mardi 31 mai 2011

996 : Robert l’amoureux

Quelques mois avant la mort de son père, Robert s'éprend de sa cousine Berthe de Bourgogne. En dépit du scandale, le roi s'obstine, jusqu'au jour où Sylvestre II, le premier pape français, le persuade de la congédier…
Cette année-là, la neuvième de son règne, Hugues Capet, cinquante-sept ans, rendit son âme à Dieu, le 24 octobre, à Melun. Il avait vécu ces dernières années, où son pouvoir avait cessé d'être sérieusement contesté, dans une certaine ascèse religieuse, comme il convenait à un ami des grands moines de Cluny qui forgeaient alors l'Occident chrétien. Cela ne l'empêchait pas d'imposer avec une autorité grandissante et une simplicité peu commune ses arbitrages à ses turbulents vassaux.
Le plus terrible avait été Eudes 1er, comte de Blois, qui entretenait des relations assez floues avec l'entourage de l'empereur Otton III et qui avait même fait main basse sur la ville de Melun. Hugues l'avait aisément délogé grâce à l'appui de Foulque Nera, comte d'Anjou. Peu après, Eudes de Blois était mort en demandant la paix.
Complications
Tout s'était compliqué très vite à cause des aventures sentimentales du jeune roi associé, Robert, dont on se souvient qu'il était sacré depuis Noël 987. Ce bon garçon, au sortir d'une éducation excellente dispensée à Reims par Gerbert d'Aurillac, avait été marié discrètement en 988 à Rosala dite Suzanne, fille du roi Béranger d'Italie, et veuve du comte de Flandre Arnoul II. Avec ses vingt ans de plus que lui, cette femme ne pouvait guère s'accorder plus avec Robert que quelques années plus tôt Adélaïde d'Anjou avec le dernier des Carolingiens Louis V ! La rupture semble avoir été rapide et aussi discrète que le mariage. Sacrifiant la galanterie à la politique, le roi de France avait gardé une partie de la dot : Montreuil- sur-Mer, une fenêtre sur la Manche !
Le coeur de Robert était donc resté disponible. Quelques mois avant la mort de son père, ce jeune prince de vingt-quatre ans était tombé follement amoureux de… la veuve d'Eudes de Blois, Berthe de Bourgogne, vingt-six ans, déjà six enfants ! Or, cette trop jolie femme, fille de Conrad le Pacifique, roi de Bourgogne, était sa cousine : leurs deux grands-mères, celle de Robert, Hedwige, épouse d'Hugues le Grand, duc des Francs, et celle de Berthe, Gerberge, épouse de Louis IV roi de France, étaient les deux soeurs de l'empereur Otton 1er ! Immense scandale : Gerbert, enfin devenu depuis peu archevêque de Reims, interdit le mariage, le pape Jean XV (déjà excédé de la manière dont Hugues Capet avait disposé de l'archevêché de Reims) menaça Robert de l'anathème. Rien n'y fit : Robert s'obstina. Pire : il se mit à soutenir les intérêts des enfants d'Eudes de Blois (qui étaient aussi ceux de Berthe) contre la Maison d'Anjou qui avait si fidèlement servi Hugues Capet.
Savoir se sacrifier
Les choses en étaient là quand celui-ci mourut en recommandant à son fils le modèle du grand saint Benoît. Toujours aussi aveuglément épris, Robert réussit juste après les funérailles du vieux roi à faire bénir son mariage par Archambaud, le complaisant archevêque de Tours, mais le pape Grégoire V, succédant à Jean XV, somma aussitôt les époux de rompre.
Bravant toutes les menaces d'excommunication, et voulant amadouer Rome, Robert allait même oser sacrifier son ancien maître Gerbert, lui retirant l'évêché de Reims pour le rendre à Arnoul, l'intrigant et fourbe fils naturel du roi Lothaire.
Savoir se sacrifier
Pendant cinq années, Robert et Berthe résistèrent sans faille. Toutefois, Gerbert, de son côté, utilisait avantageusement sa retraite : devenu en 998 archevêque de Ravenne, le voici pape le 18 février 999, sous le nom de Sylvestre II. Le premier pape français, le pape de l'an Mil ! C'est alors lui qui parvint à persuader son ancien élève de congédier Berthe. Ils se séparèrent la mort dans l'âme, mais, après tout, cette femme ne lui avait pas donné d'enfant…
Le roi doit savoir se sacrifier pour la dynastie. Robert courut alors aussitôt en Arles demander la main de Constance, dix-sept ans, fille de Guillaume Taillefer, comte de Provence. Belle et cultivée, mais de la race dont on fait des mégères qui ne se laissent pas apprivoiser, Constance allait être le purgatoire de Robert. Détail quelque peu croustillant : elle était la fille qu'eut, de son troisième mariage, Adélaïde d'Anjou, la femme éphémère de Louis V venue oublier ce gringalet dans des bras provençaux. Ainsi, les enfants qu'elle n'a pas donnés au dernier des carolingiens, sa fille les donnerait au deuxième des capétiens…
Nous retrouverons dans notre prochaine chronique en 1003 le roi Robert, qui, ayant surmonté ses peines d'amour, allait se révéler un modèle de roi chrétien.
MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 21 mai au 3 juin 2009

lundi 30 mai 2011

Firmin BACCONNIER (1874 - 1965)

La figure de Firmin BACCONNIER est assez originale et assez exemplaire pour qu'on s'y arrête un instant.
Il naît le 8 octobre 1874, au centre de ce Vivarais où le basalte le dispute au granit, et où une terre rude et pauvre exige de ses fils, pour les nourrir chichement, un travail acharné. Ses parents sont des paysans ni plus ni moins riches que la moyenne des paysans ardéchois. Il n'ont pas le moyen de pousser les études de leur petit Firmin, mais, puisque ses maîtres leur répètent que l'enfant "a bonne tête", il le laisseront aller jusqu'à quinze ans à l'école des Frères des Écoles Chrétiennes. Tout ce qu'il apprendra depuis, il le devra à ce que la lecture lui aura fait connaître, une fois terminée sa journée de travail.
À dix-huit ans, il signe un engagement volontaire dans l'armée. Son temps achevé, il "monte" à Paris, en 1896, pour y gagner sa vie, et il devient secrétaire-dactylographe de l'éditeur Firmin-Didot.
  À quelques années de là, Firmin BACCONNIER, qui est royaliste comme le sont alors tous les Ardéchois catholiques, rencontre Charles MAURRAS dans le bureau de La Gazette de France. C'est la naissance d'une amitié qu'il considère comme le grand honneur de sa vie.
Avec quelques amis de même origine modeste, il fonde L'Avant-Garde Royaliste dont les membres s'assignent pour tâche d'aller porter la contradiction dans les réunions socialistes  (le parti communiste n'est pas encore inventé) et de faire connaître aux milieux ouvriers la doctrine sociale de la Monarchie française.
Charles MAURRAS a été tout de suite frappé par la façon simple et claire qu'avait ce jeune autodidacte de présenter à un auditoire populaire les idées d'un BONALD ou d'un La TOUR du PIN qu'il avait si parfaitement assimilées dans ses veillées laborieuses. Aussi lui fait-il ouvrir les colonnes de La Gazette de France pour une série d'articles qui furent ensuite réunis en brochure et publiés, dans la même année 1903, sous le titre : Manuel du Royaliste.
Cette plaquette connut un incroyable succès et fut tirée à deux millions d'exemplaires, grâce à la publicité des nombreuses feuilles royalistes locales qui existaient alors. La TOUR du PIN lui consacra cinq articles dans le Réveil Français et ouvrit dès lors à son auteur, ainsi qu'à d'autres jeunes disciples, parmi lesquels Jean RIVAIN et Louis de MARANS, sa demeure du Faubourg Saint-Honoré.
Ce n'était que justice, car, dans son Manuel du Royaliste, Firmin BACCONNIER s'était largement inspiré de la doctrine sociale catholique dont La TOUR du PIN avait été le solide et brillant théoricien.
Du même coup, Firmin BACCONNIER devient le collaborateur régulier du Réveil Français. En 1906, il fonde un groupe et un journal bimensuel qu'il appelle l'un et l'autre L'Accord Social. Son but : diffuser dans les milieux populaires la doctrine de La TOUR du PIN, et les convaincre que l'institution d'un régime corporatif rénové est le seul moyen d'abolir le prolétariat. Joseph DELEST fut longtemps le rédacteur principal de L'Accord Social ; il y fit l'apprentissage d'un métier difficile, mais où il excella bientôt, celui de propagandiste monarchiste par la plume et par la parole.
C'est au lendemain de la Grande guerre que Firmin BACCONNIER devient l'un des rédacteurs réguliers de l'Action Française.
En vérité, Firmin BACCONNIER n'a pas de correction d'angle de tir à appliquer à son combat. La brochure qu'il a publiée en 1952, sous le titre " Ce qu'il faut savoir du corporatisme français ", et où il conclut que " l'ordre corporatif est imposé au monde du travail par la nécessité " fait écho, à un demi-siècle de distance à sa brochure de 1903, où il écrivait que le mouvement syndical était un acheminement vers une Société corporative, ayant pour objet de " procurer à ses membres la sécurité personnelle et la capacité professionnelle ".
Pas plus que, dans le fond, n'a besoin d'être retouché le portrait physique que Charles MAURRAS traçait de lui lorsqu'il avait trente ans : " Ce jeune homme au front découvert, à la barbe d'un châtain blond, et dont les yeux indiquent l'obstination d'une volonté âpre et nette, donne tous ses loisirs à la cause de la Royauté et de la Nation ". Dans la 86ème année de son âge, Firmin BACCONNIER redresse toujours la taille, et, si le front est un peu plus découvert, si la châtain de la barbe s'est bellement argenté, les yeux vifs brillent du même éclat volontaire, et les loisirs que les ans lui ont apportés restent au service de l'idéal qui enthousiasmait ses vingt ans : rendre aux travailleurs de France le Roi qui est leur protecteur-né !
L'hommage d'Antoine Murat
Un maître
Mercredi 20 octobre 1965, par une lumineuse matinée d’automne, Firmin Bacconnier nous a réunis une dernière fois près de lui. Nous avons accompagné, pieusement, sa dépouille mortelle au cimetière de Bougival. Nos pensées et nos prières nous groupaient tous en une assemblée recueillie.
Nous suivions un maître : le mainteneur, le docteur et l’animateur de la doctrine corporative française.
Bien que parvenu à un grand âge, Firmin Bacconnier avait gardé toute sa vigueur intellectuelle. Le dernier numéro des Cahiers Charles Maurras (numéro 15 – 1965) publie une belle page de lui, sans doute la dernière qu’il ait écrite. Quelle rigueur, et quelle justesse de pensée ! À la lire, qui pourrait imaginer que son auteur a passé les quatre-vingt dix ans ?
« A Charles Maurras je dois personnellement la révélation qu’à l’origine de la déchéance de notre agriculture nationale, il y a pour une forte part la politique économique instituée en 1860 par le Second Empire, laquelle a pratiquement interdit à l’agriculture d’exercer sa fonction de pourvoyeuse de l’industrie en matières premières et ne lui a laissé que celle de productrice d’aliments. » (Charles Maurras et le drame paysan par Firmin Bacconnier).
Comme toutes les intelligences attentives et soumises au réel, Firmin Bacconnier savait tenir sous son regard les leçons du passé, les problèmes du présent, les besoins de l’avenir. Ses ultima verba, d’une saisissante actualité, veulent faire comprendre aux hommes d’aujourd’hui que « mettre l’agriculture en position de porter au maximum toutes ses possibilités », c’est non seulement réparer une grave injustice, « mais c’est aussi bâtir sur de fortes assises rurales l’expansion industrielle. » (loc. cit.).
Sans se lasser, jour après jour, humblement et puissamment, Firmin Bacconnier montrait et démontrait la vérité de la doctrine corporative française, celle de La Tour du Pin, celle des Rois de France, celle des Papes. Ses articles précis et nuancés, étaient, en même temps que des exemples de journalisme par leur riche clarté, l’application excellente, hic et nunc, de l’empirisme organisateur. Dans la page hebdomadaire du dimanche – la page économique et sociale – de l’Action Française (si remarquable qu’elle peut être encore lue avec profit), dans La production Française qu’il dirigeait, à L’Ouvrier Français, dans un grand nombre de revue, de périodiques ou de journaux spécialisés. Firmin Bacconnier posait les problèmes, économiques, professionnels et sociaux ; il en recherchait les solutions ; et, ce faisant, il faisait beaucoup plus que renseigner : il enseignait ses lecteurs, et il formait des disciples.
La désastreuse politique économique de 1860 poursuivie par la Troisième République (sauf pendant l’heureuse période de Méline), modifiée mais aggravée par la Quatrième et la Cinquième ; l’emprise des trusts, et les menaces qu’ils firent peser sur la métropole et sur les colonies jusqu’à la destruction de l’empire colonial français ; es efforts de réorganisation professionnelle ; l’étude du syndicalisme ouvrier ou paysan ; en bref : l’immense champ de recherches offert par l’économie était labouré, continûment, avec patience et avec sûreté, par cet infatigable travailleur. Son analyse, sans cesse reprise, des données du présent, était  juste, parce qu’elle était désintéressée, parce qu’elle était uniquement soucieuse du bien commun et qu’elle était attentive à toutes les leçons de l’expérience.
Sous l’égide de Firmin Bacconnier, à l’Union des Corporations françaises, rue du Havre, le Cercle La Tour du Pin donnait ses cours. Guillermin, Denis (alias Marty)… publiaient leurs essais. Lorsqu’en 1935, des professeurs de la Faculté de Droit de Paris jugèrent utile de créer l’Institut d’études corporatives et sociales, Firmin Bacconnier prêta ses jeunes collaborateurs : agrégatifs, avocats, professionnels.
À l’Union des Corporations françaises, l’enseignement, la propagande, les réalisations et l’action marchaient de front. Bien des syndicats furent créés, conseillés et soutenus par l’U.C.F. De tant de travaux, Firmin Bacconnier était l’âme. Je pensais à l’énormité de son labeur, assumé par lui, avec une impressionnante sérénité, en regardant, près de moi, ses amis, ses disciples, et, en particulier celle qui fut, rue du Havre, puis rue de Vézelay, enfin rue Croix-des-Petits-Champs, son second pendant un grand nombre d’années : l’admirable Mlle de Paul. Que d’abnégation et de dévouement à la case commune.
Serviteur de Dieu, de la France et de la royauté, Firmin Bacconnier, au regard plein de lumière, a été confié à cette terre pour laquelle il a tant lutté. Comme son maître, La Tour du Pin, comme son maître, Maurras, en fidélité il a terminé sa vie. Son œuvre et son enseignement demeurent.

Une page d’histoire inconnue : les massacres des Italiens de 1943-1945

Perpétrés à l'automne 1943 et surtout au printemps 1945, avec entre ces deux dates des épisodes sporadiques de violence incontrôlée, les massacres à l'encontre dès populations italiennes par les partisans titistes Slovènes et croates restent une très sombre page d'histoire quasiment inconnue en France. En Italie même, une chape de plomb et de silence les recouvrit pendant une trentaine d'années et il fallut attendre encore plus longtemps pour les voir étudiés de manière scientifique et pour qu'ils fussent reconnus officiellement.
Les territoires où se déroulèrent ces massacres sont le Frioul-Vénétie Julienne, qui borde l'actuelle Slovénie, l'Istrie — cette péninsule située en face de la lagune vénitienne et qui a la forme d'un triangle renversé, pointe en bas — et la Dalmatie, aujourd'hui partie intégrante de la Croatie. Ces régions ont traditionnellement constitué une frontière entre culture latino-vénitienne et civilisation slave. Après avoir appartenu longtemps à la République de Venise, elles firent partie, de 1797 à 1918, de l'empire austro-hongrois. Au XIXe siècle, marqué par un irrédentisme italien dans ces régions, on constatait déjà un écart social et culturel considérable entre la communauté italienne et les Slaves. Au début du XXe siècle, alors que la première était prospère, comptant dans ses rangs des armateurs et des commerçants, des médecins, des magistrats, des enseignants, chez les Slaves, souvent paysans, les analphabètes étaient encore nombreux. La consistance effective des différentes minorités donnait déjà lieu à des batailles de chiffres. C'est ainsi que le recensement autrichien de 1900 avait enregistré 42,8 % d'Italiens, 48.1 % de Slaves, plus quelques “autres”, à savoir des personnes nées dans le royaume d'Italie et venues s'installer dans ces territoires de l'Est. Mais selon un recensement italien de 1921, la situation était bien différente : la population italienne représentait 58,2 % des habitants, les Slaves seulement 37,6 %. Au lendemain de la Grande Guerre, le traité de Versailles restitua à l'Italie le Trentin-Haut-Adige et, pour le point d'histoire qui nous occupe, ratifia l'annexion de la Vénétie Julienne. Le traité de Rapallo du 12 novembre 1920 ajouta la ville de Zara (Zadar) en Dalmatie et quatre îles situées au large de la côte adriatique. Enfin, le pacte de Rome du 27 janvier 1924 permit à l'Italie de récupérer Fiume (Rijeka), qui avait été le théâtre, de septembre 1919 à décembre 1920, d'une aventure politico-militaire conduite par le « voyant borgne » Gabriele D'Annunzio.
Les différences sociales et culturelles évoquées plus haut étaient déjà, en elles-mêmes, porteuses de conflits. Il faut ajouter à ces facteurs le changement d'administration qui eut lieu à partir de 1918. Les Slaves regrettèrent très vite l'administration autrichienne, efficace, honnête et dotée d'une expérience pluriséculaire pour faire cohabiter des minorités disparates. L'administration italienne, elle, se montra trop souvent brouillonne, inefficace et corrompue. En 1920, la « Maison nationale Slovène » de Trieste fut incendiée par une escouade fasciste. Quant au nouveau régime, force est de reconnaître qu'il prit bientôt envers les Slaves des mesures vexatoires qui n'étaient pas propres à calmer les esprits : italianisation forcée des patronymes et des toponymes, fermeture des écoles Slovènes et croates, interdiction de parler en public une langue “étrangère”. Ces pratiques durèrent malheureusement, semble-t-il, tout au long du régime fasciste : c'est ainsi qu'à la fin de la guerre, après un bombardement allié sur la ville de Muggia, près de Trieste, les autorités de la RSI interdirent aux familles des victimes slaves de chanter, durant l'office religieux, des cantiques en Slovène.
Pour autant, rien de tout cela ne saurait justifier les massacres véritablement abominables des partisans titistes, massacres commis avec la complicité passive et parfois même active des communistes italiens.
Après la capitulation et l'armistice signé par Badoglio avec les Alliés le 8 septembre 1943, le Mouvement pour la libération de la Yougoslavie dirigé par le Croate Josip Broz dit Tito déclara l'annexion du « littoral slovène » de l'Îstrie et du « littoral croate ». Dès le lendemain, les troupes allemandes prirent le contrôle de Trieste, puis de Pola (ville située tout en bas de la péninsule de l'Istrie), enfin de Fiume, laissant dégarni le reste de la Vénétie Julienne. Dès le 13 septembre, à Pisino, le Conseil de libération croate pour l'Istrie proclama le rattachement de celle-ci à la Croatie. La première grande vague de massacres eut lieu durant les trente-cinq jours qui suivirent, période pendant laquelle Trieste et l'Istrie restèrent aux mains des partisans titistes. Elle fit, sans que l'on puisse être aujourd'hui encore plus précis, entre 600 et 1 500 victimes.
Ce furent les premiers massacres dits, en italien, « des foibe ». Le mot foiba (fojba en serbo-croate) est une corruption dialectale du latin fovea, qui signifie «-”fosse”. Les foibe sont des puits naturels, des gouffres en forme d'entonnoirs renversés' formés par l'érosion. Ce sont en quelque sorte ce que les géologues appellent des dolines, des dépressions fermées dans les régions à relief karstique. Il se trouve que l'Istrie est, comme disent les géologues, une énorme éponge pétrifiée, qui compte de très nombreux gouffres. C'est précisément à l'époque dont il est question ici qu'est apparu en italien le verbe infoibare pour désigner la liquidation d'un groupe de personnes par précipitation dans ces gouffres, après ou sans exécution par balles.
Tous les témoignages relatifs à ces massacres — qui, interrompus en octobre 1943 grâce à la reprise en main de la région par les troupes allemandes, recommencèrent de plus belle, et sur une plus grande échelle, du 1er mai au 12 juin 1945, jour de l'arrivée des Alliés — concordent sur l'incroyable barbarie des actes commis. Les victimes, essentiellement des membres de l'élite sociale et de la classe moyenne, étaient généralement arrêtées de nuit. Quand la sauvagerie était à son comble, on leur liait les mains avec du fil de fer et on les menait au bord d'un gouffre pour les y jeter vivantes. Les femmes étaient systématiquement violées au préalable. Quant aux hommes, certains furent éviscérés ou émasculés avant d'être jetés dans les gouffres. Mais dans la plupart des cas, les prisonniers étaient d'abord abattus par balles avant d'être précipités dans les foibe. Les mines de bauxite et les carrières, également nombreuses dans la région, remplissaient le même office sinistre. En raison de l'horreur suscitée par cette façon particulière de tuer, on considéra longtemps que la plupart des victimes des tueurs titistes avaient été jetées dans les gouffres. En fait, un nombre plus élevé mourut dans les camps et prisons yougoslaves, ou bien d'épuisement durant les marches de transfert. En Dalmatie, les bourreaux profitèrent de la proximité de la mer pour innover dans la méthode. C'est ainsi qu'à Zara occupé par les titistes le 1er novembre 1944 les Italiens visés moururent par noyade : on les jetait à l'eau lestés de lourdes pierres.
Alors que la première vague de massacres, en 1943, avait revêtu, sous certains aspects, le caractère d'une jacquerie extrême et avait visé surtout des responsables et des membres du parti fasciste, la deuxième vague, celle de 1945, fut plus systématiquement anti-italienne. À la fin de la guerre, il s'agissait pour les titistes d'arrêter et d'éliminer tous ceux qui pouvaient s'opposer à la future annexion de la Vénétie Julienne à la Yougoslavie. Cela incluait donc aussi l'élimination de représentants non communistes du Comité de libération nationale (CLN), l'organe central de la Résistance en Italie. C'est pourquoi les titistes prirent soin d'éliminer des responsables démocrates-chrétiens, des membres du Parti d'Action (centre-gauche) et des socialistes. À l'occasion, Slovènes et Croates eux-mêmes n'étaient pas épargnés, quand ils s'avéraient potentiellement gênants : c'est pourquoi de nombreux prêtres catholiques d'origine slave furent liquidés. Durant toute cette période et dans ces régions, l'attitude du Parti communiste italien fut impitoyable mais cohérente : sous la direction du célèbre Palmiro Togliatti, elle fut conforme à l'internationalisme le plus strict et à la haine de classe la plus inexpiable. Rentré en Italie le 27 mars 1944 au terme d'un long périple qui l'avait conduit de Moscou à Naples, Togliatti rencontre à la mi-octobre, à Rome, trois émissaires de Tito. Il accepte de fait la position yougoslave sur la question territoriale et l'intégration des formations partisanes italiennes de Vénétie Julienne dans l'armée de Tito. Un épisode bien connu en Italie a illustré cette collusion des communistes italiens avec les titistes. Il s'agit du massacre commis dans le village de Porzus, près d'Udine, par un groupe de combattants communistes intégrés au IXe corps d'armée slovène et commandés par Mario Toffanin.
Ces hommes arrêtèrent et exécutèrent par balles, le 7 février 1945 et dans les jours qui suivirent, vingt-deux membres de la Résistance appartenant à la brigade Osoppo, brigade composée notamment de militants catholiques. On compta parmi les victimes le frère du futur écrivain et cinéaste communiste Pier Paolo Pasolini. Les communistes leur reprochaient, entre autres choses, d'avoir entamé des tractations avec la fameuse Décima Mas du commandant Borghese et avec la division de chasseurs alpins “Tagliamento” pour empêcher l'annexion par la Yougoslavie des territoires de l'Est. Réfugié en Slovénie après la guerre, Toffanin fut condamné par contumace, en 1954, à la réclusion à perpétuité. Il ne profita pas de la dernière amnistie, promulguée en 1975, ni même de la grâce que lui accorda en juillet 1978 le président de la République, le socialiste Sandro Pertini, car il devait encore purger des peines pour des délits non politiques, ce qui situe le personnage. Comme d'ailleurs les criminels de guerre croates et Slovènes impliqués dans ces massacres, Toffanin ne fut jamais inquiété. Il mourut tranquillement en Slovénie le 22 janvier 1999.
En ce qui concerne les seuls massacres de 1945, les chiffres fournis en 2002 par l'auteur le plus fiable sur le sujet, Gianni Oliva, étaient les suivants : 994 victimes exhumées, 326 victimes établies mais non retrouvées, 5 643 victimes présumées en fonction de signalements locaux ou d'autres sources (état civil, etc.), 3 174 personnes déportées qui trouvèrent la mort dans les camps ; soit un total de 10 137 victimes. Entre 1945 et 1947, 90 % de la population concernée choisirent l'exode. En fin de compte, au sortir de la guerre, Trieste et la Vénétie Julienne restèrent à l'Italie, mais celle-ci dut céder Gorizia, toute l'Istrie ainsi que le littoral dalmate, avec Fiume et Zara.
L'Italie officielle d'après 1945, issue de la Résistance, eut le plus grand mal à reconnaître la tragédie des territoires de l'Est. Il fallut attendre 1982 pour voir les gouffres de Basovizza et de Monrupino, situés tous deux près de Trieste (et les seuls à faire partie aujourd'hui du territoire italien), être classés « monuments d'intérêt national ». Après 1989 et le délitement de l'URSS, les choses changèrent cependant. Le 3 novembre 1991, le président de la République, le démocrate-chrétien Francesco Cossiga, vint s'incliner devant l'entrée du gouffre de Basovizza. Peu à peu, on érigea des stèles commémoratives ; des places, avenues ou rues furent rebaptisées, notamment à Trieste, pour rendre hommage aux suppliciés. Et après les ouvrages consacrés aux massacres par les associations de réfugiés, ouvrages toujours taxés de partialité, on vit paraître, chez de grands éditeurs, des études véritablement scientifiques.
À partir de l'année 2005, le 10 février, jour anniversaire de la signature du traité de Paris (10 février 1947) qui ratifia les annexions yougoslaves, a été déclaré « Jour du souvenir » en Italie. Et l'aveu décisif vint le 10 février 2007, avec le discours à Rome du président de la République, Giorgio Napolitano, élu à ce poste honorifique en mai 2006 après avoir exercé d'importantes fonctions au sein du PCI. Ce jour-là, l'ancien (?) communiste devenu le garant de l'unité nationale parla, à propos des massacres de l'Est, d'une « conspiration du silence », puis évoqua « la phase moins dramatique mais encore plus amère et démoralisante de l'oubli ». Il appela la nation à « assumer la responsabilité d'avoir nié, ou d'avoir eu tendance à ignorer la vérité à cause de préjugés idéologiques et par aveuglement politique, et de l'avoir refoulée pour des calculs diplomatiques et des convenances internationales ». L'aveu, bien que très tardif, avait du moins le mérite de la clarté.
Philippe BAILLET. RIVAROL du 3 décembre 2010

samedi 28 mai 2011

Le Vatican contre le Kremlin

Le Figaro Magazine - 13/03/2010
 Philippe Chenaux raconte soixante-dix ans de confrontation entre l'Église catholique et le communisme, en Europe, de Benoît XV à Jean-Paul II et de Lénine à la chute du système soviétique.
 Le 6 juin prochain, la cérémonie de béatification du père Jerzy Popieluszko aura lieu à Varsovie. En 1984, alors que la Pologne était encore communiste, ce prêtre avait été enlevé, puis torturé à mort, par la police politique. Ses « messes pour la patrie », célébrées après le coup de force du général Jaruzelski contre le syndicat Solidarnosc, en 1981, rassemblaient des milliers de fidèles : le pouvoir avait décidé de le faire taire. La béatification de celui qui rejoint l'interminable liste des martyrs du communisme aura lieu, symboliquement, sur la place où Jean-Paul II avait célébré la messe lors de sa première visite dans le pays, en 1979.
Le père Popieluszko, s'il vivait, aurait aujourd'hui 62 ans : le face-à-face entre l'Église et le communisme, en Europe, ne relève donc pas d'un passé lointain. Cette histoire, toutefois, a connu des phases différentes, et ne s'est pas traduite que par un bras de fer : des deux côtés, catholique comme marxiste, il y a eu aussi des tentatives de séduction. C'est ce que raconte, dans une lumineuse synthèse, l'historien suisse Philippe Chenaux, à qui l'on devait déjà une excellente biographie de Pie XII (Cerf, 2003). Professeur d'histoire de l'Église à l'université du Latran, à Rome, l'auteur est un chercheur : il s'appuie sur les archives, et non sur des partis pris. Schématiquement, il distingue trois grandes périodes. De 1917 à 1945, confrontée à deux grands systèmes totalitaires (le bolchevisme et le nazisme), l'Église refuse de choisir « entre Charybde et Scylla » ; de 1945 à 1958, elle est, en partie malgré elle, assimilée au camp occidental en lutte contre l'empire soviétique ; de 1959 à 1989, elle contribue à la chute de cet empire.
« Là où règne le pouvoir des bolcheviks, l'Église chrétienne est persécutée avec plus de férocité qu'aux trois premiers siècles de la chrétienté. » Cet avertissement est lancé par l'archevêque (orthodoxe) d'Omsk, le 7 février 1919, dans un télégramme envoyé au pape. Le 2 avril suivant, ayant entendu cet appel au secours, Benoît XV demande à Lénine, par l'entremise de son secrétaire d'État, le cardinal Gasparri, de mettre fin aux persécutions antireligieuses : « L'humanité et la religion vous en seront reconnaissants. » La réponse, écrit Chenaux, sera « aussi irrévérencieuse dans la forme que ferme sur le fond ». Aussi étrange que cela paraisse, le Saint-Siège mettra du temps à mesurer la violence du nouveau régime.
Au nom de la politique concordataire qui était alors la règle au Vatican, Rome cherche d'abord un accord avec les soviets. Lénine, comprenant l'intérêt d'un compromis en vue de la normalisation internationale de son régime, n'y fait pas obstacle. Ainsi une convention sera-t-elle conclue entre le Saint-Siège et l'Union soviétique, au sujet de l'aide aux victimes de la famine russe : signé le 12 mars 1922, l'accord Pizzardo-Vorovskij reconnaît aux prêtres catholiques la liberté de se déplacer en Russie, clause essentielle aux yeux de Pie XI, nouvellement élu. La mission catholique se soldera néanmoins par un échec.
Dès 1929, l'offensive antireligieuse s'intensifie. Cette période voyant aussi la montée du nazisme, il est envisagé de publier une encyclique qui condamnerait à la fois le communisme et le nationalisme raciste. Finalement, deux documents paraîtront presque en même temps. Le 14 mars 1937, Mit brennender Sorge condamne le régime nazi et, le 19 mars suivant, Divini Redemptoris dénonce le communisme comme « intrinsèquement pervers ».[btr]
Philipe Chenaux, qui fait justice de la légende d'un Pie XII admirateur d'Hitler, montre que, pendant la Seconde Guerre mondiale, la neutralité apparente de l'Église dissimule un jeu officieux : le rapprochement du Saint-Siège et des Etats-Unis. À l'issue du conflit, alors que Staline étend son emprise sur l'Europe de l'Est et que Mao contrôle la Chine, le Vatican représente une pièce importante sur l'échiquier de la guerre froide. En réponse au poids des partis communistes français et italien, Pie XII pousse à la formation d'une Europe dont la démocratie chrétienne (Schuman, De Gasperi, Adenauer) prendrait la barre.
Jean XXIII, élu en 1958, et son successeur, Paul VI, pape en 1963, se voulant hommes de dialogue, pratiquent l'ouverture à l'Est. Le concile Vatican II, en dépit de la demande présentée par 200 évêques, se refuse à renouveler la condamnation du communisme. Une omission peu appréciée par les « Églises du silence », qui ont eu l'impression d'être lâchées par Rome, au profit d'une stratégie dont les bénéfices seront maigres.
À la Libération, la France avait déjà subi la crise du progressisme chrétien, avec ses prêtres-ouvriers adeptes de « la main tendue » aux communistes. Après le concile, par milliers, des militants catholiques cèdent à la tentation : Chenaux parle d'un « moment gauchiste » de l'Église. En 1990, le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, en fera l'aveu rétrospectif, regrettant « une certaine connivence » de sa génération de prêtres avec l'idéologie marxiste.
Tout change en 1978 avec l'élection de Jean-Paul II, pape slave qui a expérimenté de l'intérieur la réalité du communisme. En ébranlant le régime en Pologne, par le moyen de son soutien à Solidarnosc, le pape déclenche une vague qui déferlera sur tout le système soviétique.
Chenaux reprend la formule de Maritain, qui qualifiait le marxisme d'« hérésie chrétienne ». Le communisme soviétique, en effet, avec ses dogmes, ses rites et son clergé, avait tout d'une contre-Église. Aujourd'hui, en Europe, le catholicisme doit affronter le vide du consumérisme libéral-libertaire, ou la concurrence de l'islam. À tous égards, c'est une autre histoire qui a commencé.
L'Église catholique et le communisme en Europe (1917-1989), de Philippe Chenaux, Cerf, « Histoire ».

L’Eglise et l’État, du mariage au divorce

1500 ans de christianisme, un siècle de laïcité : où sont les vraies racines de la France ?
« France ! Fille aînée de l'Église, Éducatrice des peuples ! Es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » Cette interrogation, lancée par le pape Jean Paul II au Bourget en 1980, avait pris à contre-pied une société française qui s'abîmait en ronronnant dans la déchristianisation, favorisée par le confort matériel et une laïcité apparemment apaisée. Mais lorsque, seize ans plus tard, le pape polonais revint rappeler aux Français leurs origines catholiques à l'occasion du 1500e anniversaire du baptême de Clovis à Reims, des oppositions se manifestèrent contre cette « entorse au principe de laïcité », valeur fondatrice de la République. La querelle n'était pas nouvelle et n'est pas terminée, loin s'en faut. Elle repose sur une contradiction inhérente à l'histoire nationale et caractérisée par la fracture révolutionnaire, qui tire un trait sur les racines chrétiennes de la France pour leur substituer d'autres valeurs, puisées aux sources des Lumières.
Dans quelle mesure la commémoration du baptême de Clovis marchait-elle sur les brisées de la sainte laïcité ? Ce sacrement scella dès l'origine l'alliance entre l'Église et la monarchie française ; mais, dès l'origine aussi, fut établie la distinction entre le temporel et le spirituel.
Défendre les libertés du royaume et celles de l'Église
Les rois les plus pieux, à commencer par saint Louis, revendiquent l'autonomie de la couronne par rapport à la papauté. Petit-fils du saint roi, Philippe-le-Bel entre ainsi en conflit avec le pape Boniface VIII, qui prétend disposer des couronnes. Aux États-Généraux d'avril 1302, le chancelier de France, Pierre Flotte, exhorte Philippe, « comme maître et comme ami », d'aider les Français « à défendre les libertés du royaume et celles de l'Église » La querelle conduit à l'attentat d'Anagni, où Guillaume de Nogaret, proche collaborateur du roi, s'empare de la personne du pape.
À ces tentatives d'empiétement du spirituel sur le temporel, répondent celles de la monarchie de mettre la main sur le gouvernement de l'Église de France, notamment par la Pragmatique Sanction de Bourges, promulguée par Charles VII en 1438 ; puis, sous François Ier, par le Concordat de Bologne, signé en août 1516 avec le pape Léon X : le roi propose la nomination des évêques, abbés et prieurs, auxquels le Pontife accorde simplement l'investiture canonique.
Ce Concordat fait le lit du gallicanisme, tel qu'il s'exprime dans la Déclaration des Quatre articles, rédigée par Bossuet et adoptée en 1682 par l'assemblée extraordinaire du clergé français. Comme le note Jean de Viguerie, l'autorité du pape est limitée « par ces coutumes que l'on appelle les “libertés de l'église gallicane” ».
La France n'en reste pas moins la fille aînée de l'Église, et son roi le Très chrétien : « la monarchie française est d'essence chrétienne et catholique », écrit encore Jean de Viguerie. Lieutenant de Dieu en son royaume, réputé « évêque du dehors », le roi promet lors du sacre de protéger l'Église et de bannir les hérétiques. Premier ordre du royaume, le clergé enseigne, soigne, secourt les pauvres, fait l'aumône… Des évêques siègent au conseil du roi et il suffit de penser à Richelieu pour mesurer l'importance de leur rôle.
Transformation des églises en temples de la Raison
Au XVIIIe siècle, cependant, la place qu'occupe l'Église au sein de la société est remise en cause par les « philosophes » au nom de la raison. À la fin du siècle, le mot d'ordre de Voltaire contre l'Église : « Écrasons l'infâme », est pris au mot par les révolutionnaires. Pour la première fois, l'État devient l'ennemi de l'Église : vente des biens du clergé, suppression des congrégations religieuses, « déprêtrisations », transformation des églises en temples de la Raison, vandalisme, persécutions, déportations, massacres… Les droits de l'homme remplacent le Décalogue et l'on tente d'imposer une constitution civile du clergé que Rome condamne. Louis XVI met son veto aux mesures frappant les prêtres insermentés et c'est en définitive pour atteindre l'autel que l'on renverse le trône.
Il faut attendre Bonaparte pour que la persécution cesse vraiment. Le Concordat de 1801 reconnaît que la religion catholique est celle de « la grande majorité des Français », les prêtres deviennent des fonctionnaires, mais le geste du nouvel empereur lors du sacre, ôtant la couronne des mains du pape pour s'en couronner lui-même, est révélateur de l'esprit qui préside à cette réconciliation.
La « République des Jules », à la fin du XIXe siècle, hérite de l'anti-catholicisme révolutionnaire. « Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! », proclame Gambetta en 1877, et Ferry déclare que « La République est perdue si l'État ne se débarrasse pas de l'Eglise, s'il ne désenténèbre pas les esprits du dogme ». Par deux décrets publiés en 1880, les Jésuites et les autres congrégations sont expulsés ; en 1882, la loi rend l'école primaire obligatoire et laïque : l'Etat met la main sur la formation des jeunes esprits.
Une loi non de séparation mais d'oppression
Le « Ralliement » des catholiques à la République, voulu par Léon XIII, ne désarme pas leurs adversaires, franc-maçons et libre-penseurs en tête. L'Affaire Dreyfus avive la querelle et le XXe siècle s'ouvre par un nouvel assaut contre les congrégations : expulsés de leurs couvent par la force, 50 000 religieux et religieux quittent la France entre 1901 et 1904. Cette année-là, les relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège sont rompues, mais, remarque Jean Sévillia, Emile Combes, président du Conseil depuis 1902, hésite à révoquer le Concordat : finalement, ne permet-il pas de contrôler le clergé français ? Il propose pourtant un premier projet de loi, mais son ministère tombe à la suite de l'affaire des fiches : avec l'aide du Grand-Orient de France, le général André, ministre de la guerre, faisait ficher les officiers en fonction de leurs convictions et bloquait l'avancement des catholiques. C'est donc sous le ministère du radical Maurice Rouvier qu'intervient en 1905 la séparation de l'Église et de l'État, condamnée par Pie X comme « une loi non de séparation mais d'oppression ». Non seulement « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte », mais elle confisque les biens de l'Église et les soumet à des inventaires irrespectueux, qui dégénèrent en bagarres rangées entre les foules catholiques et les forces de l'ordre.
Il faudra la grande guerre et le sacrifice de nombreux prêtres pour calmer les esprits… Momentanément.
Jean-Pierre Nomen monde & vie 23 avril 2011

vendredi 27 mai 2011

Brève histoire des royalistes français depuis la restauration

Des ultras à l'Action Française de Charles Maurras, les monarchistes français ont marqué l'histoire politique française des deux derniers siècles.
Les royalistes français apparaissent comme la gauche et la droite au début de la Révolution française, au moment où, pour la première fois dans notre histoire de France, se pose la question de la nature du régime. Après la tourmente de la Révolution et de l'Empire, des penseurs d'envergure comme Joseph de Maistre et Louis de Bonald alimentent la réflexion contre-révolutionnaire. Les royalistes « ultras » soutiennent la monarchie restaurée, sans toutefois se priver d'en critiquer les gouvernements.
En 1830, la révolution qui chasse Charles X et l'avènement de la branche cadette des Orléans, avec l'accession au trône de Louis-philippe 1er, roi des Français (et non plus roi de France) donnent naissance au légitimisme, dont les défenseurs se retranchent politiquement dans les provinces françaises. Cette parenthèse est très justement évoquée dans l'œuvre de Jean de La Varende.
Après la chute du Second Empire et la fin de la guerre contre la Prusse, une restauration semble possible au profit du petit-fils de Charles X, Henri V, qui porte le titre de Comte de Chambord. Cependant, les royalistes, majoritaires à la Chambre des députés et au Sénat, se divisent entre légitimistes et orléanistes. En 1872, le comte de Chambord se réconcilie avec les Princes d'Orléans, mais l'affaire du « drapeau blanc » met fin en 1873 aux espoirs des légitimistes, leur prétendant refusant le drapeau tricolore - dont l'adoption signifierait son ralliement à une monarchie parlementaire telle que l'envisageaient les milieux orléanistes. « Ma personne n'est rien, mon principe est tout », répond Henri V. Paradoxalement, c'est un député monarchiste, Henri Wallon, qui, par un amendement voté en 1875, fera inscrire dans la loi la forme républicaine du régime ; et le premier président de la  République, le maréchal de Mac-Mahon, sera lui aussi monarchiste !
À la même époque s'élabore, autour de René de La Tour du Pin et d'Albert de Mun, deux représentants du légitimisme, la doctrine du catholicisme social.
Après la mort du comte de Chambord, en 1883 en Autriche, la grande majorité des légitimistes se rallient au prétendant orléaniste, le comte de Paris, qui devient à leurs yeux le nouveau chef de la Maison de France. Celui-ci est exilé de France en 1886, après le mariage de sa fille avec l'héritier du trône portugais.
En 1893, le « Ralliement » des catholiques à la République à la demande du pape Léon XIII semble condamner politiquement le royalisme en France, des personnalités importantes comme Albert de Mun abandonnant alors le combat monarchiste. Il va pourtant renaître de ses cendres une décennie plus tard.
L'Action Française
En 1899, quand l'Action française est fondée par Henri Vaugeois et Maurice Pujo en pleine affaire Dreyfus, elle n'est pas royaliste mais veut pallier les insuffisances de la Ligue de la Patrie Française. Ce n'est que quelques années plus tard que, sous l'influence de Charles Maurras et de son Enquête sur la Monarchie, l'ensemble de ses dirigeants prône le retour du roi comme élément essentiel de salut public. Maurras, qui se lie alors au duc d'Orléans, arrière-petit-fils de Louis-Philippe, défend une monarchie héréditaire, traditionnelle, anti-parlementaire et décentralisée, qui a peu de traits en commun avec l'orléanisme proprement dit. En 1908, L'Action française devient un quotidien dont l'influence se fait sentir bien au-delà des milieux royalistes.
En 1914, l'AF, mettant en sourdine sa critique du régime républicain, défend l' « Union sacrée » contre l'Allemagne. Après la Première Guerre mondiale, le mouvement parvient à faire élire à l'Assemblée nationale, comme député de Paris, l'écrivain Léon Daudet, fils de l'auteur des Lettres de mon moulin. L'expérience durera de 1919 à 1924.
Là condamnation de l'AF par le Pape XI en 1926, puis la brouille avec le comte de Paris en 1937, portent deux rudes coups à l'organisation royaliste. L'excommunication ne sera levée qu'en 1939, par Pie XII.
L'AF joue néanmoins un rôle important dans l'insurrection parisienne avortée du 6 février 1934. Suite à des incidents en marge du cortège funèbre de l'historien Jacques Bainville, ses organisations, les camelots du roi, la Ligue et les Étudiants d'Action française, sont dissoutes par le Front populaire en 1936.
Pendant l'Occupation, si beaucoup de royalistes rejoignent la France libre ou la Résistance, Maurras et ses proches se réfugient à Lyon, en zone libre, soutenant le maréchal Pétain, ce qui vaudra au vieux lutteur germanophobe d'être absurdement condamné à la prison en 1945 pour collaboration avec l'ennemi, avant d'être gracié en 1952. Le journal quotidien ayant cessé de paraître à l'été 1944, les militants d'Action Française se regroupent alors autour de l'hebdomadaire Aspects de la France.
Le principal penseur royaliste de l'après-guerre est le philosophe Pierre Boutang, disciple de Maurras. Dans son hebdomadaire La Nation Française (1955-1967), celui-ci réhabilite la notion de légitimité politique. Une longue suite de scissions affaiblit progressivement le mouvement d'Action Française, qui voit périodiquement refleurir en son sein de nouvelles générations d'étudiants royalistes. De l'une de ces scissions naît la Nouvelle Action Française, qui prendra par la suite le nom de Nouvelle Action Royaliste (NAR) et dont le meneur, Bertrand Renouvin, appellera à voter pour Mitterrand en 1981 !
Parallèlement aux mouvements issus de l'AF, on constate à partir des années soixante un développement de plus en plus important d'un courant monarchiste qui reconnaît la légitimité des princes de la branche aînée de la maison de Bourbon, descendant de Louis XIV par son petit-fils Philippe V, roi d'Espagne.
Une nouvelle querelle de légitimité divise donc de nouveau les milieux royalistes, non sans passerelles entre les deux tendances. Par ailleurs, le développement des nouveaux moyens de communication, en particulier d'internet, rend quelque peu caduques les formes traditionnelles de militantisme. À côté des anciens mouvements qui, comme l'Action française, continuent cependant d'exister, la mouvance royaliste, toujours riche d'individualités, fonctionne aujourd'hui en réseaux, parfois appuyés sur des associations qu'inspirent les princes eux-mêmes.
Jacques Cognerais monde&vie . 14 mai 2011

jeudi 26 mai 2011

De Gaulle, l’homme du 18 juin

LES LEÇONS DE L'HISTOIRE
            À la veille du 18 juin,  il est bon de rappeler qui fut en réalité Charles De Gaulle.
           C'est à partir de 1916 que l'on commence à parler d'un certain De Gaulle.
            Légèrement blessé au genou au début de la guerre, “cela lui évitera de participer à la bataille de la Marne (…) une chance, car celle-ci s'est traduite par une hécatombe d'officiers subalternes dont il eût fort risqué d'être victime” .
De même restera-t-il étranger à la bataille du Nord. Les fonctions qu'il occupe dans l'État major régimentaire vont le tenir à l'arrière des premières lignes “.
            Derrière la prudence d'Yves Amiot (1) se dessine déjà  le jeune De Gaulle :
           Éviter les coups et rester près de l'autorité supérieure.
            Tel est l'homme qui arrivera finalement  en première ligne le 1er mars 1916, son 33ème régiment prenant la position défendue victorieusement par le 92ème, puis par le 110ème régiment d'infanterie en dépit du pilonnage  des  Allemands.
            Or, dès le lendemain de son arrivée, suite à un nouveau pilonnage, le capitaine De Gaulle hisse le drapeau blanc…
            Contrairement aux autres officiers français, les Allemands ne lui rendirent pas son épée et De Gaulle qui s'en étonnait, s'entendit répondre froidement, “c'est parce que vous vous êtes rendu sans combattre” … !
            Ce “détail” du parcours de De Gaulle, je l'avais entendu avec mon père, une première fois au Portugal de la bouche d'un commandant de l'armée française.
            Plusieurs années plus tard le comte Aymer de la Chevalerie, le généreux donateur des locaux de Chiré-en-Montreuil , nous donnait les mêmes détails, sans que ces deux hommes se connaissent.
            Tel était le personnage dont les lobbies antinationaux allaient faire un héros.
            Sans la protection du général Pétain, parrain de son fils Philippe, la carrière du jeune De Gaulle se serait arrêtée là.
            L'ambition maladive de son protégé allait l'amener à s'approprier une étude d'Etat-major sur l'avenir de l'arme blindée en le publiant sous son seul nom.
            Réprimandé, De Gaulle allait lui vouer une haine tenace comme à l'ensemble de l'armée française qui le méprisait.
La guerre de 40 allait lui donner la chance dont il rêvait.
            Les Anglais qui avaient besoin d'un képi pour contrer le prestige et l'action du Maréchal, envoyèrent le général Spears de l' Intelligence service débaucher le vaniteux De Gaulle ulcéré de ne pas avoir été pris dans le gouvernement Pétain.
            Tel fut le début de la légende du ” glorieux  résistant ” De Gaulle.
            Là encore l'Histoire officielle est menteuse, car De Gaulle n'a jamais été général.
            La saga résistantialiste occulte que ce fut Albert Lebrun, président de la République, qui signa le 23 juin 1940, le décret  de mise à pied de De Gaulle pour cause de désertion :
           Au Journal Officiel , 24 juin 1940, paraissait ce texte du Ministère de la Défense :
            - “Par décision ministérielle du 22 juin 1940, la promotion au grade de général de brigade à titre temporaire, de M. le colonel d'infanterie breveté De Gaulle ( Charles-André-Joseph-Marie ) est annulée“.
             - “M. le colonel d'infanterie breveté d'état-major De Gaulle ( Charles-André-Joseph-Marie ) est admis d'office à la retraite, par mesure de discipline “.
            La ” Libération-Épuration ” sera pour De Gaulle allié aux responsables de la Débâcle, l'occasion de régler ses comptes.
            Les crimes de la Résistance gaullo-communistes étaient tels que le Père Panicci dénonçait “ ce régime d'abattoir ” dans son sermon du dimanche des Rameaux 1945, à Notre Dame de Paris.
            Des documents médicaux de l'époque, permettent de mesurer l'horreur des tortures infligées par les “patriotes “, FFI, FTP, et autres  ” milices patriotiques ” (2) :
“Poils brûlés au briquet, bougies allumées dans l'anus, pointes des seins coupées, dents cassées, brûlures électriques dans le vagin, l'anus, la plante des pieds, coups de barre de fer, sections des doigts, arrachages d'ongles, lésions de marche ou reptation sur du verre, brûlures pour “cautériser” les plaies , aspersion d'essence et mise à  feu, enfoncement de la cage thoracique, du crâne, avec lésions méningées, cérébrales, de la moelle épinière - c'est ainsi qu'allait mourir dans d'atroces souffrances le constructeur Louis Renault - lésions de l'œil, viol de femmes et de fillettes, promenées nues”.
            Il faut rappeler le martyre de l'amiral Platon, chargé par le maréchal Pétain de surveiller les sociétés secrètes interdites par Vichy qui, renvoyé par Laval dans sa propriété du sud-ouest,  y fut torturé et mis à mort par des résistants en l'écartelant entre des tracteurs (3).
Avec celui du comte Christian de Lorgeril , héros de la guerre de 1914, on atteignait les sommets de la barbarie.
            Le quotidien MRP, L'Aube , 16.11.1950, quelque peu gêné du comportement de ses alliés, rapportait les faits :
Arrêté pour ses idées monarchistes le 22 août 44, complètement nu, le malheureux dut s'asseoir sur la pointe d'une baïonnette, puis il eut les espaces métacarpiens sectionnés, les pieds et les mains broyés, le thorax et le dos transpercés par une baïonnette rougie au feu, puis on le réanima pour lui verser du pétrole enflammé sur les plaies“.
Il ne devait mourir que 55 jours plus tard dans des souffrances de damné “( 4).
            C'était le temps où le démocrate-chrétien P.H.Teitgen , Garde des Sceaux de De Gaulle, répondait aux communistes qui trouvaient l'Épuration insuffisante :
Messieurs, Par rapport à nous  les Grands Ancêtres étaient des enfants de coeur“… et à ceux qui déploraient la guerre civile, De Gaulle répondait :
Messieurs, la guerre civile où est la guerre civile” ?! (4).
            Fred Zeller, ancien Grand Maître du G.'. O.'., rapportait dans Europe Parlement le ” mot ” de De Gaulle, à la Libération :
Je vais redonner la République à la France, il n'y a aucune raison pour que je ne lui redonne pas aussi les francs-maçons” et Zeller reconnaissait :
            “ Il nous a redonné force et vigueur“.
            Tel est l'individu pour lequel tant de ” nationaux “, de Rivarol , à Tixier-Vignancour et à Le Pen , entre autres, ont voté au référendum de 1958 et dont la suite de sa “carrière”, allait confirmer l'ignominie.
            Dès son arrivée au pouvoir à Alger, il rétablissait, le décret Crémieux abrogé par Vichy.
            Ce décret redonnait unilatéralement et en bloc la nationalité française aux seuls Juifs, alors que comme en 1870 les musulmans venaient de se battre pour la France.
            Les conséquences ne se firent pas attendre et François d'Orcival rappelle, Valeurs actuelles , 13.5..05, que “le 1er mai 1945, les manifestants à Alger, Oran, Mostaganem, criaient “À bas la France, à bas les Juifs“, tandis que la police tire sur eux“.
            Lors des émeutes du 9 au 14 mai, les émeutiers criaient de façon révélatrice :
“À bas De Gaulle, serviteur de la juiverie”. “À bas Churchill et les Juifs”.
            Comme en 1870 les marxistes Adrien Texier ministre de l'Intérieur, Charles Tillon , ministre de l'Air, massacreront des milliers de civils musulmans,  traités d' ” hitlériens ” !
            C'est dire si le facteur juif était fondamental dans l'insurrection contre la France, devenue aux yeux des musulmans, un occupant au service de la communauté juive.
            Cela aucun des nostalgiques de l'Algérie française ne le rappelle.
Ils n'ont toujours rien compris aux causes de la perte de l'Algérie.
            La férocité de la répression des gaullo-marxistes , comme celle du gouvernement Thiers tenu par les Rothschild, en 1870, est suspecte, comme si, comme en 1870, les dirigeants de 1945 avaient voulu créer l'irréparable avec la communauté musulmane, pour la dresser  contre la France.
            On connaît la suite :
             La trahison de De Gaulle rappelé en ” sauveur ” par les Français d'Algérie, l'armée française et applaudit par les ” nationaux ” d'alors .
            Aussi est-il bon de rappeler comment il se vante dans ses Mémoires d'Espoir , de les avoir trompés :
“Si de but en blanc j'affichais mes intentions, une vague de stupeur(s) et de fureur(s) eut fait chavirer le navire”.
            “Sans jamais changer de cap, il me faudrait donc manœuvrer”, p. 60-61.
            Ayant réussi à amener l'armée à capituler, l'autre ignominie, avec le mitraillage des Français par le général Katz aux origines sémites,  sera de livrer les harkis.
            Le télégramme secret du 16.5.1962, N° 125/IGAA, ordonnait :
Le ministre d'Etat Louis Joxe demande au Haut commissariat de rappeler que toutes les initiatives individuelles tendant à l'installation ( en ) Métropole ( de ) Français musulmans sont strictement interdites“.
            Une nouvelle directive de Joxe, du 15 juin 1962, enjoignait :
Vous voudrez bien rechercher, tant dans l'armée que dans l'administration, les promoteurs et les complices de ces entreprises de rapatriement et de faire prendre  des sanctions appropriées “.
Les supplétifs débarqués en Métropole seront renvoyés en Algérie“.
Je n'ignore pas que ce renvoi peut être interprété comme un refus d'assurer l'avenir de ceux qui sont restés fidèles, il conviendra donc d'éviter de donner la moindre publicité à cette mesure“.
            Alain Rollat reconnaissait, Le Monde 7.8.91:
Dès le mois de juillet 1961, l'armée française commence à désarmer les harkis” “leur désarmement avait été promis au FLN par les autorités Françaises“.
            “Ils seront exécutés avec leurs femmes et leurs enfants“.
            Ces massacres ” varient selon les sources, de 30.000 à 150.000, les harkis et leurs familles ont été victimes d'atrocités en tous genres, avant même la proclamation de l'indépendance, sans que les autorités françaises interviennent”…
            Les Musulmans comme les Français ont été victimes du même complot mondialiste cosmopolite.
            On juge de la déliquescence de la ” mouvance nationale ” par son silence et son adulation d'un Le Pen qui se présente ” comme seul  héritier du gaullisme”, Rivarol , 29.1.99  et qui, avant même son discours d'Argenteuil, prônait “une France multiculturelle et multiconfessionnelle“, Ouest-France , 3.9.99.
            Or, toute la politique française actuelle découle des conséquences de cette politique gaulliste aux ordres du mondialisme.
            Voilà pourquoi, il urge de faire le ménage dans les rangs de cette pseudo droite nationale et de tirer les leçons de l'Histoire.
(1) Yves Amiot . La Capture . Editions Ulysse,
(2) J-P Abel. L'Age de Caïn . Les Editions Nouvelles.
(3)  A. Figueras . Onze Amiraux dans la Tourmente . DPF.
(4) H. Coston . Le Livre Noir de l'Epuration . Lectures Françaises, 1964.
Extrait de La Politique, N° 84, juin 2008
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mardi 24 mai 2011

22 avril 1961 : La révolte du désespoir

« Officiers, sous-officiers, gendarmes, marins, soldats et aviateurs : je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment : garder l'Algérie ». Cette déclaration lapidaire du général Maurice Challe, qui retentit sur les ondes de Radio Alger le 22 avril 1962, est suivie du Chant des Africains. Elle officialise l'entrée en rébellion de quatre généraux, tous anciens résistants ou combattants de la France Libre, contre un Charles De Gaulle accusé de préparer la livraison de l'Algérie au FLN. Accusation fondée : le discours de De Gaulle du 16 septembre 1959 sur l'autodétermination ne laissait guère de doute sur son intention de trahir tous les espoirs mis en lui, le 13 mai 1958, par une armée victorieuse sur le terrain et des pieds-noirs viscéralement attachés à leur terre natale. Lesquels n'avaient pas conscience du caractère machiavélique du personnage, prêt à tous les mensonges, toutes les trahisons pour revenir au pouvoir. Celui-ci misait, à juste titre, sur la lâcheté des Français. Ils lui apportèrent en effet un soutien massif par le référendum du 8 janvier 1961, qui visait, selon les propres paroles de De Gaulle, à reconnaître « la voie de l'Algérie algérienne ». S'en suivit, logiquement, l'annonce de négociations avec le FLN. Tous ceux qui s'étaient battus pour l'Algérie française comprirent que celle-ci était condamnée à mort. C'est pourquoi Challe, Zeller, Jouhaud et Salan franchirent le Rubicon.
C'est ce que Michel Winock, qui fait partie de ceux qui sont la honte du métier d'historien, appelle un « coup de folie ». Pour les gens comme lui, il est certes fou de vouloir être fidèle à la parole donnée, alors qu'on pouvait vivre paisiblement sa retraite en vivant sur la planète Sirius… L'honneur ? Voilà un mot qui fait bien rire les crapules comme Winock.
Le 23 avril, De Gaulle désigne à la vindicte publique le “quarteron” des généraux révoltés, déformant ainsi sans hésiter un mot peu usité de la langue française (”quarteron” désigne, selon le Littré, un « homme (ou une femme) provenant de l'union d'un Blanc avec une mulâtresse ou d'un mulâtre avec une Blanche »). Le Premier ministre Michel Debré, de son côté, quelque peu paniqué, incite les habitants de la région parisienne à venir « à pied ou en voiture » faire barrage aux paras qui vont être forcément envoyés par Alger pour prendre le contrôle de Paris…
Psychodrame inutile : en Algérie, le contingent ne veut pas s'engager dans le camp du putsch. Par conviction, comme l'a prétendu plus tard l'imagerie d'Epinal fabriquée par la propagande gaulliste ? En fait, parce que les bidasses métropolitains se contrefichent du sort de l'Algérie et des pieds-noirs et, par veulerie, ne pensent qu'à la “quille”. C'est à l'occasion de ces événements qu'un certain nombre de jeunes militants et militantes de l'Algérie Française conclurent qu'un pays apparaissant encore sur les cartes sous le nom de “France” était mort et qu'il n'y avait plus aucune raison de s'attacher à son cadavre.
On ne peut, dans l'échec du putsch, négliger la responsabilité des quatre généraux censés être les guides de l'insurrection. Challe, en particulier, en voulant donner au putsch un caractère purement militaire, a refusé de comprendre qu'un soulèvement  contre De Gaulle devait prendre un caractère forcément politique. Ce n'était pas une révolte qu'il  fallait, mais une révolution. Avec, comme dans toute révolution, la nécessité de faire quelques exemples sanglants, spectaculaires, pour inciter à la réflexion et à un sage alignement la masse des hésitants qui n'entend que le langage de la force.
Quelques hommes comprirent cela, avec la création de l'OAS, où s'investirent des soldats politiques dignes de ce nom. Mais il était bien tard. Trop tard. Il reste que ces combattants sont encore aujourd'hui des exemples pour tous ceux qui refusent de plier le genou devant l'inacceptable. Honneur à eux.
Pierre VIAL. Rivarol du 29 avril 2011

Détention préventive ou liberté provisoire : l’éternel débat

DANS La Revue des  deux mondes du 15 janvier 1948, sous le titre « de la liberté individuelle », Maurice Garçon, alors célébrissime avocat du Barreau de Paris, commente les évolutions de la notion de liberté individuelle, date et décrit, en fonction des régimes ou de situations historiques exceptionnelles, les avancées et les reculs notamment en ce qui concerne la détention préventive des “accusés”. Ses commentaires étaient d'autant plus d'actualité que la France venait de supporter et supportait encore les excès épuratoires des libérateurs dont certains étaient des résistants de la 25e heure. Me Garçon y fait référence en ces termes : « Il n 'est pas de progrès véritable dans la condition humaine si l'on n'arrive pas à supprimer les attentats contre la liberté dus à la force […] devant l'évolution actuelle des esprits et devant la manifestation de quelques tendances oublieuses d'un progrès difficilement réalisé, on ne saurait être trop vigilant lorsqu'il s'agit de défendre un principe sans lequel un droit naturel destiné à sauvegarder la dignité humaine serait bien vite méprisé. » Le sujet reste d'actualité, élargie à la garde à vue, à la présence de l'avocat dès la première heure de la garde à vue, à la mise en liberté.
Alors qu'on n'inculque aux jeunes élèves français - pour célébrer la “liberté”, fleuron de la démocratie républicaine - que l'arbitraire des lettres de cachets, présentées comme le symbole de l'absolutisme fantasmé de la monarchie, alors qu'elles avaient pour objet, soit de ménager dans certains cas l'honneur des familles, soit de réprimer les commencements de sédition, soit de garantir l'État des effets d'une intelligence criminelle avec les puissances étrangères, Maurice Garçon rappelle que des ordonnances de Charles VII, dès le milieu du XVe siècle, de Louis XII et de François 1er décrétaient que la détention provisoire n'est pas une conséquence de l'accusation. Plus tard, Louis XIV régnant, l'ordonnance de 1670 ne permit plus de décret de prise de corps que lorsque l'inculpé encourait une peine afflictive (soit la mort, les travaux forcés, la déportation, la détention, la réclusion) et infamante, telles la réclusion et la détention. Un simple ajournement sans arrestation était prescrit lorsque la peine risquée était moindre, et l'on ne devait délivrer qu'une assignation pour être entendu lorsque le prévenu n'était exposé qu'à une peine légère et jouissait d'une bonne réputation.
Pour autant, mais les mœurs étaient plus dures, la recherche des aveux était obtenue par des moyens d'une grande violence, et les condamnés à mort exécutés d'une façon qui nous paraît épouvantable aujourd'hui.
L'idée du droit des hommes à leur liberté individuelle est ancienne. Lors d'un réquisitoire prononcé en cour d'assises, le 6 avril 1826, sous la Restauration, l'avocat général Bayeux a formulé les fondements de sa limitation en ces termes : « Le bien le plus précieux pour l'homme est sans doute sa liberté, et le plus grand sacrifice qu'il ait pu faire, en se constituant en société, est d'avoir donné aux magistrats le droit d'en disposer, mais il n 'a voulu le donner qu'aux seuls magistrats investis de sa confiance, dans les cas prévus et dans les formes recommandés par la loi. » Cette sentence devrait être inscrite en lettres d'or au fronton des tribunaux, apprise par les élèves de l'école de la Magistrature, et surtout appliquée. Me Garçon souligne par ailleurs que la « tendance instinctive des gouvernements est de légitimer et d'affirmer leur pouvoir par des principes d'autorité difficilement libéraux. L'opposition, c'est-à-dire la contradiction, est généralement mal supportée par celui qui, voulant diriger, sent sa volonté mise en échec. De là une inclination à limiter la liberté de penser et d'agir, en portant atteinte à la liberté des personnes », et que par conséquent des garanties doivent être décrétées pour assurer la sécurité juridique et physique des citoyens. On pourrait ajouter que des lobbies et de puissantes communautés parviennent à imposer aux législateurs la fabrication de lois de circonstance qui interdisent la liberté d'expression, et même la liberté et l'indépendance de la recherche historique.
Alors qu'il rappelle les principes établis solennellement par la Constituante en vue d'assurer la sécurité juridique et physique des citoyens, Me Garçon ne manque pas d'établir la liste des occasions où les « grands principes » ont été bafoués, notamment « Quand les hommes, placés à la tête du gouvernement, veulent établir la tyrannie dans la forme de la République, une législation oppressive devient un puissant auxiliaire » :
Les conventionnels : alors que la Constitution du 24 juin 1793 reconnaissait aux citoyens le droit de repousser par la force tout acte arbitraire et tyrannique, un décret permettait aux commissaires dans les départements et près des armées de faire arrêter et déporter tous les citoyens suspects ; un autre, du 17 septembre 1793, ordonnait l'arrestation de tous les gens suspects se trouvant encore en liberté sur le territoire de la République.
Le gouvernement d'Edouard Daladier prendra modèle sur les conventionnels : une loi du 3 septembre 1939 permit aux préfets d'interner tout citoyen réputé dangereux, et aucun contrôle ne fut plus admis, même à titre consultatif ; le 18 novembre 1939 un décret-loi permit aux préfets d'éloigner les individus dangereux pour la défense nationale ou pour la sécurité publique des lieux où ils résidaient et de les astreindre à résider dans un centre désigné par décision ministérielle. La formule était si vague qu'elle permit des opérations purement politiques.
- Le 4 octobre 1944, le général De Gaulle étant président du gouvernement provisoire, une ordonnance reprenant, dans les mêmes termes, les textes précédents maintint pour les préfets le droit d'interner sans jugement.
- Le 29 janvier 1945, une ordonnance obligea les internés administratifs à payer pension en remboursant leurs frais d'entretien. « Ainsi, des hommes injustement molestés, arrêtés sans cause valable et, par la suite, déclarés innocents se sont vu réclamer des frais d'internement : ce qui est, pour le moins, un comble ! », s'indigne Maurice Garçon. Les internements administratifs ne prirent fin que le 1er juin 1946.
Il serait fastidieux de faire la liste des reculs, c'est-à-dire des privations de liberté, qui ont été décidés sous le 1er Empire, lors de la Restauration - seul Louis-Philippe ne porta jamais atteinte au principe établi. La République prit le relais ; après les journées de juin 1848, on arrêta environ 15 000 personnes, un décret du 27 juin ordonna la transportation en Algérie sans jugement, par mesure de sûreté, de 4 000 individus reconnus pour avoir pris part à l'insurrection.
Après le coup d'État du 2 décembre 1852, on confondit volontairement des délinquants de droit commun et des prévenus politiques. Parmi ces derniers près de 10 000 furent déportés à Cayenne ou en Algérie, moins de 3 000 internés, et plus de 5 000 soumis à la surveillance de la police.
DE 1948 À 2011, L'OPINION N'A PAS CHANGÉ
Me Garçon considère que « L'opinion publique, mal instruite, paraît souvent dédaigneuse de ce que peuvent être les droits de la liberté individuelle. Tant de personnes ont été victimes de l'arbitraire qu'elles ne paraissent plus imaginer qu'il doit être évité. Lorsqu'on lit les journaux, on est stupéfait de voir qu 'à tout propos on réclame en gros titres des arrestations et qu'on s'indigne contre des mises en liberté. Pour beaucoup, une simple accusation est une raison suffisante d'arrestation. Il semblerait que l'incarcération d'un homme - fût-il accusé d'avoir volé les tours de Notre-Dame - s'impose d'abord comme une mesure nécessaire et quasi rituelle. De même, lorsqu'une mise en liberté est annoncée, l'opinion s'émeut, des articles de journaux contiennent des protestations indignées ou des insinuations ironiques. On s'occupe moins, dans le public, de la culpabilité elle-même que de la mesure préventive qui paraît donner tous apaisements à la conscience générale. » Cette réflexion, ce constat en forme de reproche pourraient être formulés en 2011. Sauf qu'aujourd'hui, l'opinion publique a, en plus, clairement conscience que selon que l'on est ou a été puissant (Chirac, par exemple), ou bien qu'on puisse se payer des avocats fortement médiatisés et bien en cour, le bras de la justice est plus mou, et que des multirécidivistes échappent à toutes sanctions, s'installent dans la délinquance et les trafics les plus variés, narguent la Police et terrorisent leurs voisins, avec la bénédiction de la Justice qui amplifie souvent la mansuétude des lois. Sauf, évidemment, quand il s'agit d'accusés politiques extérieurs au Système…
Dans cet article, cela ne surprendra personne de la part de l'avocat qu'il est, on retrouve les mêmes objections que celles exprimées aujourd'hui par ses confrères, contre la garde à vue hors de la présence d'un avocat, la recherche des aveux, la détention provisoire. « Dans les locaux de la police, on exerce une contrainte physique qui ne tend rien moins qu 'à rétablir un système inquisitorial inavoué » déplore-t-il. En ce qui nous concerne, nous considérons que le rôle des policiers est bien de démêler le vrai du faux, de trouver des preuves, d'interroger les suspects en les gardant à disposition. Que les locaux où sont provisoirement maintenus les personnes en garde à vue soient sordides est une autre affaire. Il n'y a en effet aucune légitimité à ce que ces locaux, selon les témoignages de ceux qui les ont occupés, soient des cloaques indignes où, en outre, peuvent séjourner de façon dégradante, ceux qui seront reconnus parfaitement innocents.
L'auteur, pour justifier la limitation de la détention provisoire, donne un certain nombre d'exemples qu'on croirait contemporains. C'est l'accusé qui ne veut pas avouer et qui complique l'instruction ; des toxicomanes à qui on prétend faire subir en prison une pseudo cure de désintoxication et profiter de la circonstance pour obtenir d'eux le nom de leurs revendeurs ; une plainte du ministère des Finances qui prend un caractère officiel et impérieux nuisible à la liberté d'appréciation des magistrats. Mais c'est aussi l'influence du parquet qui limite l'indépendance des juges. Ceux-ci manifestant rarement un désaccord avec son proviseur dont les réquisitions deviennent comme l'équivalent d'un ordre. On lit qu'en 1948, les cellules de la prison de la Santé à Paris prévues pour un habitant en contiennent sept ou huit, « Une promiscuité ignoble, une hygiène déplorable mettent en commun des hommes qui ne devraient ni se connaître, ni se rencontrer. » Rien n'a changé.
Me Garçon insiste, et pour donner plus de poids à son argumentation, il donne la liste des circulaires de 1819, 1855, 1865, 1900, 1946, 1947 qui recommandaient la cessation de la détention provisoire ou préventive dès que disparaissaient les raisons qui la motivaient. On voudrait être certain, qu'à l'exception de certains inculpés politiquement incorrects qui ne bénéficient eux d'aucune indulgence, bien au contraire, la cessation de la détention provisoire ou préventive ne soit pas généralisée pour le plus grand développement de la délinquance et des zones où les autorités administratives et les forces de l'ordre n'entrent plus.
Pierre PERALDI. RIVAROL 29 AVRIL 2011

lundi 23 mai 2011

Adam Smith, la dette et les politiques impériales

M’intéressant à la pensée traditionnelle britannique, je me suis replongé dans Adam Smith, et j’ai eu ainsi le bonheur de découvrir que je n’étais pas devenu antilibéral ; mais que c’était les libéraux, néolibéraux, usurpateurs se faisant passer pour tels, qui déconsidéraient, en s’en réclamant, cette belle philosophie et cette belle interprétation de la vie. En réalité, que ce soit en Amérique ou ici, nous sommes dirigés par des bonapartistes et ce qui va avec : personnel d’aventuriers et de chevaliers d’industrie, dette publique folle, aventurisme militaire, tourisme colonial et humanitaire à connotation souvent sanglante.
Mais j’en reste à Adam Smith ; devant un génie les commentaires sont superfétatoires. S’agissant de la dette publique, il écrit d’une manière prémonitoire :
Le progrès des dettes énormes qui écrasent à présent toutes les grandes nations de l’Europe, et qui probablement les ruineront toutes à la longue, a eu un cours assez uniforme.

Les technocrates et politiciens aux abois qui ont prolongé l’agonie de la Grèce, de l’Europe et de l’europ feraient mieux de relire ces lignes :
Un fonds d’amortissement, quoique institué pour payer les dettes anciennes, facilite extrêmement les moyens d’en contracter de nouvelles.
Les Etats se sont tous surendettés depuis trente ans en augmentant la dépense publique, y compris ceux qui se disaient libéraux. Et depuis trente ans les niveaux de vie ont tous baissé en Amérique, au Japon ou en Europe. Encore une fois, Adam Smith explique pourquoi :
Le capital avancé au gouvernement par les premiers créanciers de l’Etat était, au moment où ils ont fait cette avance, une portion du produit annuel, qui a été détournée de faire fonction de capital pour être employée à faire fonction de revenu, qui a été enlevée à l’entretien des ouvriers productifs pour servir à l’entretien de salariés non productifs, et pour être dépensée et dissipée dans le cours, en général, d’une seule année, sans laisser même l’espoir d’aucune reproduction future…
L’explosion du nombre de salariés non productifs en France, en Europe, en Amérique, est en effet une donnée de la dernière ligne droite occidentale. En France on sait que c’est au nom du social, du sozial, comme disait Céline, que l’on a ruiné le pays. En Amérique, où l’on a préféré le beurre au canon, c’est au nom de l’impérial… Et Adam Smith tourne le dos non seulement à l’empire britannique mais aussi au colonialisme français ou au militarisme planétarisé à l’américaine.
Il y a déjà plus d’un siècle révolu que ceux qui dirigent la Grande-Bretagne ont amusé le peuple de l’idée imaginaire qu’il possède un grand empire sur la côte occidentale de la mer Atlantique. Cet empire, cependant, n’a encore existé qu’en imagination seulement. Jusqu’à présent, ce n’a pas été un empire ; ce n’a pas été une mine d’or, mais le projet d’une mine d’or ; projet qui a coûté des dépenses énormes, qui continue à en coûter encore, et qui nous menace d’en coûter de semblables à l’avenir, s’il est suivi de la même manière qu’il l’a été jusqu’à présent, et cela sans qu’il promette de nous rapporter aucun profit ; car, ainsi qu’on l’a déjà fait voir, les effets du commerce des colonies sont une véritable perte au lieu d’être un profit pour le corps de la nation.
Le chapitre sur la dette est exemplaire de notre grand humaniste, qui puisait son inspiration dans les faits, les chiffres et les classiques grecs et latins, pas dans les blouses des femmes de chambre… Ce n’est pas un hasard, car il pressent quelque part la fin du monde, le nôtre, lié au mensonge des politiques toujours soucieux de bien faire et donc de dépenser plus.
Certes, il est bien temps aujourd’hui qu’enfin ceux qui nous gouvernent ou réalisent ce beau rêve d’or dont ils se sont bercés eux-mêmes peut-être, aussi bien qu’ils en ont bercé le peuple, ou bien qu’ils finissent par faire cesser, et pour eux et pour le peuple, un songe qui n’a que trop duré. Si le projet ne peut pas être mené à sa fin, il faut bien se résoudre à l’abandonner.
Ils ne l’abandonneront pas.

On pourra lire ou relire ces remarques du grand oeuvre du vrai libéralisme, pas du tout hostile à l’Etat traditionnel d’ailleurs (cf. le début du livre 5), dans le chapitre 3 du livre 5 des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. A l’heure où l’on fête les 15 000 milliards de dollars de la dette publique américaine, ou les 1 600 milliards d’euros de la dette française (soit dix mille milliards de francs tout de même), on se devrait d’apprécier enfin et de lire ses classiques. Et l’on se demandera s’il n’y a jamais eu un libéral dans la classe politique mondiale, sinon en Chine…
par Nicolas Bonnal   http://www.france-courtoise.info/