1500 ans de christianisme, un siècle de laïcité : où sont les vraies racines de la France ?
« France ! Fille aînée de l'Église, Éducatrice des peuples ! Es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » Cette interrogation, lancée par le pape Jean Paul II au Bourget en 1980, avait pris à contre-pied une société française qui s'abîmait en ronronnant dans la déchristianisation, favorisée par le confort matériel et une laïcité apparemment apaisée. Mais lorsque, seize ans plus tard, le pape polonais revint rappeler aux Français leurs origines catholiques à l'occasion du 1500e anniversaire du baptême de Clovis à Reims, des oppositions se manifestèrent contre cette « entorse au principe de laïcité », valeur fondatrice de la République. La querelle n'était pas nouvelle et n'est pas terminée, loin s'en faut. Elle repose sur une contradiction inhérente à l'histoire nationale et caractérisée par la fracture révolutionnaire, qui tire un trait sur les racines chrétiennes de la France pour leur substituer d'autres valeurs, puisées aux sources des Lumières.
Dans quelle mesure la commémoration du baptême de Clovis marchait-elle sur les brisées de la sainte laïcité ? Ce sacrement scella dès l'origine l'alliance entre l'Église et la monarchie française ; mais, dès l'origine aussi, fut établie la distinction entre le temporel et le spirituel.
Défendre les libertés du royaume et celles de l'Église
Les rois les plus pieux, à commencer par saint Louis, revendiquent l'autonomie de la couronne par rapport à la papauté. Petit-fils du saint roi, Philippe-le-Bel entre ainsi en conflit avec le pape Boniface VIII, qui prétend disposer des couronnes. Aux États-Généraux d'avril 1302, le chancelier de France, Pierre Flotte, exhorte Philippe, « comme maître et comme ami », d'aider les Français « à défendre les libertés du royaume et celles de l'Église » La querelle conduit à l'attentat d'Anagni, où Guillaume de Nogaret, proche collaborateur du roi, s'empare de la personne du pape.
À ces tentatives d'empiétement du spirituel sur le temporel, répondent celles de la monarchie de mettre la main sur le gouvernement de l'Église de France, notamment par la Pragmatique Sanction de Bourges, promulguée par Charles VII en 1438 ; puis, sous François Ier, par le Concordat de Bologne, signé en août 1516 avec le pape Léon X : le roi propose la nomination des évêques, abbés et prieurs, auxquels le Pontife accorde simplement l'investiture canonique.
Ce Concordat fait le lit du gallicanisme, tel qu'il s'exprime dans la Déclaration des Quatre articles, rédigée par Bossuet et adoptée en 1682 par l'assemblée extraordinaire du clergé français. Comme le note Jean de Viguerie, l'autorité du pape est limitée « par ces coutumes que l'on appelle les “libertés de l'église gallicane” ».
La France n'en reste pas moins la fille aînée de l'Église, et son roi le Très chrétien : « la monarchie française est d'essence chrétienne et catholique », écrit encore Jean de Viguerie. Lieutenant de Dieu en son royaume, réputé « évêque du dehors », le roi promet lors du sacre de protéger l'Église et de bannir les hérétiques. Premier ordre du royaume, le clergé enseigne, soigne, secourt les pauvres, fait l'aumône… Des évêques siègent au conseil du roi et il suffit de penser à Richelieu pour mesurer l'importance de leur rôle.
Transformation des églises en temples de la Raison
Au XVIIIe siècle, cependant, la place qu'occupe l'Église au sein de la société est remise en cause par les « philosophes » au nom de la raison. À la fin du siècle, le mot d'ordre de Voltaire contre l'Église : « Écrasons l'infâme », est pris au mot par les révolutionnaires. Pour la première fois, l'État devient l'ennemi de l'Église : vente des biens du clergé, suppression des congrégations religieuses, « déprêtrisations », transformation des églises en temples de la Raison, vandalisme, persécutions, déportations, massacres… Les droits de l'homme remplacent le Décalogue et l'on tente d'imposer une constitution civile du clergé que Rome condamne. Louis XVI met son veto aux mesures frappant les prêtres insermentés et c'est en définitive pour atteindre l'autel que l'on renverse le trône.
Il faut attendre Bonaparte pour que la persécution cesse vraiment. Le Concordat de 1801 reconnaît que la religion catholique est celle de « la grande majorité des Français », les prêtres deviennent des fonctionnaires, mais le geste du nouvel empereur lors du sacre, ôtant la couronne des mains du pape pour s'en couronner lui-même, est révélateur de l'esprit qui préside à cette réconciliation.
La « République des Jules », à la fin du XIXe siècle, hérite de l'anti-catholicisme révolutionnaire. « Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! », proclame Gambetta en 1877, et Ferry déclare que « La République est perdue si l'État ne se débarrasse pas de l'Eglise, s'il ne désenténèbre pas les esprits du dogme ». Par deux décrets publiés en 1880, les Jésuites et les autres congrégations sont expulsés ; en 1882, la loi rend l'école primaire obligatoire et laïque : l'Etat met la main sur la formation des jeunes esprits.
Une loi non de séparation mais d'oppression
Le « Ralliement » des catholiques à la République, voulu par Léon XIII, ne désarme pas leurs adversaires, franc-maçons et libre-penseurs en tête. L'Affaire Dreyfus avive la querelle et le XXe siècle s'ouvre par un nouvel assaut contre les congrégations : expulsés de leurs couvent par la force, 50 000 religieux et religieux quittent la France entre 1901 et 1904. Cette année-là, les relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège sont rompues, mais, remarque Jean Sévillia, Emile Combes, président du Conseil depuis 1902, hésite à révoquer le Concordat : finalement, ne permet-il pas de contrôler le clergé français ? Il propose pourtant un premier projet de loi, mais son ministère tombe à la suite de l'affaire des fiches : avec l'aide du Grand-Orient de France, le général André, ministre de la guerre, faisait ficher les officiers en fonction de leurs convictions et bloquait l'avancement des catholiques. C'est donc sous le ministère du radical Maurice Rouvier qu'intervient en 1905 la séparation de l'Église et de l'État, condamnée par Pie X comme « une loi non de séparation mais d'oppression ». Non seulement « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte », mais elle confisque les biens de l'Église et les soumet à des inventaires irrespectueux, qui dégénèrent en bagarres rangées entre les foules catholiques et les forces de l'ordre.
Il faudra la grande guerre et le sacrifice de nombreux prêtres pour calmer les esprits… Momentanément.
Jean-Pierre Nomen monde & vie 23 avril 2011
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