mardi 3 décembre 2024
Histoire médiévale des imaginaires paysans, de Jean-Pierre Devroey
Quelle est la signification des phénomènes météorologiques ? La période médiévale ne rompt pas avec la conception antique dominante d’un univers à la fois organisé et signifiant. La conception matérialiste et rationaliste d’un Démocrite (+ vers 370 av. J.-C.) reste en réalité marginale jusqu’au XVIIIe siècle : l’univers antique et médiéval n’est pas le résultat d’un simple jeu d’atomes, mais une totalité où se manifestent et s’affrontent acteurs et intentions. Les guerres n’ont pas plus d’effets sur le genre humain que les catastrophes apparemment naturelles, les affrontements seigneuriaux que les épidémies, les famines et les intempéries. Si le souverain décide de la guerre, n’est-il pas mû par ses passions ? Le vice peut être désiré, attisé par une force tierce et maligne. La témérité même peut être tolérée par Dieu pour le triomphe des gentils et l’accomplissement des saints, suivant la doctrine de saint Augustin (+ 430). Sous l’aiguillon du christianisme, l’Europe médiévale tend à rationaliser son expérience de la nature, des aspirations humaines aux manifestations météorologiques. La croyance en un Dieu unique et créateur du monde traverse les communautés. Une élite cléricale examine en son nom les mentalités communes tout en leur imposant une interprétation nouvelle.
L’ouvrage de Jean-Pierre Devroey explore l’histoire des mentalités par de solides exemples. 13 avril 1360 : l’armée du roi Édouard III d’Angleterre, qui fait route vers Chartres, est décimée par un orage « redoutable surtout par la grosseur des grêlons » qui s’abat sur les chevaux et les hommes d’armes. Jean Froissart, dont les Chroniques confèrent aux évènements de la Guerre de Cent Ans une unité, peut l’évoquer comme un « grand miracle » brisant le courage du souverain anglais. Il ne s’agit vraisemblablement pas d’une réécriture à fin de propagande. Les conseillers entourant Édouard III peuvent conclure qu’il s’agit « d’interpréter correctement » les phénomènes célestes. La violence de l’orage ? Il s’agit d’une « verge de Dieu envoyée pour l’exemple » indiquant aux souverains que le temps est venu de conclure un accord de paix.
Froissart témoigne ici de la permanence d’une mentalité. Songeons à Hérodote, qui rapporte déjà que les Lydiens et les Mèdes cessèrent le combat « quand ils virent que le jour s’était transformé en nuit », convaincus que les dieux exigeaient d’eux la fin de l’affrontement (bataille dite de l’Éclipse en 585 av. J.-C.). Encore l’astronome Thalès en aurait-il prévenu les Grecs, tandis que la Bible fournit à l’élite cultivée médiévale les clefs de son interprétation. Deux types d’élite, deux modalités de compréhension d’un monde à la fois rationnel et symbolique se distinguent sans, pour autant, résumer la dynamique de la civilisation occidentale. La confrontation de l’élite intellectuelle – soucieuse de la norme – et des masses paysannes s’avère peut-être plus décisive. L’aspiration à la « christianisation » des populations (suivant l’expression forgée par Tertullien [+ 240 ap. J.-C.]) ne fit que révéler un clivage profond et durable. Il ne s’agit plus de tolérer dans l’indifférence ou le mépris une masse servile, en se contentant de réprimer les troubles à l’ordre public. Il s’agit désormais d’évaluer, de contrôler, finalement de transformer la population.
Que faire face aux exigences élitaires ? Le « proposé, le prescrit, le toléré et le proscrit » constituent autant d’éléments de négociation entre le monde paysan et les tenants de la norme. Acceptant volontairement, s’accommodant, réinterprétant ou refusant les pratiques et croyances impulsées, les communautés paysannes s’assurent de leur manière singulière d’habiter le monde (Descola, Ingold, Lussault, Être au monde. Quelle expérience commune ?, 2014). L’ouvrage de Jean-Pierre Devroey participe ainsi à écrire un chapitre de l’histoire des communautés populaires du continent. Admettons à sa suite qu’il « faut refuser l’idée reçue selon laquelle les superstitions paysannes qui survivent jusqu’à l’époque contemporaine seraient forcément les vestiges d’anciennes pratiques ancestrales ». En d’autres termes : le monde rural n’est pas un simple conservatoire, la manifestation pérenne d’une « culture sui generis ». On ne trouverait pas nécessairement en lui plus de « croyances universelles et primitives » qu’en d’autres espaces et milieux. L’historien Alain Dierkens avait pu, quant à lui, souligner que le « christianisme ne s’est pas implanté en une fois. Il s’est heurté à des résistances, actives et (surtout) passives, dont on ne peut sous-évaluer la force ». Et, depuis longtemps, Jean Delumeau avait diffusé la thèse voulant que « la christianisation réelle des campagnes de l’Occident ne soit pas antérieure au XVIe siècle, au XVIIIe ou au XIXe siècle ».
Il est d’autant plus dommage que Jean-Pierre Devroey ne discute pas davantage la signification sociale et anthropologique de ses découvertes, se maintenant à équidistance des diverses écoles pour se livrer plus librement à un inventaire raisonné. La mentalité et les pratiques d’un paysan européen dépendent-elles d’un certain mode de production ? ou de conceptions devenues autonomes ? Sont-elles analogues à celles d’un laboureur d’un autre continent, confronté aux mêmes conditions matérielles et à la pression des éléments ? Rappelons qu’Émile Durkheim soutenait quant à lui la possibilité pour les faits sociaux de perdurer par la « force de l’habitude » après la disparition de leur fonction sociale objective (Règles de la méthode sociologique, 1895).
Jean-Pierre Devroey passionne cependant lorsqu’il présente et commente les sources mises à jour : évêque de Lyon (où il fut honoré sous le nom de saint Agobo ou Aguebaud – et pas au-delà), Agobard (+ 840) consacre un traité à l’origine des phénomènes météorologiques (De grandine et tonitruis [Sur la grêle et le tonnerre]). Son objet précis ? Démontrer que si « presque tous les hommes, nobles et non nobles, urbains et rustiques, vieux et jeunes, pensent que la grêle et le tonnerre peuvent être provoqués par la volonté des hommes », nul ne possède un tel pouvoir sur la nature. De fait, les Écritures chrétiennes ne montrent ou n’annoncent rien de tel. La foi chrétienne permet et légitime une paradoxale entreprise de rationalisation. Au nom de la foi, il faut expliciter la gravité des actes et pensées « de celui qui attribue à un être humain ce qui est l’œuvre de Dieu. » Peut-on honnêtement et rationnellement accuser quelques individus d’être « tombés du ciel de vaisseaux voguant sur les nuages pour s’emparer des récoltes détruites par les intempéries et les transporter ensuite vers un pays nommé Magonia » ? Le clergé catholique parvient ici à éviter le lynchage – précisément, la lapidation – des individus capturés. Les « tempestaires », prétendument dotés de pouvoirs (supérieurs ? magiques ? démoniaques ?), assureront la postérité du Traité d’Agobard : au milieu du XVIIe siècle, Cyrano de Bergerac en use pour moquer la crédulité. Les occultistes s’en saisissent au XIXe siècle, fascinés par la mention des démons de l’air (les « sylphes »).
Annonçant les efforts modernes de mise en forme du peuple, l’époque médiévale voit s’affirmer une « pédagogie pour éduquer les élites et discipliner la population ». Figure majeure du cercle des intellectuels auprès de Charlemagne, Alcuin (+ 804) expose déjà une série de problèmes de mathématiques et de logique « destinés à aiguiser l’esprit des jeunes gens ». La thèse de l’omnipotence de Dieu – combinée, plus ou moins heureusement, avec la thèse du libre arbitre de l’homme – implique de déceler les supercheries et d’établir une image stable et commune de la réalité. Le pécheur public persévérant dans ses fautes ou ses tromperies se trouve logiquement différencié du sot issu du peuple, incapable de s’élever à la dignité de l’individu rationnel. Le clerc Amolon (+ 852) récuse ainsi le recours aux démons censés légitimer, justifier, finalement excuser des comportements excentriques, déviants ou délictuels. Les convulsionnaires de Dijon ? Ils « faisaient semblant d’être contrariés par des démons […] Une fois disciplinés par des coups et des coups violents, [ils] avouaient immédiatement leur pitoyable illusion et exposaient publiquement l’état de besoin et la pauvreté et la raison desquelles ils avaient montré ces choses ». Il ne s’agit pas tant de reconnaître puis combattre une série de rapports distincts au monde, mais de dénier finalement toute signification aux mentalités qui semblent dominer dans les campagnes (concrètement, au sein de la grande masse de la population). Celles-ci ne sont pas le lieu par excellence de manifestation de forces obscures – contre-chrétiennes – comme s’il s’agissait du revers d’une pièce. Elles sont le lieu de l’irrationnel ; de l’absurde. S’il doit advenir, l’espace commun sera non seulement dominé mais défini par une élite intellectuelle, dépositaire du monopole de la rationalité (certes suivant le paradigme chrétien : fécondée par les Écritures dont elle est l’auxiliaire).
Les sociétés médiévales demeurent cependant des « sociétés partielles ». Les communautés villageoises s’avèrent rétives à la tentative cléricale (et urbaine) d’imposer une hégémonie culturelle. La « petite tradition » locale cohabite avec la « grande tradition » à prétention globale, alors que la christianisation relève en pratique du « refus de la culture folklorique par la culture ecclésiastique » (Jacques Le Goff). Est-ce à dire que le conflit des visions du monde est en l’espèce réductible à une série de conflits sociaux ? Jean-Pierre Devroey conclut que la « question des croyances s’inscrivait au Moyen Âge, comme la question sociale, dans un champ mouvant de luttes et de tensions avec les élites qui visent à contrôler et à dominer la société rurale. » La masse populaire restera longtemps maîtresse sur son propre terrain d’interpréter les pratiques prescrites par l’élite cléricale.
On peut bien sûr être sensible aux actions débouchant sur l’expérience de la communauté, au sens fort du terme. Face aux menaces – grêle dévastatrice objective et démons de l’air supposé –, le collectif villageois peut certes organiser des processions, planter des croix en quelque endroit signifiant et demander à ses prêtres de multiplier les oraisons pour la pluie ou pour la sérénité du temps avant de procéder à un exorcisme contre les forces aériennes du mal. Nous ne pouvons assurément qu’aspirer à « l’idée d’un vivre et d’un sentir communautaire » et à la constitution d’une « communauté existentielle ». Encore la méfiance persistante de l’Église à l’égard de ceux qui érigent des calvaires sans régler leur vie sur les commandements chrétiens témoigne-t-elle de plus que d’une insatisfaction cléricale permanente. Elle fait signe vers l’incapacité des sociétés médiévales et du début de l’ère moderne à s’unifier sans contrainte ni violence par le haut, grâce à la diffusion et l’intériorisation des conceptions élitaires. La répression de la magie puis la mal-connue « chasse aux sorcières », apparaissent ensuite comme des étapes indispensables à la formation de l’individu et de l’État moderne.
Où peut alors aller notre sympathie ? Il semble téméraire de prendre le seul parti de ceux de nos ancêtres qui, à l’instar des agriculteurs du Quercy à la suite de mauvaises récoltes, « fouettaient les statues des saints pour avoir échoué à protéger les fruits de leur labeur de la grêle et de la gelée » ; ou encore de ces agriculteurs en pays protestant qui utilisaient « le texte imprimé des sermons de pasteurs réputés sur la nature […] comme amulette paragrêle ».
On reste évidemment fasciné par la diversité enracinée qui fut celle de nos sociétés. Force est cependant de constater qu’elle a largement disparu avec ses charmes et aspérités, alors que le modèle rationalisateur et unitaire propre à la Modernité semble se décomposer. Il serait d’autant plus naïf d’espérer le salut de la seule spontanéité populaire ou de l’affirmation de nouvelles tribus (Michel Maffesoli) privilégiant les sentiments et les micro-récits à l’effort de mise en forme culturelle et politique de la réalité. Plus que jamais, nous devrions considérer la valeur de la sentence – de l’axiome – voulant qu’il soit possible de « faire la pluie et le beau temps ».
Benjamin Demeslay 21/11/2024
Jean-Pierre Devroey, De la grêle et du tonnerre. Histoire médiévale des imaginaires paysans, Paris, Seuil, 2024, 448 p.
Jean-Pierre Devroey (professeur émérite de l’Université libre de Belgique et membre de l’Académie royale) est connu pour ses travaux sur l’économie rurale au Moyen Âge. Auteur d’une « éco-histoire du système social carolingien » questionnant les rapports entre pouvoir politique, territoires exploitables et forces de la Nature (La Nature et le roi. Environnement, pouvoir et société à l’âge de Charlemagne, 2019), l’historien tente d’établir une Histoire des imaginaires paysans à l’ère des « tempestaires », des « escamoteurs » et des « sorcières » réputés capables d’influer sur les phénomènes météorologiques. Il révèle ainsi que la question climatique fut plus d’une fois objet de conflits sociaux.
https://institut-iliade.com/histoire-medievale-des-imaginaires-paysans-de-jean-pierre-devroey/
lundi 2 décembre 2024
Svjedok : un documentaire sur les plaies ouvertes des guerres d’ex-Yougoslavie
29 ans après la fin de la guerre de Bosnie et les nombreuses tueries fratricides dont elle fut le théâtre, la bataille mémorielle fait toujours rage entre Bosniaques musulmans et Serbes orthodoxes. Nous rendons compte dans cet article de la projection de Svjedok, documentaire sur le sujet trop peu traité des massacres de civils chrétiens par les musulmans.
Le 15 novembre, à Paris, était projeté Svjedok – « Le Témoin » en serbe1 –, un documentaire financé et présenté par la République serbe de Bosnie pour traiter le sujet des tueries commises contre les Serbes dans les guerres de Yougoslavie. Ces tristes conflits, opposant au cours des années 90, des peuples partageant pourtant la même langue mais profondément séparés par leur religion et leur histoire, reste à ce jour l’image par excellence du conflit fratricide européen. Le sujet reste encore à ce jour hautement polémique : pas moins de six salles de cinéma françaises ont refusé de présenter le documentaire, qui sera également diffusé sur YouTube à parti de 2025.
La Bosnie-Herzégovine est un pays toujours à la croisée des chemins. Le conflit qui a ravagé le pays de 1991 à 1995 n’a jamais été réellement achevé. En effet, la guerre de Bosnie a été véritablement gelée par les accords de Dayton (dont nous avons fêté ce 21 novembre le 29e anniversaire) qui entérinent le statuquo entre la Fédération de Bosnie-Herzégovine (catholique croate et musulmane) et la République serbe de Bosnie (orthodoxe), deux entités ennemies forcées de cohabiter au sein d’une même confédération et d’obéir à une Constitution commune.
Carrefour entre l’Occident et l’Orient, la Bosnie est une région des Balkans où les trois principales religions locales, le catholicisme, l’orthodoxie et l’islam, y sont représentées par trois communautés : les Croates, les Serbes et les Musulmans – ces derniers étant aujourd’hui appelés « Bosniaques2 ». Âprement disputée entre les empires ottomans et autrichiens, intégrée à la jeune Yougoslavie après la chute de ceux-ci, véritable poudrière ethnique, la Bosnie fut le théâtre de tueries de masse au cours de la Seconde Guerre mondiale (principalement du fait des ustaši3 croates) puis des guerres de Yougoslavie, de 1992 à 1995. Lors de ce dernier conflit, les massacres de civils eurent lieu de chaque côté des lignes de front, mais ils furent, realpolitik oblige, principalement imputés aux séparatistes serbes, et dans une moindre mesure aux Croates d’Herzégovine, alors même que les Musulmans, alliés des Américains depuis le premier jour de la guerre échappèrent en grande partie aux poursuites.
Un témoin au-dessus de tout soupçon
Aujourd’hui encore, les plaies laissées par le conflit ne sont pas résorbées. On connaît particulièrement le cas de la ville de Srebrenica, où plusieurs milliers de Musulmans furent tués lors de sa prise par les forces serbes. Un événement que les Bosniaques considèrent aujourd’hui comme un génocide, les Serbes comme des crimes de guerre. Ce débat a été récemment tranché par l’ONU en faveur des premiers, jetant de nouveau de l’huile sur le feu au milieu du fragile État de Bosnie, au futur plus qu’incertain. Un débat qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les querelles actuelles sur la nature exacte des bombardements de Gaza par Tsahal ou de l’attaque du 7 octobre par le Hamas… Mais Srebrenica n’est pas un événement isolé. Dans la conscience serbe, le siège de la ville se situe dans la suite de très violentes attaques sur les villages orthodoxes qui l’entourent, des exactions que Svjedok vise justement à documenter. En effet, les légistes serbes ont arrêté à ce jour un chiffre de plus de 50 000 tués au sein de la population civile orthodoxe, avec plus de 7 500 cadavres exhumés et autopsiés.
Le personnage principal du documentaire, tourné avec la participation sa famille, est le général-médecin Zoran Stanković, aujourd’hui décédé. Médecin légiste de profession et officier de l’armée yougoslave, c’est à lui qu’incombait la lourde tâche de diriger les équipes d’experts qui exhumaient, autopsiaient et identifiaient les corps des civils tués, parfois en se rendant derrière les lignes croates ou musulmanes pour les récupérer au cours d’échanges. Loin d’être un propagandiste, il fut suffisamment reconnu internationalement pour être appelé comme expert et témoin au tribunal de La Haye, une institution bien peu suspecte d’un parti pris en faveur des forces serbes, dont les dirigeants en Bosnie furent les plus condamnés parmi l’ensemble des protagonistes du conflit.
L’autre personnage principal du documentaire, parfois nommé, jamais filmé, c’est Naser Orić, une figure extrêmement polarisante à l’image de ces conflits : héros national pour les Musulmans, boucher pour les Serbes, ce chef de milice mi-mafieux4 mi-djihadiste, était le seigneur de guerre qui régnait sur Srebrenica et ses environs. Les troupes d’Orić stationnées dans un réduit musulman au milieu du territoire serbe, se rendirent coupables de multiples raids meurtriers sur les villages serbes voisins notamment celui de Kravica, totalement rasé et décimé par les combats. Le mode opératoire ne peut qu’interpeller le spectateur français tant il renvoie à la guerre d’Algérie. Des attaques surprises, tôt le matin, les jours des fêtes religieuses orthodoxes comme Noël ou les slava, les célébrations des saints patrons des familles serbes. Des civils de tout âge et de tout sexes ciblés pour provoquer la sidération et pousser à l’exode. Et enfin, des mutilations barbares. La tâche du Docteur Stankovic était macabre, ses méthodes cliniques. Sans se défaire d’un stoïcisme imperturbable, sans jamais émettre de jugements il égrène laconiquement des listes de sévices divers : castration, décapitation, viols… Les images sont parfois difficilement supportables mais attestent d’une réalité de la guerre qui disparaît parfois trop souvent derrière la propagande des uns et des autres… et surtout devant un politiquement correct qui se refuse à regarder en face la réalité de l’islam radical. Un islam radical qui aura d’ailleurs connu son premier grand champ de bataille international avec la guerre de Bosnie, où furent réunis tout autant les djihadistes sunnites d’Al-Qaïda que les milices chiites du Hezbollah et de l’Iran.
Deux poids, deux mesures
Le documentaire alterne les images d’archives, bien connues, des années 90 et des interviews beaucoup plus récentes des équipes du Docteur Stanković et des familles des victimes. Nous retrouvons des jeunes hommes qui portaient les cercueils de leurs parents ou de leurs sœurs qui sont aujourd’hui grisonnants, eux-mêmes pères de famille. En 1992, ils espéraient que l’Occident remarquerait leur calvaire et se mobiliserait en faveur du peuple serbe, membre des Alliés durant les deux Guerres mondiales. En 2024 – après les bombardements, l’intervention de l’OTAN, les poursuites à la Haye –, ne reste que l’incompréhension, l’amertume, le sentiment de ne pas avoir été écouté, d’avoir été désigné d’office comme des coupables perpétuels sans que rien ne soit fait pour replacer chaque protagoniste face à ses responsabilités. En effet, si les hauts dignitaires civils et militaires de la République serbe de Bosnie ont été condamnés par les tribunaux internationaux, de même que certains chefs de guerre croates – notamment pour avoir commis les premiers massacres du conflit dans la ville de Bosanski Brod5, avant le début officiel de la guerre –, Naser Orić lui, n’aura jamais été sérieusement inquiété. Tout au plus les magistrats auront pu admettre qu’effectivement des Serbes avaient bien été massacrés, sans statuer sur les auteurs des crimes. Une demi-mesure qui laisse un goût amer dans ce pays où l’on se demande souvent si les hostilités ont bien cessé ou n’ont été que différées.
Pour le peuple serbe de Bosnie, la souffrance ne date pas d’hier. Que ce soit sous le joug ottoman ou autrichien, où les Musulmans et les Croates faisaient tour à tour figure d’allié du régime d’occupation, ou bien durant la Seconde Guerre mondiale, quand l’État Croate indépendant (satellite allemand) annexait la Bosnie et massacrait 600 000 Serbes sur son territoire. Pour un Serbe bosnien, les massacres de Kravica et de Bosanski Rod n’ont fait que rejouer des scènes historiques bien connues. Dans un contexte de chaos total et de décomposition de l’État, alors qu’on s’entretuait au sein même de l’armée yougoslave dans les casernes, au sein des mêmes unités, entre nationalistes croates ou musulmans et séparatistes serbes, les locaux ont pris les armes pour défendre leur terre contre ce qu’ils percevaient comme une menace existentielle. On peine à imaginer ce qu’a pu concrètement subir ce petit peuple qui affiche au cœur de l’horreur un stoïcisme imperturbable. Une froide détermination les habite quand ils trient et identifient les ossements et carcasses de leurs proches martyrisés, et surtout qu’ils emmènent leurs enfants sur les lieux de mémoire, pour que jamais le souvenir des défunts ne s’estompe.
Le choc des mémoires
Il y a un élément clé de ce conflit qui échappe encore aujourd’hui beaucoup à la grille de lecture traditionnelle occidentale. Tous témoignent, trente ans après : Nous, gens ordinaires, villageois ordinaires, avons vus nos familles être massacrées par des voisins, des communautés avec qui nous vivions depuis des siècles. Ici, en France, on a coutume de mettre tour à tour en accusation (suivant sa sensibilité) les « nationalistes », le « communisme », l’« Occident », l’« OTAN ». Tout ces acteurs ont joué à divers degrés un rôle certain. Mais en Bosnie, les tragédies ont des racines beaucoup plus profondes et immédiates. Des communautés ont vécu près de 500 ans les unes aux côtés des autres, forcées de cohabiter dans des États qui étouffaient les rancœurs mutuelles par la force armée. Sous le knout turc dans un premier temps, puis la schlague autrichienne et enfin par les camps de travail communistes. Même la Yougoslavie royale ne put bien longtemps maintenir sa Constitution démocratique après la Grande Guerre, et se transforma rapidement en dictature policière. Mais une fois ces peuples, à la fois si semblable et si différents, livrés à eux-mêmes, les ressentiments séculaires se dévoilèrent très vite, précipitant le pays vers la boucherie. Aujourd’hui, les accords de Dayton empêchent une nouvelle escalade en entérinant de facto la séparation du pays en deux entités. Mais leur coexistence en un même État continue d’interroger. Au lendemain de la guerre, on a pu présenter la Bosnie comme un modèle de l’Europe à venir, de communautés apaisées qui ont su triompher de leurs différences malgré les conflits passés. Mais c’est trop vite oublier que cet ordre ténu tient en grande partie grâce aux bottes des casques bleus et à l’aviation américaine. Dans un monde où l’Amérique se retire peu à peu d’Europe, l’État bosniaque peut-il survivre ? Ou devrait-il seulement survivre ? La réélection de Trump ne manquera en effet pas de poser à nouveau la question de l’engagement américain dans les Balkans, alors que l’Amérique lorgne de plus en plus sur son flanc Ouest, vers le Pacifique et le rival chinois.
Tout comme aujourd’hui, la bataille mémorielle autour de la guerre d’Algérie – dont on se demande si elle a un jour bien été terminée – continue de faire rage en France, la Bosnie n’a toujours pas non plus réglé ces questions, d’autant plus que les garants de l’ordre international actuel ont désigné d’office le camp des bourreaux et celui des victimes. Dans une région où la longue mémoire et les récits familiaux transmis de génération en génération façonnent intégralement les consciences, comment imaginer un seul instant que le conflit puisse mourir de lui-même et disparaître simplement parce qu’une force étrangère l’a décrété ? Et surtout, comment ne pas voir en ce conflit une image des troubles qui risquent un jour de gagner une France où aujourd’hui plus de 6 millions d’habitants sont musulmans ?
1. En dialecte serbocroate jékavien, parlé majoritairement en Bosnie.
2. On distingue les Bosniens (Bosanci), ceux qui vivent en Bosnie, des Bosniaques (Bošnjaci) ethniques, qui étaient enregistrés comme « Musulmans » à l’état civil sous le communisme.
3. « Insurgé » en croate, le principal mouvement nationaliste de cette nation durant le xxe siècle, alliés de l’Allemagne au cours de la Seconde Guerre mondiale.
4. Les tribunaux bosniaques le condamneront d’ailleurs plusieurs années après la guerre pour des détentions d’armes et d’explosifs liées au crime organisé.
5. Ville frontalière entre la Bosnie et la Croatie par laquelle l’armée de cette dernière est entrée dès 1991.
À l’automne 1944, Français et troupes américaines au bord de l’affrontement
par Jean-Pierre Beuve.
Trois mois après le jour J, les Normands n’en peuvent plus des exactions des soldats qui les ont libérés. Retour sur un épisode méconnu.
« Des scènes de sauvagerie et de bestialité désolent nos campagnes. On pille, on viole, on assassine, toute sécurité a disparu aussi bien à domicile que par nos chemins. C’est une véritable terreur qui sème l’épouvante. L’exaspération des populations est à son comble ». Le 17 octobre 1944, quatre mois et demi après le Débarquement en Normandie, La Presse cherbourgeoise, quotidien local de Cherbourg, publie cette mise en garde sous le titre « Très sérieux avertissement ».
À l’automne 44, ceux qui pillent, violent et assassinent sont les Américains : le journal accuse les libérateurs de se comporter en soudards dans un pays conquis. Comment un tel paradoxe deux mois après la fin des combats en Normandie ?
Une fois libérés, la presqu’île du Cotentin et son port sont devenus une gigantesque base logistique. Sur les quais, un millier d’officiers et marins américains assurent, avec les dockers français, le débarquement quotidien de 10 000 tonnes de véhicules, munitions, nourriture. Le 29 septembre 1944, 1 318 camions GMC en partance de Cherbourg acheminent vers les troupes alliées du front 8 000 tonnes de matériel. Sur les premiers kilomètres de la « Red Ball Highway Express », la route du front, défilent hôpitaux, dépôts, aérodromes, camps de repos, chaînes de réparation pour tanks et camions.
Les entrepôts du Cotentin mobilisent des militaires en nombre : les 430 000 habitants du département de la Manche cohabitent avec 120 000 soldats américains, dont 50 000 Afro-Américains. D’emblée, la cohabitation, qui s’est prolongée jusqu’en 1946, ne s’annonce pas facile : « L’enthousiasme des Normands pour les forces anglo-américaines risque de s’inverser proportionnellement à la durée de notre séjour en Normandie », prévient dès l’été 1944 la 1ère armée américaine.
Premières blessures
Auteur du livre « La Normandie américaine », fruit de nombreux témoignages et d’archives dépouillés aux États-Unis, l’historien Stéphane Lamache, 52 ans, met en relief le choc entre le Nouveau Monde et la vieille Europe : « D’un côté, de jeunes Américains très sûrs d’eux-mêmes, dotés en masse de matériels modernes tant en véhicules qu’en moyens de transmissions déjà miniaturisés. Une Amérique au top de son histoire. En face, des familles normandes évoquant Maupassant avec paysans en sabots, maisons au sol en terre battue et chevaux tirant des charrues. Après quatre ans d’occupation et le choc des bombardements, les Normands ont perdu leurs repères ».
La Libération a été payée au prix du sang et des destructions massives dans la Manche, 4 000 morts civils, le double de blessés, 10 000 maisons rasées, 50 000 autres endommagées, 130 000 sinistrés qui n’ont plus rien. « Après ce cataclysme, les Normands n’aspirent qu’à être débarrassés de la guerre. Les Américains visent la victoire finale sans plus se préoccuper des états d’âme des habitants », note Stéphane Lamache. Les graines du divorce sont semées.
Les premières blessures relèvent de l’amour-propre. Les GI, qui organisent des bals sous tente avec plancher, mettent en place des tournées en GMC pour amener les jeunes femmes sous leurs guinguettes. Mais pas ou peu de place pour les jeunes Normands. Le stade de Cherbourg devient un enjeu. Au terme de quatre mois de négociations, les mardi et jeudi sont réservés aux footballeurs cherbourgeois. Un mardi de mai 1945, une violente bagarre éclate entre joueurs de base-ball américains, campant sur place, et footballeurs qui réclament les lieux. La Presse cherbourgeoise compare les libérateurs avec les occupants précédents : « On ne peut pas dire que les relations [avec les Allemands] étaient cordiales mais elles furent correctes ».
À la rentrée scolaire 1945, l’État-major allié (le Shaef pour Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force) annonce vouloir maintenir dans plusieurs écoles des détachements de la Military Police, qui y sont installés depuis la Libération : « Maintenant que nous sommes en paix, nous ne pouvons pas tolérer que les militaires aient le pas sur la population civile », tonne le maire de Cherbourg, René Schmitt.
Accidents et agressions
Suivent les querelles financières et matérielles. Fin août 1944, les Américains emploient 7 000 travailleurs civils pour 75 francs par jour et une ration militaire. « Avec 100 francs, les Allemands payaient mieux » constatent les ouvriers. L’Organisation Todt, chargée de construire le mur de l’Atlantique, n’avait pas lésiné sur les moyens. Rapidement, les Français seront remplacés par des prisonniers de guerre allemands…
Les stocks américains suscitent des convoitises. Trop. Le 6 août 1944, treize dockers sont arrêtés pour le vol de 984 paquets de cigarettes et 188 savonnettes. Sanction : de quinze jours à un mois de prison. Dérober un jerrycan d’essence vaut quatre mois de prison. Le marché noir de l’Occupation continue : « On peut faire fortune aux dépens des Américains », souligne Stéphane Lamache.
Ces multiples agaceries réciproques auraient pu rester sans conséquence sans les bruyantes rafales tirées en l’air par des soldats ivres, mais surtout les morts accidentelles. Bien que les routes militaires soient interdites aux civils, on ne compte plus les victimes des camions américains : un enfant de 8 ans tué le 27 août 1944, une mère de famille le 11 septembre, un cycliste le 30 septembre, pour ne citer qu’eux.
Autant d’accidents soigneusement rapportés par La Presse cherbourgeoise plus discrète à propos des violences et agressions par les troupes américaines. Du moins jusqu’à son « très sérieux avertissement » du 17 octobre 1944 sur les pillages, viols et assassinats. Le général français, Alphonse Juin, transmet l’article au général Eisenhower avec ce commentaire : « C’est le sentiment de tous les habitants de la Manche et de la Normandie au contact des Américains ». Mais il n’y aura pas de grand déballage.
Ségrégation
Les autorités américaines se disent « émues des crimes dont se rendent coupables les militaires de couleur (sic) » et répliquent dans le même journal en déclarant la « guerre à l’alcool pour enrayer la criminalité ». Une façon aussi de dénoncer le comportement mercantile des Normands qui vendent de l’eau-de-vie et l’inefficacité des pouvoirs publics français. Premières mesures : le couvre-feu est ramené à 22 heures puis 18 heures ; la vente d’alcool aux soldats est interdite. Un café de Carentan qui enfreint l’interdiction est fermé six mois.
En réponse aux exactions touchant les femmes, la justice militaire américaine frappe fort : le 23 novembre, trois GI sont condamnés à mort pour le viol de deux victimes en juillet 1944, près de Cherbourg. En août sont recensés dix-huit viols. Selon la gendarmerie, on en dénombre trente-cinq en septembre et sept en octobre. Dans les campagnes, plus aucune femme ne veut aller traire les vaches seule le soir dans les champs.
Auteur de Les Manchois dans la tourmente 1939-1945, l’historien Michel Boivin a recensé 206 viols d’origine américaine. Selon la Military Police, « 80 à 85% des crimes graves (viol, meurtre) ont été commis par des troupes de couleur ». L’armée américaine des années 1940 est, à l’image du pays, ségrégationniste. À Cherbourg, on compte deux foyers de la Croix-Rouge : un pour les soldats blancs, un pour les noirs. Dans sa recherche de criminels, la police militaire s’est-elle montrée plus compréhensive pour les premiers que pour les seconds ? Les soldats de couleur cantonnés à la logistique ont stationné de longs mois dans le Cotentin, territoire étroit, alors que les combattants n’y ont que transité. La gendarmerie locale avait recommandé l’ouverture de maisons closes, les autorités américaines s’y sont opposées.
source : https://www.lepoint.fr
envoyé par Nicolas Bonnal
dimanche 1 décembre 2024
Contre-manuel d’histoire
Par Gérard Leclerc
Sans doute convient-il qu’à chaque génération une nouvelle histoire de France soit proposée pour une prise de conscience d’un passé sans lequel nous ne serions pas ce que nous sommes. Michelet, Lavisse, Bainville ont été ainsi les médiateurs nécessaires de cette transmission. Philippe Delorme s’inscrit donc à leur suite, avec une autorité telle que son préfacier, Jean Tulard, peut écrire que son livre « devrait s’imposer à la place des manuels scolaires ». C’est dire son importance à un moment plutôt critique, où il n’est question que de déconstruction plutôt morbide, selon les canons de la religion wokiste.
Dans un tel climat, Philippe Delorme se veut historien rigoureux. Ni romance, ni repentance, proclame-t-il. J’aurais quelques remarques à faire sur la notion de roman national éveillée jadis par mon ami Paul Yonnet, mais ce qui relève de l’imaginaire d’un peuple doit se distinguer de la rigueur disciplinaire de l’historien de métier. Reste que celui-ci est forcément doté de convictions étayées par une longue pratique des destinées françaises. Philippe Delorme ne cache nullement « ses goûts et ses prédilections », au point de conclure son récit par un exposé sur la façon dont il conçoit la rénovation de nos institutions actuelles, en fonction des leçons qu’il a pu tirer de toutes les séquences qu’il a livrées à ses lecteurs.
Il n’est pas question ici d’esquisser la synthèse des 45 séquences qu’il a choisies, parce qu’elles lui semblaient le mieux caractériser les 2000 ans de la nation française. Elle se distingue par un souci de précision extrême, écartant les aspects légendaires mais revêtant aussi un aspect concret qui fixe l’attention et les rend comme familières. Au passage, on peut retenir quelques événements qui ont une résonance actuelle, du fait des phénomènes de civilisation qu’ils mettent en évidence. Ainsi, la fameuse victoire de Charles Martel qui arrêta l’invasion arabe près de Poitiers. L’enjeu est tellement frappant qu’il provoque la controverse. Philippe Delorme fournit sa propre interprétation. Une victoire aurait permis aux conquérants « encore mal islamisés » de s’installer sur notre territoire, de le coloniser et de l’intégrer au Dar al-Islam. « Mais il apparut que le mouvement parti de La Mecque, un siècle auparavant avait alors atteint sa plus haute crue, comme le flux aux marées d’équinoxe… »
Faut-il s’arrêter à Jeanne d’Arc ? Je ne connaissais pas, à son propos, le texte du pape Pie II (1458-1464) : « Ainsi mourut Jeanne, l’admirable, la stupéfiante vierge. C’est elle qui releva le royaume des Français abattus et presque désespérés, elle qui infligea aux Anglais tant et de si grandes défaites. À la tête des guerriers, elle garda au milieu des armées une pureté sans tache, sans que le moindre soupçon n’ait jamais effleuré sa vertu ».
En sautant les siècles, on peut saluer le Roi-Soleil, qui peut paradoxalement se montrer très familier de ses sujets et qui donnera, en ses derniers jours, l’exemple d’une foi solide. Mais n’y avait-il pas eu une véritable conversion à un moment du règne ?
Quant à la Révolution de 1789, elle est racontée sous un mode descriptif, permettant de comprendre ce qu’il y a d’aléatoire jusque dans les grands mouvements telluriques qui ont fait trembler le monde. De là le jugement de Taine, qui demeure l’un des meilleurs analystes de l’époque : « Le propre d’une insurrection populaire, c’est que, personne n’y obéissant à personne, les passions méchantes y sont libres autant que les passions généreuses, et que les héros n’y peuvent contenir les assassins ».
Philippe Delorme pratique assez peu ce qu’on appelle la philosophie de l’histoire, même sous le mode d’un François Furet, dont il reconnaît qu’il a accompli une mutation décisive dans l’interprétation de la Révolution. Mais la façon dont il suit et décrit notre aventure nationale nous permet d’être au plus près de ses acteurs. Ainsi se vérifie le conseil de Jean Tulard. Sa Contre-histoire de France peut servir agréablement de manuel à l’usage des jeunes générations.
https://www.actionfrancaise.net/2024/12/01/contre-manuel-dhistoire/
Les Britanniques ont tué des milliers de prisonniers soviétiques en 1945, révèle un historien
Pendant très longtemps, les Russes ont gardé par devers eux les preuves du double visage des « alliés » durant la deuxième guerre mondiale, mais avec l’actuelle offensive de l’OTAN contre la Russie et par ailleurs ce qu’ils considèrent comme une falsification historique, ils publient des archives qui montrent à quel point les « alliés », les USA mais aussi l’empire britannique n’avaient cessé de soutenir en sous main tout ce qui pouvait détruire l’URSS ~ Danielle Bleitrach
MOSCOU, 3 mai – (RIA Novosti). Début mai 1945, l’armée britannique, poursuivant des objectifs politiques, détruisit brutalement des navires allemands avec plusieurs milliers de prisonniers sans défense des camps de concentration nazis, dont la plupart étaient des prisonniers de guerre soviétiques, et les Britanniques ont malmené les survivants, citoyens de l’URSS, a déclaré l’historien du renseignement Dmitri Khokhlov à RIA Novosti, révélant des détails jusque-là inconnus de cette tragédie.
Lundi marque le 76ème anniversaire de la tragédie qui a eu lieu le 3 mai 1945 dans la baie de Lübeck en mer Baltique (qui est entrée dans l’histoire comme le naufrage du paquebot Cap Arcona),quand l’aviation de l’armée de l’air britannique a attaqué des navires allemands avec des prisonniers de camps de concentration. Parmi les victimes des bombes, missiles et obus britanniques, il y avait des représentants de plus de 25 nationalités, originaires non seulement de l’URSS, mais aussi des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de la France, du Canada, de l’Italie, de la République Tchèque, de la Pologne, des Pays baltes et scandinaves, de Grèce, Serbie et autres. Des corps ont continué à être trouvés sur la côte pendant plusieurs décennies.
Le nombre de personnes décédées à la suite de cette tragédie, selon diverses estimations, varie de 7 à 12 mille personnes, ce qui est comparable au nombre de membres d’une division de fusiliers ou, par exemple, aux pertes des troupes alliées lors du débarquement en Sicile, ou avec les pertes de l’Armée rouge lors de l’opération Novorossiysk, a déclaré Khokhlov. « En termes d’échelle, le naufrage du Cap Arcona est considéré comme la quatrième catastrophe maritime de l’histoire de l’humanité », a-t-il souligné.
Le nombre de prisonniers survivants de Cap Arcona, selon diverses sources, est estimé entre 310 et 350. Il existe également des informations selon lesquelles seuls 140 citoyens soviétiques ont réussi à s’échapper. La température de l’eau ce jour-là ne dépassait pas sept degrés, a noté Khokhlov.
Lettre d’un prisonnier évadé
Dans les années 1960-1970, le grand public a pris conscience pour la première fois de la tragédie du 3 mai 1945 grâce à des publications en URSS et à l’étranger, dit Khokhlov. Ensuite, divers témoignages supplémentaires ont été rendus publics, et maintenant il y a de nouveaux détails sur les événements d’il y a 76 ans.
Comme l’a dit Khokhlov, dans les documents de la correspondance du Ministère de la Sécurité d’État de l’URSS avec le bureau du Conseil des ministres de l’URSS chargé du rapatriement des citoyens soviétiques en 1949, une lettre a été trouvée écrite par l’un des participants directs à la tragédie du 3 mai 1945, Vasily Salomatkine (1919-1999).
En septembre 1939, Salomatkin a participé à la libération de la Biélorussie occidentale, avant le début de la Grande Guerre patriotique, il a servi dans les troupes du district spécial biélorusse. Du 22 juin au 12 octobre 1941, il participe à des batailles avec les nazis près de Moguilev, sur le Dniepr, près de Yartsevo (région de Smolensk) et près de Vyazma, où il est grièvement blessé et capturé dans une bataille nocturne. Il était dans des camps nazis à Smolensk et Minsk occupés, depuis avril 1942 – dans un camp de la ville de Kalvariya (Lituanie). Échappé de là, il a été capturé dans l’ouest de la Pologne, envoyé dans un camp pénitentiaire dans la région de la ville allemande de Hanovre… Puis il a été transféré au camp de concentration de Neuengamme, situé à 30 kilomètres au sud-est de la ville allemande de Hambourg.
« La lettre de Vasily Filippovich Salomatkine du 2 mai 1949 est la première preuve documentaire trouvée dans les archives à ce jour, révélant les détails de la tragédie, reçue par les autorités soviétiques », a déclaré Khokhlov. Le 14 mai 1949, une copie de cette lettre a été envoyée au chef de la 2ème direction principale du Ministère de la Sécurité d’État de l’URSS (contre-espionnage et lutte contre les éléments antisoviétiques), le général de division Yevgeny Pitovranov.
Parmi les sources historiques sur la tragédie du 3 mai 1945, la lettre de Salomatkine a une valeur particulière, car elle a été composée par lui, n’a pas été publiée auparavant, n’a pas été soumise à un traitement ou une mise en forme littéraires, et contient également des détails inconnus sur l’attitude de l’administration militaire britannique envers les prisonniers survivants, a souligné Khokhlov.
Il a cité pour RIA Novosti certains des fragments les plus informatifs de ce document.
« Le 29 avril 1945, le commandement SS, sentant l’approche des troupes alliées vers le camp de concentration de Neuengamme (près de Hambourg), fit sortir tous les prisonniers qui pouvaient se déplacer un tant soit peu vers la ville de Lübeck (port allemand sur la Mer Baltique – ndlr.). Ils étaient 12 000. L’écrasante majorité étaient des prisonniers de guerre russes », a écrit Salomatkine.
Les prisonniers ont été emmenés sous bonne garde par les SS à Lübeck en train pendant une journée entière, ils n’ont rien eu à boire ni à manger du tout. À Lübeck, les prisonniers ont été placés sur des barges et, sous haute surveillance, des soldats et des bateaux ont été emmenés le long de la baie de Lübeck sur la mer Baltique, où étaient stationnés deux petits et un gros navires océaniques.
« Sur les deux premiers, ils ont mis environ 2 mille prisonniers. Le nom d’un navire était « Thielbek », et je ne me souviens plus de l’autre maintenant (le second était le navire « Deutschland » – ndlr.). 8 mille prisonniers ont été placés sur le grand navire océanique sur lequel j’étais. Ce navire s’appelait Cap Arcona. Le commandement des navires était SS », se souvient Salomatkine.
Un massacre sauvage
La suite des événements, selon la lettre de Salomatkine, s’est déroulée comme suit. Le 3 mai, les troupes britanniques sont arrivées devant la ville de Neustadt près de Lübeck et posé un ultimatum de se rendre avant midi. Neustadt a accepté la reddition. Puis les Britanniques ont exigé la capitulation aux navires sur lesquels se trouvaient les prisonniers des camps de concentration. Les navires étaient situés à 6 kilomètres de Neustadt.
« Le commandement SS des navires a refusé la reddition. Alors, les avions britanniques ont décollé en grand nombre et ont commencé à bombarder les navires … Les navires sur lesquels nous nous trouvions n’ont pas tiré un seul coup de feu en retour sur l’avion britannique », écrit Salomatkine, qui a été témoin personnellement de tout le panorama du bombardement.
« La première victime du bombardement a été le Thielbeck. Il a immédiatement pris feu et a commencé à couler. Les prisonniers qui ont pu sortir du navire ont sauté à l’eau. Après que la première bombe britannique a frappé Thielbeck, le commandement SS du navire Cap Arcona, sur lequel j’étais, a agité un drapeau blanc, en signe de reddition », a rappelé Salomatkine. Les prisonniers sur le pont ont enlevé leurs maillots de corps blancs et ont commencé à les agiter, signalant aux pilotes anglais que le navire se rendait, acceptait la capitulation.
« Mais les pilotes britanniques, semblables à des fascistes, ne reconnaissant rien, ne prêtant pas attention au drapeau blanc sur le navire, ne prêtant pas attention à l’agitation des gens sur le pont, aux chemises blanches, implorant grâce, suppliant pour leurs vies, ont continué à bombarder les navires. Le bombardement avait lieu sur une très petite hauteur », a déclaré Salomatkine. « Les pilotes britanniques ont vu toutes les horreurs de leur bombardement et ont continué à le perpétrer encore plus, ne prêtant (attention) à aucun appel du peuple. Les pilotes britanniques dans leurs brutales représailles ne différaient pas du tout des pilotes barbares fascistes », a-t-il ajouté.
Revenant sur ces événements tragiques, Salomatkine a écrit : « La deuxième victime après Thielbek était le deuxième petit navire. Puis une bombe a frappé la poupe du navire Cap Arcona, alors que j’étais à l’avant du navire. Le commandement SS à ce moment-là a jeté les canots à l’eau et est parti. Sur le bateau du Cap Arcona, la panique s’est installée parmi les prisonniers. Les prisonniers se sont précipités sur le pont supérieur dans le plus grand désordre ».
Comme Salomatkin l’a rappelé, à ce moment-là, une deuxième bombe a frappé le milieu du navire, qui a pris feu et a commencé à couler.
« À cause de la panique, les prisonniers essayaient de sortir sur le pont, mais ils se poussaient les uns les autres dans l’escalier et donc beaucoup n’ont pas pu sortir sur le pont,sont restés dans le navire et ont coulé avec. Après que la deuxième bombe ait touché le navire Cap Arkona, je me suis jeté à l’eau avec d’autres prisonniers de guerre russes », a-t-il ajouté.
Mais ce n’était pas fini
« À environ un kilomètre du lieu de naufrage du navire Cap Arcona, des torpilleurs sont apparus. Quand nous les avons vus, nous nous sommes précipités pour nager vers eux, pensant qu’ils allaient nous chercher et nous sauver. Mais ce fut le contraire. Les soldats sur les bateaux se mirent debout et tirèrent à la mitrailleuse sur les prisonniers dans l’eau. Le sort d’une mort par balle de mitrailleuse m’a été épargné, car je n’avais pas réussi à m’approcher plus près du bateau, comme d’autres l’avaient fait, j’étais à environ 400 mètres », a déclaré Salomatkine dans une lettre.
« Voyant ce qui se passait, j’ai changé de cap et pris la direction du rivage. Le rivage était à peine visible. Je nageais sans aide, avec seulement mes bras et mes jambes. Moi non plus, je n’aurais pas atteint à terre, comme les autres, mais par chance, alors que j’avais déjà nagé sur une distance considérable, la marée montante a commencé, elle m’a sauvé », se souvient-il.
Selon Salomatkine, à ce moment-là, il était déjà complètement épuisé et des vagues l’ont emporté sur le rivage. « J’étais dans un état semi-conscient. J’ai vu à travers mes yeux embués sur le rivage des immeubles blancs, les mouvements des gens, mais je ne pouvais pas distinguer un homme d’une femme. Et quand j’ai heurté de la poitrine sur le rivage, j’ai complètement a perdu connaissance à cause de la joie. À ce moment-là, d’autres Russes rescapés, plus forts que moi, étaient déjà sur le rivage, et ils m’ont tiré sur le rivage et ont commencé à me faire cracher l’eau des poumons, et quand j’ai repris mes sens, ils m’ont envoyé à l’hôpital. À cette époque, il y avait là des Britanniques », a ajouté Salomatkine.
Maltraitance de la part des alliés
Mais les épreuves pour les survivants se sont poursuivies sur terre.
« Si le bombardement de navires avec des prisonniers des camps nazis a déjà été décrit à la fois à l’étranger et dans notre pays, ce que les personnes secourues ont vécu ne peut être appris que de l’histoire de Salomatkine », explique Khokhlov.
« Après avoir quitté l’hôpital, j’étais dans un camp de survivants. Les Britanniques nous ont mal traités. Ils nous ont conduits dans des quartiers exigus, nous ont très mal nourris, avec du rutabaga allemand en conserve et des épinards. Quand un jour nous avons protesté et exigé de la vraie nourriture, on nous a rétorqué que vous n’en valions pas la peine, et ils ont emmené deux prisonniers avec eux, les ont accusés de sabotage et les ont mis en prison. Je ne connais pas leur sort. Quand j’ai quitté le camp, ils étaient encore en prison », poursuit Salomatkine dans sa lettre de mai 1949.
Alors, les prisonniers soviétiques ont adressé une plainte pour mauvaise alimentation au colonel-général Philip Golikov, représentant autorisé du gouvernement soviétique pour le rapatriement des citoyens soviétiques d’Allemagne et des pays sous occupation.
« Après un certain temps, le commandant de la ville (Neunstadt) a été changé et la nourriture s’est améliorée, mais ne répondait toujours pas aux exigences qui avaient été avancées à la conférence de Yalta pour que nos prisonniers de guerre bénéficient de la ration d’un soldat anglais », écrit Salomatkin.
« »En effet, le 11 février 1945, lors de la Conférence de Crimée, un accord a été signé concernant les prisonniers de guerre et les civils libérés par les troupes sous commandement soviétique et les troupes sous commandement britannique ». L’article 1 de l’accord prévoyait la protection des citoyens Soviétiques libérés », déclare Dmitry Khokhlov.
Et le 21 mars 1945, le premier ministre britannique Churchill avait même adressé un message au dirigeant soviétique Staline, dans lequel il déclarait : « Il n’y a pas de question à laquelle la nation britannique serait plus sensible que celle du sort des prisonniers détenus par les Allemands, de leur libération rapide et de leur retour dans leur patrie. Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez considérer personnellement la question, car je suis sûr que vous souhaiterez faire de votre mieux pour notre peuple, tout comme je peux vous assurer que nous le ferons pour vos hommes lorsqu’ils passeront sous notre contrôle ».
Deux jours plus tard, Staline a répondu à Churchill : « Quant aux prisonniers de guerre britanniques, vous n’avez aucune raison de vous inquiéter pour eux. Ils sont dans de meilleures conditions que les prisonniers de guerre soviétiques ne l’étaient dans les camps britanniques où ils se trouvaient, dans un nombre de cas, victimes de harcèlement et même de coups ».
Salomatkine a décrit dans sa lettre l’attitude de l’administration militaire britannique de Neunstadt à l’égard de la mémoire des victimes.
Comme il le raconte, quelque temps plus tard, des cadavres de prisonniers ont commencé à flotter sur la mer depuis les navires coulés. Les prisonniers soviétiques ont réuni une commission pour enterrer les morts avec les honneurs militaires dans une fosse commune, et ont demandé de l’aide à un officier britannique – le commandant de Neunstadt.
Mais le commandant, selon Salomatkine, a fini par refuser la demande des citoyens soviétiques. « Je ne vous donnerai rien, allez-y, enterrez comme vous pouvez et faites tous les honneurs que vous voulez, je n’ai rien pour vous. C’est ainsi que les Britanniques nous ont traités – nous, leurs alliés russes. Et comme nous avons pu, nous avons rendu honneur à notre camarades victimes de l’aviation britannique. C’est ainsi que les Britanniques nous ont traités », a écrit Salomatkine.
Dans sa lettre, il cite également un deuxième épisode, qui montre avec éloquence l’attitude véritable et, de surcroît, discriminatoire des Britanniques à l’égard des prisonniers de guerre soviétiques et allemands.
« À ce moment-là, les Britanniques avaient fait venir dans la ville des prisonniers de guerre allemands. Ils déambulaient librement, se promenaient, attaquaient et battaient nos prisonniers de guerre survivants, menaçaient de nous égorger tous la nuit, parce qu’ils étaient armés de couteaux. Après ces menaces , nous sommes allés voir le commandant britannique et avons expliqué cela », écrit Salomatkine. « Le commandant s’est contenté de sourire et n’a pris aucune mesure efficace. N’ayant pas reçu de réponse satisfaisante, nous sommes revenus au camp et avons annoncé à nos gars qu’ils devaient se procurer des armes pour se défendre. Ayant trouvé des armes, nous avons établi une garde dans le camp pour le protéger des attaques des Allemands. Voilà dans quelles conditions nous étions avec les Britanniques », a-t-il ajouté.
Selon Salomatkine, il a ensuite été engagé dans une mission militaire pour rapatrier des citoyens soviétiques, où il « a été confronté à des faits flagrants hostiles à l’Union soviétique ». « Les Britanniques faisaient de la propagande parmi nos prisonniers de guerre, exhortant à ne pas retourner en Union soviétique, en particulier parmi les Ukrainiens, les Lettons, les Estoniens », écrit Salomatkine.
Le calcul politique des Britanniques
Khokhlov a expliqué pourquoi les nazis avaient emmené les prisonniers du camp de concentration sur la mer et ce qui aurait pu amener les Britanniques à commettre pareille atrocité.
« Peut-être que le régime nazi agonisant avait planifié le naufrage des prisonniers de guerre, essayant ainsi de se débarrasser rapidement des témoins indésirables de ses crimes. À son avis, cette version est également étayée par le fait que les mécanismes usés du paquebot n’auraient pas pu résister à une nouvelle traversée. « Néanmoins, la situation sur le front a évolué si rapidement que lorsque les troupes britanniques se sont approchées, les prisonniers avaient une chance de survivre », ajoute notre interlocuteur.
Mais les Britanniques, à leur tour, poursuivant des objectifs politiques, ont concentré tous les efforts possibles sur la prise de Lübeck, souligne Khokhlov.
Churchill écrivait à l’époque à son ministre des Affaires étrangères Eden : « Je considère qu’il est prioritaire que Montgomery prenne Lübeck le plus tôt possible … Notre arrivée à Lübeck avant nos amis russes de Stettin nous évitera de nombreux différends à l’avenir ». « La distance entre ces villes est d’environ 260 kilomètres, c’est-à-dire que même en comptant avec la résistance de l’ennemi, l’Armée rouge pourrait la franchir en environ deux semaines », explique Khokhlov.
Selon lui, ainsi « le calcul politique a mis des milliers de vies, ayant survécu miraculeusement dans les camps de prisonniers nazis, entre le marteau britannique et l’enclume allemande ». Du 2 au 4 mai, les ports allemands ont été lourdement bombardés par des avions britanniques.
De nombreuses théories du complot sont encore en cours d’élaboration autour de la tragédie du 3 mai 1945, a noté Khokhlov. Y compris il y a une opinion selon laquelle les nazis ont ainsi tenté de monter une provocation et d’embrouiller les alliés en progression, a-t-il ajouté. « Mais alors, il aurait été logique que les autorités soviétiques apprennent ce qui s’est passé le plus tôt possible. Des hypothèses sont également faites sur le lien entre l’opération de sauvetage menée par la Croix-Rouge suédoise et, en particulier, la mission de Folke Bernadotte, avec le chargement des prisonniers par les Allemands sur Cap Arcona et d’autres navires », a noté Khokhlov.
Pour les personnes qui étudient la tragédie, les résultats d’une enquête menée en juin 1945 par le major britannique Noel Till sont disponibles, a déclaré Khokhlov. « Et ils disent que les informations sur les prisonniers détenus à bord des navires dans la baie de Lübeck ont été transmises aux représentants du commandement britannique le 2 mai 1945. En particulier, elles ont été transférées au général de division George Philip Bradley Roberts, commandant de la 11e division de tanks qui progressait dans la région de Lübeck. Cependant, pour des raisons inconnues, elle n’a pas été portée à l’attention d’autres unités de l’armée active, qui, dans les derniers jours de la guerre, visaient à s’emparer le plus rapidement possible de centres clés », a-t-il ajouté.
La tâche politique était de montrer leur participation directe aux hostilités contre l’Allemagne et d’empêcher le contrôle de l’Armée rouge sur le territoire qui permettrait de développer une offensive en direction du Danemark, a expliqué Khokhlov.
Selon l’historien, la mémoire des victimes de la tragédie du 3 mai 1945 en Russie n’a pas été correctement immortalisée. Des journées commémoratives ont eu lieu dans les villes allemandes de Grevesmühlen et à Neustadt-Pelzerhaken, où les restes des victimes de la tragédie ont été enterrés. À l’occasion du 45ème anniversaire du Neunstadt Museum, une exposition permanente consacrée aux événements de la baie de Lübeck a été inaugurée.
« Cette histoire confirme une fois de plus l’axiome selon lequel il est impossible de cacher la vérité – tôt ou tard, elle sera connue. L’histoire de la guerre se compose de nombreuses échelles différentes de tragédies. Combien d’autres tragédies de ce genre peuvent rester inconnues si personne n’a laissé de souvenirs à un moment ou quelque part dans les archives il n’y a pas un document contenant des informations à leur sujet ? » – dit Khokhlov. La tâche des historiens est de l’étudier et de les faire connaître à tout le monde, a-t-il ajouté. « Plus nous imaginons clairement les événements de cette guerre et nous compatissons avec eux, moins il y a de chances qu’ils se reproduisent », a-t-il souligné.
9 mai 2021 source : https://histoireetsociete.com
Pourquoi le changement climatique est devenu une religion du pouvoir
par Francisco Javier Santas
«Dogmatisme climatique», pouvait-on lire dans les slogans que la ministre de l’Égalité en Espagne, Ana Redondo, distribuait à ses partisans à propos de la catastrophe de Valence. Et elle a ajouté : «C’est notre heure». Je me demande ce qu’il peut y avoir dans la tête de quelqu’un pour penser qu’une tragédie qui a fait plus de deux cents morts est «notre moment». Mais regardons cette autre première locution : «Dogmatisme climatique». Le dogmatisme ! C’est un aveu. Et c’est une démonstration éloquente que la doctrine du changement climatique anthropique est aujourd’hui l’idéologie du pouvoir.
Voyons cela d’un peu plus près. Le changement climatique existe. C’est une évidence historique. C’est même un pléonasme, car le climat change par nature. N’importe quel passionné d’histoire pourrait citer trois ou quatre moments où un changement des conditions climatiques a provoqué des changements majeurs dans les sociétés humaines. Il se peut que nous soyons aujourd’hui confrontés à l’un de ces changements ou, au contraire, que nous ayons connu un cycle bref au sein d’un cycle plus large. Il n’est pas facile de le savoir, car la science du climat est l’une des plus imprécises qui soit : tant de facteurs interviennent en même temps et sont si difficiles à mesurer à l’échelle humaine que tout axiome est nécessairement relatif (il n’y a donc pas d’axiome).
Dans ce contexte, la théorie du réchauffement climatique n’est qu’une hypothèse, et l’attribution de ce réchauffement aux émissions humaines de CO2 rend cette théorie encore plus hasardeuse, car improbable au sens strict du terme. Certes, le discours dominant passe aujourd’hui du «réchauffement» à l’«urgence», c’est-à-dire à un contexte qui inclut aussi le froid, mais dans ce cas, est-il encore valable d’incriminer le CO2 ? D’autre part, si l’on accepte la doxa du changement climatique via le CO2, pourquoi adopte-t-on en son nom des politiques qui semblent viser à accentuer les effets négatifs du changement, comme la suppression des barrières naturelles ?
Ce que je dis ici n’apprend rien de nouveau au lecteur : ce sont des questions que tout le monde se pose en y réfléchissant. J’essaie simplement de montrer que dans ce discours, il y a plus d’incertitudes que de certitudes et plus de contradictions que de convictions. Mais justement, la grande question est de savoir pourquoi le «changement climatique» reste malgré tout au centre du discours du pouvoir en Occident (et d’ailleurs seulement en cet Occident). C’est là que l’opinion publique a tendance à se plier en quatre : si la plupart des institutions s’accordent sur un même discours, c’est qu’il est vrai. Mais cet argument est si naïf qu’il ne peut être que suspect. Si le pouvoir en place s’accorde à défendre une idée jusqu’au bout («dogmatiquement», dirait la ministre Redondo), peut-on vraiment penser que c’est par amour de la vérité ? Ne serait-il pas plus judicieux de faire preuve d’un minimum de sens critique ? À commencer par la question essentielle : quel profit le pouvoir en place tire-t-il de tout cela ?
Normalement, quand le pouvoir cherche à faire du profit, il s’agit toujours de s’octroyer plus de pouvoir. C’est dans sa nature même. Mais il faut comprendre que le pouvoir aujourd’hui, dans notre monde, vit dans des espaces qui ne sont plus les mêmes qu’il y a un siècle. L’expression «pouvoir global» suscite souvent des regards circonspects ou des sourires soupçonneux : elle ressemble (encore aujourd’hui) à une théorie du complot et, au mieux, elle est rejetée comme une sorte de «construction intellectuelle» abstraite sans fondement dans la réalité politique quotidienne. Pourtant, rien de ce que nous vivons depuis un demi-siècle dans le domaine du pouvoir ne peut être compris sans elle.
La tendance dominante du monde contemporain, qui s’est accélérée après l’effondrement du bloc soviétique en 1989, est la construction de structures de pouvoir transnationales, c’est-à-dire globales, qui visent à structurer le monde selon un système politique et économique de plus en plus homogène. Sur le plan historique, cet objectif a été l’ambition permanente des grandes idéologies de la modernité.
Sur le plan politique, c’est la vocation naturelle d’une superpuissance hégémonique identifiée à ce qu’on appelle l’«anglosphère» et dont l’épicentre est les États-Unis, même si son esprit n’est plus celui de l’impérialisme national américain. Sur le plan économique, c’est la conséquence logique de la phase financière actuelle du capitalisme, qui ne se contente plus d’espaces nationaux ou continentaux (comme dans sa phase industrielle précédente), mais a besoin des marchés les plus larges possibles pour se développer, sans que des barrières politiques (étatiques) ne le retiennent. Ce que l’on appelle la «puissance mondiale» est le résultat de ces trois processus.
Pour construire un tel pouvoir et le faire accepter de bon gré, il est essentiel de convaincre les citoyens que nous avons besoin d’instances supranationales pour nous gouverner. Comment parvenir à généraliser une telle conviction ? En faisant croire à tous que nous sommes confrontés à des défis qui dépassent de loin les possibilités d’un État ; des défis qui sont véritablement mondiaux, planétaires. Par exemple, une menace imminente de destruction de la Terre due au… changement climatique. Une menace que, bien sûr, nous pouvons arrêter si nous obéissons tous aux rédempteurs.
L’homme moderne ne croit plus beaucoup en Dieu, mais il croit – et beaucoup – en la science. Si la «science» l’ordonne, l’homme moderne acceptera n’importe quel sacrifice à sa juste valeur. Par exemple, payer le coût d’une révolution énergétique qui ne profitera qu’aux propriétaires des nouvelles sources d’énergie. Et aussi, par exemple, celui de voir ses libertés réduites sous le diktat d’une nouvelle élite transnationale qui trouve dans la nouvelle foi – la religion climatique mondiale – une légitimité supérieure à celle de toute démocratie. Ainsi, les intérêts des uns et des autres convergent pour construire un nouveau cadre de pouvoir dont les initiés sauront tirer parti. «C’est notre moment», en effet. Le leur.
«Honte, honte, honte», s’écria un jour la même ministre Redondo depuis son siège, dans l’une des réactions les plus grotesques de l’histoire mondiale du parlementarisme. Honte, en effet, d’une élite dirigeante capable de se confronter à une colossale tragédie humaine et de la mettre au service de son propre projet de pouvoir. Eh oui, «le dogmatisme climatique».
source : Noticias Holisticas via Euro-Synergies