mardi 18 décembre 2007

Alésia retrouvée

L'opinion répandue et même quasi officielle voudrait qu'Alésia se trouve à Alise-Sainte-Reine, en Bourgogne. Mais des irréductibles chercheurs soutiennent depuis déjà longtemps qu'il n'en est rien. Danielle Porte, disciple enthousiaste d'André Berthier ; fait le point sur la question et démontre dans un livre passionnant que le site d'Alésia se trouve en Franche-Comté.

Ce livre est à recommander à tous ceux qui ne s'intéressent ni à l'archéologie, ni à la guerre des Gaules. Ils se surprendront à se passionner pour une question à première vue secondaire : où Alésia se trouvait-elle ? «Je ne chais pas où ch'est, Alégia !» s'écrie un vieux Gaulois dans Le Bouclier arverne. Mme Porte, elle, croit le savoir, et nous fait partager avec fougue sa conviction.

Les Éduens ou les Séquanes ?

Question secondaire, l'emplacement du site de cette ultime bataille ? Non, car selon qu'on le place en Bourgogne (chez les Éduens) ou en Franche-Comté (chez les Séquanes), tout le sens de la guerre des Gaules en est changé.

Mme Porte n'est pas archéologue mais professeur d'histoire romaine à la Sorbonne. C'est avant tout au texte de La Guerre des Gaules qu'elle fait appel pour connaître le site et le déroulement de la bataille. Mais César n'aurait-il pas arrangé les choses à sa manière ? Non, affirme-t-elle, parce que nombre de ses adversaires politiques (et quelques-uns de ses futurs assassins) ont fait cette guerre avec lui et n'auraient pas manqué de relever à plaisir toute exagération. Ce qui ne fut pas le cas.


Le vrai site d'Alésia, disons-le tout de suite, c'est Chaux-des-Crotenay, en Franche-Comté ! Tout, dans le site identifié non par Mme Porte mais par son prédécesseur André Berthier à qui elle rend un vibrant hommage, correspond point par point à la description et au récit de Jules César.


L'histoire sur le terrain


Mais le plus passionnant (et surprenant) est de voir à quel point l'emplacement de la bataille change le sens même de cette guerre. À Alésia, ce n'est pas Vercingétorix qui est pris au piège, mais César lui-même ! C'est Vercingétorix qui avait longuement médité de le conduire à cet endroit pour l'y affronter et, espérait-il, l'y écraser.


Ce n'est pas le chef gaulois qui est poursuivi par César mais l'inverse. César, harcelé de toutes part et affamé par la politique de la terre brûlée que pratique son adversaire (et on comprend très bien pourquoi), cherche à regagner la Provence. S'il était passé par Alise-Sainte-Reine, jamais il n'aurait assiégé la ville : il aurait suivi le couloir rhodanien pour aller franchir les Alpes comme il en énonçait clairement l'intention.


Impossible à Chaux-des-Crotenay (Jura). César ne peut pas passer, mais Alésia, "très grande ville, libre et inexpugnable, foyer et métropole de toute la Gaule celtique", écrit-il, est imprenable de vive force. Il en fera donc le siège, tout en étant sous la menace de l'armée de secours gauloise. D'où la double enceinte qu'il édifie, l'une offensive, si l'on peut dire, l'autre défensive. Le piège tendu par Vercingétorix se serait refermé si... une partie de l'armée de secours n'avait trahi la cause et décampé sans livrer bataille.


Austerlix le Gaulois


Certes, dût l'orgueil gaulois, ou ce qu'il en reste après tant de siècles, en souffrir, la fin de l'histoire n'en demeure pas moins la même. Toutefois, la figure de Vercingétorix en sort bien changée, en même temps que le déroulement des opérations. On voit tout à coup un chef Gaulois parfaitement maître de la situation agir comme Napoléon avant Austerlitz : très longtemps à l'avance, il choisit le lieu de l'affrontement y conduit invinciblement son adversaire.


Soyons beaux joueurs : César reste César. Ses talents de général ne s'en trouvent pas diminués, bien au contraire : on lui restitue un adversaire à sa mesure. Et, du même coup, le récit de La Guerre des Gaules acquiert un relief et une véracité admirables. Sans cesser d'être l'œuvre littéraire que Cicéron, pourtant opposé à César, admirait, avec d'autant plus d'honnêteté que son propre style était tout différent.


Le livre de Mme Porte ne manque de rien pour passionner le lecteur. Il lui fait redécouvrir un épisode fondateur de l'histoire de France avec une puissance d'évocation rare. Mais elle y ajoute une réjouissante passion dans son acharnement à détruire une thèse officielle qui, devant ses arguments, résiste moins longtemps que les murailles d'Alésia.


On revit cette bataille qui mit aux prises pas moins de 95.000 Gaulois à l'intérieur de l'oppidum, 70.000 légionnaires romains plus la cavalerie, et les 150.000 hommes environ de l'armée de secours.


On s'emporte avec l'auteur quand elle expose tous les trucages qui ont permis aux savants du temps de Napoléon III de faire tenir debout, sur des béquilles branlantes, une construction qui avait pour seul mérite de complaire à l'Empereur (encore que celui-ci se soit montré à la longue quelque peu méfiant). Textes triturés, fouilles truquées pour alimenter en objets de l'époque de Néron (cent cinquante ans après l'affaire !) le musée des antiquités de Saint-Germain-en-Laye. Aussi passionnant que lorsque, dans un roman policier, le flic ripoux est enfin démasqué.


Alesia delenda est


Le plus passionnant est de se retrouver plongé dans cette bataille comme si on y était, car tout y est, même le gué que Vercingétorix franchit pour se rendre à César, et les raisons pour lesquelles l'emplacement du site d'Alésia devait être oublié. Et l'intérêt du lecteur est ravivé par cette rafraîchissante polémique et cette belle ardeur à ébranler et démolir les vérités qu'on aurait cru, en toute naïveté, les mieux établies.


On aurait pu croire un sujet pareil à l'abri de la pensée unique. Le livre de Mme Porte révèle que cette pensée unique voudrait régner même sur le site des batailles de l'an 52 av. J.-C. ! Ce n'est pas la moindre surprise de ce livre.



Danielle Porte, L'Imposture Alésia, éd. Carnot, 2004, 296 p., 20€. André Berthier, Alésia, Nouvelles Éditions latines, 1991, 335 p.


Source : Pierre de Laubier, Français d'Abord : décembre 2004

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