, président de la République et par conséquent chef suprême des armées. Poincaré, qui avait joué un si grand rôle pour rendre la guerre inévitable, et qui par la suite devait contribuer avec ardeur à l' exaspération de l'Allemagne vaincue. Poincaré, donc, loin d'accepter la démission de Nivelle, décida que l'offensive aurait lieu.
La perspective de l'action et les importants mouvements de matériel que sa préparation entraînait fit cependant remonter un peu le moral, et même les Russes (on était à quelques mois de la révolution soviétique) acceptèrent d' y prendre part. Nivelle, qui avait établi son quartier général à Compiègne pour être plus près du front, faisait la tournée des popotes, déclarant: « Fini, cette fois, le barbotage dans la boue des tranchées! Le Boche sera reconduit tambour battant à ses frontières et au-delà. Vous entrerez dans les lignes ennemies comme dans du beurre lorsque notre formidable artillerie aura arrosé leurs tranchées et anéanti leurs défenses ».
À l'arrière, l'optimisme était aussi de mise. Tous discutaient des préparatifs en cours avec beaucoup d'enthousiasme ... mais peu de discrétion. Dans les bureaux, on en vint même à étudier des plans de démobilisation.
Pendant ce temps, les Allemands renforçaient leurs défenses et arrosaient les premières lignes d'un tir in-'cessant et meurtrier; un second coup de chance fit même tomber entre leurs mains, le 4 avril, les plans du dispositif de la cinquième armée et ses objectifs: c'était un simple sergent-major de zouaves qui en était porteur. Ce fait jeta la consternation à l'état-major, mais ne suffit pas à ébranler la confiance de Nivelle et encore moins celle de son chef de cabinet. le colonel Audemard d'Alençon. Ce dernier expliqua le la mai à un général de division ce qui allait se passer dans le secteur du chemin des Dames : « Nous arriverons ici, ici et ici, et ce sera fait ! » Le général murmura : « Nous y arriverons, ou nous n'y arriverons pas ... » En première ligne, Mangin attendait l'offensive avec optimisme, au point que le général Micheler confia à Clemenceau (alors sénateur) qu'il trouvait ses préparatifs "téméraires".
De plus, les premiers essais des chars d'assaut s'étaient révélés décevants. Peu avant, quatre-vingts d'entre eux s'étaient fait détruire en une seule attaque. Le troisième bureau considérait pour sa part que le mauvais temps à lui seul était un obstacle rédhibitoire.
À l'aube du 16 avril
L'offensive eut lieu malgré tout, sous une pluie glaciale qui avait duré toute la nuit, dans une boue que le dégel faisait monter dans les tranchées jusqu'à hauteur des genoux.
Le 16 avril, à six heures du matin, un million de fantassins sortirent des tranchées sur 65 km de front. Ils atteignirent les premières lignes allemandes, les secondes. parfois les troisièmes. Pour se rendre compte avec stupeur que l'artillerie n'avait détruit ni les réseaux de fil de fer barbelé ni les nids de mitrailleuses. Car les tranchées allemandes étaient bétonnées, et des boyaux et des tunnels reliaient les postes entre eux. Les hommes furent fauchés par centaines, sans même se rendre compte d'où venaient les tirs !
Dès sept heures, la bataille de Craonne était perdue. À neuf heures. elle l'était à Laffaux. L'artillerie ayant pris du retard à cause des intempéries. elle déclencha trop tard un tir de barrage qui à plusieurs endroits écrasa ses propres troupes. À midi, le malaise régnait à l'état-major. L'arrivée des premiers trains de blessés répandit l'effroi à Paris. Dès onze heures, les troupes d'exploitation regagnèrent leurs cantonnements sans avoir été engagées. Beaucoup de combattants ne purent regagner les leurs qu'à la faveur de la nuit.
Fatalité ou aveuglement ?
Nivelle avait promis d'arrêter l'offensive si elle ne donnait pas de résultat en deux jours. Il n'en fit rien, et Poincaré refusa de s'en mêler ! Le 4 mai, l'assaut reprit, toujours sous une pluie glacée et sans préparation, faisant des centaines de morts en moins d'une heure à Laffaux. C'est le 15 mai seulement que Nivelle fut relevé de son commandement et remplacé par Pétain. Les combats ne purent cependant cesser tout à fait que vers le 22 mai.
L'afflux des blessés dans toute la France (les hôpitaux du front étaient débordés) sema la consternation. « On nous a assassinés ! » criaient aux passants depuis leurs camions les hommes ramenés au repos. La censure constata que le ton des lettres des soldats rescapés était des plus noir. Les officiers eux-mêmes ne voyaient plus d'issue à la guerre. La responsabilité de Nivelle, qu'il tenta en vain de rejeter sur ses seconds, était lourde.
Toutefois, lorsqu' il passa en conseil de guerre, aucune faute militaire ne fut relevée contre lui. Sans doute cet officier brillant, qui avait su séduire par son allure et son enthousiasme, avait-il été victime de son aveuglement. Mais force est de constater que, mis en présence des faits, Poincaré n'avait pas pris la décision d'empêcher l'offensive, au moment décisif où Nivelle lui-même était prêt à y renoncer.
C'est à Pétain que revint la tâche ingrate et pénible de faire face aux mutineries qui éclatèrent et de remonter le moral de l'armée. Ces mutineries sont la conséquence de l'échec sanglant de l'offensive, mais aussi d'une propagande pacifiste et de trahisons auxquelles l'attitude complaisante du ministère de l'Intérieur avait laissé le champ libre...
Pierre de Laubier. FDA août 2007

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