dimanche 31 octobre 2010

 Les sales dossiers de l’UCK.

L’ex- Armée de libération est rattrapée par ses crimes de guerre.
Révélations sur les “héros” kosovars.

Ils s’appellent Ramush Haradinaj, Fatmir Limaj, Fahredin Gashi ou Azem Syla. Ces anciens responsables de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) ont occupé ou occupent encore d’importantes fonctions politiques, héritées après la dissolution de la guérilla. Héros nationaux pour les Kosovars, criminels de guerre pour les Serbes, ils jouissaient jusqu’à présent d’une totale impunité.
Selon le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), le conflit de 1998-1999 entre la Serbie et sa province du Kosovo, devenue un État indépendant en 2008, a fait autour de 10 000 morts chez les Kosovars, quelque 3 000 chez les civils et militaires serbes. D’après la Croix-Rouge, environ 1 800 personnes sont toujours portées disparues, dont un millier d’Albanais du Kosovo. Sur les neufs Serbes jugés par le TPIY pour leur rôle au Kosovo, un seul a été acquitté (l’ancien président Milan Milutinovic), alors que sur les six Kosovars accusés par le TPIY, pas moins de quatre ont été libérés, malgré les lourdes charges pesant sur eux.

« Des détachements de l’UCK lynchaient, enlevaient et massacraient aveuglément des Serbes et des gens d’autres origines, surtout des Roms, pour leur simple appartenance ethnique », rappelle Carla Del Ponte, ex-procureur général du TPIY. Elle évoque ses difficultés à prouver les crimes commis par les anciens guérilleros : « Les Albanais redoutaient tant l’UCK qu’ils refusaient de parler des atrocités qu’elle avait commises et même de prêter leur concours au Tribunal, de peur des représailles… Je pense que certains juges du Tribunal redoutaient d’être la cible des Albanais.»
La peur est peut-être en train de changer de camp. À la fin de juillet, le TPIY a surpris en ordonnant, pour la première fois, de rejuger l’ancien premier ministre kosovar Ramush Haradinaj et ses deux coaccusés, Idriz Balaj et son oncle Lahi Brahimaj, trois anciens combattants de l’UCK soupçonnés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Une peine de vingt-cinq ans de prison avait déjà été requise contre eux : les deux premiers furent acquittés en première instance le 3 avril 2008, et seul Lahi Brahimaj fut condamné à six ans de prison. « La chambre de première instance n’a pas pris les mesures suffisantes pour empêcher l’intimidation des témoins, qui a pu imprégner le procès, a expliqué le juge Patrick Robinson. Cette erreur a mis à mal l’équité du procès et a entraîné une erreur judiciaire.»

Âgé de 42 ans, leader du parti de l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK), Haradinaj a été premier ministre du Kosovo de décembre 2004 à mars 2005, date de son inculpation. Il était commandant de l’UCK dans la région ouest. Sous ses ordres, Balaj et Brahimaj dirigeaient les “Aigles noirs”, une unité spéciale chargée des sales besognes. Les trois hommes sont suspectés d’avoir enlevé, torturé et exécuté plus de 60 civils serbes et albanais entre mars et septembre 1998. Par Michel Arnaud
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Septembre 1792, le baptême sanglant de la République

Un mois après la chute de la monarchie, le massacre des prisonniers annonce déjà la Terreur.
Le dernier parti, qui est le plus sûr et le « plus sage, est de se porter en armes à l'Abbaye, d'en arracher les traîtres, particulièrement les officiers suisses et leurs complices, et de les passer au fil de l'épée. » Ces conseils sont prodigués par Jean-Paul Marat, le 19 août 1792.
Neuf jours plus tôt, le 10 août, une bonne partie des gardes suisses a déjà été égorgée lors de la prise des Tuileries, qui a décidé du sort de la monarchie. Le 17 a été institué un tribunal spécial chargé de juger les serviteurs de la royauté, mais les milieux jacobins trouvent que le travail va bien lentement et leurs feuilles appellent au meurtre.
La Commune insurrectionnelle de Paris s'impatiente elle aussi et demande que « justice » soit faite. L'ennemi, clame-t-elle, a passé les frontières ; laissera-t-on les traîtres qui conspirent contre la Révolution agir à leur guise aux arrières ? On dénonce un complot des prisons : les contre-révolutionnaires qui s'y trouvent enfermés se seraient alliés avec les condamnés de droit commun pour briser leurs fers, assassiner les familles des soldats absents et livrer Paris aux Prussiens.
Car les troupes du duc de Brunswick approchent. Longwy est tombé le 26 août et le bruit court ce 2 septembre que Verdun a aussi capitulé. On s'attend à voir paraître l'ennemi devant Paris, les barrières de la ville sont fermées, le conseil général de la Commune lance une proclamation martiale : « Aux armes, citoyens, aux armes ! L'ennemi est à nos portes », la générale bat, le tocsin sonne. À la législative, Danton tonitrue : « De l'audace, toujours de l'audace, encore de l'audace, et la France est sauvée ! » Dans cette atmosphère enfiévrée, les fédérés qui partent aux frontières adressent le 1er septembre à l'Assemblée législative une pétition demandant « que tous les prévenus de conspiration, et leurs agents, contre lesquels il n'y aurait que des suspicions probables, soient condamnés à mort et exécutés sur le champ.»
Le 2 septembre, en début d'après-midi, un groupe de 24 captifs, prêtres réfractaires pour la plupart, que des fédérés marseillais et des gardes nationaux conduisent à la prison de l' Abbaye, est massacré : cinq d'entre eux seulement échappent à la tuerie. Le même jour, aux Carmes, 115 autres prêtres réfractaires, dont les évêques de Saintes et de Beauvais, sont expédiés à coups de sabres et de piques.
Le carnage s'étend aux autres prisons parisiennes : on massacre, après un simulacre de jugement, à l'Abbaye, à la Conciergerie, à la Force …
En tout, du 2 au 5 septembre, à Paris, 1244 à 1411 personnes sont assassinées, soit 45 % à 51 % des prisonniers de la capitale. Les prêtres réfractaires, les Suisses et les serviteurs de la monarchie ne sont pas seuls frappés : 72 % des victimes sont des condamnés de droit commun. Le 3 septembre, à Saint-Firmin, on expédie des prêtres ; mais le lendemain, aux Bernardins, des galériens. À Bicêtre, on tue des enfants - « bien plus difficiles à achever que les hommes faits », précise un témoin ; et à la Salpêtrière, le 4 septembre, des jeunes filles en correction et des orphelines, les « justiciers » profitant de l'occasion pour en violer une trentaine. À la Conciergerie, une boutiquière du Palais-Royal condamnée pour avoir émasculé son amant, Marie Gredeler, est abominablement suppliciée… Les septembriseurs, commerçants, artisans ou volontaires partant aux armées, se rétribuent de leur « travail » sur les effets personnels de leurs victimes.
« Je me fous bien des prisonniers… »
Parmi les victimes figure Marie-Louise de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe, amie intime de la Reine. On lui demande de jurer « la liberté, l'égalité, la haine du Roi, de la Reine, de la royauté », elle répond : « Je jurerai facilement les deux premières ; je ne puis jurer la dernière, elle n'est pas dans mon cœur ». Ses bourreaux lui coupent la tête, arrachent le cœur et vont exhiber ces trophées au bout de piques sous les fenêtres du Temple, où est emprisonnée la famille royale. Marie-Antoinette s'évanouit. Les feuilles parisiennes incitent les patriotes des provinces à imiter les sans-culottes parisiens. Membre du comité de surveillance de la Commune, Marat, par une circulaire du 3 septembre, informe « ses frères de tous les départements qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple » et conseille « à la nation entière » d'adopter « ce moyen si nécessaire du salut public ». Les jours suivants, on tue donc à Reims, à Meaux, à Lyon (dont le maire, Vitet, empêche un autre carnage à Roanne).
À Versailles, le 9 septembre, sont immolés les « prisonniers d'Orléans », au nombre desquels se trouvent l'ancien ministre des Affaires étrangères, Claude-Antoine de Lessart et celui de la guerre, Charles d'Abancourt. Conduits d'Orléans à Versailles par une forte troupe envoyée par la Commune sous le commandement d'un aventurier, Fournier dit l'Américain, ces captifs devaient être jugés par la Haute-Cour nationale. En dépit des efforts héroïques déployés par le maire Richaud pour les sauver, 44 d'entre eux sur 53 sont massacrés. Leurs têtes coupées sont plantées sur les grilles du château, tandis que, ce « devoir » accompli, les tueurs se rendent à la maison d'arrêt de Versailles, où ils tuent encore une vingtaine de prisonniers de droit commun.
Qui porte la responsabilité de ces tueries ? À l'évidence, la Commune y a une part essentielle : bénéficiant du soutien des sections, elle fait plier l'Assemblée qui la craint. Par ailleurs, deux membres au moins du Conseil provisoire de la Législative y sont impliqués : le girondin Roland, ministre de l'Intérieur - dont la femme montera dans quelques mois sur l'échafaud en s'écriant : « Liberté, que de crimes on commet en ton nom » -; et Danton, ministre de la Justice, qui lance : « Je me fous bien des prisonniers, qu'ils deviennent ce qu'ils pourront ! ». Il déclarera un peu plus tard à Louis-Philippe d'Orléans, futur roi des Français : « Ces massacres de septembre sur lesquels vous délibérez avec tant de violence et de légèreté, voulez-vous savoir qui les a fait faire ?… C'est moi. » Il s'agissait, expliquera-t-il, de « mettre un flot de sang » entre les volontaires partant se battre et les émigrés.
À ce titre, les massacres de septembre peuvent être considérés comme l'acte de baptême de la République, proclamée le 21 du même mois. Un baptême de sang.
Hervé Bizien monde et vie. 20 septembre 2010

samedi 30 octobre 2010

Verlaine : Tableaux de Paris et d’ailleurs

Le XIXe siècle est celui des poètes maudits. La raison de cet ostracisme est simple, le triomphe du monde libéral, de la société bourgeoise qu’avait engendrés la Révolution refusant une place à ces inutiles que, jadis, nos Rois eussent pensionnés afin qu’ils puissent écrire et avoir du génie tout à loisir.
La compensation offerte à ces damnés de la plume était d’être beaux, souvent, aimés, presque toujours, et très conscients, en sus, de leur talent. Mais, à Paul Verlaine, la Fortune refusa tout cela. Il fut de ces poètes maudits qui sont également des hommes déchus.
Rien ne le prédisposait, en venant au monde, à embrasser cette carrière aventurée. Il naquit à Metz, au foyer d’un officier de carrière passablement dépourvu d’ambition et sans avenir, et d’une dame qui paraissait, tant ses espoirs avaient été déçus, devoir renoncer à la maternité. C’était en 1844 et Paul, enfant inattendu d’un couple vieillissant, devait rester fils unique. il fit, très jeune, une découverte douloureuse : à une stature de gringalet un peu ridicule, il ajoutait une de ces laideurs dont on n’ose même pas dire qu’elles sont intéressantes… Cette disgrâce physique allait pousser l’adolescent à tous les modes d’évasion possibles. Le premier, fort commun chez les ratés accomplis ou en puissance de l’époque, fut l’absinthe. Le poison vert devait conduire Verlaine à un alcoolisme précoce qui finirait par le tuer ; entretemps, il aurait fait fuir son épouse et transformé la vie de sa mère en un long et désespérant enfer quotidien…
En poésie, sa laideur s’estompe
Le second fut plus heureux : le jeune homme se mit à écrire. Or, lorsque Verlaine écrit, il devient un autre personnage, qui n’a guère de rapport avec la triste réalité, En poésie, sa laideur s’estompe et disparaît ; les belles le regardent tendrement et, rassuré, il en oublie son attirance inavouable pour l’homosexualité. Ainsi peut-il alors entamer cette carrière, chantée en mode mineur, où s’alignent, avec une exquise délicatesse, les tableautins précieux, doux et tristes qui font tout son art. Verlaine est un paysagiste de l’âme plutôt que d’une scène réelle. Son expression est suggestion. Il na pas le goût, ni le besoin, des grandes machineries pompeuses. Sous sa plume aux allures de pinceau maniéré et charmant, le lecteur, ravi, découvrira Paris embrassé d’un regard en deux mots, les Ardennes et les Flandres françaises et belges, ou des parcs intemporels d’une Ile-de-France enfuie, si tant est qu’elle ait jamais existé.
Ces jardins symboliques se rencontreront souvent dans la thématique verlainienne. Peut-être ne sont-ils pas la plus parfaite expression, mais ils en sont l’une des plus attachantes. Les uns, reflets exacts de l’âme angoissée, honteuse, coupable et insatisfaite du poète se complaisent en des automnes navrés. Les autres, fabriqués sur le modèle de Watteau et de la peinture du XVIIIe siècle, sont beaux, sereins, précieux et artificiels. La rencontre entre ces deux univers n’étant pas exclue, ainsi qu’en témoigne, au coeur des “Fêtes galantes”, l’élégance désespérée du “Colloque sentimental”. Ils ont un dénominateur commun : sous le maquillage, le bonheur n’est pas au rendez-vous…
“Ils n’ont pas l’air de croire à leur bonheur”
Les « masques et bergamasques / Jouant du luth, et dansant » sont « quasi tristes sous leurs déguisements fantasques ». « Ils n’ont pas l’air de croire a leur bonheur ». « Au calme clair de lune triste et beau, / Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres / Et sangloter d’extase les jets d’eau ». Dans “Les Ingénus” « Le soir tombait, un soir équivoque d’automne ». Ainsi avance-t-on, pas à pas, vers ce “Colloque sentimental”. « Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux formes ont tout à l’heure passé. / Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles / Et l’on entend à peine leurs paroles. / Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux spectres ont évoqué le passé. / Te souvient-il de notre extase ancienne ? / Pourquoi voulez-vous donc qu’il m’en souvienne ? » Vers qui sont l’indéniable écho, sous leur maniérisme, du célébrissime “Chanson d’automne” des “Poèmes saturniens” : « Les sanglots longs / Des violons / De l’automne ».
À l’instar de Baudelaire, Verlaine, visionnaire tenaillé de crainte, présage, derrière les plus belles apparences, l’écroulement final, la vieillesse et la mort.
Conjurer l’omniprésence de l’angoisse
Hors l’absinthe, de quels exorcismes dispose-t-il afin de conjurer cette omniprésence de l’angoisse qui lui gâte toute joie ?
Verlaine va tâter de l’amour, à la mode honnête et bourgeoise, en osant, nonobstant ses moeurs et ses goûts, demander la main d’une demoiselle à sortir d’un roman de la Comtesse de Ségur, Mathilde de Fleurville.
Il va alors écrire, certains de ses admirateurs diraient : il va commettre… “La Bonne chanson”, hymne naïf à la félicité conjugale. Hymne naïf mais non dénué de talent et d’intérêt, n’en déplaise aux grognons. L’inspiration n’est peut-être pas très renouvelée, depuis Ronsard, mais elle a fait ses preuves et ces « Mille cailles / Chantent, chantent dans le thym », ces alouettes, ces champs de blé mûr et sa Mie endormie encore appartiennent bel et bien à la meilleure veine poétique de notre littérature : celle qui exalte, en sus des amours campagnardes, l’opulence dorée de nos plaines.
Pourquoi davantage mépriser ces vers : « L’étang reflète, / Profond miroir, / La silhouette / Du saule noir / Où le vent pleure. » Veine classique et qui a fait ses preuves, dont l’imagerie est aussi celle de nos chansons folkloriques.
L’orage viendra des Ardennes, en 1871, sous les traits d’un adolescent de Charleville : Arthur Rimbaud. Pour lui, subjugué, Verlaine va tout quitter : Paris, Mathilde et l’enfant qu’elle attend… Partir en Angleterre… Lugubre retour du bâton : Paul, qui battait sa mère, est quotidiennement rossé par son cher Arthur… A bout de souffrance amoureuse et physique, Verlaine s’enfuit jusqu’en Belgique, menace, en l’air, de s’engager dans la guerre contre les partisans de Don Carlos en Espagne, ou, plus vraisemblablement, de se suicider.
Il supplie Mathilde de le rejoindre à Bruxelles. « De ses deux mains blanches », l’épouse délaissée déchire impitoyablement ce coeur qui, contrairement aux affirmations du propriétaire, s’est avisé de battre pour quelqu’un d’autre que sa femme. C’est Arthur qui arrive et recommence à agonir son compagnon d’insultes et de méchancetés.
En proie à un accès de folie meurtrière mêlé d’une jalousie féroce, Verlaine, qui a acheté un revolver, tire sur Rimbaud et, heureusement, le manque… Terrifié, Arthur dénonce son assassin potentiel à la police… Paul Verlaine est condamné à deux ans de prison. Si son incarcération sonne le glas de sa vie conjugale, elle ouvre devant l’homme et devant le poète une ère de rédemption qui laissera croire, un temps, que le pauvre Paul est sauvé. Il se convertit.
À l’inspiration religieuse, aux fresques historiques se superposent de claires images de nature ; celles, précisément, que lui ont dérobées les murs de sa cellule. « Elle voulut aller sur les flots de la mer / Et comme un vent bénin soufflait une embellie / Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie. » « Des oiseaux blancs volaient alentour mollement / Et des voiles au loin s’inclinaient toutes blanches. »
Il rêve au Grand Siècle
Il rêve au Grand Siècle, au soleil couchant sur Versailles et à ces beaux esprits d’alors qui « Le printemps venu, prenaient un soin charmant / D’aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses. » Dans une comparaison empruntée à Chateaubriand et au “Génie du christianisme”, Verlaine, dans “Sagesse”, met en parallèle la douleur païenne et la douleur chrétienne à leur paroxysme : les mères confrontées à la mort de leurs enfants. AÀl’Antiquité. le poète reprend les deux figures fameuses de la vieille Hécube, la reine de Troie qui a vu périr ses cinquante fils et ses cinquante filles, et de Niobé, l’audacieuse dont l’orgueil imprudent avait osé, la vouant ainsi au trépas, trouver sa propre progéniture plus belle que celle de Latone… Mais Hécube « court le long du rivage / Bavant vers le flot écumant / Hirsute, criarde, sauvage / La chienne littéralement. » Quant à Niobé, « elle meurt dans un geste fou », définitivement inhumaine. En contraste, Verlaine trouve le ton juste pour évoquer la Mater dolorosa incarnant, au coeur de son oeuvre de Corédemptrice, toute la peine sublimée de l’humanité rachetée. « La douleur chrétienne est immense. / Elle, comme le coeur humain / Elle souffre, puis elle pense / Et, calme, poursuit son chemin. / Elle est debout sur le calvaire / Pleine de larmes et sans cris ». Qu’importe, alors, que Paul Verlaine, dans les années qui suivirent, soit retombé dans ses vices ? qu’il soit mort misérablement, dans le galetas d’une prostituée qui avait fini par le recueillir ?
Une apologie sereine du catholicisme
Cet ivrogne halluciné, cette brute homosexuelle, avait, presque toute sa vie et dans presque toute son oeuvre, communié à l’inépuisable fond où puisèrent nos plus grands auteurs : cet univers gai et triste, bucolique, un rien artificiel ; mais aussi, mais surtout, cette apologie sereine du catholicisme, ces vêpres rustiques, ces Vierges en pleurs. C’est pourquoi résonne encore sur sa tombe cette invitation éperdue : « Agneau de Dieu, qui sauves les hommes / Agneau de Dieu qui nous comptes et nous nommes / Agneau de Dieu, vois, prends pitié de ce que nous sommes / Donne-nous la paix (…) »
par Anne Bernet Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 1 du 21 avril 1993

L’Apocalypse permanente : Napoléon et le 666

Le 666 ou nombre de la bête a toujours fait rêver les foules d’ésotéristes amateurs ou professionnels. On lui a associé toutes sortes de monstres divers et variés issus de l’histoire du monde, à terminer par Bush, Ben Laden ou même ce pauvre Bill Gates. En 2000, arguant du fait qu’en hébreu la lettre vav ou W vaut 6, j’avais même associé le nombre maudit au développement du réseau (WWW…) et ainsi écrit mon livre Internet la nouvelle voie initiatique, qui traitait des rapports complexes de la technologie et de la gnose ou de la cabale. Le 666, fait plus intéressant, a aussi été associé à la base 6 du code-barres que l’on voit sur tous les produits que nous consommons. À l’époque où cette information était parue, les sectes en faisaient leurs choux gras. Aujourd’hui tout le monde s’en fout ; il faut dire, et je le répète, que Da Vinci Code et le raseur Braun a liquidé l’intérêt des foules ou de ce qu’il en reste pour l’ésotérisme. L’avenir nous dira si c’est un bienfait ou non (au cas ou l’euro s’effondre et nous mène à la famine, il faudra se rappeler qu’il valait 6.66 francs ou presque…)
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Le fanatisme numérologique ne date pas d’hier. Mais je trouve dans Guerre et Paix de Tolstoï ces lignes étranges dont je fais profiter mes lecteurs. Nous sommes au début du tome 2. Tolstoï décrit les vaticinations intellectuelles de son fameux héros Pierre Bésoukhov, personnage témoin par excellence qui assiste aux temps prodigieux, qui nous changent des nôtres, de l’invasion de la Russie par Napoléon. Voici ce qu’il écrit de Pierre : « Il était lié par serment à la franc-maçonnerie qui prêchait la fin des guerres et la paix perpétuelle. »

Cette appartenance suppose bien sûr une bonne volonté issue des Lumières et de Kant, mais elle suppose aussi une volonté d’interpréter qui touche parfois à l’irrationnel. On sait par ailleurs que l’Évangile selon Saint Jean est le préféré des maçons et des initiés en tout genre. C’est ainsi que, ajoute Tolstoï non sans une certaine distance, « Pierre épiait partout avec impatience les signes avant-coureurs de cette catastrophe imminente. »
Saisi par l’ennui de la vie, Pierre cherche en effet un sens à sa vie, et il guette des signes. C’est alors que la Bible et surtout ses exégètes viennent à la rescousse.
« Un des frères maçons lui avait révélé la prophétie suivante se rapportant à Napoléon, extraite de l’Apocalypse de Saint Jean : au chapitre treize, verset dix-huit de l’Apocalypse, il est dit : “c’est ici la sagesse, que celui qui a l’intelligence compte le nombre de la Bête, car c’est un nombre d’homme et ce nombre est 666“. »
Bien entendu, de même que chaque époque guette son Apocalypse, chaque interprète guette son monstre. Avec Napoléon, Pierre se trouve servi ; et Tolstoï d’ajouter :
« Si l’on donne aux lettres de l’alphabet français la même valeur numérique qu’aux lettres de l’ancienne écriture hébraïque où les dix premières lettres représentent les unités et les autres les dizaines, on obtient le tableau suivant (suit le tableau).
Si on chiffre conformément à ce tableau les mots l’empereur Napoléon, il se trouve que la somme des nombres est égale à 666 et que Napoléon est donc la Bête prédite par l’Apocalypse ; de plus, en chiffrant de même les mots quarante-deux, c’est-à-dire la période assignée à la Bête pour proférer des paroles arrogantes et blasphématoires, on trouve encore une fois 666. Il en ressort que l’année 1812 marque la limite du pouvoir de Napoléon qui a eu cette année-là quarante-deux ans. »
Pierre tente ensuite la même opération avec le nom du tsar Alexandre, le sien propre, celui de la Russie ; « mais la somme des chiffres était supérieure ou inférieure à 666 ». Il parvient toutefois en élidant l’e d’un article à voir dans le groupe nominal l’russe Bézoukhov quelque chose qui s’en rapproche, comme s’il voulait donner à sa destinée une signification même méphitique qu’elle ne possède pas. La puissance de ces pages de Tolstoï est en tout cas valable pour toutes les époques, qu’elle concerne par cette volonté de deviner et dénoncer à tout prix les événements ou les personnages qui nous échappent.

vendredi 29 octobre 2010

MAI 1109 : Le drame de La Roche-Guyon

La Roche-Guyon est aujourd'hui une paisible commune des Yvelines. Mais aux XIe et XIIe siècles, le duc de Normandie, roi d'Angleterre, et le roi de France s'affrontaient sur son territoire…

« Au sommet d'un promontoire abrupt, dominant la rive du grand fleuve de Seine, se dresse un château, affreux et sans noblesse, appelé la Roche-Guyon », écrit Suger – celui que Louis VI le Gros (1108-1137) appelle « le vénérable abbé que nous admettions à nos conseils comme fidèle et familier ». La Roche-Guyon – arrondissement de Mantes, canton de Magny-en-Vexin – est aujourd'hui une paisible commune des Yvelines, presque à la limite de l'Eure. Mais aux XIe et XIIe siècles, son terroir faisait partie d'une région d'affrontements entre le duc de Normandie, roi d'Angleterre, et le roi de France.

Une forteresse à prendre

L'Epte constituait la frontière entre le Vexin normand, qui relevait du duc, et le Vexin français, qui appartenait au domaine royal. La forteresse de La Roche, assise entre les deux vallées de la Seine et de l'Epte, constituait une position militaire importante. Elle exposait le châtelain aux entreprises, aux exactions et aux tentatives de corruption des deux princes rivaux.

Il est probable que Guillaume le Conquérant s'assura son concours lorsqu'il envahit le Vexin français. Mais cette campagne fut courte, et après l'incendie de Mantes, il retourna à Rouen, où il mourut en 1087. Son fils Guillaume le Roux fit également valoir par les armes ses prétentions sur le Vexin français. « Robert, comte de Meulan, admit les Anglais dans ses forteresses, et leur ouvrit en Île de France un large accès », écrit Orderic Vital. « Il en fut de même pour Guyon de la Roche : avide de l'argent des Anglais, il leur livra les forteresses de La Roche et de Vétheuil », tandis qu'au contraire d'autres seigneurs du Vexin français demeuraient fidèles à leur roi. Or, voici qu'à Guyon succéda Guy, « un jeune homme doué d'un bon naturel, rompant avec la tradition de méchanceté de ses ancêtres », et bien décidé à « mener une vie d'honneur ».

Il avait une femme et des enfants, mais aussi un beau-frère, nommé Guillaume, Normand d'origine, « un félon sans pareil qui passe pour son familier et son ami intime ». Un dimanche, probablement en mai 1109, il se mêla aux premiers fidèles, les plus dévots, qui se rendaient à l'église contiguë à la résidence de Guy. Il était vêtu d'un haubert et d'une chape, et accompagné d'une poignée d'hommes de main.

Un meurtre à l'entrée de l'église

Durant quelque temps, il fit semblant de prier avec l'assistance. Lorsque Guy, presque souriant, entra dans l'église, Guillaume tira son épée, immédiatement imité par ses complices. Guy tomba, et à cette vue la châtelaine se déchira les joues de ses ongles, courut vers son mari et s'effondra sur lui, le couvrant entièrement de son corps. Et tandis qu'elle recevait des coups des meurtriers, elle les apostropha, selon Suger : « Quelle faute as-tu donc commise envers ces gens, ô mon très cher époux ? Est-ce que, beaux frères comme vous êtes, il n'y avait pas entre vous une indissoluble amitié ? Qu'est-ce que cette folie ? Vous êtes tous enragés ! »

En la saisissant par les cheveux,les meurtriers l'arrachèrent du corps de son mari, achèvent celui-ci, trouvèrent ses enfants et se défirent d'eux, « avec une méchanceté digne d'Hérode, en leur fracassant la tête contre le rocher ». Comme ils allaient et venaient, en proie à leur frénésie, la châtelaine, étendue sur le dos, se glissa « à la façon d'un serpent », autant que ses forces le lui permirent, jusqu'au corps mutilé de son mari, et l'étrint comme celui d'un vivant. Puis, comme le dit Suger en lui appliquant un vers de Lucain, Hec ait, et lasso jacuit deserta furore : elle parla, son délire, lassé, l'abandonna, elle resta gisante.

Guillaume examina la forteresse, dont il comptait se servir « pour imprimer la volonté de la crainte aux Français et aux Normands », et pour opérer des expéditions aux alentours. Il appela les habitants du pays, leur fit des promesses « pour le cas où il s'attacheraient à lui ». L'échec fut complet. Par ailleurs, les seigneurs du Vexin français, ayant appris le drame, se concertèrent, et rassemblèrent de toutes parts, chacun suivant son pouvoir, des chevaliers et des gens de pied : « Dans la crainte que le très puissant roi d'Angleterre Henri ne porte secours aux félons » raconte Suger, « ils se hâtent vers La Roche, postent sur la pente une foule de chevaliers et de gens de pied, pour que personne n'entre ni ne sorte, et, du côté des Normands, pour empêcher ces derniers d'apporter du secours, ils obstruent le chemin en y plaçant le gros de l'ost. Entre temps, ils envoient vers le roi Louis, lui font savoir le complot, et lui demandent ses recommandations à ce sujet. Usant du pouvoir attaché à la majesté royale, il prescrit en punition une mort très cruelle et très honteuse, et leur mande que, s'il le faut, il ira leur prêter assistance. »

Plusieurs jours s'écoulèrent. On négociait. Guillaume, afin de conserver le château, fit différentes promesses à « certains des plus nobles parmi les hommes du Vexin ». Ceux-ci les refusèrent. Guillaume finit par accepter d'abandonner le château, mais à condition qu'il lui fassent attribuer une terre, et qu'ils lui assurent la possibilité de s'y rendre en toute sécurité. « Un plus ou moins grand nombre de Français ayant confirmé par serment cet engagement », il accepta de les laisser entrer dans le château. Mais d'autres seigneurs du Vexin français, bien plus nombreux, s'indignaient de ce compromis.

Compromis et révolte

Le lendemain, lorsque ceux qui avaient accepté celui-ci et prêté serment entrèrent dans le château, d'autres les suivirent, fort mécontents. Ceux qui étaient restés à l'extérieur se mirent à crier, demandant, « avec des vociférations horribles », que ceux qui les avaient précédés jettent les traîtres dehors. Ils proclamèrent que s'ils ne le faisaient pas, ils seraient massacrés par eux-mêmes, comme « les traîtres ».

Ceux qui avaient conclu l'accord avec Guillaume résistèrent. Alors, tous ceux qui n'avaient rien juré, et qui étaient supérieurs en nombre, se précipitèrent sur eux, les frappèrent de leurs épées, impios pie trucidant, membris emutilant, alios dulcissime eviscerant, et quicquid crudelilus mitius reputantes in eos exaggerant, massacrent pieusement ces félons impies, mutilèrent aux uns les membres, éventrèrent avec délices les autres, bref épuisèrent sur eux tous les plus cruels supplices, tout en les réputant trop doux encore.

Vivants et morts furent jetés par les fenêtres ; hérissés d'innombrables flèches, pareils à des hérissons, ils demeurèrent en l'air, sur les pointes des lances. Le forfait de Guillaume est vengé : quod, quia vecors vivus fuerat, mortuus est excordatus, parce que, vivant, il a montré un coeur féroce, mort, on lui ôte le coeur. « On le lui arrache des entrailles, et, tout gonflé par la fourberie et l'iniquité, il est placé sur un pieu, qu'on laisse planté au même endroit pendant plusieurs jours. Quant à son cadavre et à ceux de quelques-uns de ses compagnons, on les plaça, liés avec des cordes et des herses, sur des claies arrangées exprès, et on les laissa descendre tout le long du cours de la Seine ; de la forte, si, par hasard, rien ne les empêchait de flotter jusqu'à Rouen, ils y devaient faire bien voir le châtiment infligé à leur félonie, et ceux qui avaient momentanément souillé la France de leur infection ne devaient pas cesser, une fois morts, de souiller la Normandie, leur pays natal », conclut Suger.

René Pillorget L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 4 au 17 mars 2010

✓ Suger : Vie de Louis le Gros ; traduction de Henri Waquet, Paris, Honoré Champion, 1929, 332 pages.

✓ Émile Rousse : La Roche-Guyon, châtelains, château et bourg (Paris, Hachette, 1892, 495 pages.

mercredi 27 octobre 2010

L'histoire de Enigma

C'est à la fin de la première guerre mondiale qu'est apparue la nécessité de crypter les messages (bien que les techniques de chiffrement existaient déjàdepuis fort longtemps).
C'est un Hollandais résidant en Allemagne, le Dr Arthur Scherbius qui mit au point à des fin commerciales la machine Enigma, servant à encoder des messages.
Le modèle A de la machine (Chieffrienmaschinen Aktien Gesellschaft) fût présentée en 1923 au Congrès Postal International de Bern. Le prix de cette machine à l'époque (équivalent à 30 000 euros aujourd'hui) en fit un échec cuisant. Mais l'idée fit son chemin et la marine de guerre allemande reprit le projet en 1925 et en confia son évolution au service de chiffrement (Chiffrierstelle) du ministère de la guerre allemand. Le modèle Enigma M3 fût finalement adopté par la Wehrmacht (armée Allemande) le 12 janvier 1937.
Ce que les Allemands ignoraient, c'est que les services de contre-espionnage français et Polonais travaillaient également depuis 1930 sur une méthode de déchiffrement. Le Commandant Gustave Bertrand des services secrets français, recruta pour cela Hans Thilo Schmidt (dont le nom de code était Asche), qui travaillait à l'époque pour le Chiffrierstelle.
Lorsque la seconde guerre mondiale éclata en 1939, les alliés savaient décrypter les messages d'Enigma. Le 24 juillet 1939, Marian Rejewski ( responsable du Biuro Szyfrow - service européen le plus avancé dans les recherches sur le chiffrement allemand ) remit un modèle de la machine Enigma au Commandant Bertrand et à Alistair Denniston, chef du service de déchiffrement de l'Intelligence Service (IS) britannique.
La guerre s'est ensuite intensifiée et la cadence de déchiffrement augmenta. Ainsi, entre les mois d'octobre et juin 1939, plus de 4000 messages chiffrés furent décodés par les services secrets français. Ces opérations portaient désormais un nom : Opération Z pour les français et Code Ultra (pour Ultra Secret) pour les Anglais.
En Août 1939 les Anglais installèrent à Bletchley Park (80 km de Londres) les services du Code et du Chiffre. Ce n'étaient pas moins de 12000 scientifiques et mathématiciens Anglais, Polonais et français qui travaillaient à casser le code d'Enigma. Parmi ces mathématiciens, on retrouve l'un des inventeurs de l'informatique moderne : Alan Turing, qui dirigeait tous ces travaux.
Les messages décryptés à Bletchley Park arrivaient par tapis roulant à la Huts 6, puis, au poste pour être traduits (2 postes par équipe) :
  • un pour les messages en retard
  • un pour le matériel urgent
Les messages traduits de la Luftwaffe étaient transmis aux 3A et ceux de l'armée aux 3M (A= aviation; M= militaire). On attribuait ensuite des Z en fonction de l'importance des messages (1Z: peu important; 5Z: extrêmement urgent). Les renseignements étaient résumés et envoyés en 3 exemplaires :
  • un au SIS de Broadway ;
  • un au service de ministère approprié ou à Withehall ;
  • un au général concerné sur le terrain.
Les Anglais réussirent ainsi à déchiffrer ces messages codés. Seulement, la Kriegsmarine ( Marine de guerre Allemande), utilisant des mesures de cryptage différentes, le déchiffrement s'avèra plus difficile. La capture sur le U-110 d'une Enigma et surtout de ses instructions permit une avancée importante. Ceci permettant de connaître les positions de sous-marins et de réduire le tonnage coulé par les U-Boot (Cf : Le film U-571).
Le 1er février 1942, le modèle Enigma M4 fut mis en service. Pendant onze mois, les alliés ne réussirent pas à décrypter ces messages.
Durant toute la guerre, plus de 18 000 messages par jours furent décryptés, et permirent aux forces de l'alliance de connaître les intentions de l'Allemagne. Le dernier message chiffré fut trouvé en Norvège, signé par l'Amiral Doenitz : « Le Führer est mort. Le combat continue ». Les Allemands ne se sont jamais doutés que leur précieuse machine pouvait être décryptée.
Source : Mémorial de Caen : http://www.memorial-caen.fr/

Le fonctionnement de Enigma

Enigma possédait un fonctionnement particulièrement simple : l'objet était équipé d'un clavier pour la saisie du message, de différentes roues pour le codage, et enfin d'un tableau lumineux pour le résultat.
A chaque pression d'une touche du clavier, une lettre du panneau lumineux s'illuminait. Il y avait ainsi 3 roues de codage, appelées « Brouilleur Rotor », qui reliaient le clavier au panneau lumineux.
Par exemple, avec un seul rotor, lorsque l'on appuie sur B le courant passe par le rotor et allume A sur le panneau lumineux :
roue de codage de Enigma
Pour complexifier la machine, à chaque pression sur une touche, le rotor tourne d'un cran. Après la première pression on obtient donc :
roue de codage de Enigma décalée d\'un cran
Suivant les modèles ( M3 ou M4), le système était muni de 3 ou 4 rotors. Les deuxième et troisième rotors avançaient d'un cran quand le précédent faisait un tour complet. Il y avait aussi un tableau de connexion qui mélangeait les lettres de l'alphabet et un réflecteur qui faisait repasser le courant dans les rotors avant l'affichage.
/------>>----------------|
B b------->------/\ | |-->>---|
C c | |---->>-----| |
D d | |
E e |------<-------- span=""> |---<---------------- span="">
F f |---<--- span=""> |--->>---|
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
-->
Au final, pour des machines Enigma équipées pour 26 lettres, il y avait 17 576 combinaisons (26 x 26 x 26) liées à l'orientation de chacun des trois rotors, 6 combinaisons possibles liées à l'ordre dans lequel sont disposés les rotors, soient 100 391 791 500 branchements possibles quand on relie les six paires de lettres dans le tableau de connexions : 12 lettres choisies parmi 26 (26! /(12!14!)), puis 6 lettres parmi 12 (12!/6!), et puisque certaines paires sont équivalents (A/D et D/A), il s'agit de diviser par 26.
Les machines Enigma peuvent donc chiffrer un texte selon 1016 (17 576 * 6 * 100 391 791 500) combinaisons différentes !

Cassage du code d'Enigma

Les Polonais inventèrent « la Bombe » (rebaptisée plus tard « Ultra ») qui permettait de connaître les réglages Enigma. Seulement, à partir de 1938, c'est l'opérateur lui-même qui établissait le réglage. Pour remédier à ce problème, les polonais trouvèrent la solution: chaque message contenait soit une répétition de mots soit des mots récurrents (appelés « femelles »).
Ceci était un indice quant au noyau (réglage de base des rotors). Pour découvrir ce réglage, les Polonais utilisaient ensuite la « Grille » (cartes perforées correspondant à toutes les permutations du noyau). Ces cartes étaient empilées les unes sur les autres par rapport à la position des « femelles ».
Ensuite, il s'agissait de chercher le point où une série de perforations se recouvrait du haut en bas de la pile.
Article écrit par Jean-François PILLOU et Sébastien DELSIRIE

mardi 26 octobre 2010

Voltaire sans la légende

Voltaire, l'écrivain engagé, le militant des Lumières, le symbole européen du Parti philosophique nous laisse un message caché, heureusement décrypté par Xavier Martin. On pourrait le transcrire ici en clair : Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais...

Xavier Martin, spécialiste mondialement reconnu de l'histoire du Code civil et qui a consacré un grand livre au sujet, à l'occasion du deuxième centenaire de la rédaction de notre grande charte juridique, est à la fois historien du droit et historien des idées. Sa spécialité ? La pensée du XVIIIe siècle. Après Nature et Révolution française, après L'homme des droits de l'homme et sa compagne, voici, plus concret peut-être, plus immédiatement vérifiable, un détonnant Voltaire méconnu.

Avec Voltaire, un Français est forcément un peu dans la légende dorée. Ne parle-t-on pas du siècle de Voltaire ? Ne donne-t-on pas en exemple jusqu'aujourd'hui son engagement de publiciste, face aux étroitesses des juristes de son temps, que ce soit dans l'affaire Calas (Jean, protestant, payant la mort de son fils Marc-Antoine qu'il aurait empêché de se convertir au catholicisme) ou dans le procès du Chevalier de La Barre, condamné au supplice pour blasphème au Saint Sacrement, parce qu'il aurait refusé de se découvrir lors d'une Procession religieuse ? Est-ce le syndrome de l'Affaire Dreyfus ? Le cocktail politico-religieux est au rendez-vous. Il va contribuer à une véritable héroïsation de Voltaire. Ainsi Michelet écrit-il un siècle plus tard : « Voltaire est celui qui souffre, celui qui a pris sur lui toutes les douleurs des hommes, qui ressent, poursuit toute iniquité. Tout ce que le fanatisme et la tyrannie ont jamais fait de mal au monde, c'est à Voltaire qu'ils l'ont fait ».

Le Patriarche de Ferney aurait sans doute bien ri de ce portrait de lui en héros chrétien, prenant sur ses épaules tout le mal du monde. Mais les universitaires d'aujourd'hui (en l'occurrence ici Raymond Trousson, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, qui cite ce texte avec admiration), continuent à prendre (et à faire prendre) pour argent comptant la légende dorée, imaginée par Michelet.

C'est une tout autre image que nous donne Xavier Martin, dans son Voltaire méconnu. On ne se fatigue pas de relire avec lui les correspondances de l'époque, où notre héros, en toute occasion, laisse percer son mépris du genre humain, sa détestation des Français (qu'il nomme les Welches, sans doute parce qu'ainsi il les traite de Belges), son horreur pour les Arabes en général (Gare aux odeurs, dirait Chirac qui le citait sans le savoir !), et son obsession antisémite, qui nécessite aujourd'hui une édition expurgée de son fameux Dictionnaire philosophique... Ce n'est pas tout! Ce grand défenseur des droits de l'homme a été capable à plusieurs reprises de réclamer au Roi des lettres de cachet pour embastiller ceux qui avaient eu le malheur de le critiquer et qu'il voulait ainsi bannir de la Littérature elle-même. Contrairement à une idée reçue, le patriarche de Ferney n'est pas un contempteur de la Monarchie, il pose au contraire en ardent thuriféraire. Les pensions qu'il perçoit du pouvoir et les faveurs qu'il reçoit du ministre Malesherbes (futur avocat de Louis XVI) valent bien l'encens qu'il brûle ostensiblement en l'honneur du siècle de Louis XIV ... Quant à sa "philosophie", elle se situe à peu près au niveau de celle de Madame Michu, répétant sentencieusement : « Il n' y a pas de mal à se faire du bien ». C'est ce que Michel Onfray appelle aujourd'hui un art de jouir. De l'art ou du cochon ? Avec Voltaire, c'est selon...

Joël Prieur Minute du 6 décembre 2006

Xavier Martin, Voltaire méconnu, éd. DMM, sept. 2006, 252 pp, 30,00 euros port compris.
Sur commande à : Minute 15 rue d'Estrées, 75007 Paris.

L’écologie sociale de La Tour du Pin

La Tour du Pin … Sous ce nom à tiroirs se cache l'un des plus profonds penseurs de la question sociale en France à la fin du XIXe et au début du XXe siècles. Antoine Murat a passé sa vie dans la fréquentation des écrits du marquis. Après plusieurs monographies, il nous offre une synthèse inédite sur la Tour du Pin et son temps.

Charles-Imbert-René de La Tour du Pin (1834-1924) est l'une des principales figures de l'esprit social chrétien. Alors que la lutte faisait rage, aux plus hautes instances, entre un libéralisme sans entrailles, qui se présentait comme l'héritier légitime de la Révolution française, et un socialisme revendicateur, prêt à organiser ici et maintenant la nouvelle fête révolutionnaire, La Tour du Pin était habité, lui, par la conviction que c'est le christianisme qui détient la clef de la question sociale. Cette conviction, il la voulait non pas idéologique mais avant tout pragmatique. Recueillant les leçons que Frédéric Le Play avait administrées à l'Empire finissant, La Tour du Pin s'est voulu d'abord observateur empirique de la réalité sociale. Loin de l'entraîner à la culture de je ne sais quelles idées généreuses, détachées du réel, sa foi avait donné à l'officier supérieur qu'il était un goût inné pour l'observation des faits sociaux. Inconvénient de cette méthode : bien des textes de La Tour du Pin portent la marque des circonstances qui les ont fait naître. On peut s'ennuyer à compulser ces études que lui-même a voulu appeler des « jalons » vers un ordre social chrétien. Il faut remettre ces observations dans leur contexte et brosser le portrait de la Tour du Pin en son temps, sous peine de n'y rien comprendre.

L'homme : une chose, une bête ou un frère ?

Antoine Murat excelle à restituer, en toile de fond de la doctrine qu'il expose, l'époque qui l'a vu naître. Première scène, à Frohsdorf, lieu d'exil : le jeune officier, attaché militaire français en Autriche, petit-fils du dernier ministre de la guerre de Louis XVI, rend visite à Henri V, petit neveu de Louis XVI. La pensée sociale du comte de Chambord doit beaucoup à la Tour du Pin.

Deuxième scène : la guerre de 1870. Cette fois, c'est, à Rezonville, le courage du soldat, ramassant un étendard dont personne n'ose plus se charger qui émeut le lecteur. Troisième scène : le mariage. À 58 ans, le marquis épouse la dame de ses pensées, sa cousine germaine enfin devenue veuve. Chevaleresque tout cela ? En diable.

Au-delà des principes éternels de ce que l'on a pu appeler la politique naturelle, au-delà des vertus traditionnelles qui sont celles de sa race, pétries de christianisme, ce sont les faits qui importent à La Tour du Pin pour construire une théorie. Certes, la civilisation chrétienne a existé. La question est de savoir comment elle doit se manifester de nouveau : « Il y a trois écoles irréductibles en philosophie sociale : celle où l'on considère l'homme comme une chose ; celle où on le considère comme une bête et celle où on le considère comme un frère. »

II serait trop long de considérer les exemples que notre auteur ne manque pas de donner à l'appui de son assertion. À propos des premiers - les libéraux - parmi lesquels, il faut le souligner, de nombreux catholiques bien en cour, il conclut : « Ceux-là ne conçoivent comme principes de la vie économique que les transformations de la lutte pour la vie qui sont la loi de la matière organique. » « Les autres - ce sont les socialistes - ni songent qu'à la conservation et au bien-être de l'espèce, ce qui est la tendance de l'animalité. » La perspective de La Tour du Pin se trouve dans une troisième voie, résolument anti-individualiste : « Quant à nous, nous concevons l'humanité vivant à l'état organique de corps social, dont toutes les parties sont solidaires, se prêtant par conséquent assistance entre elles, parce que c'est leur loi de vie naturelle aussi bien que morale. »

Cette troisième voie est la plus évidente. Elle demeure introuvable pourtant depuis un siècle et demi. Mais à force d'avoir le dernier mot, l'Attila libéral va finir par constater que l'herbe n'a pas repoussé sur son passage. Viendra alors peut-être le temps d'une véritable écologie sociale, celle dont la Tour du Pin et Charles Maurras après lui ont rappelé les principes. Celle qu'il faudra mettre en œuvre sans idées préconçues, pour la survie morale de l'humanité.

Joël Prieur Minute du 25 juin 2009
Antoine Murat, La Tour du Pin et son temps, Via romana, 388 pp., 34 euros port compris. Sur commande à : Minute, 15 rue d'Estrées, 75007 Paris.

lundi 25 octobre 2010

Le peuplement et l’Histoire de l’Europe

Située à l'extrémité occidentale de l'immense Eurasie, l'Europe bénéficie d'un climat tempéré et de côtes ciselées, favorables au cabotage des navires et aux échanges. Ces facteurs ont très tôt favorisé son peuplement.

Nous conservons de la préhistoire les belles peintures rupestres de Lascaux (France) ou encore Altamira (Espagne), vieilles de 18.000 ans environ. Certains linguistes voient aussi dans la langue basque une réminiscence des cultures paléolithiques de l'Europe.

Il n'empêche que le continent a été pour l'essentiel peuplé au IIe millénaire avant JC par plusieurs vagues d'immigration indo-européennes (à l'époque où arrivaient en Europe ces tribus plus ou moins sauvages, en Mésopotamie prospérait la cité de Babylone !).

Immigrations indo-européennes

Les tribus indo-européennes se sont répandues en Europe, en Iran et dans le sous-continent indien à partir des vastes plaines de l'actuelle Russie. En groupes clairsemés, elles ont peuplé les clairières de la péninsule européenne. On vit ainsi apparaître en Europe les Celtes, puis les Germains, les Latins, les Grecs, les Scythes… Beaucoup plus tard, au VIe siècle après JC, vinrent les Slaves.

Au cours du 1er millénaire avant JC, la civilisation urbaine pénètre en Europe par le biais des marchands et des colons venus de Grèce ou encore de Phénicie et de Carthage.

Unité méditerranéenne

Après son «baptême», l'Europe reste encore longtemps un concept vide de sens car c'est autour de la Méditerranée que Rome fait, dans un premier temps, l'unité de l'Occident. Au nord, les légions romaines ne dépassent guère le Rhin et le Danube, laissant dans l'ombre la moitié de l'Europe (aujourd'hui occupée par des États de culture germanique ou slave). À l'est, les légions atteignent l'Euphrate et les marges de l'Arabie. Au sud, elles sont arrêtées par le Sahara et les cataractes du Nil.

Rome atteint son apogée au IIe siècle de notre ère. Son empire recense cinquante millions d'habitants, soit autant que l'empire chinois de la même époque, tandis que la Terre dans son ensemble en compte environ 250 millions… Aujourd'hui, soit 2000 ans plus tard, l'Europe et le monde méditerranéen représentent presque un milliard d'hommes et la Chine, 1,4 milliard.

Après l'assassinat de l'empereur Commode, en l'an 192, les symptômes de crise se multiplient dans l'empire romain. Les campagnes se dépeuplent du fait d'une dénatalité déjà ancienne. Aux marges de l'empire, on recrute des Barbares pour combler les effectifs des légions et remettre les terres en culture.

L'industrie s'étiole par manque de débouchés. L'État tente de réagir par des réglementations tatillonnes qui ne font qu'aggraver les maux de la société. Aux frontières, les Barbares se font menaçants : Maures en Afrique du nord, Germains sur le Rhin et le Danube, Parthes en Orient. Au Ve siècle, des Germains pénètrent avec armes et bagages à l'intérieur de l'empire et s'établissent où ils le peuvent…

Leurs effectifs ne sont pas élevés. Tout compris, ces envahisseurs qui ont défait l'empire romain représentent 5 à 10% de sa population. Mais provinces et pays conservent encore le souvenir de leurs invasions : l'Andalousie, qui vit passer des Vandales, la Bourgogne, occupée par des Burgondes… Le nom de l'Allemagne rappelle celui des Alamans… et celui de la France, les Francs.

Les deux siècles qui suivent sont marqués par l'arrivée de nouvelles tribus germaniques, les Lombards. Des Slaves s'installent enfin au centre du continent, jusque sur l'Elbe. Ils repeuplent la péninsule grecque et adoptent la langue des derniers descendants de Périclès et Eschyle. En marge du peuplement indo-européen, quelques tribus de type mongoloïde s'installent au bord de la Baltique et dans le bassin du Danube. Le hongrois, le finnois et l'estonien en portent témoignage.

Au VIIe siècle, l'ouest et le nord du continent sont en plein chaos. Encore mal converties au christianisme, les populations survivent avec peine. La fusion entre Romains et Barbares s'opère lentement.

Formation d'une chrétienté occidentale

Un événement majeur survient avec l'irruption des Arabes sur les franges méridionales de l'Europe. Elle met fin à l'unité du monde antique. La mer Méditerranée n'est plus un trait d'union mais une frontière. Autour de l'an 800, avec Charlemagne, le centre de gravité de la chrétienté occidentale s'établit à Aix-la-Chapelle, en Rhénanie. D'ultimes invasions sont repoussées. Ainsi celles des Vikings, des Sarrasins et des Hongrois.

Nomades apparentés aux Mongols, les Turcs subjuguent l'empire arabe de Bagdad et, peu après l'An Mil, menacent l'empire chrétien de Byzance. Dans un élan où se mêlent la foi et l'esprit d'aventure, les guerriers d'Occident répondent en masse à l'appel du pape et leur croisade, en arrêtant les Turcs, offre un sursis inespéré de plusieurs siècles à l'empire byzantin.

À partir de l'An Mil, l'Europe occidentale ne va plus connaître de nouvelle invasion. Cette circonstance bénéfique va permettre à la chrétienté occidentale de s'épanouir sous l'égide d'un clergé actif, à la fois missionnaire, défricheur et érudit.

À la fin du XIIe siècle, il ne reste presque plus rien des clivages entre anciennes tribus. Ainsi en Angleterre s'efface la distinction entre Angles, Saxons, Normands… Dans l'ancienne Gaule, les rois capétiens réussissent l'exploit improbable de donner une conscience nationale à des populations que tout semble opposer : Picards, Normands, Languedociens, Champenois, Flamands, Bretons, Provençaux…

Par-dessus les nations en gestation, la papauté maintient et cultive un sentiment profond d'unité. Cette unité se reflète dans l'art gothique comme dans la pensée. D'ailleurs, les Européens du Moyen-Âge se conçoivent comme appartenant tout simplement à «la chrétienté».

Une conscience européenne tardive

Le mot Europe ne prend place dans le vocabulaire qu'au XVe siècle. Il s'impose sous la Renaissance, après la Réforme de Martin Luther qui met fin à l'unité religieuse de l'Occident. Mais la conscience d'une unité de civilisation se maintient à travers la lutte contre les Turcs ottomans qui ont définitivement abattu l'empire byzantin et exercent une pression constante sur l'Europe des Balkans et du Danube.

Avec la découverte d'un Nouveau Monde par Christophe Colomb, l'Europe occidentale élargit son horizon. L'Europe orientale, de la même façon, regarde vers les immensités sibériennes. Les Européens commencent à émigrer, qui vers les Amériques, qui vers la Sibérie.

À l'intérieur du continent, l'instabilité est reine. Les empires se font et se défont. Les populations migrent à l'occasion des conflits. L'Alsace, ravagée par la guerre de Trente Ans est repeuplée par des populations voisines. Il en est de même pour le Palatinat, dévasté par les armées de Louis XIV.

Au XIXe siècle, l'amélioration de l'hygiène entraîne une forte baisse de la mortalité et une croissance rapide de la population. Les régions déshéritées connaissent une émigration massive vers les nouvelles Europes (Amériques, Océanie, Afrique du sud…).

Changement du tout au tout à la veille de la Première Guerre mondiale, dans une Europe plus puissante et plus peuplée que jamais. La natalité fléchit et la croissance démographique se ralentit.

La France, épuisée par les guerres de la Révolution, a une longueur d'avance en ce domaine. Dès le milieu du XIXe siècle, sa population est en voie de stagnation. Des immigrants commencent à affluer des régions surpeuplées qui l'entourent (Borinage belge, Vénétie, Pologne…). Ils vont travailler dans les mines ou remettent en culture les terres abandonnées du Sud-Ouest.

Quand éclate la Première Guerre mondiale, Charles Mangin, un général rescapé des colonies, préconise l'emploi de troupes d'outre-mer (la «Force noire»). Il y voit un moyen de suppléer l'infériorité numérique des Français face aux Allemands. Le gouvernement français fait venir également de la main-d'oeuvre d'Indochine ou de Chine pour remplacer dans les usines les ouvriers envoyés aux tranchées.

Pour la première fois en mille ans d'Histoire, l'Europe accueille des populations venues d'ailleurs. Une nouvelle ère ?

André Larané. http://www.herodote.net

1630 : Louis XIII cornélien

L'animosité était arrivée à son comble entre la reine-mère, Marie de Médicis, et le cardinal de Richelieu. Le roi trancha en la faveur de celui-ci, contre le parti protestant, l'orgueil des Grands et la puissance des Habsbourg.
Cette année-là, la vingtième de son règne, Louis XIII, vingt-neuf ans, dut résoudre un grave affrontement entre la reine-mère Marie de Médicis, cinquante-cinq ans, veuve d'Henri IV, et Armand Jean du Plessis, cardinal et duc de Richelieu, quarante-cinq ans, principal ministre de la couronne.
Une femme intrigante et peu affectueuse
La mauvaise entente entre le roi et sa mère remontait à l'enfance. Femme intrigante et peu affectueuse, marquant nettement sa préférence pour son fils cadet le tumultueux Gaston, duc d'Orléans, elle ne songeait qu'à rapprocher la France de l'Espagne catholique des Habsbourg et avait à cet effet marié en 1615 sa fille, Élisabeth, à l'infant Philippe, futur Philippe IV, et le jeune Louis XIII à la soeur de ce dernier, Anne d'Autriche, infante d'Espagne. Dès qu'il avait pris le pouvoir en 1617, Louis XIII avait fait assassiner Concini, le favori de la reine mère, laquelle avait été alors exilée à Blois d'où elle avait réussi à s'évader pour se mettre à comploter. Richelieu avait alors réconcilié la mère et le fils et Marie, retrouvant sa place au Conseil du Roi, s'était mise à construire son palais du Luxembourg (aujourd'hui le Sénat).
Richelieu, quant à lui, dont l'influence sur le roi croissait de jour en jour, se heurta bien vite à la reine-mère laquelle, pourtant, l'avait fait entrer au Conseil du Roi. On ne saurait dire qu'entre le roi et le cardinal existait une grande affection, mais au moins leurs deux personnalités, se formant dans les tourmentes à une rigoureuse maîtrise de soi, se retrouvaient dans une même volonté d'assurer la grandeur de la France et son unité. Pour cela, le programme de Richelieu était clair et le roi l'approuvait : ruiner le parti protestant, rabaisser l'orgueil des Grands, abattre la puissance des Habsbourg, fût-ce en s'alliant contre l'empereur avec les princes protestants allemands. En somme tout le contraire de ce que voulait Marie de Médicis.
Un flot d'injures
En 1630, l'animosité était arrivée à son comble. Alors que le roi, toujours sans enfant, était tombé gravement malade à Lyon et que les Grands se mettaient déjà à courtiser Gaston, elle essaya d'obtenir le renvoi de Richelieu, mais Louis ne répondit qu'évasivement : d'ailleurs, il se sentit mieux dès le 17 octobre et rentra à Paris. Restés à Lyon pour régler quelques affaires militaires, Marie et le cardinal regagnèrent Paris quelques jours plus tard et elle se montra durant tout le voyage on ne peut plus aimable avec lui… Pourtant, elle se rendit dès son arrivée chez le garde des Sceaux Michel de Marillac pour discuter des moyens de perdre le cardinal, mais elle affirma sans vergogne à Louis XIII qu'elle souhaitait rentrer dans les bonnes grâces du même cardinal. C'était à n'y plus rien comprendre… “Souvent femme varie” dit-on, mais c'était en vérité tout le contraire.
Le dimanche 10 novembre un Conseil du Roi se déroula calmement et l'on put croire à l'apaisement. Après quoi le roi et sa mère parlèrent entre eux du cas Richelieu. Furieuse de voir son fils pour la première fois lui tenir tête, Marie fit subir sa colère à sa dame d'atours, Mme de Comballet, nièce du cardinal, lequel, arrivant à son tour, subit un ouragan d'injures en des termes dignes d'une harengère comme devait dire le duc de Saint-Simon… Elle le démit de ses fonctions de surintendant de sa maison et d'aumônier.
Le lendemain lundi, Louis lui ayant dit qu'il allait tenter encore une réconciliation, le cardinal se rendit au Luxembourg et trouva toutes portes closes. Toutefois, connaissant une porte dérobée que, par chance, elle avait oublié de fermer, il survint soudainement et reçut un nouveau torrent d'injures. Perdant contenance, il baisa en pleurant le pan de la robe de Marie, tandis que le roi, sans un mot, se retirait froidement. Aussitôt le bruit se répandit de la déchéance du cardinal et de son remplacement par Marillac. Lui-même se crut perdu.
“Journée des dupes”
En fait Louis, pour ne pas rabrouer sa mère de front, s'était tout simplement retiré à Versailles - alors un tout petit rendez-vous de chasse. De là il envoya quérir Richelieu et les deux hommes eurent vite décidé l'arrestation de Marillac. Gaston d'Orléans, lui, partit se faire oublier quelque temps en Lorraine… Le lendemain, Marie de Médicis se trouva recluse dans ses appartements, avant d'être exilée à Compiègne d'où elle allait s'échapper en 1631 pour rejoindre les Pays-Bas espagnols où elle se tint tranquille jusqu'à sa mort à Cologne dans une maison prêtée par le peintre Rubens le 2 juillet 1642 (la même année que Richelieu…) Louis XIII, de concert avec son ministre, put, dit Bainville, se mettre à « rétablir d'une main rude la discipline dans le royaume ». Sous ses aspects vaudevillesques, cette « journée des dupes » selon le mot du comte de Serrant, fut pour le roi un vrai drame cornélien (on était à six ans du Cid…) au cours duquel il ne pensa qu'à la France, comme le lui enjoignait son devoir de roi.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 20 mai au 2 juin 201

vendredi 22 octobre 2010

La véritable histoire de Cadet Roussel

De Louis B., de Paris (XVe arrondissement), par lettre : « Apprenant récemment à mon petit-fils la chanson de Cadet Roussel, il m'a demandé si ce personnage avait réellement existé. J'avoue que je n'en sais rien. Vous avez une idée ? »
« Cadet Roussel a trois maisons / qui n'ont ni poutres, ni chevrons / C'est pour loger les hirondelles / Que direz-vous d'Cadet Roussel ? / Ah ! Ah ! Ah oui, vraiment ! Cadet Roussel est bon enfant ! »…
Lequel d'entre nous n'a jamais chanté cette chanson sans se demander vraiment qui était ce « Cadet Roussel » ou en lui attribuant quelque existence mythique ou légendaire ? Il a pourtant existé ce cadet-là, ainsi surnommé, on s'en doute, parce qu'il était le second fils de la famille Roussel.
Né le 30 avril 1743 à Orgelet (Jura), de Jean-Baptiste Roussel et de Marie Pierote Girard, Guillaume Joseph Roussel dit « Cadet » s'installera à l'âge de vingt ans à Auxerre. Après avoir été un temps laquais, il est remarqué parce qu'il parle bien et possède une jolie écriture. Tout ce qui suffit pour entrer dans la basoche ! Le voilà donc clerc d'huissier et tout occupé à rédiger exploits, constats et placets.
Là encore, son intelligence fait merveille et lui permet d'obtenir, en 1780, l'autorisation royale de se faire installer dans ses fonctions de premier huissier-audiencier au bailliage d'Auxerre. C'est un poste d'importance où, ses bonnes mœurs, sa fidélité au roi et son catholicisme impeccable aidant, il devient bientôt un des notables de la ville.
Ayant désormais deux mille livres de revenu annuel, Cadet Roussel prend femme. Une certaine Jeanne Serpillon, bien plus âgée que lui, mais, pour reprendre un mot célèbre, pas mal vue de dot… Pour faire honneur à sa charge, Me Roussel choisit une maison un peu baroque et entreprend de la transformer encore et de l'agrandir. Au gré de son imagination débordante. En arrive-t-on bientôt à une maison sans portes ni chevrons ? C'est ce que prétend la chanson… Arrive là-dessus la Révolution. Cadet Roussel, malin comme un clerc de notaire malgré sa charge d'huissier au bailliage et siège principal d'Auxerre, comprend d'où vient le vent. Il se rend agréable aux nouveaux maîtres, flatte les uns et les autres, paie le coup aux braves gens et se fabrique une sorte de réputation. Dans le pays, on dit qu'il n'est pas fier Me Roussel, que c'est un homme un peu original mais plein d'idées, un bon bourgeois qui n'a pas oublié ses origines populaires.
Aussi quand il va s'agir de donner un chant de marche aux soixante-douze volontaires auxerrois du 1er Bataillon, c'est tout naturellement que Gaspard de Chenu du Souchet, à qui l'on devait déjà Les Jacobins d'Auxerre, va créer une immortelle chanson à la gloire de Cadet Roussel. L'air est emprunté à la chanson de Jean de Nivelle tirée d'un recueil de 1612 : Chansons folastres, tant superlifiques que drolatiques des comédiens français. Et les paroles se démarquent à peine de l'original qui disait : « Jean de Nivelle n'a qu'un chien / Il en vaut trois, on le sait bien… ! Mais il s'enfuit quand on l'appelle ! / Connaissez-vous Jean de Nivelle ? / Ah ! Ah ! Ah oui, vraiment ! Jean de Nivelle est bon enfant ! »
Le 16 septembre 1792, les volontaires quittent Auxerre par la porte de Saint-Siméon en chantant à tue-tête que Cadet Roussel a trois maisons, trois habits, trois chapeaux, trois souliers, trois cheveux, trois gros chiens, trois beaux chats, trois belles filles, trois deniers, mais qu'il ne mourra pas : « Car avant de sauter le pas / on dit qu'il apprend l'orthographe / pour faire lui-même son épitaphe / Ah ! Ah ! Ah oui, vraiment / Cadet Roussel est bon enfant ! »
Cette chanson rythmera la marche des volontaires auxerrois puis, très vite (et tout autrement que La Marseillaise), de toute l'armée du Nord, en Belgique, dans le Brabant et dans les Flandres. En 1793, cet air est devenu tellement populaire que deux historiens oubliés aujourd'hui, Ande et Tissot, font jouer au théâtre de la Cité une pièce intitulée Cadet Roussel ou le Café des aveugles. Porté par « sa » chanson, Me Roussel s'inscrit dans un club républicain, la « Société populaire », s'y fait remarquer par son zèle jacobin et une propension à signer des pétitions enflammées où l'on réclame la mise en jugement de Louis XVI, « l'ingrat, le traître, l'incorrigible ». On voit que le brave Cadet, enragé, haineux, pétitionnaire, n'était peut-être pas si « bon enfant » que la chanson le prétend.
En fin de course, il devait arriver ce qui arriva aux plus excités des révolutionnaires : des plus « purs » les épurent. Accusé de s'être livré, lors d'une levée de scellés, à une véritable saturnale dans la maison du citoyen Front, Me Roussel tombe dans les griffes du comité de surveillance d'Auxerre qui exige sa destitution et son arrestation.
Cadet Roussel, protégé par Maure, député d'Auxerre à la Convention, va sauver sa tête. Mais il perdra sa charge. Libéré de prison, Me Roussel n'a plus qu'une idée en tête : reconquérir la confiance du Comité de surveillance en en rajoutant dans le délire révolutionnaire. Le 10 nivôse An II (30 décembre 1793), il organise, dans la cathédrale d'Auxerre, une grande fête en l'honneur de la déesse Raison. Avec concours de la déesse de la Liberté (une jeune fille habillée très à la grecque… ), de bœufs couverts de chapes de draps d'or, de chars burlesques, de monstres en osier représentant le « Despotisme », le « Fanatisme » et le « Fédéralisme ». Lesdits monstres, représentés par des masques personnifiant un roi, un évêque et un truand, furent jetés dans les flammes. Les flammes furent-elles trop fortes ? Toujours est-il que le feu menaça de tout griller et que la déesse Raison, rongée par la peur, en fit littéralement caca dans une culotte qu'elle portait fort légère…
- Les aristocrates ont empoisonné la procession, mais on les connaît et ils le paieront cher, grognèrent les fougueux Jacobins…
Malgré cet épisode malodorant, Me Roussel était rentré en grâce. Le 1er mai 1793, il est membre du Comité de salut public de sa commune, une bande de commissaires politiques fanatiquement vigilants …
Le 9 thermidor An II, Robespierre est enfin raccourci. Le 16, Cadet Roussel et ses amis, qui avaient été encore plus robespierristes que Robespierre lui-même, écrivent à la Convention pour se féliciter de l'élimination de « l'assassin hypocrite » (Robespierre) et protester de leur indéfectible patriotisme. Ce ne fut pas suffisant. Me Roussel et quelques-uns de ses comparses furent jetés en prison. Le 19 vendémaire An IX, une loi décréta l'amnistie des délits commis sous la Terreur. Cadet Roussel en bénéficia.
A partir de là, nous perdons la trace de Me Roussel. Echaudé sans doute par ses expériences politiques successives, jugea-t-il plus prudent de vivre le reste de son âge calfeutré dans l'une de ses trois maisons… Il resta donc huissier. Sous le Directoire. Sous le Consulat. Sous l'Empire. Le 23 nivôse An XI (14 janvier 1803), sa femme mourut. Elle avait seize ans de plus que lui. Agé de 60 ans, Cadet Roussel se remariait, trois mois plus tard, avec Reine Baron, la nièce de sa femme. Née le 6 août 1766, elle avait vingt-trois ans de moins que lui. Cadet Roussel en fut-il épuisé ? Moins de trois ans plus tard, le 26 janvier 1807, il passait l'arme à gauche où étaient déjà ses sympathies politiques. Comme aurait pu le dire un autre personnage célèbre, M. de La Palice, Cadet Roussel venait de mourir en perdant la vie…
ALAIN SANDERS PRÉSENT - Mardi 10 août 2010

jeudi 21 octobre 2010

Histoire cachée : Crack, bourse, immobilier et démocratie

Et si le krach était une affaire de crack ? Et si la tempête boursière qui vient de secouer le monde était une tempête de… neige ?
Certains experts de l’histoire cachée le pensent en tout cas : ce que viennent de vivre les bourses mondiales est moins un épisode de la guerre financière qu’un épisode de la guerre de la drogue. Et plus précisément de l’une des armes les plus redoutables de cette guerre : le brown sugar.
Dérivé bon marché des résidus de fabrication de la cocaïne, le brown sugar, ainsi appelé parce qu’il ressemble vaguement à du sucre brun, est apparu pour la première fois au début des années 80 en Californie.
En quelques mois, devenu le “crack” en raison de la fulgurance et de la violence de ses effets, il avait traversé les USA et se trouvait en vente à Boston, chez les “Wasp” (White Anglo-Saxon Protestant), à l’opposé exact, en termes de catégories sociales, des ghettos afro ou chicanos de Californie. En moins d’un an, de la côte Ouest à la côte Est, des Grands Lacs aux rivages du golfe du Mexique, des bas-fonds des quartiers noirs aux luxueuses “mansions” de la haute bourgeoisie blanche, tout le pays était contaminé.
En France, au début du second septennat de Mitterrand, alors même que les responsables policiers parisiens de la lutte anti-drogue soutenaient que le crack n’était qu’un fantasme de journalistes en mal de copie et que “ça ne marcherait jamais chez nous”, on pouvait se procurer une dose pour moins de cinquante francs sous le métro aérien du quartier Jaurès-Stalingrad à Paris.
Cette progression fulgurante n’a épargné aucune catégorie sociale, aucun pays. En raison même du prix très bas de ce produit, prix fixé par ses inventeurs, justement pour assurer sa vente massive et, donc, des bénéfices rapides et colossaux, le succès a été immédiat dans les milieux les plus déshérités.
Ce nouveau marché a dégagé des sommes colossales. Les spécialistes estiment à près de deux milliards de dollars par jour les flux monétaires suscités par le crack.
La commission des stupéfiants de l’ONU estime que plus de la moitié de cette somme est investie dans des circuits de blanchiment et notamment sur les marchés boursiers où la convention de 1988 contre le trafic illicite commence à peine à être appliquée.
En France, alors que le chiffre d’affaires annuel de la drogue est estimé à vingt milliards de francs, la seule saisie importante d’argent sale effectuée en banque se monte à vingt-sept millions. Soit 1,5 millièmes du chiffre d’affaires des trafiquants !
On imagine sans peine l’efficacité de cette convention dans les jungles affairistes d’Asie…
Les trafiquants désireux de reconvertir l’argent sale ont deux solutions. Premièrement l’investir, à travers des cascades de sociétés-écrans dispersées dans divers paradis fiscaux et dont les intérêts croisés rendent les vrais propriétaires à peu près impossibles à identifier, dans des secteurs juteux et mal contrôlés. L’immobilier, par exemple, à Hong-Kong, en Malaisie et à Singapour.
L’effondrement de ce secteur, après des années de surchauffe due aux surinvestissements douteux, et l’insolvabilité des emprunteurs, à hauteur de cent milliards de dollars, ont chassé les investisseurs, honnêtes ou pas.
La seconde solution : réinjecter l’argent sale dans l’économie parallèle où il sécrète d’autres bénéfices nés de pratiques tout aussi illégales que le trafic de drogue (porno-business, réseaux de prostitution, trafic d’armes, etc.).
Dans cette hypothèse, les trafiquants ont le choix : soit ils entrent en concurrence avec les services spéciaux, soit ils font affaire avec eux.
Les pays dits démocratiques ont en effet vu depuis longtemps dans cette économie parallèle le moyen de “sponsoriser” leurs actions non officielles.
Un Etat “démocratique” ne peut évidemment pas assumer sans graves difficultés politiques au moment du contrôle budgétaire, des activités telles que le financement de guérillas (les contras), la liquidation d’opposants jugés dangereux (Che Guevara), le déclenchement de coups d’Etat (au Zaïre) ou la fourniture d’armes à des rebelles en guerre contre des alliés officiels (dans l’Algérie des années 50-60…).
En outre, la drogue fait désormais partie de l’arsenal de la guerre occulte. Au Vietnam, les communistes ont combattu le corps expéditionnaire US en y introduisant le poison de l’héroïne. En Afghanistan, les services américains ont rendu la politesse aux Russes en faisant transiter par le Pakistan la drogue qui contribua à démoraliser l’Armée rouge.
Plus tard, c’est encore le trafic du crack qui finança la plupart des opérations ultrasecrètes conduites, à l’insu même du Congrès, par la CIA contre les guérillas communistes ou pour soutenir les guérillas anticommunistes.
Tout cela dans une ambiance de “paix armée” entre les services et les mafias. En Colombie, par exemple, on a vu s’affronter des équipes Action de la même agence. D’un côté, les agents spéciaux chargés de négocier avec les gros bonnets de la drogue lesquels payaient la guérilla pour racketter les gros propriétaires. De l’autre, les spécialistes chargés d’encadrer les milices de lutte antiguérilla engagées par les gros propriétaires pour les protéger contre les racketteurs.
Le retentissant procès d’Oliver North a mis en évidence les connexions entre CIA et cartels de trafiquants.
Du coup, si, en Russie, l’imbrication entre services spéciaux issus du KGB éclaté et mafia de la drogue est restée totale ; si, en Chine, la Sécurité, organisation qui coiffe l’armée, la police, le pénitentiaire et les services spéciaux est financée par la drogue ; les services américains et leurs annexes ont dû rompre avec le narco-business. C’est un des effets inattendus du trafic du crack.
A l’issue du procès North, en effet, une équipe de juristes et d’économistes afro-américains, partant du constat que les populations déshéritées afro-américaines ont été les principales victimes du trafic de crack, a eu l’idée d’inverser la stratégie utilisée par l’administration US contre les fabricants américains de tabac.
On sait que ceux-ci ont été contraints d’échanger l’interruption de tous les ruineux procès engagés par les citoyens victimes du tabagisme, contre le versement au trésor public d’un dédommagement de plusieurs dizaines de milliards de dollars étalé sur dix ans.
Forts de ce précédent, les juristes et économistes noirs menacent d’inciter les millions de victimes directes ou indirectes du crack à engager des actions en dommages et intérêts contre la CIA, donc l’administration US, responsable de la diffusion du fléau.
A moins que ladite administration n’accepte de verser des milliards de dollars de dédommagements au “Restitution Trust Fund“, fondation visant à lutter contre la misère de la communauté afro-américaine.
Leur argumentation : avec nos impôts, l’administration américaine a financé l’un des crimes de masse les plus abominables du XXe siècle. Il est normal que cet argent nous soit restitué, à nous qui avons été les principales victimes de ce crime de masse, et qu’il serve à financer notre résurrection. Dans un tel contexte, on l’imagine, la Centrale américaine a mis un terme à toute activité liée à la drogue et toute relation avec le narco-business.
Du coup, privés du débouché de l’immobilier asiatique et du commerce parallèle avec les services spéciaux, les trafiquants ont dû trouver d’autres domaines d’application.
Ils se sont donc reportés sur l’activité qui est sans doute la plus juteuse : la spéculation monétaire dont Maurice Allais disait, en 1994, qu’elle mettait en mouvement des sommes quarante fois supérieures au montant des transferts légalement effectués pour les transactions commerciales dans le monde. Jacques Houbart notait en février 1995, dans le Libre Journal, que ces sommes se montaient à… mille milliards de dollars par jour !!! C’est dire leur formidable pouvoir de nuisance et, plus encore, leur absence totale de contrepartie en biens et services. Or, voilà quatre mois, la réintégration de Hong Kong dans la Chine communiste a eu un effet induit que bien peu de médias ont évoqué : la mise en convertibilité du yuan à travers le dollar Hong-Kong déjà traité en monnaie convertible au terme d’un ancien traité sino-britannique.
En prenant le contrôle de Hong-Kong et, donc, en s’assurant de l’autorité sur les banques de l’archipel, les Chinois de Pékin ont pu imposer un débouché pour leur monnaie de singe. Tung Chee Hwa, chef de l’exécutif de la Région administrative spéciale (nom de Hong-Kong en Chine communiste), n’a cessé de le répéter depuis le 30 juin, date de l’intégration de Hong-Kong à la Chine populaire.
Il a fini par être entendu, mais pas tout à fait dans le sens où il l’espérait. L’argent, et tout spécialement l’argent sale, bien plus volatile, a fui la bourse pour se placer sur la spéculation monétaire devenue à la fois plus aisée et plus juteuse.
On connaît le résultat. par Serge de Beketch (3 novembre 1997) Texte publié dans Le Libre Journal n°135. http://www.france-courtoise.info/