Les dissensions actuelles au sein des partis d'extrême gauche ne manquent pas de réjouir. De la nouvelle direction de LFI ont été écartés des poids lourds; jusqu'ici incontournables tels qu'Alexis Corbière, François Ruffin, Clémentine Autain, Eric Coquerel ou Raquel Garrido. Entre Mélenchon, Quatennens ou Bompard, et leurs petits camarades mais aussi, en plus petit, au sein du NPA, en voie d'éclatement on est souvent tenté de penser "que le meilleur perde".
On en arrive même à leur préférer les vieux "stals" du PCF, à imaginer, ou faire semblant de croire, qu'un Fabien Roussel manifesterait plus de bon sens populaire, que ces résidus du gauchisme.
Leurs déchirements illustrent en première analyse le patchwork des publics qu'ils prétendent assembler. Leur jargon baptise cela intersectionnalité. Leur salmigondis prétend additionner pèle mêle, et unir dans un même combat, tous ceux, et, bien sûr toutes celles, qui s'emploient à dénoncer le racisme, l'oppression des femmes, et ce qu'ils appellent "homophobie", "transphobie", mais aussi "islamophobie". La contradiction, pourtant éclatante, se trouva démontrée par exemple lorsque, le 2 octobre, Sandrine Rousseau fut huée lors d'une manifestation en soutien aux femmes iraniennes(1)⇓
Si elles continuent de polariser les lubies, les vieilles querelles entre staliniens et trotskistes méritent à cet égard d'être relativisées. Malgré la disproportion de leurs descendances respectives, en effet, seuls les disciples du fondateur de l'Armée rouge se disputent son héritage. Les émules, pourtant infiniment plus nombreux, du petit Père des Peuples, coryphée des Sciences et des Arts, l'homme d'Acier Joseph Djougachvili, demeurent plus discrets quant à leur filiation. Ils la revendiquent rarement. Si Thorez n'hésitait pas à se dire lui-même "premier stalinien de France", il ne fut, pourtant, certainement pas le dernier.
Mais à la vérité il n'existe guère de différence véritable entre la ligne de Staline et celle de Trotski, son malheureux rival exclu du parti en 1927, assassiné en 1939, sinon quant au tempo : le premier entendait, d'abord, consolider son pouvoir dans l'aire géographique qu'il contrôlait, le second prétendait embraser rapidement le reste du monde.
Ainsi la plus fondamentale erreur occidentale a consisté, par conséquent, à croire que le dictateur qui gouverna l'URSS, sans partage de 1931 à 1953, après avoir éliminé tous ses rivaux entre 1922 et 1930, eût ambitionné uniquement ce qu'il appelait l'instauration du "socialisme" dans "un seul pays".
En vertu de quoi le partage entériné en février 1945, lors la conférence de Yalta, avalisé d'avance dans le cadre de cette "belle et bonne alliance" franco-soviétique, proclamée par De Gaulle, le 2 décembre 1944 à Moscou, devenait une bonne nouvelle.
Peu importait alors, aux yeux des "globalistes" de l'époque, qu'une dizaine de pays d'Europe centrale et orientale fussent satellisés et opprimés par leur "libérateur" de l'est. Pendant presqu'un demi-siècle, on fit donc l'impasse sur leurs tentatives d'émancipations nationales, comme à Budapest en 1956, mais aussi à Berlin-Est en 1953, à Varsovie, en Tchécoslovaquie en 1968 etc.
Toute l'Histoire de ces régimes soit être revue en corrigeant la vision fausse d'un communisme réduit à son seul pré carré et s'en contentant. De 1945 À 1991, la guerre froide vit se multiplier en effet les petits monstres, de l'Afghanistan au Zimbabwe, en passant par Cuba et le Vietnam.
La création du Komintern, rapidement incorporé au pouvoir soviétique, puis sa reconstitution après-guerre sous le nom de Kominform, témoignent au contraire du caractère mondial du système et de ses objectifs de conquête.
A partir du XVe Congrès du parti en décembre 1927 et de la liquidation de la NEP actée en 1929, le stalinisme a mis effectivement en place une économie planifiée, dont le caractère industriel séduisait même une partie des Occidentaux dans le contexte de la crise mondiale.
Mais, concrètement, que signifiaient donc, que visaient, que produisirent ces plans quinquennaux – dont le premier "piatiletka" fonctionna jusqu'en 1933, la XIIIe édition s'achevant en 1991 ? Sous couvert d'un priorité générale à l'industrie lourde, et sous l'apparence d'une transformation modernisant le pays, il en résulta surtout une énorme production d'armement, d'aviation militaire et de blindés, l'ensemble étant géré, de façon impérative, par une gigantesque bureaucratie. Outre la transformation d'églises en garages et la collectivisation radicale des terres, la chasse aux koulaks se traduisant aussi par une famine dans les régions céréalières, et particulièrement en Ukraine, le régime ne visait pas le bien-être des populations mais la puissance illimitée de l'État.
Sur le plan militaire, la priorité tendait à doter l'Armée rouge de chars d'assaut en grande quantité, d'une artillerie efficace et d'une aviation de combat. Un colossal complexe militaro-industriel soviétique se développa, en commençant par les combinats sidérurgiques situés dans les bassins houillers. D'emblée on prévoyait une hausse de 110 % de la production. De 1928 à 1940, le nombre d'ouvriers dans l'industrie, la construction et les transports passa de 4,6 millions à 12,6 millions. L'URSS devint ainsi une nation apparemment "industrielle" de premier plan.
À la même époque, étaient lancées les premières purges massives y compris contre des fonctionnaires du régime communiste et de l'appareil politico-économique du Gosplan.
Sur cette base l'URSS stalinienne préparait donc clairement la guerre. Celle-ci était conçue comme la revanche sur la défaite qu'avait connue la révolution bolchévique en Europe orientale en août 1920. Vaincue à Varsovie, à Berlin, à Budapest, la puissance rouge internationale allait, se tournant vers l'est, réinventer et réinvestir une révolte des peuples de l'orient. Tel fut le sens du congrès de Bakou de 1920, monté de toutes pièces en septembre par le Caucasien Staline, alors Commissaire du peuple aux nationalités.
Il est remarquer qu'alors, depuis 1919, de forts mouvements anticoloniaux avaient commencé à se manifester en Inde, en Egypte, en Chine : ce n'étaient cependant pas ceux-ci que mettaient en scène les tréteaux du Komintern animés par Zinoviev, mais une foule de bachi-bouzouks hurlants. C'étaient déjà des révolutionnaires islamiques. Il s'agissait alors, prioritairement, de remettre en cause la puissance des Empires occidentaux principalement français et britanniques, et de réviser les traités imposés par les vainqueurs de 1918. Peu importait que les opposants fussent les représentants de l'obscurantisme. Il importait encore moins que cette opposition se mêle à la résilience des puissances vaincues.
La focalisation sur l'ouest du monde continue de fausser le regard des historiens, alors même que, dès les années 1920, la guerre soviétique se préparait sur deux fronts : l'enjeu chinois, la canalisation de la puissance japonaise éclairent puissamment la stratégie stalinienne des années 1930. Le pacte germano-soviétique de 1939, rompu par Hitler en 1941, se complétait par un accord analogue avec Tokyo, que Moscou ne dénonça qu'en 1945.
Dès cette année, dans le contexte d'une victoire, à laquelle Tchang Kaï-shek était théoriquement associé et qui, sur le papier, tendait à instaurer une "Golden Peace" sur 5 zones d'influences, on allait voir, au contraire se préparer la conquête de Pékin par Mao Tsé-toung qui se traduirait, en 1949, par l'élargissement de l'une des zones, aboutissant à un partage non pas entre cinq zones pacifiques mais en deux blocs antagonistes : l'Est et l'Ouest de la guerre froide.
C'est cela que la déclaration d'amitié sans limites entre Xi Jinping et Vladimir Poutine ce 4 février 2022 tendait à réactiver.
Et pour mieux en comprendre le bénéficiaire, plutôt que de chercher la vérité dans Marx et Engels, conseillons à nos commentateurs agréés de relire la fable de La Fontaine "Le Singe et le Chat". Ils sauraient alors ce que veut vraiment dire "tirer les marrons du feu".
JG Malliarakis
Apostilles
1 cf. article de Claire Conruyt in Le Figarodu 3 octobre 2022.⇑
https://www.insolent.fr/2022/12/stalinisme-trotskysme-et-successeurs.html
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