jeudi 2 mai 2024

Pourquoi la Russie a vendu l’Alaska ? (art de2019)

 

par Bob Woodward

Alors que Donald Trump a récemment manifesté son intérêt pour l’achat du Groënland, il est intéressant de se rappeler que l’Oncle Sam avait déjà acquis par une transaction ses premiers « arpents de neige » auprès de la Russie. Et que celle-ci lui avait volontairement vendu ses possessions le considérant alors comme le meilleur interlocuteur pour cette opération.

Les Russes sont partis à la conquête de la Sibérie à partir du XVIe siècle. Cette expansion devait les amener à découvrir l’Alaska en 1741 avec l’expédition de Vitus Bering. Toutefois, il faut attendre 1784 pour qu’une première colonie soit créée par Grigori Chelikhov.

Les Russes viennent rapidement à bout des résistances autochtones, avec notamment la bataille de Sitka en 1804. C’est d’ailleurs à cet endroit qu’est implantée la capitale de la province, sous le nom de Novo-Arkhangelsk. En ayant le champ libre, ou presque, ils contrôlent un territoire assez vaste, et l’avant-poste de Fort Ross, en Californie, va même se trouver au contact des Espagnols. Sur la côte ouest du continent, ce n’est pas encore les États-Unis. La mise en valeur est assurée par la Compagnie russe d’Amérique, créée en 1799, et passée sous le contrôle direct de l’État en 1818. Toutefois, le contrôle de ces vastes étendues peu peuplées reste superficiel, et la Compagnie, mal gérée, se révèle être une charge pour les Russes.

Mais c’est à 10 000 km de là que le sort de la région va être scellé. En effet, en 1856, l’Empire russe a perdu la guerre de Crimée contre une coalition de plusieurs États, parmi lesquels le Royaume-Uni. Or l’Alaska est un point de contact avec la Perfide Albion, présente au Canada. Et elle pourrait y ouvrir un front en cas de nouveau conflit, et cette situation serait très difficile à gérer pour Saint-Pétersbourg.

La vente de l’Alaska aux États-Unis s’impose alors comme une solution miracle. Elle permet de transformer l’Alaska en zone tampon, contrôlée par un État isolationniste. Elle constituerait également une rentrée d’argent, même si le montant de la vente s’est révélé plutôt faible. La principale difficulté, finalement, a été d’attendre la fin de la Guerre de Sécession qui détournait l’Oncle Sam des affaires extérieures. L’affaire se conclut en 1867, en partie grâce à un cyclone qui avait dévasté les îles Vierges danoises, qui étaient en « compétition » dans la politique d’acquisition américaine. Elle suscite des critiques de l’opinion publique des États-Unis qui ne voyait que peu d’intérêt à cette terre hyperboréale, parfois qualifiée de « Glacière ».

La Russie a ainsi évité de subir le sort de la France du XVIIIe siècle, qui a été obligée de sacrifier ses « arpents de neige » sur le territoire nord-américain, et ce, dans la position de faiblesse qui découlait de la guerre de Sept Ans. Elle a au contraire réussi à obtenir un profit financier, et renforcé un pays avec lequel les relations étaient correctes au détriment d’un adversaire. Du reste, la Guerre russo-japonaise qui se terminera en 1905 par la défaite de l’Empire tsariste confirme de façon flagrante qu’il n’aurait pas pu faire face à une attaque dans cette région.

Aujourd’hui, il reste encore quelques vestiges de la présence russe sur le territoire américain, et ce jusqu’en Californie. En Alaska, une partie de la population est d’origine russe, et la religion orthodoxe y est toujours pratiquée, quoiqu’une partie des descendants des premiers colons se soient « américanisés » à l’époque de la Guerre froide. À cette occasion-ci, la Russie devenue soviétique aura certainement regretté d’avoir fourni cet atout à un pays devenu son pire ennemi. Mais comment prévoir alors un tel retournement de situation ?

Alaska

Bob Woodward

source:http://decryptnewsonline.over-blog.com/2019/08/pourquoi-la-russie-a-vendu-l-alaska.html

https://reseauinternational.net/pourquoi-la-russie-a-vendu-lalaska/

La facture de la supercherie écologique arrive, et elle est salée

 

par H16

Saperlipopette, la transition écologique, qui devait transformer nos sociétés en utopies vertes et riantes est en train de muter en zombie dont l’odeur de putréfaction devient difficile à camoufler : même la titraille journalistique la plus putassière ne parvient pas à évacuer les problèmes de plus en plus énormes provoqués par les décisions débiles que cette transition vers la misère nous impose.

Pourtant, tout avait été bien proprement décidé, correctement à l’abri de tout processus démocratique et de consultation régulière du peuple qui, un peu lourdaud, aurait pu tout faire dérailler : d’une part, parce qu’ils polluaient vraiment trop (mais si, puisqu’on vous le dit), il était clair qu’on devait se passer complètement des véhicules à moteurs thermiques d’ici 2030 quitte à basculer tout le monde à l’électrique, et d’autre part on allait simultanément se débarrasser de ce nucléaire qui apportait décidément trop de solution à tous nos problèmes.

Bien sûr, il allait falloir s’arranger quelque peu avec la réalité et les faits tangibles. Par exemple, en sous-estimant un peu (juste un peu) les émissions de dioxyde de carbone ou de méthane des mines de charbon, on arriverait à faire passer l’Allemagne pour presque vertueuse au point de justifier la fermeture de ses centrales nucléaires, quitte à présenter aussi cette dernière forme de production énergétique sous son jour le plus négatif possible.

Manque de pot, les grosses bidouilles et, pour tout dire, les mensonges patentés ont été récemment éventés : une enquête menée par un journal d’investigation allemand montre que les Verts ont triché sur les données permettant d’accompagner la sortie allemande du nucléaire et les hauts fonctionnaires du ministère (des Verts, pour l’essentiel) ont ainsi ignoré les avis des experts consultés, notamment lorsque ceux-ci préconisaient un report de l’arrêt du nucléaire tant il était prévisible que le conflit russo-ukrainien allait provoquer des soucis pour la consommation énergétique allemande.

En somme, les équipes des Verts en charge du nucléaire ont trompé l’opinion publique, lui ont consciemment menti pour parvenir à se débarrasser de la seule source d’énergie réellement décarbonée dont l’Allemagne disposait alors.

Pendant ce temps et alors que le prix de l’électricité européenne subissait indirectement les conséquences des mensonges écologiques des Verts allemands, on apprend qu’en ce qui concerne le remplacement de l’ensemble des véhicules à moteur thermique en Europe d’ici 2030, aucune étude d’impact n’a été faite.

C’est assez gênant puisque de telles études auraient assez facilement montré que ni les constructeurs automobiles, ni les infrastructures ne sont prêts pour un tel bouleversement. Du côté des consommateurs, le prix moyen des véhicules électriques impose de fortes subventions étatiques… Qu’il est devenu impossible de financer alors que les coûts énergétiques (et donc tous les autres coûts) se sont envolés et que l’inflation continue d’être trop musclée.

Cette fin des subventions, relativement abrupte, impose immédiatement un retour sur terre des lubies écolos concernant ces véhicules qui, dès lors, ne se vendent plus.

De façon logique, on se retrouve à présent avec des stocks conséquents de ces véhicules neufs, majoritairement produits en Chine, qui s’entassent aux ports d’arrivée pendant plusieurs mois (voire un an et demi actuellement). Stocks qui, au passage, constituent un sérieux risque écologique si l’un de ces engins, bourrés de lithium, venait à prendre feu malencontreusement.

Tout ceci démontre encore une fois que lorsque des décisions politiques sont prises non pour des raisons pragmatiques mais pour des raisons idéologiques, le résultat est toujours une catastrophe économique. Et dans le cas qui nous occupe, cela se double d’une catastrophe écologique (ô ironie), depuis les éoliennes et le photovoltaïque qui dénaturent les paysages, polluent durablement et impactent très négativement la faune et la flore, jusqu’à cette quantité invraisemblable de voitures aux batteries polluantes et difficiles voire impossibles à recycler dont on ne saura bientôt que foutre.

On se retrouve avec des mines de lignites polluantes, des centrales nucléaires fiables et sûres qui ont été stupidement fermées, du gaz et donc de l’électricité hors de prix, et des dizaines de milliers de véhicules invendables représentant à la fin des milliards d’euros de capital investi n’importe comment.

Tout ceci parce qu’on vous a menti, parce qu’on vous a baratiné et qu’on continue de le faire. Car oui, cette catastrophe économique et écologique se double de la révélation que tout était basé sur des mensonges.

Il faut le dire tel quel : l’écologie actuelle est un mensonge, une litanie de contrevérités et d’affabulations, de mystifications plus ou moins grossières et de mauvaise science aux chiffres honteusement torturés pour leur faire cracher tout et leur contraire, sans vergogne.

Tout cela a été dénoncé depuis des lustres par les rares qui ont conservé leur esprit, et ça continue de l’être pour ceux qui veulent les entendre.

Ainsi, le fait que les champs d’éoliennes (et les énergies irrégulières en général) favorisent le gaz russe avait été mentionné depuis longtemps. Cela vous est caché par les médias et les écolos qui vous mentent.

Le fait que le nucléaire est une énergie fiable, extrêmement dense et qui permet de couvrir nos besoins pour des centaines d’années avec une excellente sécurité était aussi un fait connu qui a été soigneusement tu, caché, et couvert des mensonges de politiciens et d’écologistes parfaitement véreux.

Le fait que les variations de températures ne sont pas dues à l’activité humaine est largement connu pour ceux qui se donnent la peine de chercher. Cela aussi vous est caché par les médias et les écolos qui vous mentent. Le fait que grâce à la modeste augmentation récente du taux de dioxyde de carbone dans l’air, la Terre reverdisse et que la nature aille en réalité de mieux en mieux vous est consciencieusement caché par ces hypocrites.

Dites-vous bien que si ces gens vous ont menti, sciemment, pour ces sujets, ils vous ont menti pour le reste aussi. Ils n’ont pas hésité à vous mentir pour vous imposer des contraintes toujours plus fortes, ils vous ont menti sur le virus, ils vous ont menti sur le climat et ils vous mentent encore sur leurs buts : obtenir le pouvoir pour eux, la soumission pour vous.

Ces mensonges ont maintenant des coûts pour la société qu’on ne peut plus cacher. L’addition arrive, et elle va être très douloureuse.

source : Hashtable

https://reseauinternational.net/la-facture-de-la-supercherie-ecologique-arrive-et-elle-est-salee/

Histoire : Quand le terrorisme était une valeur républicaine

 

guillotines

Par Gérard-Michel Thermeau

Si la réalité du terrorisme est ancienne, le mot français est un héritage de la Révolution française. La Première République est née dans et par la Terreur.

La monarchie à peine renversée, une première Terreur pousse les révolutionnaires à massacrer dans les prisons de Paris plus de 1000 détenus considérés comme des « ennemis de l’intérieur » prêts à égorger les « patriotes » en septembre 1792.
La plupart des victimes étaient de banals détenus de droit commun. Les éléments radicaux ne cessent de faire pression sur les organismes officiels, contraints ainsi d’adopter une politique visant à faire peur aux ennemis de la Révolution, ces comploteurs, ces traîtres, ces puissances étrangères qui veulent, dans l’esprit des révolutionnaires, « terroriser » les partisans de la Révolution. La Terreur réelle répond à une menace terroriste contre-révolutionnaire fantasmée. […]

La suite sur Contrepoints

https://www.fdesouche.com/2015/01/20/histoire-terrorisme-etait-valeur-republicaine/

Le massacre d’Odessa "montre que l'Occident ment sur le régime" de Kiev, pour un humaniste US

 

Incendie dans la Maison des Syndicats à Odessa, 2 mai 2014 - Sputnik Afrique, 1920, 01.05.2024
Il y a 10 ans, des nationalistes ukrainiens incendiaient la Maison des syndicats à Odessa avant de massacrer plusieurs dizaines de civils qui s'y cachaient. Cette tragédie montre bien le caractère mensonger de la propagande occidentale sur les autorités de Kiev, selon un défenseur des droits de l'homme américain.
Le meurtre de civils à Odessa le 2 mai 2014 et la réticence du gouvernement ukrainien à mener une enquête à ce sujet révèlent le véritable visage des autorités de Kiev, a déclaré Phil Wilaito, défenseur des droits de l'homme américain et coordinateur d'Odessa Solidarity Campaign (OSC).
"Le massacre et le fait que les autorités l'ont dissimulé, qu'elles ont refusé de mener une enquête et de traduire les responsables en justice en disent long sur ce gouvernement et montrent que les propagandistes occidentaux mentent à son sujet", a-t-il indiqué.
Plusieurs militants américains, dont M.Wilayto, ont adressé des demandes aux gouvernements des États-Unis et d'Ukraine exigeant une enquête approfondie sur la tragédie d'Odessa. Toutefois, ces appels sont tous restés sans réponse.
Les États-Unis ne veulent pas qu'il y ait une enquête, estime Phil Wilayto.
"Une véritable enquête révélerait trop de détails sur les relations entre les organisations paramilitaires fascistes et le gouvernement ukrainien. Et cela en dirait trop sur les causes du conflit actuel", a-t-il conclu.
M.Wilayto regrette que dix ans après la tragédie, de nombreuses personnes, notamment des jeunes, ne sachent rien de ce qu’il s'est passé à Odessa en 2014.

Massacre d'Odessa

Après le coup d'État survenu en Ukraine en février 2014, des personnes contestant le renversement du Président Viktor Ianoukovytch ont installé des tentes sur la place Koulikovo, à Odessa.
Le 2 mai, des rixes ont éclaté entre des militants de l’Euromaïdan, rejoints par des ultras de clubs de football, et les protestataires installés sur la place. La cité de tentes a été détruite, après quoi les partisans du coup d'État et les nationalistes ont incendié la Maison des syndicats où s'étaient réfugiés plusieurs dizaines d'anti-Maïdan.
Les assaillants ont jeté des cocktails Molotov et des grenades de gaz sur et à l’intérieur de l’édifice. Des personnes essayant d’échapper aux flammes ont par la suite été frappées à coups de batte de baseball. Selon plusieurs survivants, certains des assaillants qui ont pénétré dans le bâtiment étaient munis de haches.
Ce jour-là, 48 personnes ont été tuées et plus de 250 autres blessées.
https://fr.sputniknews.africa/20240501/le-massacre-dodessa-montre-que-loccident-ment-sur-le-regime-de-kiev-pour-un-humaniste-us-1066326018.html

mercredi 1 mai 2024

Le pacte germano-soviétique, fruit amer des accords de Munich

 

Par Bruno Guigue

A la faveur de la “guerre froide”, la narration consensuelle de la “grande alliance antifasciste” (1941-1945) s’effondre comme un château de cartes. Les alliés de la veille ne le sont plus, et un nouveau récit supplante l’ancien dans chacun des deux camps. Pour le monde occidental – désormais aligné derrière la bannière étoilée -, la coalition des démocraties contre l’hydre hitlérienne cède la place à la coalition des démocraties contre l’hydre communiste. Oblitérant l’effort colossal accompli par l’URSS pour abattre le IIIème Reich, le discours dominant en Occident entend infliger à Staline une véritable reductio ad hitlerum. La lutte titanesque entre la Wehrmacht et l’Armée rouge, en somme, aurait provoqué une illusion d’optique : comme l’arbre cache la forêt, leur affrontement militaire aurait masqué la connivence entre les deux tyrannies du siècle.

Hannah Arendt a joué un rôle déterminant dans cette interprétation de l’histoire. Pour la philosophe allemande, le totalitarisme est un phénomène à double face : le nazisme et le stalinisme. Les partis totalitaires ont une idéologie rigide et une structure sectaire. Le pouvoir du chef est absolu, et la communauté soudée par une foi sans réserve dans ses vertus surhumaines. La suppression de l’espace public et le règne de l’arbitraire policier, enfin, signent la dissolution de la société dans l’État et de l’Etat dans le parti. Mais pour Hannah Arendt, le système totalitaire est surtout l’instrument par lequel l’idéologie totalitaire prétend réaliser les lois de la nature (nazisme) ou accomplir les promesses de l’histoire (stalinisme). Avec le totalitarisme moderne, l’idéologie est la logique d’une idée : elle se fait fort de donner un sens aux événements, elle en fournit une explication sans faille. Transformant les classes en masses, l’État totalitaire exerce une emprise illimitée sur la société. Absorbant toutes les activités humaines pour leur donner la signification univoque exigée par l’idéologie, le totalitarisme, pour Arendt, est un système qui transcende ses incarnations particulières.

Cette définition, toutefois, a pour inconvénient de faire fi des différences concrètes entre nazisme et stalinisme. Sans parler de l’idéologie elle-même (la mystique de la race aryenne contre le socialisme dans un seul pays), le recours à la violence n’emprunte pas les mêmes justifications à Moscou et à Berlin. Le système totalitaire décrit par Hannah Arendt ressemble au lit de Procuste, dans lequel on veut faire entrer une réalité qui le dépasse. L’impuissance du modèle à rendre compte du réel est flagrante lorsque Hannah Arendt attribue au système totalitaire une politique étrangère agressive, ouvertement vouée à la conquête du monde. “Comme un conquérant étranger, le dictateur totalitaire considère les richesses naturelles et industrielles de chaque pays, y compris le sien, comme une source de pillage et un moyen de préparer la prochaine étape de l’expansion agressive”(Hannah Arendt, Le système totalitaire, Seuil, 1972, p. 147).

La conquête et le pillage, pourtant, ne sont pas l’apanage des “régimes totalitaires”. En décrivant comme une propriété intrinsèque du système totalitaire ce qui correspond à la pratique constante des régimes démocratiques, Hannah Arendt se livre à un tour de passe-passe. Si la conquête, l’expansion et le pillage sont des pratiques totalitaires, pourquoi n’en déduit-elle pas le caractère totalitaire des démocraties occidentales ?

En dépit de cette contradiction flagrante, le mythe des “jumeaux totalitaires” a fourni un répertoire inépuisable à la réécriture occidentale de l’histoire. Il a permis de tirer un trait sur la réalité d’un conflit mondial où 90% des pertes allemandes sont causées sur le front de l’Est, et où les victoires de Joukov, chèrement acquises, ont eu raison de la machine de guerre hitlérienne. Peu importe le sacrifice du peuple soviétique, peu importent les succès de l’Armée rouge, puisque leur chef – Staline – est un bourreau sanguinaire qui ne vaut guère mieux que son homologue nazi. Cette interprétation des événements par la doxa occidentale est parfaitement illustrée par Hannah Arendt, à nouveau, lorsqu’elle écrit en 1966 que “contrairement à certaines légendes de l’après-guerre, Hitler n’eut jamais l’intention de défendre l’Occident contre le bolchevisme, mais resta toujours prêt à s’allier aux Rouges pour la destruction de l’Occident, même au plus fort de la lutte contre l’Union Soviétique”. (Hannah Arendt, Op. Cit, p.243).

On chercherait en vain le moindre élément à l’appui de cette affirmation, mais peu importe. La matérialité des faits a l’obligeance de s’effacer devant ce théâtre d’ombres idéologiques. Nazisme et stalinisme représentant “deux variantes d’un même modèle”, ils ne pouvaient pas réellement s’engager dans une lutte à mort. Pour montrer que la véritable fracture ne passe pas entre nazisme et stalinisme, mais entre totalitarisme (à double face) et démocratie libérale, on s’emploie à soustraire de l’histoire tout ce qui pourrait en démentir l’interprétation. Ainsi Hitler est-il censé être l’allié naturel de Staline, mais à la veille de l’opération Barbarossa (juin 1941), le ministre nazi de la Propagande Joseph Gœbbels écrit dans son journal : “Le bolchevisme a vécu. Nous assumons ainsi devant l’histoire notre devoir authentique. Contre une telle entreprise Churchill lui-même ou Roosevelt ont peu d’objection. Peut-être réussirons-nous à convaincre l’épiscopat allemand des deux confessions à bénir cette guerre en tant que guerre voulue par Dieu”. Et puis, si Hitler envisageait de “s’allier aux Rouges”, comment expliquer l’extrême brutalité de la guerre menée par les nazis contre l’URSS, laquelle tranche avec leur attitude, beaucoup plus respectueuse des usages de la guerre, sur le front de l’Ouest ?

C’est qu’en France Hitler n’a pas l’intention d’installer le grand Reich millénaire qui sera au contraire chez lui dans les vastes espaces disponibles à l’Est. La future colonisation germanique dans ce qu’il appelle le “désert russe” occupe son imagination. Cette utopie colonialiste et esclavagiste tire sa source d’un mépris absolu des Slaves, d’un racisme si radical qu’il légitime n’importe quelle violence, tuerie ou famine contre ces nouveaux  “peaux-rouges”, pour reprendre l’expression employée par Hitler lui-même. Passée inaperçue de l’historiographie dominante, cette référence aux Amérindiens dans le discours hitlérien est pourtant révélatrice. Elle souligne la proximité entre l’idéologie raciste des démocraties libérales et celle de la dictature national-socialiste. “Ce n’est pas un hasard si le terme-clé du programme eugénique et racial du Troisième Reich, Untermensch, n’est que la traduction de l’états-unien Under man, le néologisme forgé par Lothrop Stoddard, auteur célébré aussi bien aux USA qu’en Allemagne, et consacré par des hommages aussi bien de deux présidents états-uniens (Harding et Hoover) que du Führer du Troisième Reich, par qui il est reçu personnellement avec tous les honneurs”, rappelle Domenico Losurdo ( Staline, Histoire et critique d’une légende noire, Aden, 2011, p. 442).

Si l’on fonde la thèse de la gémellité des régimes totalitaires sur l’usage de la terreur, comme le fait Hannah Arendt, que faut-il déduire de l’usage de la terreur sous le régime colonial imposé par les Européens aux populations de couleur ? Des Amérindiens liquidés dès le XVIème siècle aux populations africaines, asiatiques et océaniennes asservies ou exterminées par les Blancs au nom de la civilisation, l’entreprise nazie de liquidation des “races inférieures” avait de sérieux antécédents. “Il est trop commode de mettre les infamies du nazisme sur le compte exclusif de Hitler en refoulant le fait qu’il a repris, en les radicalisant, les deux éléments centraux de sa théorie à un monde qui lui préexiste : la célébration de la race blanche et de l’Occident, appelés maintenant à étendre leur domination même en Europe orientale ; la lecture de la révolution bolchevique comme complot judéo-bolchevique qui, en stimulant la révolte des peuples coloniaux et en minant la hiérarchie naturelle des races, et plus généralement, en infectant en tant qu’agent pathogène, l’organisme de la société, constitue une menace effrayante pour la civilisation, qu’il faut affronter par tous les moyens, solution finale comprise”.(Domenico Losurdo, Op. Cit., p. 469).

C’est pourquoi la guerre des nazis contre l’URSS fut d’emblée une guerre totale, une guerre d’extermination (Vernichtungskrieg). Contre les nouveaux peaux-rouges, les directives du Führer à ses troupes d’invasion ont d’emblée une connotation politique : les commissaires politiques – a fortiori s’ils sont juifs – seront immédiatement exécutés, conformément au célèbre Kommissarbefehl (ordre sur les commissaires) du 6 juin 1941. Ce n’est pas seulement l’Armée rouge, mais l’ensemble du régime soviétique qui devait être détruit. Une détermination alimentée par la conception nazie d’un “Etat judéo-bolchevique” dont la destruction nécessitait l’extermination des cadres juifs faisant fonctionner l’État soviétique. L’idéologie raciste nazie définit également les peuples slaves d’Union soviétique comme une race inférieure d’Untermenschen, de sous-hommes. Le 30 mars 1941, Hitler l’annonce à ses généraux : “La guerre contre la Russie est de ce type de guerre qui ne pourra pas être menée de façon chevaleresque : c’est une lutte entre idéologies et races différentes, et elle ne pourra être conduite qu’avec un niveau de violence sans précédent, sans pitié ni répit”.

Mais la thèse de l’alliance entre Hitler et Staline contre les démocraties, bien entendu, trouve son principal argument dans la signature du pacte germano-soviétique du 23 août 1939. Car cet événement inattendu a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Il a brutalement entaché l’image de la “patrie du socialisme”, qui avait fait de “l’antifascisme” le signe de ralliement de toutes les forces progressistes appelées à conjurer la menace hitlérienne. Si le pacte donnait les coudées franches à l’expansionnisme allemand à l’Ouest, comment expliquer que Staline ait changé de cap aussi brutalement, quitte à encourir le reproche d’avoir trahi la cause de l’antifascisme et à provoquer des remous dans son propre camp ? Pour l’historiographie dominante inspirée par Hannah Arendt, la gémellité totalitaire entre les deux tyrannies aurait favorisé cette monstrueuse alliance. La proximité systémique, en somme, expliquerait la connivence stratégique. Mais ce n’est pas du tout ce que révèle l’examen des faits.

En réalité, durant les trois années qui précèdent le pacte du 23 août 1939, Staline tente obstinément de négocier une alliance anti-hitlérienne avec les Français et les Britanniques. Pour l’URSS, une triple alliance avec la France et la Grande-Bretagne signifie avant tout une coordination militaire en vue de mener le combat commun contre l’Allemagne. Aussi le Kremlin formule-t-il avec insistance une demande précise : les Franco-Britanniques doivent s’assurer que la Pologne et la Roumanie autorisent le passage de l’Armée rouge sur leur territoire, une fois la guerre déclenchée avec l’Allemagne. Or la Pologne et la Roumanie – deux dictatures de droite antisémites et anticommunistes – redoutent autant l’intervention soviétique que l’invasion allemande et ne sont pas disposées à octroyer un droit de passage à l’Armée rouge. Favorisé par la “politique d’apaisement” à l’égard de Berlin prônée à Londres, ce refus a pour effet de réduire la triple alliance à un front politique sans volet militaire, le condamnant à l’échec.

Certes, Staline n’est guère plus confiant dans les intentions des Allemands que dans celles des Franco-Britanniques. Il connaît le programme d’expansion à l’Est prôné par l’auteur de Mein Kampf et l’idéologie pétrie de haine raciale qui justifie ces projets de conquête. Entrepris par le régime stalinien à la faveur de l’industrialisation accélérée, l’effort de réarmement de l’URSS dans les années 30 témoigne d’ailleurs de cette lucidité face à la montée des périls. Mais les négociations avec Paris et Londres traînent depuis des mois et l’approche dilatoire des Occidentaux finit par convaincre le maître du Kremlin qu’il ne pourra pas compter sur eux. Persuadé que les Allemands attaqueront la Pologne quoi qu’il en coûte, et constatant que les Occidentaux ont hypothéqué les chances de la triple alliance, Staline finit par répondre aux avances de Berlin. Devant le Soviet suprême, Molotov justifie alors le pacte en insistant sur le fait qu’il est la conséquence, et non la cause de l’échec des négociations pour la triple alliance. Du point de vue soviétique, le pacte n’est qu’une alternative, faute de mieux, à la coalition avec Paris et Londres.

Du côté occidental, la politique “d’apaisement” a rendu caduc les propositions d’alliance antifasciste formulées par l’URSS au profit d’une attitude conciliante à l’égard des prétentions du Reich. Passivité calculée, cette démission devant l’expansionnisme revanchard de l’Allemagne vise à orienter l’agressivité nazie en direction de l’URSS, désignée comme l’ennemi à abattre par l’idéologie national-socialiste. Cette politique atteint son apogée lors des accords signés à Munich par la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie le 30 septembre 1938. La Tchécoslovaquie est livrée pieds et poings liés à Adolf Hitler, qui se partage les dépouilles de ce malheureux pays avec la Pologne et la Hongrie. L’Union Soviétique, de son côté, tente d’empêcher ce désastre. Elle réclame en vain la coordination des forces soviétiques, françaises et tchécoslovaques, ainsi que la saisine de l’assemblée générale de la SDN. Entre le 21 et le 23 septembre 1938, l’Armée rouge mobilise des forces militaires en Ukraine et en Biélorussie. Faute de frontière commune entre l’URSS et la Tchécoslovaquie, Moscou sollicite l’accord de Varsovie et de Bucarest pour traverser leur territoire. La Roumanie semble prête à accepter, mais le refus polonais scelle le sort de la Tchécoslovaquie. Indignée par les accords de Munich, la diplomatie soviétique dénonce une « capitulation qui aura des conséquences incalculables ».

Le pacte du 23 août 1939 est le dernier épisode du jeu de go qui caractérise les relations internationales dans les dernières années de l’avant-guerre. Que ce soit avec la triple alliance – avortée – ou avec le pacte germano-soviétique, Staline tente d’éloigner le spectre de la guerre tout en sachant qu’elle est inéluctable. “En vérité, loin d’ourdir une guerre menant à une révolution, Staline ne craignait rien de plus qu’un nouveau grand conflit militaire. La guerre offrait des opportunités, mais elle exposait également à de grands périls. Bien que la Première guerre mondiale eût conduit à la Révolution russe de 1917, elle fut suivie d’une guerre civile où les ennemis des communistes furent à deux doigts de tuer le bolchevisme dans l’œuf. Parmi les opposants aux bolcheviques pendant la guerre civile, on compte les grandes puissances capitalistes – Grande-Bretagne, France et Etats-Unis – qui aidèrent les forces anticommunistes en Russie et imposèrent un blocus économique et politique pour contenir la contagion du bolchevisme”, souligne Geoffrey Roberts (Les guerres de Staline, Delga, 2011, p. 25).

Si Staline joue la carte allemande en août 1939, c’est parce que les tentatives d’entente avec les Occidentaux ont échoué par leur faute. Après la trahison de la Tchécoslovaquie par les “démocraties” occidentales à Munich en septembre 1938, il sait combien la tentation d’une ligne “Plutôt Hitler que Staline” est forte en Europe. Ses offres d’alliance du printemps 1939 ayant achoppé sur le refus de la Pologne – laquelle s’empare d’un morceau de la Tchécoslovaquie en 1938 – , il prend acte de l’impossibilité de s’entendre avec Paris et Londres, et il retourne temporairement contre les Franco-Britanniques la menace allemande qu’ils entendaient dresser contre l’URSS. Impossible, par conséquent, de comprendre le coup de tonnerre du 23 août 1939 sans le relier au caractère défensif de la politique étrangère soviétique. Si Staline a signé le pacte, c’est pour retarder l’échéance de la guerre sur le sol soviétique. Et c’est surtout parce que les accords de Munich ne lui ont pas laissé le choix.

Bruno Guigue

source:https://www.mondialisation.ca/le-pacte-germano-sovietique-fruit-amer-des-accords-de-munich/5636234

https://reseauinternational.net/le-pacte-germano-sovietique-fruit-amer-des-accords-de-munich/

dimanche 28 avril 2024

Le président polonais confirme que l’industrie agricole ukrainienne est majoritairement détenue par des entreprises étrangères

 

andrew-korybko

Andrzej Duda est intégré à l’un des gouvernements considérés universellement comme les plus pro-étasuniens et anti-russes de toute l’histoire, si bien qu’on ne pourrait pas l’accuser de “propager la propagande du Kremlin” sur ce sujet à scandale.

L’Oakland Institute a publié en février 2023 un rapport détaillé sous le titre : Guerre et spoliation : la prise de contrôle des terres agricoles ukrainiennes, qui expliquait comment des sociétés étrangères ont clandestinement pris le contrôle d’une part significative des exploitations agricoles ukrainiennes en exploitant une loi libérale en connivence avec des oligarques locaux. Ces découvertes ont fait des vagues à l’époque de la publication du rapport, mais l’attention du grand public en a été détourné après que des organes de communication occidentaux comme USA Today l’ont prétendument “debunké”.

Ces organes de communication occidentaux ont exploité la confusion dans l’esprit des visiteurs des médias sociaux entre contrôle direct et prises d’intérêts indirectes pour jeter le discrédit sur le rapport de l’Oakland Institute, si bien que l’opinion publique s’en est détournée. Qui aurait pu deviner que ce serait rien moins que la personne du président polonais, Andrzej Duda, qui allait lui insuffler une nouvelle vie au travers d’une interview menée par la radio et télévision nationale lituanienne ? Il était en train d’exposer les problèmes que connaît la Pologne en raison des importations agricoles ukrainiennes au moment où il a lâché cette bombe :

J’aimerais attirer particulièrement votre attention sur l’industrie agricole, qui n’est pas vraiment exploitée par des Ukrainiens : elle est contrôlée par de grandes entreprises d’Europe occidentale et des États-Unis. Si nous examinons aujourd’hui qui possède la majorité de ces terres, il ne s’agit pas d’entreprises ukrainiennes. Cette situation est paradoxale, et il ne faut pas s’étonner de voir les agriculteurs [polonais, NdT] se défendre par leurs propres moyens, car ils ont investi dans leurs exploitations en Pologne […] et les productions agricoles bon marché en provenance d’Ukraine se révèle particulièrement néfaste pour eux.

Chacun sait que Duda représente l’un des gouvernements les plus pro-étasuniens et les plus anti-russes de toute l’histoire, si bien qu’on ne saurait l’accuser de “propager la propagande du Kremlin”. Il n’aurait donc jamais confirmé cette affirmation spectaculaire — que la plus grande partie des terres agricoles ukrainiennes sont détenues par des sociétés étrangères, cette propriété étant formalisée sous forme de prises de participations dans des entreprises nationales, en exploitation d’une loi libérale votée en connivence avec des oligarques locaux — s’il ne disposait pas de faits établis par des experts polonais pour soutenir ce discours.

Ce développement devrait provoquer un regain d’intérêt envers les rapports déjà établis sur le sujet, comme celui de l’USAID : le secteur privé, à la pointe de la réforme agraire, sur le point de débloquer le potentiel d’investissement de l’Ukraine. Le rapport détaillé établi par Thomas Fazi pour Unheard en juillet 2023 : Les capitalistes encerclent l’Ukraine : la guerre est en train de créer des opportunités de bénéfices colossaux est également digne d’intérêt. Mais le plus intéressant reste ce que Zelensky a déclaré lors du Forum Économique de Davos au mois de mai 2022. Selon ses propres mots :

Nous proposons un modèle de reconstruction spécial — d’une importance historique. Lorsque chacun des pays, villes ou entreprises partenaires disposeront de l’opportunité — une opportunité historique — de parrainer une région, une ville, une communauté ou une industrie particulière en Ukraine. La Grande-Bretagne, le Danemark, l’Union européenne et d’autres acteurs internationaux de premier plan ont déjà opté pour une direction spécifique de parrainage dans la reconstruction.

Un an plus tard, il a accueilli les dirigeants de BlackRock à Kiev, pour discuter de la création d’un fonds d’investissement et de reconstruction. Selon Zelensky“Ce jour est historique car, depuis les tous premiers jours de l’indépendance, nous n’avions pas eu d’opportunités d’investissements aussi colossaux en Ukraine. Nous sommes fiers de pouvoir démarrer un tel processus… Nous serons en mesure de proposer des projets intéressants pour investir dans l’énergie, la sécurité, l’agriculture, la logistique, les infrastructures, la santé, les technologies de l’information, et de nombreux autres domaines.”

En résumé, le dirigeant ukrainien a bien proposé au mois de mai 2022 à Davos d’offrir aux entreprises un “parrainage” du complexe agricole ukrainien, parrainage qui était déjà en développement avant cela, mais a été fortement accéléré par la rencontre au mois de mai dernier avec les dirigeants de BlackRock. Ce parrainage s’est cristallisé en développant ces exploitations agricoles contrôlées de manière indirecte par des étrangers, entrant en concurrence frontale avec les exploitations polonaises, ce qui amène les exploitants agricoles polonais à manifester dans tout le pays et a débouché sur les derniers problèmes que l’on a pu constater dans les liens bilatéraux entre les deux pays.

La séquence d’événements détaillée jusqu’ici positionne un contexte autour du rapport émis à la mi-février sur les projets supposés du G7 pour désigner un émissaire en Ukraine, qui aurait d’évidence pour tâche de mettre en œuvre l’agenda de Davos si cela se produit, pérennisant ainsi particulièrement le contrôle étranger sur les terres agricoles ukrainiennes. Le rapport suggère également que le focus informel de l’Ukraine sur l’accroissement des exportations agricoles à destination de l’UE n’est pas simplement opportuniste, mais est en partie poussé par la préférence des entreprises étrangères pour des bénéfices rapides et fiables.

Jusqu’ici, l’Ukraine avait constitué une locomotive agricole pour le Grand Sud, mais elle a cédé ses parts de marché à la Russie sous le faux prétexte que Moscou appliquait un blocus sur la Mer Noire, ce qui a ensuite amené l’UE à supprimer temporairement les barrières commerciales dans l’objectif affiché de faciliter les exportations transitant par les territoires de ses États membres. En réalité, la Russie n’a jamais appliqué de blocus en Mer Noire, et presque toutes les céréales ukrainiennes qui sont entrées en UE sont restées, et n’ont pas transité vers les marchés traditionnels ukrainiens situés dans le Grand Sud.

Il est bien plus rapide pour l’Ukraine de vendre ses produits agricoles à l’UE voisine que de subir les durées qu’impliquent des exportations jusqu’en Afrique, sans compter que ces économies développées pratiquent forcément des paiements bien plus fiables que des pays en développement. Ces calculs évidents fonctionnent en opposition des intérêts polonais, et il va être très difficile pour ce pays de défendre son marché intérieur de ces importations au vu de la puissance des forces en jeu.

Il n’y a pas que le lobby agricole ukrainien qui veut disposer d’accès sans barrières douanières vers les marchés de l’UE, mais également les lobbies des sociétés étrangères qui contrôlent de manière indirecte le complexe agricole ukrainien. Ces derniers vont probablement se battre bec et ongles pour empêcher qu’un compromis sur l’adhésion espérée de l’Ukraine à l’UE puisse voir le secteur agricole de l’ancienne république soviétique exclu de tout accord. La Pologne a donc toutes les raisons de continuer d’attirer l’attention du monde sur ces relations troubles.

La seule chance de la Pologne de voir un tel compromis mis en œuvre est de continuer à éveiller au maximum les consciences sur le fait que “la plupart des terres” du secteur agricole ukrainien “sont détenues par de grandes sociétés en Europe occidentale et aux États-Unis”. La Pologne va se faire des ennemis très puissants, en mesure de s’ingérer dans les affaires intérieures polonaises pour se venger, mais la dernière interview en date de Duda suggère qu’il s’est préparé à faire face à leur colère pour protéger les intérêts nationaux objectifs de son pays.

Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.

Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

Source korybko.substack.com

https://lesakerfrancophone.fr/le-president-polonais-confirme-que-lindustrie-agricole-ukrainienne-est-majoritairement-detenue-par-des-entreprises-etrangeres

Le coup de tonnerre de la nationalisation de la Compagnie du canal de Suez

 

Il y a soixante ans, la France, le Royaume-Uni et Israël attaquaient l’Égypte du président Gamal Abdel Nasser, coupable d’avoir nationalisé la Compagnie du canal de Suez. Cette piteuse expédition marqua la fin de la domination coloniale sur l’Égypte. Analyse de l’événement et documents de l’époque.

par Vincent Capdepuy

En avril 1951, le Majliss d’Iran — le Parlement — décida la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company (AIOC). Deux ans plus tard, en août 1953, le premier ministre Mohamed Mossadegh parvint à mettre en fuite le chah, mais il fut très rapidement arrêté grâce à l’intervention des services secrets américains qui organisèrent un coup d’État en faveur de ce dernier, favorable aux intérêts occidentaux. En 1954, la British Petroleum Company, avatar de l’AIOC, était de retour en Iran et intégrait une holding composée de plusieurs compagnies pétrolières occidentales, l’Iranian Oil Participants Ltd. Les profits seraient désormais partagés pour moitié entre l’Iran et les compagnies étrangères.

Gamal Abdel Nasser

En 1956, un scénario tout à fait semblable aurait pu se reproduire en Égypte. Depuis juillet 1952, la monarchie avait été renversée au profit d’une République contrôlée par les « Officiers libres » à l’origine du putsch, ou de la révolution (al-thawra), selon les points de vue. Un de ces officiers, Gamal Abdel Nasser, s’imposa peu à peu à la tête du pays. En novembre 1954, il devint le président du Conseil de commandement révolutionnaire égyptien, et en juin 1956, il fut nommé président de la République arabe d’Égypte. Entre-temps, en avril 1955, il avait participé à la conférence de Bandung et acquis une nouvelle dimension internationale. Nasser était désormais une figure du panarabisme et du « neutralisme » défendu par Josip Broz Tito et Motilal Nehru. Il défiait l’Occident.

En janvier 1955, il s’était déjà opposé au « pacte de Bagdad », le traité d’organisation du Moyen-Orient, cosigné, le mois suivant, par la Turquie, le Pakistan, l’Iran, l’Irak et le Royaume-Uni, à l’initiative des États-Unis dans le cadre de la politique d’« endiguement » menée contre l’URSS. En septembre de la même année, il avait signé un contrat d’armement avec la Tchécoslovaquie. Mais c’est la reconnaissance de la Chine populaire en mai 1956 qui précipita la cassure avec les États-Unis.

Après l’annonce de leur retrait du projet de financement du nouveau barrage d’Assouan, Nasser décida de nationaliser le canal de Suez, principale source d’enrichissement potentiel pour le pays. La décision fut annoncée lors d’un discours prononcé à Alexandrie le 26 juillet 1956, jour anniversaire de l’abdication du roi Farouk 1er. Nasser le fit en arabe dialectal, ce qui renforçait l’affirmation du sentiment national égyptien. La réaction de la France et du Royaume-Uni, mais aussi d’Israël, fut immédiate. En effet, le canal nouait plusieurs problématiques : les intérêts financiers liés à la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, la libre circulation dans ledit canal, la protection du territoire israélien et la guerre en Algérie, Nasser soutenant le Front de libération nationale (FLN).

Parallèlement aux discussions diplomatiques, notamment à l’ONU, les trois gouvernements français, britannique et israélien s’entendirent secrètement, en octobre 1956, pour mener une opération militaire conjointe contre l’Égypte, qu’on appelle parfois les « protocoles de Sèvres ». C’est ce qui fut déclenché le 29 octobre 1956, lorsque l’armée israélienne envahit la bande de Gaza et le Sinaï. La surprise vint de la réaction des États-Unis. Dwight D. Eisenhower, en pleine campagne de réélection présidentielle, défendait un certain pacifisme, après la guerre de Corée, et ne soutint pas ses alliés européens, tandis que l’URSS menaçait d’utiliser l’arme nucléaire. L’acteur majeur de la résolution du conflit fut donc l’Assemblée générale de l’ONU, réunie en session extraordinaire au début du mois de novembre. Plusieurs résolutions furent adoptées, jusqu’à la décision de l’envoi d’une force d’intervention, la Force d’urgence des Nations unies (Funu). La France et le Royaume-Uni furent contraints d’accepter le cessez-le-feu et finirent par retirer leurs troupes en décembre. L’armée israélienne, quant à elle, ne se retira du Sinaï qu’en mars 1957.

Ce fut l’acte de naissance des Casques bleus, et l’année suivante, le prix Nobel de la paix fut accordé au premier ministre canadien, pour son rôle dans l’apaisement de ce que nous nommons traditionnellement « la crise de Suez », mais qu’en arabe, on appelle « l’agression tripartite » (al-oudwan al-thalathi).

En avril 1957, le canal fut rouvert à la circulation. Beaucoup de pays européens avaient dû prendre des mesures de rationnement de carburant depuis novembre 1956. Ces restrictions ne furent levées que progressivement.

L’ensemble des documents proposés ici vise à donner différents points de vue sur cet événement qui a noué des problématiques locales, régionales et globales, et fait intervenir de multiples acteurs. En voici la liste :

➞ Discours de Gamal Abdel Nasser, 26 juillet 1956
➞ Caricature soviétique « Changement de drapeau au canal de Suez »
➞ Christian Pineau, extrait de Le temps des révélations
➞ Caricature de Pol Ferjac, dans Le Canard enchaîné
➞ Carte « La conquête du Sinaï »
➞ Suez : des opérations de déblaiement ont commencé(photo)
➞ La résolution 997 de l’Assemblée générale de l’ONU, 2 novembre 1956
➞ Débat à la Chambre des communes, Londres, 1er novembre 1956
➞ Déclaration radiodiffusée de David Ben Gourion, 8 novembre 1956
➞ Hymne militaire égyptien
➞ Article du Monde sur le rationnement de l’essence en Europe, 19 novembre 1956
➞ Photo : une caravane quitte le camp suédois de la FUNU à El Arish, 1er mars 1957
➞ Extrait de F. Bertier, « L’Égypte et le pacte de Bagdad »

Discours de Gamal Abdel Nasser (Alexandrie, 26 juillet 1956)

in : Écrits et Discours du colonel Nasser, 20 août 1956, Paris, La Documentation française, Notes et études documentaires n ° 2 206 ; p. 16-21.

Citoyens, En ce jour, nous accueillons la cinquième année de la Révolution. Nous avons passé quatre ans dans la lutte. Nous avons lutté pour nous débarrasser des traces du passé, de l’impérialisme et du despotisme; des traces de l’occupation étrangère et du despotisme intérieur.

Aujourd’hui, en accueillant la cinquième année de la Révolution, nous sommes plus forts que jamais et notre volonté est toujours plus forte. Nous avons lutté et nous avons triomphé. Nous ne comptons que sur nous-mêmes et nous le faisons avec volonté, force et puissance pour la réalisation des objectifs proclamés par la Révolution et pour la réalisation desquels nos ancêtres ont lutté et nos enfants se sont sacrifiés. Nous luttons et nous sentons que nous triompherons toujours pour consolider nos principes de dignité, de liberté et de grandeur, pour l’établissement d’un État indépendant d’une indépendance véritable, d’une indépendance politique et économique.

En regardant l’avenir, nous sentons très bien que notre lutte n’a pas pris fin. Il n’est pas facile, en effet, d’édifier notre puissance au milieu des visées impérialistes et des complots internationaux. Il n’est pas facile de réaliser notre indépendance politique et économique sans que la lutte se poursuive. Nous avons devant nous toute une série de luttes pour que nous puissions vivre dignement. Aujourd’hui, nous avons l’occasion de poser les bases de la dignité et de la liberté et nous viserons toujours à l’avenir de consolider ces bases et de les rendre encore plus fortes et plus solides.

L’impérialisme a essayé par tous les moyens possibles de porter atteinte à notre nationalisme arabe. Il a essayé de nous disperser et de nous séparer et, pour cela, il a créé Israël, œuvre de l’impérialisme. […]

L’histoire se répète; et il n’est pas possible, pour nous, que nous laissions cette histoire se répéter pour l’Égypte. Nous sommes tous là, aujourd’hui, pour mettre une fin absolue à ce sinistre passé et si nous nous tournons vers ce passé, c’est uniquement dans le but de le détruire. Nous ne permettrons pas que le canal de Suez soit un État dans l’État. Aujourd’hui, le canal de Suez est une société égyptienne, des fonds desquels l’Angleterre a pris 44% de ses actions.

L’Angleterre profite jusqu’à présent des bénéfices de ces actions; le revenu de ce Canal en 1955 a été évalué à 35 millions de livres, soit 140 millions de dollars, desquels il nous revient un million de livres, soit 3 millions de dollars. La voici donc la société égyptienne qui a été créée pour l’intérêt de l’Égypte, tel que l’a déclaré le firman.

La pauvreté n’est pas une honte, mais c’est l’exploitation des peuples qui l’est. Nous reprendrons tous nos droits, car tous ces fonds sont les nôtres, et ce canal est la propriété de l’Égypte. La Compagnie est une société anonyme égyptienne, et le canal a été creusé par 120 000 Égyptiens, qui ont trouvé la mort durant l’exécution des travaux. La Société du Canal de Suez à Paris ne cache qu’une pure exploitation. Eugène Black est venu en Égypte dans le même but que de Lesseps. Nous construirons le Haut-Barrage et nous obtiendrons tous les droits que nous avons perdus. Nous maintenons nos aspirations et nos désirs. Les 35 millions de livres que la Compagnie encaisse, nous les prendrons, nous, pour l’intérêt de l’Égypte.

Je vous le dis donc aujourd’hui, mes chers citoyens, qu’en construisant le Haut-Barrage, nous construirons une forteresse d’honneur et de gloire et nous démolissons l’humilité. Nous déclarons que l’Égypte en entier est un seul front, uni, et un bloc national inséparable. L’Égypte en entier luttera jusqu’à la dernière goutte de son sang, pour la construction du pays. Nous ne donnerons pas l’occasion aux pays d’occupation de pouvoir exécuter leurs plans, et nous construirons avec nos propres bras, nous construirons une Égypte forte, et c’est pourquoi j’assigne aujourd’hui l’accord du gouvernement sur l’étatisation de la Compagnie du Canal.

« Changement de drapeau au canal de Suez »

Caricature de Boris Efimov, Krokodil n ° 24, 30 août 1956, édition moscovite de la Pravda.
Sur le drapeau : « Promotion. Société du canal de Suez »

Boris Efimov, « Changement de drapeau au canal de Suez »

« Le temps des révélations »

Christian Pineau, Le temps des révélations, Paris, Robert Laffont, 1976 ; p. 158-160.
Christian Pineau (1904-1995) a été ministre des affaires étrangères de février 1956 à mai 1958.

Le 30 octobre, dans la matinée, Guy Mollet et moi nous rendons à Londres où nous rencontrons Eden et Selwyn Lloyd avant le déjeuner. Le cabinet britannique s’est réuni dans la matinée pour approuver la déclaration que le Premier ministre a décidé de faire aux Communes dans la journée.

Mon impression se trouve vite confirmée : Eden compte encore sinon sur l’appui du moins sur une neutralité bienveillante d’Eisenhower. Or, un message est bien arrivé de Washington, mais il se contente de souhaiter que l’on évite des malentendus, ce qui ne signifie pas grand-chose. Impossible d’attendre davantage! Il faut se décider à aider ou à abandonner les Israéliens.

Anthony Eden

Eden est hésitant, mais loyal.

Le message aux belligérants prévu dans le protocole de Sèvres est donc envoyé aux deux parties. Il a un certain caractère d’ultimatum et conduit de ce fait à une intervention militaire franco-britannique sur le Canal. On a écrit qu’Anthony Eden d’un côté, Guy Mollet de l’autre, auraient dû réunir leurs Parlements respectifs la veille et non le jour de l’envoi du message, c’est-à-dire obtenir un vote avant l’action et non pendant l’action. C’est jouer sur les mots, car les deux hommes d’État savaient exactement, presque à une voix près, sur quels appuis ils pouvaient compter. C’est si vrai qu’Anthony Eden avait communiqué le texte de l’ultimatum à l’opposition travailliste avant de l’envoyer.

Ici se produit un événement que nous n’attendions pas : l’intervention prématurée des États-Unis à l’ONU. Dans l’après-midi du 30 [octobre], John Cabot Lodge, leur délégué, Adépose une résolution enjoignant à Israël de se retirer derrière ses frontières et demandant aux États membres de l’ONU de s’abstenir de la menace ou de l’emploi de la force; mais — c’est l’important — le délégué américain demande, soutenu par l’Union soviétique, le vote immédiat de sa résolution.

Ce point demande une explication, car il reste obscur pour ceux qui ignorent le fonctionnement des organismes onusiens.

Rappelons que le Conseil de sécurité est chargé, d’après la Charte des Nations unies, de prendre toutes mesures destinées à préserver ou à ramener la paix dans le monde. Il a même le pouvoir de faire appliquer par tous moyens ses décisions, sauf veto opposé par l’une des cinq grandes puissances, États-Unis, Union soviétique, Grande-Bretagne, France et Chine (c’était alors celle de Formose). Nous n’avions jamais douté de cette intervention. Elle était inévitable. Mais, dans notre esprit, elle devait avoir pour objet d’entraîner une négociation générale entre l’Égypte et Israël d’un côté, l’Égypte et les usagers du Canal de l’autre. En échange de ces deux négociations, nous étions prêts à renoncer à toute opération de débarquement, la sécurité d’Israël et la libre circulation sur le Canal étant assurées. Or, le vote par l’Union soviétique et les États-Unis, le 30 octobre, avant même que Nasser eût répondu à notre ultimatum, d’une même résolution condamnant l’action d’Israël et, à l’avance, la nôtre, sans la moindre allusion à l’éventualité d’une négociation sur les points en litige, pouvait avoir un seul résultat : renforcer l’intransigeance de Nasser et nous obliger à aller jusqu’au bout de notre action. Bien sûr, la Grande-Bretagne et la France opposèrent leur veto à la résolution américaine, enlevant à celle-ci toute valeur exécutoire, mais le mal était fait : pour l’opinion mondiale, alors hésitante (plusieurs pays arabes nous avaient fait savoir discrètement leur approbation), les États-Unis et l’Union soviétique s’étaient mis d’accord contre la Grande-Bretagne et la France.

On ne pouvait souhaiter plus mauvais départ.

« Drôles de bouilles »

Caricature de Pol Ferjac, dans Le Canard enchaîné, 14 novembre 1956.

Pol Ferjac,« La saison touristique en Égypte »

La conquête du Sinaï

Conquête du Sinaï, 1-5 novembre 1956. Source : US Military Academy, département d’histoire.

Guerre de Suez — La conquête du Sinaï

Port-Saïd

Suez : des opérations de déblaiement ont commencé. Source : Port-Saïd : Keystone, 20 novembre 1956.

Opérations de déblaiement à Port-Saïd

La résolution 997 de l’Assemblée générale de l’ONU

Séance plénière 562, 2 novembre 1956.

L’Assemblée générale,
Considérant qu’en maintes occasions des parties aux conventions arabo-israéliennes d’armistice de 1949 ont méconnu les dispositions de ces conventions, et que les forces années d’Israël ont profondément pénétré en territoire égyptien, en violation de la Convention d’armistice général conclue entre l’Égypte et Israël le 24 février 1949,
Constatant que des forces armées de la France et du Royaume- Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord se livrent à des opérations militaires contre le territoire égyptien,
Constatant que la circulation par le canal de Suez se trouve actuellement interrompue, au grand détriment de nombreux pays,
Exprimant la grave inquiétude que lui causent ces événements,
1. Demande instamment, et de toute urgence, que toutes les parties actuellement mêlées aux hostilités dans la région acceptent immédiatement de cesser le feu et, à ce titre, s’arrêtent d’envoyer clans la région des forces militaires ou des armes ;
2. Demande instamment aux parties aux conventions d’armistice de retirer sans tarder toutes leurs forces derrière les lignes de démarcation de l’armistice, de renoncer à toute incursion en territoire voisin à travers ces lignes et de respecter scrupuleusement les dispositions des conventions d’armistice ;
3. Recommande à tous les États Membres de s’abstenir d’introduire du matériel militaire dans la zone des hostilités et, d’une façon générale, de s’abstenir de tout acte qui retarderait ou empêcherait la mise en œuvre de la présente résolution ;
4. Demande instamment que, dès l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, des mesures soient prises pour rouvrir le canal de Suez et rétablir la liberté et la sécurité de la navigation ;
5. Charge le Secrétaire général de surveiller l’application de la présente résolution et d’en rendre compte sans délai au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale, en vue des mesures ultérieures que ces organes pourraient juger opportun de prendre conformément à la Charte ;
6. Décide de continuer à siéger en Session d’urgence jusqu’au moment où la présente résolution aura été appliquée.

À la Chambre des communes, 1er novembre 1956

Débat. Source : hansard.millbanksystems.com

Le ministre de la défense, M. Anthony Head.
Avec votre permission, Messieurs, je vais faire une déclaration sur la situation militaire en Égypte, fondée sur les informations les plus récentes dont je puis disposer.

La nuit dernière, des bombardements ont été effectués par l’aviation britannique sur quatre terrains d’aviation égyptiens, Almaza, Inchass, Abu Sueir et Kabrit [Membres : “Honte!]” Les premiers rapports montrent que les bombardements ont été précis. Il y avait une défense anti-aérienne lourde et légère, mais sans dommage pour nos avions. Un avion a été intercepté par un chasseur de nuit, mais sans dommage.

Tôt ce matin, l’aviation d’assaut, à partir du rivage ou depuis les porte-avions, a mené des attaques sur un total de neuf terrains d’aviation égyptiens.

Le HMS Newfoundland a coulé la frégate égyptienne Domiat à environ 80 miles au sud de Suez.

Nous n’avons pas d’information directe à propos des opérations israélo-égyptiennes. Des rapports indiquent que l’attaque israélienne se fait selon deux axes. Dans le Sud, des troupes aéroportées tiennent un terrain élevé à environ 20 miles à l’est de Suez, soutenues par une brigade. Une seconde brigade est signalée plus à l’est. Dans le Nord, les Israéliens affirment avoir chassé les Égyptiens de leur position de Qasseina avec une brigade blindée.

Des rapports indiquent que des unités blindées égyptiennes, déployées à l’ouest du Caire, ont commencé à se déployer vers l’est le 31 octobre. Ces forces incluent une brigade blindée composée de deux régiments blindés équipés d’unités anti-aériennes légères et lourdes, et d’infanterie dans des véhicules de transport de troupes. Ces forces se déplaçaient vers l’est le long des routes Le Caire-Suez et Le Caire-Ismaïlia.

M. Gaitskell
Est-ce que le Ministre est conscient que des millions de Britanniques sont profondément choqués et honteux [Un membre :“ Fascistes!”] que l’aviation britannique serait en train de bombarder l’Égypte, non pour se défendre, pour la défense collective, mais au mépris évident de la Charte des Nations unies? Est-ce que le ministre est conscient, en outre, que l’Assemblée générale des Nations unies se réunit aujourd’hui? Donnera-t-il une garantie, premièrement, que toute décision prise à la majorité des deux-tiers par l’Assemblée des Nations unies sera immédiatement acceptée par le gouvernement de Sa Majesté, et deuxièmement, que dans l’attente d’une telle décision, plus aucune action militaire ne sera prise par le gouvernement de Sa Majesté?»

Déclaration de David Ben Gourion

Extrait de la déclaration radiodiffusée de Ben Gourion, le 8 novembre 1956 (traduit de l’anglais).

Je ne peux pas terminer mes remarques sans dire quelques mots à mes compagnons d’armes, à tous les soldats et officiers des Forces de défense israéliennes : vous avez, comme toujours, effectué votre mission au nom de la nation avec une très grande bravoure et, quel que soit le résultat de la lutte politique dans laquelle nous sommes engagés et qui n’est pas encore terminée, ne laissez personne imaginer que votre héroïsme et le sacrifice de vos camarades qui sont tombés au combat n’ont pas été complètement fructueux.

Nous nous sommes fixé trois objectifs principaux dans l’opération du Sinaï : la destruction des forces qui s’apprêtaient à nous détruire; la libération du territoire de la patrie qui avait été occupée par les envahisseurs, et la sauvegarde de la liberté de navigation dans le golfe d’Eilat et dans le canal de Suez. Et bien que pour le moment seul le premier objectif, qui était le principal, a été pleinement atteint, nous sommes convaincus que les deux autres objectifs seront eux aussi pleinement atteints.

Aucun de nous ne sait ce que sera le sort du désert du Sinaï. Lors de mon examen devant la Knesset, hier, j’ai passé la grande question sous silence, sans le vouloir. Il n’y avait aucun doute dans mon esprit que nous étions pris dans deux conflits mêlés, militaire et politique, et personne ne peut encore dire si l’un d’eux est terminé ou non, et si non, comment.

Au cours de notre Guerre d’indépendance, nous avons fait aussi face à de dures épreuves et, bien qu’à ce moment-là nous n’avons pas achevé tout ce que nous souhaitions, nous n’avons jamais dans notre minorité atteint plus que ce que nous avons fait alors. Seule l’étroitesse d’esprit ne parvient pas à voir la grandeur de nos réalisations en cette occasion bien que la lutte ne soit pas encore terminée. Il n’y a aucune puissance dans le monde qui peut réduire à néant notre victoire, et Israël, après l’opération du Sinaï, ne sera plus la même qu’avant cette splendide opération. Il y a là une grande récompense pour votre travail, et je crois que tout notre peuple en sera fier.

Hymne égyptien

Hymne militaire, écrit par Mahmoud Al-Cherif et mis en musique par Adballah Chams Al-Din, 1956 (traduit de l’arabe).

Dieu est le plus grand! Dieu est le plus grand!
Dieu est au-dessus de la perfidie des agresseurs,
Dieu, de l’opprimé, est le meilleur allié.
Moi avec la foi et avec les armes je me sacrifierai pour mon pays,
Et la lumière de la Justice brille dans ma main.
Dites avec moi! Dites avec moi!
Dieu, Dieu, Dieu est le plus grand!
Dieu est au-dessus des agresseurs.

Ô Monde, regarde et écoute!
L’armée des ennemis est venue pour m’abattre.
Par la justice et le canon je la repousserai.
Et si je péris, avec moi elle périra.
Dites avec moi! Dites avec moi!
Dieu, Dieu, Dieu est le plus grand!
Dieu est au-dessus des agresseurs.

Dieu est le plus grand! Dieu est le plus grand!
Dites avec moi : Malheur aux colonialistes!
Et Dieu est au-dessus des perfides et es arrogants.
Dieu est le plus grand! Ô mon pays, dis avec moi : Dieu est plus grand!
Et saisis les envahisseurs de front et écrase-les!
Dites avec moi! Dites avec moi!
Dieu, Dieu, Dieu est le plus grand!
Dieu est au-dessus des agresseurs.

Rationnement de l’essence en Europe

Le Monde, 19 novembre 1956.

L’aide américaine en pétrole se faisant attendre, les pays étrangers prennent, comme nous, de nouvelles mesures d’austérité. L’interdiction de circuler le dimanche et l’augmentation du prix de l’essence figurent parmi les dispositions les plus courantes. Plusieurs pays envisagent dès à présent l’institution de tickets.

GRANDEBRETAGNE. – On s’attend que le plan britannique de rationnement de l’essence soit mis en application dans trois semaines environ, date à laquelle les stocks commenceront à être sérieusement entamés. Selon les estimations officieuses, ceux-ci représentaient au début de l’intervention britannique en Égypte environ sept semaines de consommation, mais auraient sérieusement diminué depuis.

Les estimations officielles et privées sur la durée de la fermeture du canal de Suez varient entre trois mois (optimistes) et un an (pessimistes); quant aux pipe-lines de l’Irak Petroleum, la majorité des experts estiment qu’ils resteront inutilisables pendant neuf mois en raison de la destruction des stations de pompage en territoire syrien.

Le ministre de l’industrie a invité hier les sociétés qui avaient fait transformer leurs installations fonctionnant au charbon pour les faire marcher au mazout, à revenir si possible à la houille. M. Jones a indiqué que la production d’acier ne devrait pas être affectée par la pénurie de pétrole.

ITALIE. – Le ministre de l’industrie a pris les mesures suivantes : diminution de 5% des fournitures d’huiles combustibles par rapport aux livraisons de l’an passé; priorité des fournitures pour les services publics, les hôpitaux, les écoles, les œuvres de bienfaisance; réalisation des plus grandes économies possibles par les administrations d’État et les services publics, et campagne auprès des consommateurs afin qu’ils réduisent l’emploi des produits pétroliers. Des mesures complémentaires ont été suggérées par la commission du marché pétrolier du ministère de l’industrie :
➞ interdiction de toute circulation le dimanche (à l’exclusion des taxis) et suppression éventuelle du super-carburant;
➞ augmentation de 15 lires par litre (8 francs environ) du prix de l’essence;
➞ réduction des heures de chauffage dans les immeubles chauffés au mazout,

DANEMARK. – La commission de la production industrielle du Parlement danois a autorisé le ministre du commerce à instituer immédiatement le rationnement du fuel-oil. Les compagnies pétrolières se chargeront du rationnement et diminueront leurs livraisons de 20%. Le ministre du commerce peut réduire dans la même proportion la consommation d’essence s’il l’estime nécessaire.

SUISSE. – Le gouvernement fédéral vient de décider que les voitures de tourisme et les motocyclettes ne pourront plus circuler le dimanche ni les jours fériés à partir de ce week-end La vente de l’essence en bidon est interdite.

ALLEMAGNE. – Plusieurs sociétés pétrolières allemandes ont contingenté leurs livraisons de carburant aux grossistes, annonce le journal économique Industrie Kurier. Les attributions de carburant sont amputées automatiquement de 20% par rapport aux livraisons habituelles.

BELGIQUE. – Le gouvernement belge va demander aux automobilistes d’épargner l’essence en supprimant les voyages non indispensables. Les stocks permettraient, dit-on, d’éviter le rationnement. Mais leur renouvellement sera difficile si le canal de Suez reste bloqué pendant huit mois. Certains milieux pensent que la circulation sera limitée le dimanche.


Une caravane quitte le camp suédois de la FUNU. El Arish, 1er mars 1957
FUNU I/ONU/GJ, 145 548.

« L’Égypte et le pacte de Bagdad »

Extrait de F. Bertier, « L’Égypte et le pacte de Bagdad », Politique étrangère n ° 5, 1957 ; p. 550-551.

D’autres auraient tourné le dos à l’arabisme et se seraient consacrés exclusivement aux intérêts de l’Égypte : c’eût été peut-être le plus sage. Un pareil renoncement ne correspondait toutefois ni au tempérament, ni à l’idéologie des officiers de la Junte qui firent tout juste le contraire. Arrivés au pouvoir par une révolution dirigée contre le despotisme du roi et des “féodaux” complices, croyaient-ils, de l’impérialisme, prétendant incarner les aspirations du peuple, ils étendent tout naturellement aux autres pays arabes l’interprétation qu’ils donnaient de la situation en Égypte antérieurement à leur coup d’état. Ils vont donc s’adresser directement aux “peuples” pour tenter de les soulever contre les “traîtres” qui les gouvernent. Comme il ne peut plus être question pour l’Égypte d’entrer dans le dispositif de défense américain, leur propagande peut se déchaîner sans frein à la fois contre l’Occident et contre les équipes gouvernementales qu’elle associe dans ses attaques.

Ainsi, tandis que l’Occident perdait, à cause du Pacte de Bagdad, la collaboration militaire de l’Égypte, il devenait en outre, par suite de l’échec de la Conférence du Caire, le soutien des rois et des féodaux, avec lesquels pourtant il traitait non par une sympathie particulière, mais simplement parce qu’ils étaient alors au gouvernement. C’est là, sans doute, la conséquence la plus regrettable de ce pacte.

La politique suivie depuis trois ans n’a pu que renforcer dans l’opinion cette fâcheuse impression. La jeune élite intellectuelle qui aspire à prendre la place des vieilles équipes, bien que formée en Europe et en Amérique, croit donc que nous sommes ses ennemis. Il ne sera guère aisé de la convaincre que ce n’est ni notre intérêt, ni notre désir de soutenir une classe que chacun sait condamnée à disparaître bientôt. Peut-être faudra-t-il en persuader d’abord les gouvernants du Caire. L’Égypte a payé assez cher sa brouille avec l’Occident pour qu’on y soit sans doute disposé à écouter nos arguments.

Vincent Capdepuy

Géohistorien et cartographe français

Photo: Commando britannique débarquant à Port-Saïd, novembre 1956. Don MacLean/RM Museum archives, Eastney.

source:https://orientxxi.info/le-moyen-orient-1876-1980/le-coup-de-tonnerre-de-la-nationalisation-de-la-compagnie-du-canal-de-suez,1585

https://reseauinternational.net/le-coup-de-tonnerre-de-la-nationalisation-de-la-compagnie-du-canal-de-suez/