jeudi 30 septembre 2021

Maurrassisme et gaullisme

  

Condamné en 1945, par un tribunal de la Libération, Charles Maurras se serait écrié : « C’est la revanche de Dreyfus ! » Peut-être de “vieux républicains” se demandent-ils aujourd’hui si le gaullisme ne représente pas, pour le maître de l’Action française, une sorte de revanche posthume. La Constitution actuelle ressemble à celle que le maréchal Pétain souhaitait, en 1944, léguer à la France et notre pays n’a pas connu, depuis le Premier Empire, un régime plus monarchique que celui de la Ve République.

Il va sans dire que les maurrassiens, je veux dire ceux qui ont été les disciples de Maurras ou qui se réclament explicitement de lui, sont, en majorité, passionnément hostiles au général de Gaulle. Ils détestent le responsable de l’épuration, “le grand trompeur”, celui qui, revenu au pouvoir à l’occasion des événements d’Alger, mena jusqu’à son terme, impitoyablement, l’entreprise que l’on accusait M. Pflimlin de préparer. Fidèles au maréchal Pétain et défenseurs de l’Algérie française, les maurrassiens ont été, en même temps, anti-gaullistes.

Ces faits ne prêtent pas au doute, mais là n’est pas le problème d’histoire auquel François Mauriac lui-même fait allusion dans son livre sur le chef de l’État et qui a été l’objet d’un débat organisé par la revue France Forum. D’après tous ses biographes, le général de Gaulle a été, dans sa jeunesse, influencé par Maurras. Que cette influence ait été effective ou non, la parenté est évidente entre la critique du parlementarisme, que l’Action française a reprise chaque matin pendant des années, et la critique gaulliste du “régime exclusif des partis”. Quelques idées appartiennent également à la pensée des deux hommes : la primauté de la politique et, en particulier, de la politique étrangère, la vision traditionnelle des États et de leur lutte permanente, l’indifférence aux idéologies qui passent alors que les nations demeurent, la passion de la seule France, au risque accepté que la France soit seule.

On objectera, à bon droit, que la Ve République emprunte au jacobinisme (M. Michel Debré) et au bonapartisme (référendum-plébiscite) plus qu’à l’ancienne France. Maurras se voulait contre-révolutionnaire et il détestait jacobinisme et bonapartisme. Le régime de la Ve République ne se situe certainement pas dans le courant contre-révolutionnaire, ni en fait ni moins encore en paroles, mais il répond à certaines exigences que proclamait la doctrine d’Action française : l’État fort, l’exaltation de l’indépendance nationale, bien suprême, le mythe du pays réel ou du peuple rassemblé contre les divisions partisanes « auxquelles les Français ne sont que trop enclins », le pouvoir, confié à un seul, de prendre les décisions qui engagent le destin de tous. Si le Sénat devait être transformé, l’an prochain, en une Assemblée des intérêts organisés, c’est-à-dire plus ou moins corporative, un autre emprunt aurait été fait au fonds maurrassien. L’Assemblée nationale subsiste et subsistera en tout état de cause, mais, au moins dans la conjoncture présente, elle n’exerce aucune influence sur la conduite de la diplomatie. Même en matière de législation, elle ne joue qu’un rôle limité. En d’autres termes, Charles de Gaulle aurait accompli, dans le cadre républicain, nombre des transformations que Charles Maurras aurait eu le tort de croire impossibles sans Restauration.

Je ne pense pas que ce rapprochement doive irriter ni les derniers fidèles de Maurras ni les fidèles, évidemment plus nombreux, du chef de l’État. Style de la diplomatie, caractères de la Constitution adaptée aux besoins et au caractère de la France, sur ces points la pensée du doctrinaire de l’Action française et celle du président de la République appartiennent à la même école, mais cette école compte bien d’autres docteurs : la critique de la démocratie est aussi vieille que la démocratie. Et, surtout, les oppositions entre maurrassisme et gaullisme — et non pas seulement entre Maurras et de Gaulle — ne sont pas moins frappantes que les similitudes.

Ces oppositions tiennent d’abord aux circonstances et aux personnalités. Maurras dénonçait la République mais aussi et surtout les minorités, juifs, francs-maçons, protestants, qu’il décrivait comme étrangères à la France, invisibles et puissantes. L’unité du pays était pour lui l’objectif suprême ; il n’en a pas moins, toute sa vie et jusqu’au dernier jour, nourri la haine que des Français vouaient à d’autres Français. Même le passé de la France, il ne l’acceptait pas tout entier. Les périodes, les œuvres, les idéaux qui ne répondaient pas à son système politique — voire à ses goûts esthétiques — il les condamnait sans hésitation : la France éternelle était une France dépossédée d’une partie d’elle-même. L’adversaire de l’Action française, vivant ou mort, risquait toujours d’être déclaré non-Français par un tribunal sans appel, mais heureusement sans force.

Le destin du général de Gaulle a été, par deux fois, de symboliser les discordes des Français en même temps que le rêve de leur unité. À Londres, déjà, en 1940, entouré de quelques-uns, il croyait à son destin et voyait à l’avance la France unie dans la Résistance et pour la victoire. Pendant les douze années de la “traversée du désert”, il a, lui aussi, usé et abusé de la polémique — et celle-ci n’est pas compatible avec l’équité. Du moins s’en prenait-il plus au “système” qu’aux hommes, ce qui lui est d’autant plus facile que la France, à ses yeux, transcende les Français, leurs médiocrités et leurs misères. De la communauté nationale, il retient le passé tout entier, monarchies et républiques, Louis XIV et Napoléon, Barrès et Jaurès. La France gaulliste n’est pas fixée une fois pour toutes dans l’ordre romain, monarchique ou classique, elle reste elle-même, mais à la condition d’“épouser son siècle”.

Là est probablement, au moins dans l’ordre philosophique, la différence essentielle entre la pensée de Maurras et celle du général de Gaulle. Le premier a presque ignoré les traits originaux des sociétés modernes parce qu’il voyait dans le devenir plus une menace contre l’ordre qu’un mouvement créateur. Le deuxième même s’il conserve la nostalgie de l’ordre est conscient des chances et des nécessités de notre époque : depuis les divisions blindées jusqu’à la décolonisation, il a voulu prendre pour devise : on ne commande à la nature qu’en lui obéissant. Alors que la plupart des maurrassiens s’emprisonnaient eux-mêmes en un système peu à peu sclérosé, le général de Gaulle est enclin à une sorte de pragmatisme supérieur. L’Histoire n’est pas, à ses yeux, une fatalité à laquelle il faut se soumettre, elle n’est pas non plus une divinité bienfaisante, elle est un milieu tour à tour favorable et hostile, que l’homme d’État a le devoir de comprendre afin de le maîtriser. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la colonisation, telle qu’elle fut hier ou avant-hier, est, à ses yeux, comme la lampe à pétrole ou la marine à voile. L’esprit d’une époque n’est pas moins contraignant que la technique de production ou les instruments de guerre.

Du même coup, deux questions se posent et la réponse qui leur sera donnée par l’avenir déterminera le sens final du gaullisme : l’absolu de la souveraineté nationale est-il contemporain des armes atomiques ? La Constitution de la Ve République est-elle ou non, en dépit de ses sources historiques, le modèle de la démocratie à l’âge industriel ?

Raymond Aron, Le Figaro, 17 décembre 1964.

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/41

Chateaubriand (Ghislain de Diesbach)

 

Ghislain de Diesbach, essayiste et ancien vice-président de l’association des amis de Rivarol, est l’auteur de nombreuses biographies. Il nous revient avec une biographie de Chateaubriand.

De Chateaubriand, chacun retient les Mémoires d’outre-tombe et le Génie du christianisme. Mais qui était-il véritablement ? Le portrait qu’en dresse Ghislain de Diesbach n’est guère flatteur.

Farouchement indépendant, foncièrement, vaniteux, Chateaubriand a recherché le pouvoir pendant trente ans, moins pour la satisfaction de gouverner que comme consécration de son talent d’écrivain. Pour lui, la véritable récompense du talent, ce n’est pas l’Académie, mais un ministère, et non un des moindres, puisqu’il jugeait l’Instruction publique indigne de lui. Il s’émerveilla par contre de recevoir celui des Affaires étrangères.

A Louis XVIII et à Charles X, il apparaît plus dangereux qu’utile et tous deux s’efforcent de le reléguer dans une ambassade où, à peine installé, il se comporte en souverain. Pour maints royalistes ultras, Chateaubriand est même un révolutionnaire.

C’est que son orgueil en fait l’ennemi naturel de tout pouvoir qu’il ne partage pas. C’est le vrai motif de son opposition à Napoléon, outragé que celui-ci ne l’ait jamais prié d’exercer à ses côtés une espèce de magistrature de la pensée. Après avoir vu en Bonaparte un sauveur et lui avoir dédié, pour attirer son regard, la deuxième édition du Génie du christianisme, il se scandalise qu’un si grand esprit ne l’associe pas à son œuvre, passant de l’admiration au doute et du doute au ressentiment.

Par contre, Chateaubriand n’oubliera jamais le service rendu à Dieu. En écrivant Génie du christianisme, il illustrait le réveil de la foi en France et rendait son prestige à la religion qui avait été la risée des philosophes des Lumières et la cible des révolutionnaires.

Chateaubriand, Ghislain de Diesbach, éditions Perrin, 672 pages, 27 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/chateaubriand-ghislain-de-diesbach/93551/

Cette année là n°21 – Terrorisme d’extrême droite : fantasme ou réalité ?

 Pour cette nouvelle édition, « Cette année-là » remonte à l’année 1980 et à l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic.

Autour de Patrick Lusinchi, la rédaction d’Éléments – François Bousquet, rédacteur en chef, Olivier François et Nicolas Gauthier – s’interroge sur la façon dont les médias centraux montent en épingle un « terrorisme d’extrême droite », pour le moins marginal, en France en tout cas. La profanation du cimetière juif de Carpentras ou les « yeux bleus » de celui qu’on ne connaissait pas encore sous le nom de Mohamed Merah nous rappellent pourtant combien il faut être prudent avec ce genre d’assignation et d’étiquetage.
Le rendez-vous musclé et impertinent du magazine des idées.


https://www.tvlibertes.com/cette-annee-la-n21-terrorisme-dextreme-droite-fantasme-ou-realite

mercredi 29 septembre 2021

« La Traite des Slaves : l’esclavage des Blancs du VIIIe au XVIIIe siècle » de Alexandre Skirda

 Un crime contre l’humanité politiquement incorrect : la traite des Slaves du VIIIe au XVIIIe siècle.

Sait-on que le mot français « esclave » vient du latin sclavus désignant l’homme slave asservi, terme apparu en ce sens en 937 dans un diplôme germanique puis largement utilisé dans les actes notariés gênois et vénitiens à partir de la fin du XIIe siècle pour finalement s’imposer dans les langues romanes et germaniques ? L’étymologie, encore plus explicite en anglais, révèle un fait historique le plus souvent ignoré non seulement du grand public, mais du milieu historien lui-même : la traite esclavagiste exercée aux dépens des peuples slaves du VIIIe au XVIIIe siècle.

Mr Alexandre Skirda, essayiste et historien d’origine russe, vient de consacrer à cet épisode tragique de l’histoire européenne un livre (1) qui comble une lacune de notre documentation française, et qui pourtant n’a guère suscité l’intérêt du public parce qu’on ne lui fait pas la publicité qu’il mérite. Comment s’étonner de la censure médiatique ? Ce livre met à la portée du grand public des faits irréfutables permettant de constater la réduction en servitude de millions de Blancs, soumis à une traite plus sévère encore que la traite atlantique des Noirs d’Afrique puisqu’elle s’accompagnait de castration, et vendus dans la plupart des cas à des acquéreurs musulmans : un défi insupportable pour les canons de la repentance à sens unique instaurés par la loi Taubira de 2001 !

On peut avancer une autre explication de l’injuste occultation du livre de Mr Skirda : il nous introduit dans le monde slave qui ne nous est guère familier, nos chercheurs étant affectés d’un tropisme anglo-saxon, et leur curiosité se heurtant en outre au barrage linguistique induit par des langues difficiles, bien qu’indo-européennes, et pour une bonne partie d’entre elles écrites en alphabet cyrillique. Ainsi le Belge Verlinden, qui avait entrepris entre les années 1940 et 1977 une volumineuse étude de l’esclavage aux temps médiévaux, après s’être penché sur Al Andalus et le monde méditerranéen, s’était arrêté au pied des Carpathes, faute de connaître les langues slaves dans lesquelles étaient rédigés les principaux documents.

Mr Skirda vient donc à propos combler une lacune, par un ouvrage faisant la synthèse des études consacrées à ce thème, notamment de la monographie récente, non encore traduite en français, de l’historien russe Dimitri E. Michine (2).

Notre auteur distingue nettement deux traites des Slaves : la traite occidentale, qui s’exerça en Europe centrale, et la traite orientale, qui sévit de la Pologne à l’Oural. La première ne dura que 300 ans, du VIIIe au XIe siècle ; la seconde, qui débuta également au VIIIe siècle, dura quelque mille ans. Elles impliquèrent l’une et l’autre des peuples variés, qu’il s’agisse des victimes, les divers locuteurs de langues slaves répandus de la Bohême à l’Ukraine, de la Pologne aux Balkans, ou qu’il s’agisse, côté prédateurs, de nomades turco-mongols venus des steppes de l’Asie centrale, les Polovtses, les Khazars et surtout les Tatars, auxquels il faut ajouter les Francs et les Juifs rhadhânites (3) des Etats carolingiens, les Varègues de Scandinavie, les Gênois et les Vénitiens, enfin les Turcs ottomans, lesquels prirent part à ce crime contre l’humanité à diverses époques historiques.

Notons que la traite des Slaves fut contemporaine des traites arabo- et turco-musulmanes qui ravagèrent l’Afrique Noire et de la guerre de course menée par les Barbaresques qui hantèrent les côtes de Méditerranée occidentale, un peu mieux connues grâce aux travaux de MM. Pétré-Grenouilleau, Tidiane N’Diaye, Robert C. Davis et Jacques Heers, pour ne citer que ceux-là. Le point commun qui rapproche ces différentes traites est qu’elles ont toutes, à quelques rares exceptions près, été entreprises pour le compte d’Etats musulmans qui furent les plus gros demandeurs d’esclaves de l’histoire.

Les responsabilités de l’islam, « civilisation esclavagiste par excellence » (F. Braudel)

Depuis l’Hégire en 622, l’islam s’est répandu essentiellement par la guerre sainte ou djihad, aussi les Etats musulmans exigeaient-ils toujours plus d’esclaves – la religion mahométane justifiant la réduction des infidèles en servitude – pour mettre en valeur, administrer et policer des territoires qui s’accroissaient au fur et à mesure de leurs conquêtes, sans compter les besoins en soldatesque et en galériens pour mener la guerre sur terre et sur mer. La demande en femmes ne fut pas moins exigeante, non seulement pour accomplir les travaux domestiques chez les maîtres, mais aussi pour remplir les harems des califes, sultans et hauts dignitaires dont la religion aphrodisiaque engendrait une polygamie au sens large du terme puisqu’elle permet, outre les quatre épouses légitimes autorisées par le Coran, d’user d’un nombre illimité de concubines le plus souvent esclaves .C’est ainsi qu’Abd Ar Rahmane III, qui régna de 912 à 961 sur Cordoue, disposait d’un harem comptant 6300 femmes, eunuques et domestiques, le palais fatimide du Caire, 12.000.

Songeons aussi que l’avènement d’un nouveau maître pouvait exiger le renouveau du harem du défunt : à Istanbul il arriva au XVIIe siècle qu’un vizir se débarrassât des favorites de son prédécesseur en les noyant dans le Bosphore, après avoir cousu les malheureuses dans un sac ; ce Barbe-Bleue enturbanné eut des imitateurs ! (4) La castration des esclaves, mortelle dans plus de la moitié des cas en ces époques de médecine rudimentaire, répondait à la stratégie millénaire de l’islam qui a toujours utilisé la démographie comme une arme de guerre. La stérilisation des immigrés esclaves évitait la submersion démographique des fidèles d’Allah par des étrangers infidèles. Aussi n’y eut-il pas plus de problème noir que de problème slave en Arabie Saoudite ainsi que dans les autres Etats islamisés sur la longue durée. Les eunuques n’étaient pas seulement préposés à la garde des harems, ils étaient aussi employés comme soldats, ou comme gardes prétoriens du calife ou du sultan tels les saqalibas d’Al Andalus. On comprend dès lors – rareté obligeant du fait de la non-reproduction par les naissances et de la mortalité des esclaves-militaires à la guerre – la nécessité constante d’en renouveler le contingent.

Les musulmans disposaient grâce à leurs succès guerriers d’un immense trésor en métaux et objets précieux procurés par le pillage ; ils parvinrent aussi à contrôler par leurs conquêtes les mines d’or du Sud-Soudan : le dinar et le dirhem dominaient le marché mondial du Haut Moyen Age ; ils purent donc payer à prix d’or les marchands de bétail à visage humain : la demande stimulait l’offre et finançait la traite.

La traite occidentale des Slaves

La traite occidentale qui débuta au VIIIe siècle concernait ceux des Tchèques, des Moraves, des Slovaques, des Polonais, des Slovènes et des Croates de Slavonie qui furent razziés ou faits prisonniers dans les guerres les opposant à leurs agressifs et puissants voisins germains ou hongrois, quand ils ne s’opposaient pas en combats fratricides, comme il arriva parfois entre Tchèques et Polonais. Les prisonniers étaient acheminés vers Prague, grande plaque tournante de l’esclavage, puis à Verdun, le plus important centre européen de castration du Haut Moyen Age, pratique essentiellement réalisée par des Juifs dont c’était la spécialité en raison de leur familiarité avec le rite de circoncision ; les malheureux étaient ensuite acheminés vers Cordoue, capitale de l’Espagne islamisée depuis la conquête de Tariq. Le transport et la vente étaient assurés  par les Rhadânites, nom signifiant en persan « connaisseur des routes » par lequel on désignait les marchands juifs s’adonnant au trafic international ; leur itinéraire empruntait la vallée du Rhône et le port d’Arles. Les Esclavons de Slavonie pouvaient être enlevés à partir des côtes dalmates par des bandes armées, puis expédiés à Venise, où on peut encore voir le quai dit « des esclavons » ; de là ils étaient transportés jusqu’en Al Andalus, nom de l’Espagne islamisée depuis la conquête de Tariq en 711. Ce matériau humain pouvait être réexporté vers d’autres pays musulmans : la Syrie, l’Égypte, l’Irak ou le Maghreb.

La traite occidentale prit fin au XIe siècle en raison des progrès de la Reconquista qui barrait la route aux Rhadhânites, en raison aussi de la fin survenue en 1031 du califat de Cordoue qui éclata en principautés rivales, les taïfas. Le développement économique, la christianisation des peuples slaves d’Europe centrale entre le VIIIe et le XIe siècle, leur structuration progressive en états comparables à ceux des voisins germaniques influencés par le modèle de l’Empire romain, et dont la puissance régalienne se révéla capable d’assurer une certaine sécurité, ne furent pas non plus étrangers à la fin de la traite occidentale des Slaves.

La traite orientale des Slaves

Les peuples slaves qui s’étaient installés à l’est de l’Europe connurent mille années de vicissitudes : établis sur des plaines immenses dépourvues d’obstacles naturels permettant d’assurer leur protection contre les envahisseurs, placés aux confins de l’Asie centrale parcourue par d’incessantes hordes nomades de pillards, il ne leur fallut pas moins de mille ans pour bâtir un Etat solide, capable de résister aux agressions étrangères.

Paradoxalement, le premier Etat russe fut créé au IXe siècle par des Scandinaves du nom de Varègues qui avaient été appelés en renfort par les Ukrainiens en butte aux attaques des nomades polovtses, petchénègues et khazars, mais les chefs vikings songeaient avant tout à exploiter l’Ukraine comme une colonie dont la ressource principale était l’habitant qu’ils razziaient avec une habileté de chasseurs d’homme proverbiale, pour aller le vendre soit au nord, sur la plaque tournante de l’esclavage viking que fut Hedebut au Danemark, soit au sud à Byzance, capitale de la chrétienté d’Orient qui ne connut pas l’extinction rapide de l’esclavage touchant la chrétienté occidentale à la même époque. Peu à peu les Russes, dont le nom vient du suèdois « ruotsi » signifiant « rameurs », s’émancipèrent de leurs tuteurs païens : ils obtinrent à partir de 964, sous Sviatoslav, des princes de leur sang et parlant leur langue, puis se convertirent en 988 au christianisme sous l’influence de missionnaires byzantins, et bâtirent un État qui dura jusqu’à la conquête mongole au XIIIe siècle, mais qui fut incapable d’enrayer la traite esclavagiste.

Les Khazars, peuple turcomane plus ou moins judaïsé, expédiaient les victimes de leurs rapts vers l’est, à Itil, leur capitale située sur la Volga, de même qu’à Boulgar plus au nord, ainsi qu’à Boukhara et Samarcande, centres de castration et d’un commerce esclavagiste fructueux à destination non seulement de Bagdad, mais aussi de l’Extrême-Orient. Les Khazars quittèrent la scène de l’histoire au XIe siècle, éliminés par les Byzantins, tandis que les Varègues renonçaient à la traite au XIIIe siècle après leur conversion au christianisme et au travail productif.

C’est alors que les Gênois, auxquels l’empereur latin de Byzance a confié la maîtrise de la mer Noire, entrent en scène pour deux siècles : installés dans les anciennes colonies grecques qu’ils exploitent en intermédiaires d’une traite  alimentée par les razzias mongoles au détriment de Slaves et de Grecs orthodoxes ou de païens abkhazes, tcherkesses ou tatars, ils ravitaillent l’Égypte des Mamelouks en jeunes garçons destinés à renforcer l’armée. Leurs rivaux vénitiens se taillent une petite part du marché servile, en se spécialisant dans l’exportation de femmes à partir de leur port de Tana sur la mer d’Azov. Chassés de la mer Noire par l’avancée des Turcs ottomans, maîtres de Byzance depuis 1453, les Italiens se replièrent sur la Méditerranée orientale et laissèrent la Crimée aux Tatars.

Ce peuple turco-mongol converti à l’islam au XIVe siècle fut le plus féroce esclavagiste de l’histoire russe, menant des incursions ravageuses du XVe au XVIIIe siècle sur le monde russe. Vassaux des Turcs ottomans, les Tatars, ravitaillaient Istanbul et son empire en esclaves prélevés sur les terres des Slaves orientaux. Leurs déprédations prirent fin sous le règne de la tzarine Catherine II, victorieuse de l’Empire ottoman.

Un bilan désastreux

Le bilan humain de cette traite millénaire est fort difficile à quantifier, faute de documents, surtout pour les périodes lointaines. Entre le VIIIe et le XIIe siècle, Mr Skirda estime le nombre de victimes à plusieurs centaines de milliers d’êtres humains, auxquels il faut ajouter un million de prisonniers réduits à la servitude, s’ajoutant au million de tués du fait de la conquête mongole. L’Encyclopédie ukrainienne de 2002 a évalué à 2 M / 2,5 M le nombre d’esclaves prélevés par les Tatars sur l’Ukraine, la Biélorussie et la Moscovie entre 1482 et 1760, chiffre considérable si l’on tient compte de ce que la population de ces régions entre ces dates peut être estimée à 5 ou 6 M d’habitants.

Le total des victimes de la traite des Slaves entre le VIIIe et le XVIIIe siècle est évalué en millions par Mr Skirda ; peut-être, si l’on veut être précis, peut-on avancer le chiffre de 4,5 M d’âmes, en se fondant sur le bilan de la traite barbaresque établi par Mr Davies à 1.250.000 esclaves européens pour le seul domaine de la Méditerranée occidentale, sur une période quatre fois plus réduite. Ce prélèvement catastrophique a largement contribué au retard économique de l’Europe orientale par rapport à l’Europe occidentale.

On ne suivra pas Mr Skirda sur certaines de ses conclusions : par exemple lorsqu’il attribue la renaissance économique occidentale des Xe et XIe siècles aux profits réalisés par les marchands italiens grâce à la traite des Slaves, rejoignant le raisonnement des tiers-mondistes qui attribuent l’essor du capitalisme aux profits réalisés grâce à la colonisation ; on peut alors se demander s’il n’appelle pas à une nouvelle repentance qui s’ajouterait à celle que nous ordonne la bien-pensance gauchiste. De même ses sympathies pour l’anarchie l’empêchent-elles de réaliser le potentiel de protection assuré par la puissance régalienne d’un État exerçant le monopole de la violence au service de ses ressortissants : c’est l’avènement de véritables Etats en Bohême, en Pologne ou en Russie qui mit fin aux intrusions prédatrices provoquant la réduction en servitude de leurs habitants.

Ces restrictions mises à part, on ne peut que recommander la lecture d’un ouvrage qui nous révèle un épisode ignoré de l’histoire, dont la méconnaissance est source du préjugé voulant que les Blancs indo-européens aient toujours été les méchants exploiteurs de la planète, tandis que ceux qu’ils colonisèrent au cours des deux derniers siècles sont crédités des meilleures intentions du monde, puisqu’ils pratiquent « une religion d’amour, de tolérance et de paix ».

Notes :

1) Alexandre Skirda, La Traite des Slaves : l’esclavage des Blancs du VIIIe au XVIIIe siècle, Editions de Paris Max Chaleil, octobre 2010.

Historien et essayiste, Alexandre Skirda, né en 1942 de parents réfugiés de la guerre civile, est un spécialiste du mouvement révolutionnaire russe. Il a publié dans la même collection Nestor Makhno, le cosaque libertaire, Les anarchistes russes, les soviets et la révolution de 1917, Le Socialisme des intellectuels de Makhaïski (traduction et présentation).

2) Dimitri E. Michine, Sakalibas, slavanié v islamskom miré (Sakalibas, les Slaves dans le monde musulman), 2002.

3) Radhânites : aristocratie marchande du monde juif médiéval dont le nom persan, signifiant « connaisseur des routes », évoque le rayonnement mondial de l’Orient à l’Europe et à l’Extrême-Orient. Mr Jacques Attali rend hommage à leur connaissance des langues les plus variées et à leur sens des affaires qui les rendirent indispensables dans les relations entre le monde arabe et la chrétienté, notamment au cours du Haut Moyen Age (cf. Les Juifs, le monde et l’argent, Paris 2002). Des auteurs persans et arabes attestent le rôle des Radhânites dans la traite esclavagiste et leur spécialité de la castration des esclaves (par exemple Ibn Kordabeh, maître des postes persan en 847, ou Ibn Hankel, auteur arabe du Xe siècle).

4)  Georges Young, Constantinople des origines à nos jours, Payot, Paris 1948.

Abbon, 12/07/2013 http://www.polemia.com

La Petite Histoire : Lannes, l’Achille de la Grande armée – Les grands maréchaux

 Il est sans doute, avec Murat, le maréchal le plus célèbre de l’épopée napoléonienne. Né à Lectoure dans le Gers, Jean Lannes, ce fils de modeste métayer, va se forger grâce à son ascension fulgurante dans l’armée un destin hors-du-commun. Brave, courageux, meneur d’homme exceptionnel, il était également l’un des rares amis de Napoléon, le seul avec Duroc qui le tutoyait en privé. Sa mort lors de la bataille d’Essling en 1809 affectera beaucoup l’Empereur et ne fera que renforcer sa légende, tout en donnant à sa vie cet aspect à la fois tragique et romantique. Retour sur le parcours étincelant de celui qu’on surnommait « l’Achille de la Grande armée ».


https://www.tvlibertes.com/la-petite-histoire-lannes-lachille-de-la-grande-armee-les-grands-marechaux

Écologie : les peurs et les profits

 À partir de l’exemple des éoliennes et de l’énergie qu'elles sont censées produire, Alban d'Argun, dans un livre très précis, met en cause les juteux fromages de l’écologie citoyenne. Il déplore la paresse d'esprit qu nous empêche de penser à côté de l’écolo-correctness.

ENTRETIEN avec l’abbé G de Tanoùarn

Pourquoi vous êtes-vous passionné pour la question particulière des éoliennes ?

Il me semble que ce cas particulier est aussi un cas emblématique de ces scandales d'État devant lesquels trop souvent aujourd'hui, tout le monde reste muet. Si je remonte un peu dans le temps, disons dans une vie antérieure, je tenais une chronique que j’avais placée sous le signe des lemmings, ces petits rongeurs de l'Europe Scandinave, qui se reproduisent très rapidement.

Lorsqu'ils sont trop nombreux, ils organisent leur suicide collectif en se jetant par centaines de milliers, du haut des fjords. Ils meurent en se débattant dans l’eau glacée. Eh bien ! Je me demande parfois si les hommes, aujourd'hui, ne cherchent pas à imiter ce sinistre destin des lemmings. Nous nous laissons mener sans réagir par les idées correctes, qui cachent souvent des scandales d'État. Nous nous détruisons nous-mêmes collectivement, comme si nous étions fatigués de vivre… L’écologie en général nous présente bien quelque chose de cet instinct de mort qui anime régulièrement les lemmings au cours de leur histoire.

Prenons une grande cause écologique : la lutte contre le réchauffement climatique représente non pas cette théâtralisation de la mort que vous stigmatisez, mais bien une lutte pour la vie, pour l'avenir de l'espèce.

Le sujet du réchauffement est relativement neuf, il émerge dans les années 90, alors que, pour la première fois dans l'histoire, des données permettant de décrire le climat au niveau planétaire s'accumulent. Très vite, l'ONU s'en empare et, autour des années 2000, elle en fait une grande cause mondiale. La canicule de 2003 en Europe fournira largement un argumentaire, qui est, ne nous y trompons pas, un argumentaire de culpabilisation. Autre chose en effet est de constater des cycles plus ou moins chauds au cours de l'histoire, on sait bien que le climat change. Le Groenland au Moyen Âge est la « terre verte » où paissent des vaches. En revanche, on parle du XVIIe siècle en Europe comme d'une petite période glacière. Vous noterez que le problème des écologistes d'aujourd'hui n’est pas dans ces différentes sautes d'humeur du climat. Leur problème est d’établir et de blâmer la responsabilité humaine dans ces changements climatiques. C'est la dimension anthropique du réchauffement qui intéresse le GIEC, le groupe d'étude international sur le climat. Les Instances internationales cultivent une peur irrationnelle et millénariste, exacerbée par les valets médiatiques, nouveaux pasteurs en charge de guider et paître le troupeau pour la « caste » Vous voyez que nous ne sommes, pas si loin des lemmings et de leur certitude de la mort !

Vous avez écrit tout un chapitre sur le réchauffement climatique et sur les scandales qui ont marqué le développement de la propagande réchauffiste. Je laisse nos lecteurs découvrir les révélations que vous nous faites. Mais prenons la question des énergies fossiles : ne faut-il pas économiser ces énergies, en laisser pour nos descendants ?

On sous-évalue les ressources de la terre. Bien sûr le pétrole s’épuisera un jour que nul ne connaît, remplacé par d’autres sources d’énergie qui nous sont peut-être encore inconnues. Notez quand même qu'entre 1994 et 2014 l’analyse des réserves mondiales montre une progression supérieure à 50 % des réserves de pétrole prouvées. De même le gaz les réserves connues sont au plus haut dans l'histoire de son exploitation. Mais surtout, les recherches en cours sur la fusion nucléaire pourraient dans les années à venir remplacer l'uranium par d’autres types d'énergie quasi inépuisables à travers d'autres types de réacteurs, dits de quatrième génération permettant une réutilisation de l'uranium. Si nous avons la force de démentir les Cassandre et autres oiseaux de malheur, vous comprenez combien de mythes sont en train de s’effondrer la voiture électrique, dont, en réalité, les batteries sont très polluantes, l'exploitation à grande échelle de schiste bitumineux, mais au risque de détruire des kilomètres de paysage etc. La vraie écologie, l’écologie chrétienne refuse elle d'exploiter les peurs. Elle est faite de confiance dans l'ordre du monde et dans le Créateur.

Mais enfin, cette grande énergie de substitution qu'est le nucléaire est aussi une énergie dangereuse ?

On crée une peur panique de l’énergie nucléaire au nom de son utilisation militaire. En réalité, il y a très peu d'accidents avec le nucléaire. Citons les deux derniers Tchernobyl et Fukushima. Tchernobyl, en Ukraine, est dû aux négligences d'un pouvoir totalitaire à l’agonie. Quant à Fukushima, au Japon, il ne faut pas oublier que ce n’est pas d'abord un accident nucléaire, puisqu'à l’origine, il s'agit d'un raz-de-marée, lequel raz-de-marée a eu des conséquences sur la centrale de Fukushima. Pour le reste, le nucléaire est une énergie propre, qui ne rejette pas de C02, qui ne fait pas de mal à la couche d ozone. L’Allemagne y a renoncé progressivement. Le résultat ne s’est pas fait attendre aujourd'hui, avec ses vieilles centrales thermiques, c'est le plus gros pollueur d'Europe. Je ne parle même pas du nuage de particules fines et de cendre qui est cancérigène, remontant jusque sur Paris. En fait d’écologie, nous avons des mensonges d'État, qui forment une propagande mensongère.

Au moins l'éolien, contre lequel vous êtes parti en guerre, est une énergie gratuite ?

Pas du tout. Certes le vent est une énergie gratuite, mais le développement de l'éolien n'a pas fini de nous coûter cher. Gérard Mestrallet, président d'Engie, a vendu la mèche lors d'un sommet à Montréal au Canada « L'île veut être verte affirme-t-il, donc elle construit 1000 mégawatts d'éoliennes C'est très bien, surtout quand il y a du vent, c'est-à-dire 30 % du temps Mais comme les consommateurs veulent de l'électricité tout le temps, il faut construire à côté de ces éoliennes 1000 mégawatts de turbines à gaz, qu'on peut mettre en route comme des mobylettes quand il n'y a pas de vent et les éteindre quand il y a du vent ». En clair, avec ces turbines à gaz ressurgies du passé, au lieu de lutter contre le gaz à effets de serre, on va en produire encore plus. Ainsi, les éoliennes s'avèrent polluantes, ce n'est pas un paradoxe, c'est un fait.

Mais alors, si vous avez raison, pourquoi ce consensus autour des éoliennes ?

Tout simplement parce que les pollueurs traditionnels ont intérêt au développement d'énergies incomplètes, comme l'éolien, pour pouvoir caser leurs vieilles centrales. L'un des principaux lobbies pro-éolien, la Compagnie du vent (un nom qui ne s'invente pas !), a été racheté par Engie. Voyez, tout le monde y trouve son compte ! Je ne parle pas du marché que constitue la vente et la maintenance des éoliennes, par des fleurons comme Greensolver, Boralex, Enerco, Siemens, Nordex. L'Allemagne est grande exportatrice dans le business des énergies renouvelables. Sur 15 milliards de chiffre pour les entreprises allemandes, 4 milliards auraient été réalisés à l'export. Vous voyez tout le monde y gagne.

Et en France ?

En France, c'est bien entendu l'argent l'État qui finance et le déficit et les appétits uns et des autres. L'EDF est le client unique de l'industrie éolienne. Elle doit acheter l'ensemble de la production, même lorsqu'elle n'en pas besoin, et même si des concurrents fournisseurs lui propose l'électricité à un prix moindre. La commercialisation de l'électricité obtenue par éolienne représente une vraie petite bulle financière ! Voilà pour ce qui est de la politique de l'État. Mais les particuliers ne sont pas en reste. Il existe un service, lié au ministère la Justice, le Service Central de Prévention la Corruption, qui a très tôt tiré le signal d'alarme. En juin 2014, ce service d'État écrit « Le développement de l'activité éolienne semble s'accompagner de nombreux cas de prises illégales d'intérêts impliquant les élus locaux ». Il note aussi un système de subvention qui confine à ce qu'il nomme « une corruption légale ». « Pour le seul site de Noirmoutier, les subventions annuelles allouées aux pêcheurs et aux communes littorales seront de 7,5 millions d'euros » pour avoir le droit de placer des éoliennes. À ce prix-là, qui ne serait pas d’accord pour manifester les bons sentiments de la doxa politiquement correcte ? Cette mascarade politico-financière se déroule sous nos yeux alors même que le système français actuel, fondé sur le nucléaire, est un des moins polluants au monde.

Alban d'Arguin a fait des études d'histoire de droit public. Il a réalisé une carrière de management et de direction générale à l'international dans un grand groupe financier. Retiré aujourd'hui dans l'ouest de la France où il travaille à la restauration d'un domaine entouré de vergers anciens, il est passionné par les questions environnementales. Son livre Eolienne. un scandale d'État est édité par la revue Synthèse nationale (20 €).

monde&vie  12 juillet 2018

Les bienheureuses Carmélites martyres de Compiègne

Yvain ou le Chevalier au Lion 3/3

 Le lien entre Yvain et le lion serait ainsi de nature zodiacal. Il soulignerait le caractère solaire du héros qu'il partage d'ailleurs avec Gauvain dont il est le cousin germain mais il renverrait aussi à sa date de naissance. Il existe un texte irlandais racontant la naissance mythique d'Yvain/Owein. On y apprend que le héros a été engendré, près du gué de l'Aboiement, lors d'une nuit de Samain (autrement dit le 1 novembre). Par conséquent, il naît neuf mois plus tard, le 1er août, jour de Lugnasad (fête du dieu solaire Lug) dans le calendrier celtique. Ainsi, le signe du Lion (du 22 juillet au 23 août) est le signe zodiacal d'Yvain.

Natif du Lion, Yvain est un enfant du soleil car le soleil possède son domicile astrologique dans le seul signe du Lion. La présence d'un lion aux côtés d'Yvain n'est plus alors un simple hasard. Il rappelle le caractère solaire du héros. Il préfigure aussi son destin héroïque et royal. Il est admis en effet dans la tradition astrologique que le signe du Lion est un signe d'excellence puisqu'il est lié à l'astre le plus puissant : le soleil.

Dans l'interprétation traditionnelle de l'Antiquité, le signe du Lion est le signe royal par définition. Macrobe (que Chrétien de Troyes connaissait fort bien puisqu'il le cite au v. 6730 d'Érec et Énide) était un grammairien latin du début du Vè siècle après Jésus-Christ. Il était l'auteur d'un commentaire à la fois mathématique, astronomique et mythologique sur le Songe de Scipion de Cicéron. Ce Commentaire sur le Songe de Scipion développe une idée essentielle que les érudits du Moyen Âge devaient méditer. La Voie Lactée (dont on sait qu'elle apparaît lorsque le soleil est dans le signe zodiacal du Lion) est la voie des héros. Tout personnage qui aurait un lien avec cette Voie Lactée ne pourrait être que prédestiné à un destin d'exception. C'est bien le cas d'Yvain porté vers sa destinée royale par ce signe exemplaire. De très nombreuses sculptures de l'époque romane illustrent les thèmes de cette mythologie solaire où les figures bibliques et gréco-romaines rejoignent les grands thèmes celtiques.

À partir d'une mythologie qu'il hérite du monde celtique et qui exploite quelques grands motifs mythiques liés à la période de la canicule (signe zodiacal du Lion), Chrétien de Troyes livre dans le Chevalier au Lion un nouveau mythe adapté au monde chrétien et courtois du Moyen Âge. Ce mythe est celui du chevalier-roi, modèle de toute perfection, qui s'élève vers une souveraineté royale et amoureuse à la fois. Dans l'évolution de l'écriture romanesque de Chrétien de Troyes, ce roman expérimente une véritable esthétique du symbole, comme l'a montré Daniel Poirion. À partir des éléments que lui livre la tradition orale des Celtes, Chrétien cherche à créer un personnage qui serait une référence suprême en matière d'héroïsme. Le symbolisme zodiacal lui sert à suggérer l'image d'un héros solaire capable de rivaliser avec ses glorieux ancêtres antiques. Yvain, sous les traits du héros, incarne la perfection de la chevalerie courtoise : ardent défenseur des faibles et des opprimés, il est le chevalier sans reproche qui donne désormais à la chevalerie une mission morale qui prépare de loin la chevalerie céleste des futurs romans en prose du Graal. En s'imposant comme l'un des meilleurs chevaliers du monde, il devient un repère mythique pour la chevalerie courtoise car il relève un défi nouveau. Si, dans la tradition occidentale, le héros est surtout un être qui ne s'accomplit que dans une mort exemplaire, à travers Yvain, c'est la vie qui est exaltée. La fatalité inhérente à la figure héroïque (et que Tristan assume dans sa mort d'amour), Yvain l'exorcise en s'engageant sur une voie qui éloigne le pessimisme tragique du destin pour rechercher l'optimisme radieux de la volonté. Séduit par l'éclat du symbole léonin, le romancier champenois réalise ainsi une synthèse magnifique du héros qui concentre toute la richesse de la tradition mythologique résumée dans un double héritage celtique et gréco-latin. En même temps, il élabore une réflexion originale sur l'héroïsme chevaleresque et courtois en incarnant le modèle troubadouresque du fin amant dans une figure où "avec le Lion, le soleil et la raison brillent sur l'héroïsme".

Philippe WALTER

Professeur à l'université de Grenoble 

http://www.theatrum-belli.com

mardi 28 septembre 2021

Passé-Présent n°315 – Afghanistan : la fin de l’hégémonie des Etats-Unis ?

 Afghanistan : la fin de l’hégémonie des Etats-Unis ?

Géopoliticien, chroniqueur à Boulevard Voltaire, Antoine de Lacoste Lareymondie s’entretient avec Philippe Conrad sur la situation actuelle aux Proche et Moyen-Orient. L’échec diplomatique, la déroute militaire des Etats-Unis en Afghanistan entraînant leur départ précipité, la faillite des services secrets, tout cela participe à l’affaiblissement de leur puissance et confirme l’entreprise utopique d’exporter la « démocratie » chez des peuples de culture différente. Nos spécialistes évoquent également les enjeux et perspectives des pays voisins et concluent sur la situation du malheureux Liban.

De Grasse, héros français de la bataille de Chesapeake

Au cours de la guerre d’indépendance des Etats-Unis, les insurgés luttant contre les troupes britanniques firent subir à ces dernières une défaite navale cruciale grâce à la stratégie du lieutenant-général français de Grasse (1422-1788) dans la baie de Chesapeake, large estuaire s’étendant entre la Virginie et le Maryland. Anne Sicard nous restitue avec passion les détails de cette décisive bataille maritime du 05/09/1781.


https://www.tvlibertes.com/passe-present-n315-afghanistan-la-fin-de-lhegemonie-des-etats-unis

Pompée le Grand (106 – 48 av. J.-C.)

 

Pompée le Grand (106 – 48 av. J.-C.)

Son destin extraordinaire marque les derniers soubresauts de la République romaine. Aristocrate flamboyant, dominant les mers et l’Orient, il doit mourir pour que l’Empire s’établisse.

Général à 23 ans, « trois fois triomphateur pour des victoires remportées sur trois continents, trois fois consul, fondateur de villes, bâtisseur à Rome, faiseur de rois… », Pompée le Grand est l’une des principales figures de la fin de la République romaine. Il en repousse si loin les frontières qu’on l’a comparé à Alexandre.

Mais il incarne aussi les limites d’un régime en pleine déliquescence. La personnalisation du pouvoir, le poids des armées et des richesses accumulées durant les campagnes, le dysfonctionnement des magistratures, cadre traditionnel de la compétition aristocratique, la violence politique enfin sont autant de symptômes des failles d’un système conçu en 509 pour une cité-État, mais sans doute inadapté à un empire qui n’a cessé de s’étendre depuis le IIe siècle av. J.-C. Excellent chef de guerre mais politique maladroit, à la différence de César qui fut son allié puis son adversaire, il échoua à réformer, laissant le champ au vainqueur de la guerre des Gaules.

Un aristocrate engagé

Cnaeus Pompeius est né en 106 av. J.-C. dans une famille noble du Picenum, une région du nord-est de la péninsule italienne. Tandis que son père, membre de l’ordre équestre, suit le cursus honorum républicain, le jeune garçon reçoit la formation traditionnellement dispensée aux aristocrates : une rude éducation sportive, adoucie par les raffinements de la culture grecque. Seul l’apprentissage de la rhétorique lui fait défaut, ce par quoi ses contemporains expliqueront la médiocrité de son éloquence.

Son instruction est en effet interrompue par la guerre sociale qui ensanglante la péninsule entre 91 et 88 av. J.-C. Un conflit qui trouve son origine dans les tensions liées à la question agraire et à la volonté des « Alliés » (socii) d’obtenir la citoyenneté romaine que seuls des habitants de l’Urbs pouvaient alors détenir. Le jeune Pompée y fait l’apprentissage des armes en suivant son père qui y gagnera les honneurs du triomphe et le consulat.

Si les Alliés obtiennent satisfaction, la paix est de courte durée en raison de la profonde rivalité opposant deux figures – Marius et Sylla – qui incarnent les fractures de la scène politique romaine. Sylla, le champion des optimates, entreprend en 87 une difficile campagne en Orient contre Mithridate VI, le roi du Pont. L’année précédente, ce dernier a en effet rompu son alliance avec Rome en faisant exécuter tous les marchands italiens présents dans les provinces d’Asie Mineure. Mais Marius, chef du parti populaire (populares), et son gendre Cinna lui contestent la direction de ces opérations. C’est le début d’une sanglante guerre civile. Pompée et son père s’engagent contre Marius, qui finit par s’emparer de Rome pour y établir un véritable régime de terreur.

Premières victoires

En 83, lorsque Sylla débarque à Brindes, victorieux de Mithridate, Pompée lève parmi les vétérans et les clients de son père récemment décédé une armée de 15 000 hommes et traverse l’Italie pour se mettre au service du général. Rome est reprise en 82 : Sylla y établit sa dictature, promulgue les proscriptions et entreprend de réformer les institutions républicaines dans un sens conservateur.

Pompée est chargé de rétablir l’autorité de Rome en Sicile, puis de combattre les derniers rebelles en Afrique du Nord. Il s’illustre avec éclat dans ces différents théâtres d’opérations, allant jusqu’à combattre sans casque au milieu de la mêlée furieuse… Qualifié d’« imperator » par ses troupes, il est autorisé à triompher à Rome en 81, quelques semaines après Sylla. Un fait totalement inédit alors pour un jeune homme d’à peine plus de 20 ans qui n’a, de surcroît, jamais encore revêtu de charge importante. Ce n’est là que le début d’un parcours qui constituera, à lui seul, un défi au système républicain.

La mort de Sylla en 78 entraîne le retour de la guerre civile. Pompée choisit d’abord de défendre l’héritage politique du dictateur et lutte contre l’un des derniers bastions marianistes, l’Espagne, où Sertorius menace dangereusement les intérêts romains. Une guerre longue (76-72) et difficile à mener, mais qu’il remporte néanmoins en dépit du peu de soutien du sénat. Les membres de la curie sont en effet confrontés à de nouveaux troubles en Orient, et surtout à la révolte servile de Spartacus, dans la péninsule italienne elle-même.

Après avoir pacifié l’Espagne, Pompée aide les troupes de Crassus à en finir avec les esclaves. Tous deux, forts du soutien de leurs soldats, prétendent alors au consulat qu’ils ne peuvent légalement obtenir. Ils sont pourtant élus pour l’année 70, comme si le prestige militaire entraînait la légitimité politique. Après avoir de nouveau triomphé, Pompée opère un changement de ligne politique et entreprend cette fois de défaire l’œuvre politique de Sylla : il affaiblit le sénat, satisfait la plèbe en restaurant les pouvoirs des tribuns et favorise les chevaliers, en leur restituant notamment la fructueuse dîme d’Asie.

Un triomphe « sur l’univers entier »

Depuis 20 ans, les différentes guerres (sociale, civile, servile…) ont permis l’émergence d’un fléau endémique qui menace directement le ravitaillement de la population de Rome et la sécurité de l’empire : la piraterie. En 67, la lex Gabinia accorde à Pompée un pouvoir absolu pour trois ans sur toute la Méditerranée et ses littoraux, jusqu’à 70 km à l’intérieur des terres… Alors que les magistratures à Rome sont annuelles et collégiales, confier un tel imperium à un seul homme est proprement extraordinaire. En quadrillant la mare nostrum, en attaquant les repaires des pirates mais aussi en faisant preuve d’une grande magnanimité à l’égard de ces derniers, Pompée règle la question en quelques mois seulement et choisit de s’attarder en Orient.

Un autre général, Lucullus, y défend depuis sept ans déjà les intérêts de Rome, mais son action est critiquée. La lex Manlius, soutenue par César et Cicéron, propose alors, en 66, de confier tout l’Orient romain à Pompée qui désormais voit son pouvoir s’étendre sur la Phrygie, la Lycaonie, la Galatie, la Cappadoce… Il vainc définitivement Mithridate et, au-delà de ces opérations strictement militaires, remodèle l’Asie romaine, notamment l’Arménie de Tigrane II, et fait de la Syrie une province romaine. Après avoir mené ses troupes jusqu’au pied du Caucase, dans des contrées qu’aucun Romain n’avait jamais traversées, il intervient en Judée, en arbitrant une querelle de succession, et fait entrer la région dans l’orbite de Rome. En quelques années, Pompée aura enchaîné les succès militaires et diplomatiques, créé des villes et fourni au Trésor de Rome un butin phénoménal.

En septembre 61, Pompée triomphe « sur l’univers entier » durant deux jours. La procession qui dévoile les trésors rapportés d’Orient s’étend sur plus de 10 km. Pourtant, durant son absence, son champ d’action politique semble s’être rétréci. Alors qu’il a licencié ses troupes dès son retour en Italie, il n’inspire pas confiance au sénat où Lucullus, démis de sa charge en Orient au profit de Pompée, exerce une grande influence. Il s’oppose notamment à la ratification de sa politique asiatique et à la distribution de terres à ses vétérans. En dépit de son prestige militaire, l’homme de guerre ne sait pas s’attirer les faveurs de la plèbe qui, par son soutien, pourrait contrebalancer cette perte de crédit. Cicéron, qui fut proche de lui, l’a décrit comme un homme seul, d’aucun parti, devant lequel on restait froid. Aussi, pour conserver un réel ascendant à Rome, il choisit de s’allier en 60 aux deux hommes forts du moment : l’ambitieux Jules César, le neveu par alliance de Marius, fort apprécié du peuple depuis les fastes d’édilité, et Crassus, assurément l’homme le plus riche de Rome.

Une alliance d’abord informelle, puis officialisée par les accords de Lucques en 56, sous le nom de « premier triumvirat », renforcée enfin par le mariage de Pompée avec la fille de César.

Échec du premier triumvirat et reprise de la guerre civile

S’il n’obtient pas la responsabilité de conduire une intervention en Égypte pour restaurer Ptolémée XII, Pompée se voit investi d’une charge très importante à Rome : l’annone. Pendant cinq ans, il doit assurer le ravitaillement de la ville, ce qui lui confère un pouvoir une nouvelle fois extraordinaire, en Italie même et hors de la péninsule. Mais la mort de Crassus en Orient, à Carrhes, et le décès de la fille de César marquent la fin du triumvirat, dans un contexte inédit de crise des institutions.

Depuis l’affaire Catilina (63), l’exil de Cicéron (58), le climat politique s’est en effet détérioré à Rome. La violence règne dans la ville où les bandes armées s’affrontent jusque sur le forum et dans la curie, qui est incendiée. En 52, Pompée est même désigné consul unique, sans parvenir pour autant à assainir un système gangrené. Quand le sénat refuse en 49 de prolonger le commandement de César en Gaule, ce dernier n’accepte de libérer ses légions que si Pompée, qui est proconsul d’Espagne et d’Afrique et dispose donc à ce titre de troupes sous son autorité, fait de même. Il refuse. La guerre civile peut reprendre.

César franchit le Rubicon en 49, se mettant hors la loi en faisant pénétrer ses légions dans une Italie d’ordinaire démilitarisée. La panique s’empare de Rome et bon nombre de sénateurs suivent alors Pompée à Dyrrachium (en Albanie aujourd’hui). Ils quittent si précipitamment la ville qu’ils laissent derrière eux le Trésor public dont va se saisir César. Mais, fort de sa flotte, Pompée domine les mers et dispose de soutiens dans tout l’empire. Ses partisans sont défaits en Espagne et à Marseille, mais ils l’emportent en Afrique du Nord, avec l’aide du roi de Numidie Juba qui, en faisant exécuter les prisonniers, contribue à salir l’image de Pompée.

Mort incompris du peuple romain, assassiné en Orient…

L’acte final de cet affrontement se joue dans le nord de la Grèce, en Thessalie. César et son fidèle Antoine ont réussi à traverser l’Adriatique. Au mois d’août 48, à Pharsale, pressé par son entourage mais contre son gré, Pompée engage la bataille. Il aurait préféré user les troupes adverses, en les harcelant dans la péninsule. En dépit de sa supériorité numérique, la déroute est totale face aux légionnaires aguerris de César, en particulier ceux de la Xe légion. Pompée doit fuir et cherche refuge dans le bassin oriental de la Méditerranée.

Le jeune Ptolémée XIII, le frère de Cléopâtre, lui accorde l’asile mais fait assassiner cet hôte jugé finalement trop encombrant avant même qu’il ne débarque sur le sol égyptien, par un centurion qui avait jadis combattu les pirates sous ses ordres.

On raconte que César pleura lorsqu’on lui présenta la tête de son adversaire. Il ne lui restera néanmoins qu’à vaincre les derniers pompéiens pour s’imposer à Rome et modifier en profondeur les institutions républicaines, dans le sens d’une forte personnalisation du pouvoir. Ironie de l’histoire, il sera assassiné en 44 au pied de la statue de son ancien adversaire, dans l’imposant complexe architectural que Pompée avait offert à Rome, sans pour autant jamais gagner le cœur de la plèbe.

Emma Demeester

Bibliographie

  • Eric Teyssier, Pompée – L’anti-César, Perrin, 2013.

Chronologie

  • 106 : Naissance de Pompée.
  • 91-88 : Guerre sociale.
  • 81 : Premier triomphe de Pompée.
  • 76-72 : Campagne d’Espagne.
  • 70 : Pompée est consul avec Crassus.
  • 67 : Pompée est investi d’un imperium pour lutter contre les pirates.
  • 66 : Pompée se voit investi de l’Orient romain.
  • 61 : Triomphe « sur l’univers entier ».
  • 56 : Les accords de Lucques officialisent le premier triumvirat.
  • 52 : Pompée est désigné consul unique pour rétablir l’ordre à Rome.
  • 49 : César franchit le Rubicon, début de la guerre civile.
  • 48 : Bataille de Pharsale et mort de Pompée en Égypte.

Photo : Buste de Pompée, copie d’antique en marbre réalisée au XVIIe siècle en Italie pour orner le Grand Salon du château de Vaux-le-Vicomte. Crédits : Jean-Pol Grandmont, via Wikimedia.

https://institut-iliade.com/pompee-le-grand-106-48-av-j-c/

Yvain ou le Chevalier au Lion 2/3

 Dans la première partie du roman figure un autre épisode dont le caractère mythique est évident. Il s'agit de la coutume de la fontaine. On a depuis longtemps souligné le caractère traditionnel de cet usage qui s'apparente à de vieux rites pour obtenir la pluie, particulièrement lors des périodes de grosse chaleur. Verser un peu d'eau sur la pierre qui borde la fontaine entraîne un véritable déluge et un orage terrifiant. Le rite pratiqué autour de la fontaine de Barenton dans la forêt de Brocéliande est probablement un reste de vieux cultes néolithiques, antérieurs au monde indo-européen.

Il confirme le lien d'Yvain avec la mythologie de la canicule puisque c'est la période au cours de laquelle les orages sont les plus dangereux. Mais la canicule est aussi la période zodiacale du Lion, signe emblématique d'Yvain.

Chevalier-lion

En posant d'emblée la figure du lion comme emblème de son héros Yvain, Chrétien de Troyes privilégie une figure symbolique riche de sens. Incarnant traditionnellement la bravoure, la fierté et la force, le lion résume bien les vertus que l'on s'accorde volontiers à reconnaître à Yvain. Compagnon d'armes du chevalier, le lion se confond avec lui au point que les deux êtres échangent leurs personnalités. D'une part, Yvain est comparé à un lion. D'autre part, le lion tient parfois le rôle d'Yvain. Il devient même un personnage à part entière, pourvu des mêmes réactions et sentiments qu'un humain, par exemple lorsqu'il tente de se suicider. Le lion d'Yvain est sans nul doute le premier modèle d'un personnage animal humanisé dans la littérature française : audacieuse tentative d'un écrivain inventif. Il faut relire les passages où apparaît le lion pour comprendre comment Chrétien a su humaniser cet animal a priori terrifiant.

Dans le roman, le lion est un animal guerrier qui s'apparente et se substitue à la figure plus archaïque de l'ours. Comme l'a montré Michel Pastoureau, spécialiste de l'héraldique, c'est vers le milieu du XIIè siècle que se produit une mutation importante dans l'histoire des symboles : l'ours qui est alors considéré comme le roi des animaux est remplacé par le lion. Le roman de Chrétien de Troyes se place donc au moment où l'ours tend à devenir lion sous l'influence de modèles antiques gréco-latins. Avant d'être un chevalier au lion, Yvain a sans doute été un chevalier à l'ours, à l'instar d'Arthur qui porte justement le nom celtique de l'ours (art). Rappelons en effet qu'en ancien français le nom du roi est Artu(s) et on n'aurait aucun mal à trouver des héros antiques qu'une relation archaïque au lion a pour ainsi dire portés vers un statut mythique. Le plus célèbre de ces héros est sans conteste Héraclès, toujours associé au lion qui rappelle l'un de ses exploits. Il revêt sur ses épaules en effet la peau du lion de Némée qu'il a tué dans un de ses célèbres travaux. À travers cette peau qui lui sert d'emblème, il s'est approprié la force mythique du lion. Il est devenu un homme-lion. Yvain est une sorte d'Héraclès celtique. Lui aussi accomplit des exploits sans toutefois tuer le lion qui va devenir son emblème. Au contraire, le lion deviendra son compagnon après avoir été sauvé de l'étreinte mortelle du serpent. Notons ici que, dans la langue médiévale, serpent désigne plutôt un dragon qu'un simple serpent (c'est bien ainsi que le représentent les miniaturistes du Moyen Âge). Son analogue serait plutôt la tarasque vaincue par sainte Marthe dont le nom rappelle celui de l'ours (art dans les langues celtiques) et dont la fête tombe le 29 juillet en pleine période caniculaire. Si le Chevalier au Lion tue le dragon en présence d'un lion, on peut assurément traduire cet épisode en termes de calendrier : Yvain est bien un héros de la canicule. Il accomplit son exploit lorsque le soleil est dans le signe du Lion et il tire de cet exploit son surnom. La mythologie chrétienne du Moyen Âge conserve dans le calendrier la mémoire du mythe celtique fondateur sur lequel est construit le roman de Chrétien. C'est ce que Nathalie Stalmans appelle avec raison les "affrontements des calendes d'été dans les légendes celtiques". Ce mythe se retrouve aussi bien dans les légendes hagiographiques que dans plusieurs récits hérités du monde celtique.

À suivre

Sur et autour de Carl Schmitt – Entretien avec Robert Steuckers

lundi 27 septembre 2021

Yvain ou le Chevalier au Lion 1/3

 Un roman mythologique

Du merveilleux au mythe, la distance n'est pas très grande d'autant que les deux domaines procèdent d'un même univers originel. Le Chevalier au lion est riche d'épisodes mythiques dans le sens le plus immédiat du mot. La mythologie peuple ses récits d'êtres monstrueux, de combats prodigieux contre des géants, d'exploits hors du commun réservés à des êtres d'élite. Yvain accomplit justement les épreuves héroïques classiques du héros parfait. Il affronte des adversaires multiples ou des personnages monstrueux avec une déconcertante énergie.

L'adversaire est unique lorsqu'il s'agit du géant Harpin de la Montagne, sombre brute sanguinaire et perverse. L'adversaire est double lorsqu'il s'agit des deux fils du netun, les invincibles champions du seigneur de la Pire Aventure. L'adversaire est triple enfin lorsqu'il s'agit des trois chevaliers félons qui ont injustement accusé Lunette d'un crime qu'elle n'a pas commis.

Ces exploits tirent leur caractère mythique de la nature même des adversaires affrontés. L'adversaire monstrueux ou triple est typique des mythes d'initiation à la guerre dans la mythologie indo-européenne. Le mythologue Georges Dumézil a montré l'importance du motif du combat contre trois adversaires. Il y voit un thème fondamental dans l'initiation guerrière du héros indo-européen. Dans le cas des netuns, les adversaires monstrueux ne sont que deux mais leur nature mythique est bien rappelée par leur nom : netun vient peut-être de Neptunum. Dans le sillage de ce nom, il faut placer les rites en l'honneur de Neptune (les Neptunalia dont parle Georges Dumézil) et qui concernent précisément les eaux dangereuses et caniculaires qui sont apparues au début du roman avec la furieuse tempête. Avec Harpin de la Montagne, réapparaît une figure classique de monstre mythique et prédateur : un géant dont le caractère ogresque est renforcé par le fait qu'il vient régulièrement chercher une pâture humaine pour satisfaire ses appétits pervers. On songe naturellement au Morholt de la légende tristanienne ou au Minotaure grec.

On notera que ces trois combats sont concentrés dans la deuxième partie de l'oeuvre. Lors de ces luttes, le chevalier est toujours assisté de son lion qui semble faire corps avec lui. De ce fait, Yvain et son lion ne font qu'un. Il s'agit de deux personnages en une seule et même figure : l'un est la métaphore de l'autre. Les miniatures médiévales n'auront aucun mal à déduire la nature héraldique de ce lion : Yvain est toujours représenté avec un écu au lion. Dans l'adaptation islandaise du Chevalier au Lion, le lion d'Yvain est qualifié de berserkr. C'est dire qu'il est un guerrier-fauve, un guerrier "à chemise d'ours", pour reprendre une expression classique de la littérature scandinave que traduit justement le terme berserkr. En fait, Yvain tient lui-même du guerrier-fauve, ce parfait animal de combat, comme le soulignent les métaphores du texte, mais la présence d'un lion à ses côtés vient humaniser et relativiser la violence de son comportement en reportant sur la bête la terrifiante force aveugle qu'il a su désormais maîtriser. L'épisode de la folie sauvage d'Yvain témoigne sans doute de l'état de fureur propre au guerrier-fauve. Les récits mythologiques représentent cette colère et cette fureur transfigurantes caractéristiques du héros indo-européen. Cette frénésie qui correspond réellement à la folie d'Yvain constitue une étape importante dans l'initiation guerrière du héros. Dans sa période de rage et de fureur, le futur héros se confond littéralement avec l'homme-fauve. Il échange sa nature contre celle d'un ours, d'un loup ou d'un chien dont il prend directement l'apparence.

À suivre

Le loup, symbolisme et traditions avec Christophe Levalois

Le Temple de Vénus Génitrice (Venus Genetrix)

  

Ex: https://www.romanoimpero.com/2019/09/templum-veneris-genetricis-26-settembre.html

La construction du temple de Venus Genetrix (Vénus Mère) avait été une promesse et un vœu de Jules César à Vénus lors de la bataille de Pharsale, livrée et gagnée en 48 avant J.-C. contre son adversaire Pompée le Grand.

 

Le terme "Genitrice" faisait allusion à l'ascendance mythique de César à travers Iulus (c'est-à-dire Ascanius), géniteur de la gens Iulia, et fils d'Énée, lui-même fils de la déesse Vénus. Mais la Déesse était aussi la génitrice de tout le monde vivant, animal et végétal.

César pensait d'abord dédier le temple à la "Venus Vincitrix", comme celui construit par son rival Pompée au sommet de son théâtre, mais il changea d'avis et opta pour la Genitrix. Le temple de la déesse fut ainsi construit et inauguré en 46 avant J.-C. sur la place du Forum de César, vers la montée menant au Capitole, dont il occupait toute l'extrémité nord-ouest.

Le temple, avec la magnifique place qui le précède, est l'un des rares bâtiments que César a réussi à inaugurer avant son assassinat.

Un passage de Suétone (70 - 122) rappelle comment un jour César a reçu le Sénat, ignorant toutes les normes de l'étiquette républicaine, assis au milieu du podium du temple, comme une divinité vivante. Mais l'anecdote n'est pas crédible, notamment parce que le Sénat ne se réunissait que dans des lieux consacrés à cet effet, généralement dans la Curie, qui se trouvait dans le forum romain.

Les cérémonies du Nouvel An du Sénat se déroulaient dans le temple de Jupiter Optimus Maximus, tandis que les réunions sur les questions de guerre avaient lieu dans le temple de Bellona.

Il n'est pas exclu que l'anecdote ait été compilée pour plaire à l'empereur Hadrien, sous lequel Suétone a servi, qui voulait que son gouvernement soit considéré comme meilleur que celui de ses prédécesseurs, et aimait donc les anecdotes défavorables sur les empereurs précédents.

 

 

VESTIGES DU TEMPLE DE VENUS GENETRIX - FORUM DE CÉSAR FAMIANO NARDINI

Templum Veneris Genetricis 

Comme l'ancien Forum devenait étroit et ne pouvait être agrandi sans provoquer grande ruine pour les temples et les bâtiments qui l'entouraient, César en construisit un autre à proximité et presque joint à celui-ci : "Non quidem rerum venalium", écrit Appien dans la deuxième des Guerres civiles, "sed ad lites aut negotia convenientium". 

Il raconte également que César y a fait construire un magnifique temple à Vénus Génitrice avec une célèbre image de cette déesse envoyée par Cléopâtre, à côté de laquelle se trouvait une effigie de Cléopâtre. Dans la 2e édition des Guerres civiles, ledit auteur écrit "Ad Dea latus effigiem Cleopatrae statuit quae hodieque juarta visitur". 

Auquel il a ajouté un somptueux Atrium, le déclarant Forum. L'Atrium, donc, a été ajouté au Temple et est la Basilique dans laquelle il a été tenu, qui, plus que la place devant elle, a été appelé le Forum. Il ne semble pas étrange que l'Atrium et la Basilique y soient une seule et même chose, puisque l'Atrium était une grande salle divisée par des colonnes, comme je l'ai déjà démontré, et que les anciennes Basiliques des Gentils n'avaient pas une forme différente de celle des premières Églises chrétiennes, comme le démontre Donati, avec l'exemple de Saint-Jean de Latran, Saint-Paul, Sainte-Marie-Majeure et d'autres, de sorte que, à partir des compartiments de nos anciennes Églises, nous pouvons nous rappeler la forme des Basiliques et des Forums des Gentils et conclure que les Atriums n'y étaient pas différents. 

Mais revenons pour parler du Forum de César dans son intégralité. De Dione il est dit dans lib 48 pulchrius romanus Suetonius, 26, de César: "Forum de manubiis inchoavit cujus area super II S millies constititit" et est confirmé par Pline, 15, lib 36. Son emplacement est dit être entre San Lorenzo in Miranda et le Temple de la Paix, mais comment cela peut-il être, si non seulement le Temple de la Paix, mais aussi San Lorenzo in Miranda et d'autres bâtiments plus proches que San Lorenzo du grand Forum et du Capitole appartenaient à la quatrième région, et le Forum de César est compté par Victor et Rufus, comme nous le lisons dans Anastase plusieurs fois. 

Au milieu du Forum, devant le temple de Vénus, se trouvait une statue équestre de César lui-même, en bronze doré, à l'effigie de son merveilleux cheval, qui, impatient d'avoir sur lui d'autres que César, avait les ongles taillés en forme de dents humaines. 

C'est ce qu'écrivent Suétone (61 César) et Pline dans le livre 42, 8. Ce cheval de bronze, sous la forme du Bucéphale d'Alexandre, œuvre de Lysippe, avait déjà été donné à Alexandre et ensuite transporté par César sur son Forum, où il fit d'abord ajuster les griffes à celles du sien, comme Donati nous l'apprend de ce qu'écrit Statius dans le premier des Selves, quand il parle du cheval de Domitien au v 84; "Cedat equus Latiae qui contra Templa Diones Caesarei stat sede Fori Quem tradere cs ausus Pellaeo Lysippe Duci mox Caesaris ora Aurata cervice tulit".

Devant le même temple de Vénus, Pline 4, livre 35, il y avait les superbes peintures d'Ajax et de Médée. Parmi les autres statues, dont il était orné, il y en avait une de César, armée d'un blason évoqué par d'autres, dont Pline 5, 34. Ayant dédié au même César un casque de perles britanniques et six bijoux. Pline écrit, livre 35,  et 1,37: "Il y avait une Colonne Rostrata de Quintilien, lib 1 c 7, et nous en donne connaissance; "Ut latinis veteribus D plurimis in verbis ultimam adjectam quod manifestum est etiam ex Columna rostrata qua est Julio better C Duellio in Foro posita". 

VENUS GENETRIX RECONSTRUCTIONS

Le temple fut endommagé par l'incendie du Capitole en 80 et dut être reconstruit sur les mêmes fondations sous le règne de Trajan (53-117), après la démolition de la sellette de la colline entre le Capitole et le Quirinal pour l'érection du Forum de Trajan, sellette sur la pente de laquelle se trouvait le temple.

Elle fut donc à nouveau consacrée, comme le rapportent les Fasti Ostiensi, le 12 mai 113, le jour même de l'inauguration de la colonne de Trajan. Le temple subit un nouvel incendie sous l'empereur Carinus (257-285) en 283, tandis que sous Dioclétien (244-313) il a dû être restauré, en incorporant les colonnes de la façade dans un mur de briques.

Il était ensuite relié par des arcs, toujours en maçonnerie recouverte de marbre, pour des raisons de stabilité, aux structures latérales de la Basilique Argentaria, le portique à piliers qui flanquait le temple de Vénus Génitrice.

Dans l'abside se trouvait la statue de Vénus Genetrix, œuvre du sculpteur néo-attique Arcesilaus. A l'intérieur du temple, de nombreuses œuvres d'art, connues en partie grâce aux sources :

    - statue de Vénus
    - statue de César
    - statue en bronze doré de Cléopâtre,
    - deux tableaux de Timomachus de Byzance (Médée et Ajax, que César a payé quatre-vingts talents),
    - six collections de pierres précieuses sculptées,
    - une cuirasse décorée de perles de Britannia.

Cette invocation a été gravée sur un mur à Pompéi :

"Je te salue, ô... nôtre. Sans cesse je vous prie, ô ma dame; par Vénus physique je vous implore de ne pas me rejeter. (Signature) Se souvenir de moi". 

Les amoureux ou ceux qui espéraient le devenir se tournaient vers Vénus pour gagner le cœur de quelqu'un, pour recevoir le don de la beauté ou pour être vif dans les relations sexuelles afin de plaire à leur partenaire. 

Ils priaient aussi pour retrouver un amour perdu, ou pour bien garder un amour présent.

"Parent de la lignée d'Énée, étoiles fluides du ciel tu rends populeuse la mer, car toute espèce d'être vivant naît de toi et, levé, contemple la lumière du soleil: toi, déesse, toi que les vents fuient, toi et ton industrieux avancement fait jaillir les fleurs, pour toi le ciel brille d'une clarté diffuse." 

(Lucretius, De Rerum Natura, Livre I).

LE FESTIN

Elle était célébrée le Saturni Dies, le jour de la cérémonie, ante diem VI Kalendas Octobres. Elle commençait tôt le matin par la lustration du temple par les prêtres flaminiens avec leurs accompagnateurs (camilli) qui les aidaient dans leur tâche.

Puis il y eut un sacrifice d'herbes odorantes et d'encens en l'honneur de Venus Genitrix avec des chants et des invocations, suivi de la reconstitution de Jules César, désormais déifié, sur la statue duquel on plaça des guirlandes de myrte, sacrées pour la déesse.

Puis la procession commence avec les prêtres, les jeunes filles enguirlandées qui chantent et répandent des pétales de rose, et enfin la statue de Vénus portée par les hommes, qui fait le tour des temples qui lui sont liés, comme Saturne, Mars et Mercure et aussi Cupidon, étant encore plus enguirlandée à l'entrée de chacun de ses temples, avant de retourner dans son propre temple.

Parfois, les adorateurs sur le chemin lui donnaient des écharpes ou des manteaux de soie qui étaient placés sur ses bras ou à ses pieds. Ou bien ils lui plaçaient des colliers autour du cou, des bracelets et même des bagues en or et en argent.

Aucun animal n'était sacrifié à la déesse, mais des branches de myrte, des roses et des pommes lui étaient offertes, et souvent, lors des processions, des colombes blanches étaient lâchées dans le ciel en son nom. À la maison, on organisait des banquets, on versait du vin et on préparait des friandises appelées milloi (en forme de vagin) avec des fruits secs et du miel.

Dans la nuit suivant le jour de la fête, les rapports sexuels pour avoir des enfants, pour renforcer l'amour, mais aussi la chance pour atteindre le succès, étaient de bon augure. La Déesse aimait ceux qui pratiquaient l'art de l'amour, comme elle-même ne cessait de le faire.

BIBLIOGRAPHIE :

- Giuseppe Lugli - Il restauro del tempio di Venere e Roma, in Pan - 1935 -
- Antonio Muñoz - Il tempio di Venere e Roma, in Capitolium - 1935 -
- Filippo Coarelli - Guida archeologica di Roma - Arnoldo Mondadori Editore - Verona - 1984 -
- Andrea Barattolo - Sulla decorazione delle celle del tempio di Venere e Roma all'epoca di Adriano - in Bullettino della Commissione Archeologica Comunale di Roma - 1974-75 -
- Alessandro Cassatella e Stefania Panella - Restituzione dell'impianto adrianeo del Tempio di Venere e Roma - in Archeologia Laziale - Consiglio Nazionale delle Ricerche - 1990 .

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/09/21/le-temple-de-venus-genitrice-venus-genetrix-6338986.html