dimanche 21 octobre 2007

La véritable histoire de la bataille de Valmy


DANS la mémoire collective - et dans les bouquins d'histoire façon Mallet-Isaac - la bataille de Valmy (20 septembre 1792) nous est donnée comme une grande victoire républicaine, l'effet de la furia francese de quelques sans-culottes qui ont su balayer les armées professionnelles des Prussiens et des Autrichiens.

Si il y eut, à Valmy, une histoire de sans-culottes, c'est pour les raisons que nous allons dire et non pour celles que les historiographes de la chose révolutionnaire ont martelé dans les crânes des petits Français.

Valmy est un lieu-dit - un moulin en marque l'emplacement - situé entre Champagne pouilleuse et Champagne humide. En ce jour de septembre 1792, deux armées se font face. L'armée des Rois, composée d'une coalition d'Autrichiens (emmenés par le général Clerfayt), de Prussiens (drivés par le duc de Brunswick) et d'émigrés royalistes parmi lesquels on reconnaît au passage les comtes de Provence et d'Artois. L'armée républicaine est commandée par Dumouriez et Kellermann. Le duc de Chartres, futur Louis-Philippe, Orléans oblige, a choisi le camp où sa famille s'est toujours complue.

L'enjeu de cette rencontre est simple. Il s'agit de couper la route aux Impériaux, en marche sur Paris. L'engagement commence le 20 septembre, vers 7 heures du matin, de façon classique : artillerie contre artillerie. Un peu avant midi, le roi de Prusse, Frédéric -Guillaume, commande l'assaut. En quelques minutes, les Impériaux arrivent à hauteur du moulin où se tient Kellermann. Qui ordonne la contre-attaque. D'attaques en contre-attaques - le tout sous le feu roulant des batteries - on arrive, vers les 16 heures, à une sorte de match nul. A la nuit tombée, on décide, d'un commun accord, de prendre un repos bien mérité.

Le 21 au matin, même jeu, même donne. Avec, en milieu de matinée, un léger avantage aux Républicains qui, ayant mené une charge d'intimidation, vont avoir la surprise de voir les Prussiens décrocher en courant et ne plus s'arrêter de courir jusqu'à la frontière ... La bataille de Valmy venait d'avoir lieu. Il y avait, d'un côté, 40 000 Républicains. De l'autre, 35 000 Impériaux. Les Républicains auront 250 morts, les Prussiens, 164 ...

Cette « bataille » avait été si discrète que le ministre français de la guerre ne la mentionna même pas dans le rapport qu'il fit, plusieurs jours après la rencontre, à la Convention. Et Kellermann, dans ses Mémoires, en rend compte distraitement sous le nom d'« affaire de Valmy».

Si l'on veut bien évacuer les accusations portées contre Brunswick - il aurait passé accord avec Dumouriez qui, comme lui, était franc-maçon on s'arrêtera un moment aux causes réelles de ce qu'il faut bien appeler la «courante» prussienne (ou, comme on l'écrivit à l'époque, « la courrée prussienne» ).

Septembre 1792 avait été un mois pourri. Jour après jour, la pluie va tomber sur les troupes austro-prussiennes qui, l'intendance ayant du mal à suivre sur les routes transformées en torrents de boue, resteront près d'une semaine sans couchage et sans ravitaillement.

Les soldats, crottés, épuisés, affamés, vont ainsi se rabattre sur ce qu'ils peuvent trouver. Quelques pommes de terre. Un peu de farine. Des fruits de bord de chemin. Et surtout, des raisins. Des raisins verts ... D'où, très vite, d'épouvantables coliques qui transformeront les soldats austro-prussiens en ... sans-culottes. Une gravure de 1792 montre le duc de Brunswick, culotte baissée. Le texte dit :
« La foire est un fléau à nul autre pareille/On a beau se traiter/La vilaine qu'elle est nous fait la sourde oreille/Et nous laisse chier./Le Piéton dans son sac pressé/Par la colique/Eprouve ses douleurs/Elle soumet de même à sa fureur/chyrique/les Rois, les Empereurs. »

Après Valmy, quand les Français réoccuperont un des camps ennemis - le camp de la Lune, cela ne s'invente pas ... ils découvriront des fosses d'aisance pleines d'excréments sanglants. Quelques jours plus tard, Dumouriez est obligé de contourner Grand Pré, village «plein d'exhalaisons pestilentielles ».

Marat notera dans son Journal: « Nos succès à l'égard des Prussiens ne paraissent plus douteux. Ils sont moins dus aux avances de nos armées qu'aux pertes qu'ont fait leurs troupes par le flux de sang. »

Les médecins, qui ont étudié cette « courée prussienne », ont nommé cette dysenterie: il s'agissait d'une shigellose (dysenterie bacillaire de Shiga) particulièrement épidémique.

Michelet s'est fait l'écho de cette dysenterie ravageuse qui fut prétexte, parfois, à une fraternisation entre les deux camps : « Quand ils virent passer par charrettes les Prussiens malades, pâles de faim et de fièvre, brisés par la dysenterie, ils s'arrêtèrent court, les laissèrent passer. Ceux qu'ils prirent, ce fut pour les soigner dans les hôpitaux français. A Strasbourg, soldats et bourgeois traitèrent les prisonniers comme des frères; on partagea avec eux le pain, la viande, la soupe ... la dépense n'était pas petite, ils étaient trois mille. »

On est loin, on le voit, des images d'Epinal qui exhaltent « l'armée de vagabonds, de tailleurs et de savetiers», qui aurait défait celle de vaniteux aristocrates... Loin, aussi, des pompiérismes de Goethe qui, présent sur ce jour-là, écrira, sans crainte du ridicule: «De ce jour et de ce lieu date une nouvelle époque de l'Histoire du monde et vous pourrez dire: j'y étais. »

Voulant raison garder, le professeur Destaing préfère rappeler que si 164 Prussiens moururent à Valmy, 20000 d'entre eux, 30 000 peut-être, « avaient déjà été frappés au ventre» :

- Une pudeur pudibonde a permis de passer trop longtemps sous silence ce providentiel appui apporté à l'armée française. Les sectaires peuvent toujours s'insurger et les prudes s'offusquer, les chiffres parlent d'eux-mêmes. A Valmy, les raisins verts furent la cause première de la débâcle ennemie, de la victoire des Sans-Culottes et de la Révolution sur ... les sans-culottes du Roi de Prusse.

Alain Sanders National Hebdo du29 sept au 5 oct 1988

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