La veille de Noël 1894, Jean Jaurès est expulsé de la Chambre des députés. On lui reproche des propos antisémites tenus à la tribune. Le parlementaire a en effet dénoncé « la bande cosmopolite », en se moquant des « foudres de Jéhovah maniées par M. Joseph Reinach ».
Joseph Reinach fait partie d'un groupe de juifs qui furent largement éclaboussés par le scandale financier de la Compagnie de Panama, au cours duquel son beau-père fut très compromis. Ancien secrétaire de Gambetta, Reinach était député des Basses-Alpes depuis 1893. Le journal La Petite République, qui fut l'un des premiers grands quotidiens socialistes et l'organe de liaison des divers groupes socialistes de l'époque, était animé par Jaurès, avec Alexandre Millerand, Viviani, Jules Guesde. Le journal avait surnommé Joseph Reinach "Youssouf" et le désignait comme un « Juif ignoble »... La Petite République s'intéressait beaucoup à « Rothschild, le tout-puissant milliardaire, ce roi de la République bourgeoise ». En 1895, le quotidien socialiste dénonce les « Juifs rapaces comme cette bande de Rothschild qui écrasent l'Europe entière de leur tyrannie et de leurs milliards (...) ces financiers cosmopolites ». La même année, évoquant le cas d'Isaïe Levaillant, ancien préfet et directeur de la Sûreté générale, démis brutalement de ses fonctions en raison d'une sombre affaire de prévarication et devenu un dirigeant du Consistoire central, le journal déplore la « formidable puissance malfaisante des juifs, en matière administrative et judiciaire ».
On comprend mieux, ainsi, l'affaire du 24 décembre 1894 et cet épisode, qui fait désordre aujourd'hui, au point que les thuriféraires de Jaurès oublient d'en parler (1), n'a pas de quoi surprendre ceux qui connaissent la carrière du tribun, mais aussi l'importance de l'antisémitisme au sein du socialisme français du XIXe siècle, depuis George Sand, Pierre Leroux (le juif est « odieux par son esprit de lucre et de spoliation »), Fourier, Toussenel (auteur de Les Juifs, rois de l'époque), Proudhon (qui parle de « cette race qui envenime tout, en se fourrant partout »), Blanqui.
Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le développement du mouvement ouvrier, du syndicalisme et du socialisme provoque une floraison d'organisations, de journaux et de revues.
Ainsi l'ouvrier teinturier Benoît Malon, un des fondateurs de la 1ère Internationale, réfugié en Suisse puis en Italie après la Commune, une fois revenu en France fonde la Revue socialiste. Ou y retrouve un point commun à ceux qui se réclament, d'une façon ou d'une autre, du socialisme : le parallèle entre les méfaits du capitalisme et l'influence des juifs.
Jaurès, qui n'est alors qu'un dirigeant socialiste parmi d'autres, s'inscrit dans ce paysage. Le 7 juin 1898, il écrit : « La race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la fièvre du prophétisme, manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d'extorsion. » Quand l'Affaire Dreyfus aboutit, dans un premier temps, à la condamnation de l'accusé, Jaurès estima que celui-ci avait échappé à la peine de mort grâce au « prodigieux déploiement de la puissance juive ». Mais, dans les derniers mois de 1898, Jaurès changea de cap et se rangea dans le camp des dreyfusards, en lui apportant un concours très actif.
Jaurès fut récompensé de cette évolution lorsqu'il fonda, en 1904, le quotidien L'Humanité auquel collaboraient entre autres René Viviani, Aristide Briand, Léon Blum, Tristan Bernard, Lucien Herr. Pour financer son journal, Jaurès eut l'appui du banquier Louis Dreyfus, de Lévy-Bruhl, de Salomon Reinach et d'autres membres de leur communauté. Emile Cahen s'en expliqua en 1906 dans Les Archives israélites : « Les grands services rendus à la cause de la justice et de la vérité par M. Jaurès lui ont créé des titres indiscutables à la reconnaissance de tous les Israélites français. Ce sont eux qui, en très grande partie, l'avaient, il faut bien le dire, aidé à fonder son journal. »
P V. RIVAROL
(1) Il n'en est ainsi pas question à la mairie (socialiste) du XVIIIe arrondissement de Paris qui organise justement une exposition à l'occasion du 150e anniversaire de la naissance de Jaurès, le 3 septembre 1859 (NDLR).
Joseph Reinach fait partie d'un groupe de juifs qui furent largement éclaboussés par le scandale financier de la Compagnie de Panama, au cours duquel son beau-père fut très compromis. Ancien secrétaire de Gambetta, Reinach était député des Basses-Alpes depuis 1893. Le journal La Petite République, qui fut l'un des premiers grands quotidiens socialistes et l'organe de liaison des divers groupes socialistes de l'époque, était animé par Jaurès, avec Alexandre Millerand, Viviani, Jules Guesde. Le journal avait surnommé Joseph Reinach "Youssouf" et le désignait comme un « Juif ignoble »... La Petite République s'intéressait beaucoup à « Rothschild, le tout-puissant milliardaire, ce roi de la République bourgeoise ». En 1895, le quotidien socialiste dénonce les « Juifs rapaces comme cette bande de Rothschild qui écrasent l'Europe entière de leur tyrannie et de leurs milliards (...) ces financiers cosmopolites ». La même année, évoquant le cas d'Isaïe Levaillant, ancien préfet et directeur de la Sûreté générale, démis brutalement de ses fonctions en raison d'une sombre affaire de prévarication et devenu un dirigeant du Consistoire central, le journal déplore la « formidable puissance malfaisante des juifs, en matière administrative et judiciaire ».
On comprend mieux, ainsi, l'affaire du 24 décembre 1894 et cet épisode, qui fait désordre aujourd'hui, au point que les thuriféraires de Jaurès oublient d'en parler (1), n'a pas de quoi surprendre ceux qui connaissent la carrière du tribun, mais aussi l'importance de l'antisémitisme au sein du socialisme français du XIXe siècle, depuis George Sand, Pierre Leroux (le juif est « odieux par son esprit de lucre et de spoliation »), Fourier, Toussenel (auteur de Les Juifs, rois de l'époque), Proudhon (qui parle de « cette race qui envenime tout, en se fourrant partout »), Blanqui.
Dans le dernier tiers du XIXe siècle, le développement du mouvement ouvrier, du syndicalisme et du socialisme provoque une floraison d'organisations, de journaux et de revues.
Ainsi l'ouvrier teinturier Benoît Malon, un des fondateurs de la 1ère Internationale, réfugié en Suisse puis en Italie après la Commune, une fois revenu en France fonde la Revue socialiste. Ou y retrouve un point commun à ceux qui se réclament, d'une façon ou d'une autre, du socialisme : le parallèle entre les méfaits du capitalisme et l'influence des juifs.
Jaurès, qui n'est alors qu'un dirigeant socialiste parmi d'autres, s'inscrit dans ce paysage. Le 7 juin 1898, il écrit : « La race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la fièvre du prophétisme, manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d'extorsion. » Quand l'Affaire Dreyfus aboutit, dans un premier temps, à la condamnation de l'accusé, Jaurès estima que celui-ci avait échappé à la peine de mort grâce au « prodigieux déploiement de la puissance juive ». Mais, dans les derniers mois de 1898, Jaurès changea de cap et se rangea dans le camp des dreyfusards, en lui apportant un concours très actif.
Jaurès fut récompensé de cette évolution lorsqu'il fonda, en 1904, le quotidien L'Humanité auquel collaboraient entre autres René Viviani, Aristide Briand, Léon Blum, Tristan Bernard, Lucien Herr. Pour financer son journal, Jaurès eut l'appui du banquier Louis Dreyfus, de Lévy-Bruhl, de Salomon Reinach et d'autres membres de leur communauté. Emile Cahen s'en expliqua en 1906 dans Les Archives israélites : « Les grands services rendus à la cause de la justice et de la vérité par M. Jaurès lui ont créé des titres indiscutables à la reconnaissance de tous les Israélites français. Ce sont eux qui, en très grande partie, l'avaient, il faut bien le dire, aidé à fonder son journal. »
P V. RIVAROL
(1) Il n'en est ainsi pas question à la mairie (socialiste) du XVIIIe arrondissement de Paris qui organise justement une exposition à l'occasion du 150e anniversaire de la naissance de Jaurès, le 3 septembre 1859 (NDLR).
1 commentaire:
Le Valls du 19 ème siècle !
Même à l'époque, il fallait déjà la fermer ?
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