vendredi 12 octobre 2007

L'ILIADE ET L'ODYSSÉE

Quelle vérité historique ?
« Chante, déesse, la colère d 'Achille, le fils de Pélée; détestable colère, qui aux Achéens valut des souffrances sans nombre et jeta en pâture à Hadès tant d'âmes fières de héros, tandis que de ces héros mêmes elle faisait la proie des chiens et de tous les oiseaux du ciel- pour l'achèvement du dessein de Zeus. Pars du jour où une querelle tout d'abord divisa le fils d'Atrée protecteur de son peuple, et le divin Achille ... »
Extrait du début de L'Iliade, chant 1

L'lliade et l'Odyssée sont deux longs poèmes divisés respectivement en 24 chants, correspondant aux 24 lettres de l'alphabet grec. Leur thème central est la Guerre de Troie entre Achéens et Troyens et le retour d'un des guerriers héroïques: Ulysse. Ce sont des poèmes homériques, fondations à la philosophie et à la culture grecques. Mais quelle est la vérité historique (ou les vérités) qui se cache(nt) derrière ce texte magnifique et universel?

HOMÈRE
Il est habituel d'attribuer à Homère, un grand poète grec né sans doute en Ionie, au IXe ou au VIlle siècle avant J.-C., à la fois l'Iliade et l'Odyssée. Nos lecteurs savent fort bien que l'Iliade raconte la guerre de Troie, principalement la lutte des deux héros, Achille et Hector (" La pointe va tout droit à travers le cou délicat (d 'Hector). La lourde pique de bronze ne perce cependant pas la trachée: il peut ainsi répondre et dire quelques mots. Et cependant qu'il s'écroule, le divin Achille triomphe ... "), alors que l'Odyssée relate le long voyage de retour d' Ulysse. un héros plein d'astuces, vers son île d'Ithaque.
Quant à la réalité des récits ainsi rapportés, rien ne la prouve hors une longue tradition orale, un peu à la manière dont les chansons de geste se sont transmises durant notre Moyen Age. Un exemple suffira à faire comprendre la complexité des choses: la Chanson de Roland qui décrit des faits s'étant produits à la fin du VIlle siècle, n'est fixée dans les textes que par Thurold, durant la seconde partie du XIe. Elle est alors devenue un texte de propagande en faveur d'un monde chrétien combattant le monde musulman. Ainsi Roland et sa petite arrière-garde mettent-ils à mal, avant de périr, des centaines de milliers de musulmans. La réalité est bien différente: en quelques instants des Basques, des Vascons, ont anéanti la petite troupe du comte Roland (de la Marche) et pillé ses bagages pour se venger de la destruction de Pampelune par les troupes de Charlemagne.

LES FOUILLES DE SCHLIEMANN
C'est un autodidacte, passionné d'archéologie et de culture grecque, Heinrich Schliemann qui conduisant à partir de 1871, une campagne de fouilles à Troie, à l'entrée des Dardanelles, découvre, deux ans plus tard, ce que l'on a appelé le «trésor de Priam ». Un ensemble d'objets en or et de pièces de mobilier datant (on le sait à présent) du me millénaire avant J.-C., ce qui est, évidemment; très antérieur à la guerre de Troie. En 1874, Schliemann qui s'est déplacé dans le Péloponnèse, dégage, à Mycènes, la fameuse porte des Lions et les tombes dites du cercle A. C'est là qu'il met à jour le soi-disant trésor d'Agamemnon, avec son masque d'or bien connu. Là encore, ces objets remontent au IIe millénaire avant le Christ!

DÖRPFELD RÉTABLIT PARTIELLEMENT LA VÉRITÉ
Conscient de ses approximations, Schliemann fait appel à un véritable archéologue professionnel, Wilhelm Dorpfeld. Il écarte les hypothèses de Schliemann sur les deux trésors et impose sa conception des choses. Il réalise un travail remarquable, parvenant à repérer neuf couches successives d'occupation du site urbain de Troie. Puis il affirme que la fouille de Troie VI constitue celle du fameux siège.
Mais de nouvelles fouilles, au xxe siècle, en particulier celles de Korfmann, permettent de penser que Troie VI fut détruite par un tremblement de terre. Et qu'il n'est pas totalement certain que Troie VII, aux murs noircis, soit bien la cité incendiée par les Grecs, décrite dans l'Odyssée.
Et il est peu probable que les Mycéniens soient ceux qui aient attaqué et détruit Troie, puisque leur civilisation a disparu vers 1200 avant J.C. Or, les objets qu'Homère décrit dans l'Odyssée semblent bien être mycéniens. Le mystère s'épaissit! Une seule hypothèse permet de concilier les contraires: Homère s'est servi de vieux matériaux pour les figer en chants successifs. Ce qui explique que ses acteurs soient, en partie, mycéniens. On peut raisonnablement penser que les chants d'Homère ont été composés vers 800 avant J-C., en raison de l'utilisation de l'hexamètre, puis figés sous Pisistrate, le tyran d'Athènes au VIe siècle. Ils sont alors lus le jour de la fête d'Athéna, les fameuses Panathénées.
La solution du mystère se situe sans doute au niveau de la mixture homérique, si l'on ose dire. Le poète aveugle mêle des souvenirs et des traditions datant de plusieurs époques: pour une part mycénienne, mais aussi de civilisations plus récentes.

LA GUERRE DE TROIE A-T-EU LIEU?
La réponse est très probablement positive. Située à l'entrée du détroit des Dardanelles, qui contrôle l'accès à la mer de Marmara, puis au Bosphore et à la mer Noire, Troie fait payer des droits de péage, de mouillage, des approvisionnements en eau et en vivres à tous les navires qui empruntent ce passage. Et ils sont nombreux, car, en cette ère du bronze, si les Grecs disposent de cuivre (Chypre, Égypte, Crète), il leur faut aller chercher l'étain sur les rives de la mer Noire, jusqu'au Caucase. Bien plus, les courants, dans le détroit des Dardanelles, s'inversent pendant six mois ce qui oblige à de longs séjours portuaires à Troie.
Ainsi, les Troyens s'enrichissent-ils aux dépens des Grecs. Ces derniers décident de mettre fin à ces excès qui les ruinent. Ils viennent assiéger Troie et la détruisent. Sans doute vers 1200 avant J-C., si l'on accepte que Troie VII soit bien la bonne couche! Mais alors d'où viennent ces chars, inconnus en Grèce avant l'ère classique, décrits par Homère? On voit que l'énigme n'est pas totalement résolue! Sauf à ce que le texte originel d'Homère, qui se transmettait oralement, ait été enrichi au fur et à mesure des siècles jusqu'à Pisistrate ...

ET QUI A ÉCRIT L'ODYSSÉE?
L'Odyssée est si différente de l'Iliade que l'on hésite à l'attribuer au même auteur. A moins que la première, l'Iliade, soit une œuvre de jeunesse et la seconde, plus subtile, une composition de vieillesse. En effet, d'un certain point de vue, les deux poèmes racontent, pour l'essentiel, les aventures de deux héros: Achille et Ulysse. Achille est un guerrier parmi d'autres alors qu'Ulysse est un solitaire. Alors qu'il n'existe guère de message codé dans l'Iliade, hors le parti pris des Dieux, qui ressemblent ainsi singulièrement à des humains (toujours cette distanciation des Grecs vis-à-vis de leurs dieux anthropomorphes), l'Odyssée constitue un remarquable chant initiatique. Les Anciens ayant considéré que la même main a composé les deux chants, il convient, faute d'hypothèse rivale crédible, de les suivre.

ULYSSE, LE GREC MALICIEUX
Le héros de l'Odyssée n'est autre que celui qui a, enfin, permis aux Grecs de l'emporter sur les Troyens, par la ruse, celle du cheval de bois. Lors de son retour vers Ithaque, Ulysse va devoir déployer toutes les ressources de sa malice et de sa subtilité. Il incarne, en vérité, l'intelligence grecque face à la brutalité barbare et aux pièges de la nature. Ainsi va-t-il, successivement, triompher des Lotophages, du Cyclope, des Lestrygons, de l'enchanteresse Circé, de Charybde et de Scylla, et même de Calypso qui le retient dix années en ses rets. Sans compter qu'à la fin, il exécute tous les prétendants trompés par son déguisement de mendiant.

UN OUVRAGE INITIATIQUE
L'Odyssée se présente comme un ouvrage initiatique: voilà, un récit foisonnant, empli d'allers et retours, raconté en déroulement inversé. Ainsi, le récit débute-t-il par la fin : le départ de Télémaque parti à la recherche de son père, le retour d'Ulysse à Ithaque et sa vengeance contre les prétendants de sa fidèle épouse Pénélope. Ensuite, seulement, Homère en vient à la description des errements du héros en Méditerranée.
S'agit-il, avec ces va-et-vient entre monde réel et monde de l'étrange et de l'imaginaire d'un pur conte de fées avec ses monstres marins, ses magiciennes, ses drogues, ses enchantements? Non, point tout à fait: car voici que surgissent les repères principaux du récit, des archétypes humains: fidélité de l'amour conjugal avec Pénélope, fidélité au maître avec le porcher Eumée, amour pour l'enfant avec Euryclée, sagesse avec Laërte ...
La clé du message laissé par Ulysse est assez limpide: c'est auprès de son épouse fidèle qu'Ulysse veut finir sa vie, délaissant l'immortalité que Calypso voulait lui apporter. Telle est l'expression ultime de la sagesse grecque: accepter son destin de mortel... Au total, un hymne beaucoup plus optimiste que celui de l'Iliade et de sa profonde iniquité.

PEUT-ON RECONSTITUER LE PÉRIPLE D'ULYSSE?
Naturellement l'Odyssée s'inspire lourdement de la connaissance qu'ont alors les Grecs du bassin méditerranéen. La route suivie par Ulysse ne semble pas la plus courte. Parti avec dix navires, il achève son long périple de plus d'une décennie, sur un radeau!
Déjà Strabon s'efforce de reconstituer les périples d'Ulysse. Mais il n'y parvient guère, car pour une part, le récit de l'Odyssée est totalement imaginaire.
Il est très possible que l'île des Lotophages soit la Djerba tunisienne, que celle d'Éole soit l'îlot de Stromboli, et peut-être l'oracle des morts est-il émis depuis le lac Arverne et le mont Circeo correspond-il au domaine de Circé ... Les circonvolutions apparentes d'Ulysse qui, sans le savoir, va très rapidement se retrouver à proximité d'Ithaque, avant d'être contraint de boucler un très long voyage, sont hautement symboliques. Un clin d'œil appuyé sur la fragilité de la destinée humaine ...

QUE PENSER DE LA PRÉSENCE D'UN PALAIS À ITHAQUE?
Deux archéologues pensent avoir découvert des traces archéologiques du palais d'Ulysse à Ithaque. Mais les traces observées, un morceau de poterie où l'on distingue un homme attaché au mât d'un navire et une tablette gravée, portant un trident, datant probablement de l'époque mycénienne, n'ont rien de déterminant.
Évidemment, si l'on pouvait prouver que ces vestiges sont contemporains d'Ulysse, on aurait réalisé un grand progrès dans la datation précise de la guerre de Troie ...
On en est loin !
Philippe Valade , dossier d'actualité de l'histoire juin-juillet 2007

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