samedi 31 mars 2012

LES DINOSAURES D’ACAMBARO

De la Chine à Babylone ou à Tarascon, les hommes de l’Antiquité ont vécu au contact d’énormes animaux courts sur pattes nommés « dragons » : petite tête, long cou, écailles résistant aux flèches, queue imposante… bref ceux que nous appelons aujourd’hui dinosaures, et que la Bible, au livre de Job, décrit avec précision sous le nom de « béhémot » (Jb XL 15). Or qui admet la chronologie des géologues doit croire que 200 millions d’années séparent les dinosaures de l’homme !.. Les figurines de céramiques découvertes à Acambaro, au Mexique, viennent apporter, s’il était nécessaire, le coup mortel à cette chronologie.
En juillet 1944 un archéologue amateur allemand, Waldemar Julsrud, aperçut des pierres taillées et un objet de céramique à demi-enterrés. A peine descendu de cheval, il creusa, dégagea d’autres céramiques et comprit aussitôt que ces figurines ne provenaient d’aucune civilisation précolombienne connue.
Vu la richesse du site, Julsrud engagea un paysan, Odilon Tinajero, pour fouiller la montagne El Toro. Tinajero recevait un peso mexicain (environ 12 centimes) pour chaque pièce complète. Il rapporta bientôt une brouette pleine de figurines et ce fut le début d’une collaboration qui, en 10 ans, mit au jour plus de 20 000 objets.
Au total la collection Julsrud a compté jusqu’à 33 500 figurines, toutes uniques, représentant des masques, des outils, des visages, des idoles, des animaux, des instruments de musique, etc… Parmi ces pièces, plus de 300 représentent des dinosaures appartenant à des dizaines d’espèces différentes ; notamment l’iguanodon, le brachiosaure (presque inconnu à l’époque et jamais représenté), l’ankylosaure, des brontosaures à épines dorsales (découverts par les paléontologistes en 1992), le trachodon à pattes palmées, le gorgosaure, le tricératops, le titanosaure, le stégosaure, le diplodocus, le tyrannosaure, d’autres espèces inconnues de dinosaures et même le ptéranodon et l’ichtyornis.
Comme le déclara Lower Harmer, un journaliste américain qui vint inspecter la collection en 1950 : « Tout un chacun comprend que ces grands sauriens n’ont pu être créés que par des artistes disparus depuis longtemps et qui les connaissaient bien » (Los Angeles Times du 25 mars 1951). Harmer avait photographié Julsrud au milieu de ses excavations, alors que les figurines de dinosaures étaient ôtées d’un enchevêtrement de racines de Maguey à 5 ou 6 pieds sous terre.
Une autre raison prouve l’indiscutable ancienneté de ces pièces : il s’agit de céramiques cuites à feu ouvert, exigeant donc plusieurs charges de bois par cuisson. Or la région d’Acambaro est aujourd’hui aride ; les arbres y sont rares et le bois très coûteux. On peut donc exclure une fraude par Tinajero, lequel ne recevait qu’un peso par pièce. Et la qualité artistique des figurines démontre un grand talent chez leurs auteurs.
Une controverse était inévitable entre Julsrud et les archéologues mesurant l’enjeu de cette découverte. Une enquête officielle eut donc lieu en 1954. Eduardo Noquera, directeur à l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire, dirigea l’enquête. Il sélectionna lui-même des sites à fouiller et après quelques heures de travail, on dégagea des céramiques en présence de nombreux témoins. Les archéologues félicitèrent Julsrud et lui promirent d’informer les revues savantes. De retour à Mexico, Noquera s’aperçut que les figurines de dinosaures allaient mettre en péril sa carrière professionnelle ; il remit un rapport dans lequel lui et ses collaborateurs déclaraient que la collection devait être fausse en raison des formes de vie représentées : les dinosaures.
Il fallut qu’un célèbre professeur américain, Charles Hapgood, vienne durant plusieurs mois à l’été 1955 pour relancer les fouilles et le débat. Pour écarter l’idée d’une forgerie, ayant découvert une maison construite en 1930 sur le site et appartenant au chef de la police, il obtint de creuser sous le plancher de béton du salon et à 6 pieds sous terre, dégagea une douzaine d’objets semblables aux autres. Il fit aussi tester des échantillons par le carbone 14, obtenant des dates comprises entre 1100 et 4500 ans avant Jésus-Christ, et conclut à l’authenticité.

En 1972 un américain, Arthur Young, soumit deux figurines au laboratoire de l’université de Pennsylvanie, pour une datation par thermoluminescence. Le laboratoire affirma que la date extraordinairement ancienne (2700 ans avant Jésus-Christ) était certaine à 10 % près, la mesure ayant été refaite 18 fois… Mais lorsque l’Université sut que la collection comportait des dinosaures, le laboratoire se rétracta et déclara qu’elle ne pouvait dater de plus de 30 ans !..
Il faut ajouter que la collection comporte aussi des objets en pierre taillée, qui manifestent tous les signes habituels d’érosion. Or la patine due à l’érosion est presque impossible à imiter.
Aujourd’hui le manoir de Julsrud est devenu un musée fermé au public, et une chape de silence continue de recouvrir ce qui est peut-être le plus grand site archéologique antédiluvien. Mais il faudra bien un jour que la science officielle accepte tous les faits, y compris ceux qui pulvérisent le mythe évolutionniste.
http://libeco.net

NDRL: Cette information est due au Centre d’Etudes et de Prospective sur la Science 
- Le CEP -
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mercredi 28 mars 2012

Le Traité de Rapallo (1922) et ses suites

Seize avril 1922, Traité de Rapallo : l’Allemagne vaincue en 1918 et l’URSS, sortant de la guerre civile qui avait opposé Blancs et Rouges, concluent un accord bilatéral, sous la houlette de leurs ministres respectifs, Walther Rathenau et Georges Tchitchérine. L’URSS renonce à réclamer des réparations de guerre à l’Allemagne, qui, en échange, promet de vendre des biens et produits d’investissement infrastructurel à la Russie rouge. La conférence de Gênes avait été suggérée par la Grande-Bretagne, pour régler l’ordre d’après-guerre, après que l’URSS ait refusé de payer les dettes de l’Empire des Tsars. Les Britanniques suggéraient une reconnaissance de l’URSS, l’établissement de relations diplomatiques normales et, surtout, visaient à récupérer des intérêts dans les pétroles de Bakou. Le financement par les Britanniques de la contre-révolution blanche avait pour objectif principal d’éloigner le pouvoir rouge, centré autour de Moscou et de Petersbourg, des champs pétrolifères caucasiens : les artisans de cette manœuvre étaient Churchill et le magnat Deterding, de la Shell. L’échec des armées blanches et la reconquête soviétique du Caucase obligèrent les Britanniques à changer de stratégie et à accepter d’intervenir dans le fameux « NEP » (= « Nouveau Programme Economique », lancé par Lénine).
Au même moment, les Américains commencèrent à s’intéresser, eux aussi, au pétrole du Caucase, espérant profiter des déconvenues britanniques, suite à la défaite des armées blanches. Avant le coup de Rapallo, imprévu, un conflit frontal entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis se dessinait à l’horizon, ayant pour objet la maîtrise planétaire du pétrole. Il se poursuivit néanmoins, par personnes interposées, notamment en Amérique ibérique, mais le bloc informel germano-russe constituait désormais le danger principal, interdisant toute confrontation directe entre Londres et Washington.

Rathenau n’avait nulle envie, au départ, de lier le sort de l’Allemagne à celui de la jeune URSS. Mais le poids colossal des réparations, exigées par les Français et les Britanniques, était tel qu’il n’avait pas d’autres solutions. En 1921, Londres avait imposé une taxe prohibitive de 26% sur toutes les importations allemandes, contrecarrant de cette façon toute possibilité de rembourser les dettes imposées à Versailles dans des conditions acceptables. L’Allemagne avait besoin d’une bouffée d’air, d’obtenir des matières premières sans avoir à les acheter en devises occidentales, de relancer son industrie. En échange de ces matières premières, elle participerait à la consolidation industrielle de l’URSS en lui fournissant des biens de haute technologie. L’ « Ultimatum de Londres » de 1921 avait exigé le paiement de 132 milliards de marks-or, somme que John Maynard Keynes jugeait disproportionnée, si bien qu’elle entraînerait à terme un nouveau conflit. Pire : si l’Allemagne n’acceptait pas ce diktat, finalement plus draconien que celui de Versailles, elle encourait le risque de voir la région de la Ruhr, son cœur industriel, occupée par les troupes alliées. L’objectif était de pérenniser la faiblesse de l’Allemagne, de juguler tout envol de son industrie, de provoquer un exode de sa population (vers les Etats-Unis ou les possessions britanniques) ou une mortalité infantile sans précédent (comme lors du blocus des côtes allemandes dans l’immédiat après-guerre).

Avec le Traité de Rapallo, les Britanniques et les Français voyaient se dessiner un spectre à l’horizon : la relance de l’industrie allemande, le paiement rapide de la dette donc l’échec du projet d’affaiblissement définitif du Reich, et le développement tout aussi rapide des infrastructures industrielles soviétiques, notamment celles de l’exploitation des champs pétrolifères de Bakou, qui serait dès lors aux mains des Russes eux-mêmes et non pas de « patrons » anglais ou américains. Sur tout le territoire allemand, prévoyaient les accords bilatéraux de Rapallo, un réseau de distribution d’essence, dénommé DEROP (« Deutsch-Russische Petroleumgesellschaft »), permettant à l’Allemagne de se soustraire à toute dépendance pétrolière à l’égard des puissances anglo-saxonnes. Le 22 juin 1922, un peu plus de deux mois après la conclusion des accords de Rapallo, Rathenau fut assassiné à Berlin par un commando soi-disant nationaliste et monarchiste, relevant d’une mystérieuse « Organisation C ». A la fin de l’année, le 26 décembre 1922, Poincaré, lié aux intérêts anglais, trouve un prétexte – l’Allemagne n’a pas livré suffisamment de bois pour placer des poteaux télégraphiques en France - pour envahir la Ruhr. Les troupes françaises entrent dans la région dès le 11 janvier 1923. Les Anglais s’abstiennent de toute occupation, faisant porter le chapeau à leurs alliés français, sur qui retombe tout l’opprobre dû aux 150.000 déportés et expulsés, aux 400 ouvriers tués et aux 2000 civils blessés, sans omettre dans cette sinistre comptabilité l’exécution du Lieutenant Léo Schlageter.

L’assassinat de Rathenau n’est pas un fait historique isolé. Les organisations terroristes, chargées d’exécuter les planificateurs politiques de stratégies industrielles jugées inacceptables pour Londres ou Washington, n’ont pas toujours eu une couleur monarchiste et/ou nationaliste, comme dans le cas de Walther Rathenau. Les services anglo-saxons ont aussi, pour exécuter leurs basses besognes, des pantins d’extrême gauche, notamment ceux de la RAF ou Bande à Baader. Ainsi, Jürgen Ponto, Président de la Dresdner Bank, qui avait planifié, avec les Sud-Africains, le retour de l’étalon-or pour pallier aux fluctuations du dollar et du prix du pétrole, fut assassiné le 31 juillet 1977 par des tueurs se réclamant de la Bande Baader-Meinhof. Quelques semaines plus tard, ce fut au tour du « patron des patrons », Hanns-Martin Schleyer. Mais ce n’est pas tout. Le 29 novembre 1989, la voiture blindée d’Alfred Herrhausen, directeur de la Deutsche Bank, explose. Herrhausen avait été le conseiller économique du Chancelier Kohl, à l’époque de la dislocation de l’empire soviétique et des manifestations populaires en Allemagne de l’Est réclamant la réunification allemande. L’Allemagne projetait d’investir dans les nouveaux Länder de l’ancienne RDA, dans les pays de l’ex-Comecon et en Russie. Les milieux financiers anglais et américains craignaient que cette masse de capitaux, destinés au développement de l’Europe centrale et orientale n’alimentât plus les investissements européens et allemands aux Etats-Unis, ne permettant plus, par conséquent, de maintenir le système américano-centré à flot. La presse anglaise venait de faire campagne, via notamment le « Sunday Telegraph », contre l’émergence d’un « Quatrième Reich ». Malgré l’assassinat de Herrhausen, le Chancelier Kohl annonça publiquement, quelques semaines plus tard, que son gouvernement envisageait le développement des grands moyens de communication en Europe, notamment la création d’un chemin de fer Paris-Hanovre-Berlin-Varsovie-Moscou.

La mort tragique de Herrhausen fut le premier acte d’une contre-stratégie anglo-saxonne : pour ébranler cet axe Paris-Berlin-Moscou en gestation, il fallait frapper à deux endroits, dans les Balkans, où commence alors le processus de dislocation de la Yougoslavie, et en Irak, site des principaux champs pétrolifères de la planète. De Rapallo aux guerres contre l’Irak et de celle-ci à la proclamation unilatérale de l’indépendance du Kosovo, il existe un fil conducteur bien visible pour ceux qui n’ont pas la naïveté de prendre pour argent comptant les vérités de propagande diffusées par les grands médias internationaux et les discours larmoyants sur les droits de l’homme bafoués que glapissaient les Lévy, Glucksmann et autres Finkelkraut.

Robert Steuckers  http://robertsteuckers.blogspot.fr/

Source : William ENGDAHL, Pétrole : une guerre d’un siècle – L’ordre mondial anglo-américain, Ed. Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 2007. Site de l’éditeur : http://www.editionsjcgodefroy.fr

mardi 27 mars 2012

(PRESQUE) UNE CHASSE GARDEE : LES SERVICES SECRETS BOLCHEVIQUES / ABRAM ARONOVICH SLUTSKY

Ce (futur) chef des services secrets naît en 1898 dans une famille juive d’Ukraine. Il rejoint les bolcheviques dès 1917, à l’âge de dix-neuf ans. Durant la guerre civile, il combat dans l’Armée Rouge puis il intègre la Guépéou, où, nous dit Wikipédia, il grimpe rapidement les échelons en raison de son affable personality. Vu la suite des événements, je reste quand même sceptique quant à cette « aimable personnalité ».
En fait, il débute à la GPU dans l’espionnage industriel. Il sera notamment décoré pour avoir réussi à voler aux Suédois un procédé de fabrication de roulements à bille. Après ces amusettes, les choses sérieuses vont commencer. Dans un premier temps, à partir de 1929,  il deviendra  l’adjoint d’Artur Artuzov qui dirige à ce moment-là  l’INO (voir article d’hier).
Puis il le remplace à la tête des services secrets en mai 1935. Il va enfin pouvoir donner la pleine mesure de sa personnalité affable.
Sa tâche principale va être de traquer et d’éliminer – poliment – tous les opposants, ou présumés tels, de Staline. Essentiellement des émigrés russes blancs et les trotskystes. Parmi les principales opérations à son actif, on peut citer : - le kidnapping du général blanc Evgenii Miller, à Paris en 1937. Le général sera exécuté à Moscou en mai 1938. - l’assassinat d’Ignace Reiss en Suisse, également en 1937. Reiss était un ex-agent du NKVD décidé à rompre avec Moscou - la liquidation de bon nombre d’opposants en Espagne durant la guerre civile.
En 1936, il aura la charge d’extorquer les fausses confessions destinées à charger les accusés du 1er procès de Moscou (Zinoviev, Kamenev et cie). Loquace de nature, il racontera à ses subordonnés, Leiba Lazarevich Felbing, dit Alexander Orlov, et Samuel Ginsberg, dit Walter Krivitsky, qui le relatent dans leurs Mémoires – des veinards qui ont apparemment eu le temps de les écrire – ses méthodes pour briser ces vieux bolcheviques.
Son chef direct était le patron du NKVD, Iagoda. Or, comme on l’a vu, Iagoda tombe en 1937 et se voit remplacé par « le nain sanguinaire », Nikolai Yezhov. Ce dernier va immédiatement se livrer à une chasse aux sorcières à l’intérieur de ses services pour éliminer tous les proches de son prédécesseur. Dans un premier temps, Slutsky sera cependant épargné afin d’éviter la défection d’agents à l’étranger.
Mais ce répit est de courte durée. Il mourra le 17 février 1938. Comment ? Rien n’est simple avec les agents secrets. On a donc le choix entre deux versions :
-         Il est mort empoisonné à l’acide cyanhydrique dans le bureau de Mikhail Frinovsky – l’un des chefs du NKVD -  à la Loubianka après avoir dégusté du thé et des gâteaux (il n’était pourtant pas invité par Agatha Christie)
-         Il a été assassiné par injection de poison dans le bras toujours dans les mêmes locaux, toujours par Frinovsky ou ses sbires,  et toujours sur ordre de Yezhov.
Quelle que soit la version choisie, le résultat sera  de toute façon le même et aucun des témoins de ce regrettable incident ne survivra longtemps, ni n’aura le temps d’écrire ses Mémoires. Tous disparurent durant les grandes purges, y compris Frinovsky. Et Yezhov aussi, d’ailleurs. http://france-licratisee.hautetfort.com

dimanche 25 mars 2012

Machiavel, homme de guerre

Si Machiavel ne possédait pas l'insatiable appétit d'un Jules II pour les conquêtes territoriales, et cette ambition qu'il avait de faire de l'Église le premier État italien, d'abord, puis le seul État italien lorsqu'il aurait englobé tous les autres, il y avait une passion qu'il partageait avec lui : la passion de la guerre, et l'amour des choses militaires.

Cette passion ne se manifestait pas de la même manière chez ces deux hommes. L'un aimait dans la guerre les ardentes chevauchées, le mouvement, l'action, les embuscades que l'on dispose pour l'adversaire et celles que l'on évite soi-même. La guerre c'était la galopade dans le petit jour, avec, derrière soi, le tumulte des chevaliers bardés de fer. C'était les bataillons de fantassins courant sur les coteaux, se glissant à travers les forêts, les escadrons déployant dans la plaine leur carrousel cruel. Pour l'autre, c'est un jeu raffiné, que le sédentaire peut tout aussi bien jouer; une partie d'échecs. L'un aime les soldats splendidement habillés, les panaches flottants, les fifres aigus et les longs tambours, l'acier miroitant et les beaux chevaux. Pour l'autre, un régiment est un pion sur l'échiquier et le soldat un élément presque abstrait, un chiffre dans le déroulement du kriegspiel. Sur les dessins qui illustreront son Arte della Guerra, hommes et batailIons sont figurés par des signes typographiques. Le thêta grec représente un canon, le "T" majuscule le connétable de la bataille, le "D" majuscule le chef de bataillon, "z" est un drapeau et "s" la musique. Il les dispose sur sa feuille de papier, comme un enfant qui s'amuse avec ses soldats de plomb, mais ici l'être vivant est réduit à une lettre, le piquier n'est plus qu'un "o", le chevau-léger un "e", l'homme d'armes un "r", et ainsi de suite. Malgré cela, les combinaisons militaires qu'il organise avec ces caractères sont extrêmement vivantes parce que l'art de la guerre pour lui est un art vivant et la stratégie une science vivante. 
Ce n'était pas une science nouvelle. Les Anciens l'avaient pratiquée avec beaucoup de talent, et en cette matière comme en toutes les autres, il fallait s'adresser à eux pour obtenir des critères d'excellence et de perfection. L'histoire romaine est riche d'exemples qu'un capitaine moderne peut utilement suivre ; Machiavel, chaque fois que l'occasion se présente, ne cesse de donner en modèle à ses contemporains les stratèges grecs, parfois, et, le plus souvent, les romains. « Je vous répète que les Anciens faisaient tout avec plus de sagesse et mieux que nous, et si nous errons quelquefois dans les autres affaires de la vie, à la guerre nous errons toujours complètement. » Ne sera-t-il pas périlleux de croire ainsi à la supériorité absolue et constante des Anciens, alors que tant d'éléments nouveaux entrent en jeu dans la guerre d'aujourd'hui ? L'artillerie, par exemple. A tout prendre, malgré l'usage des armes à feu que certains condottieri blâment et condamnent — Vitelli allait jusqu'à couper les mains des artilleurs et des arquebusiers ennemis qu'il faisait prisonniers pour les punir d'user de ces instruments déloyaux — malgré les changements que le canon a apportés dans la tactique de la cavalerie et de l'infanterie, il n'y a pas tant de différence entre les guerres d'autrefois et celles d'aujourd'hui. Les enseignements des Anciens demeurent donc parfaitement valables pour notre temps, et l'homme du XVe ou du XVIe siècle, si moderne qu'il se sente, a toujours intérêt à interroger ses devanciers. 
Machiavel peut, à bien des égards, apparaître comme un théoricien de la guerre, et son opinion être suspecte sur ce point, mais les praticiens eux-mêmes, les Alviano, les Picinnino, les Baglioni, les Sforza et Gattamelata, et Colleone, et Braccio di Montone, et les Malatesta, et les Petrucci, emportent des livres avec eux en campagne, et lisent ou se font lire les hauts faits des Anciens. Non seulement pour exciter leur émulation et éveiller leur amour-propre, mais aussi pour y trouver d'utiles enseignements. 
La nature du terrain n'a pas changé depuis les Romains. La nature de l'homme non plus. Les éléments essentiels des armées sont toujours les mêmes, fantassins légers et fantassins lourds, cavalerie lourde et cavalerie légère, artillerie à corde, chez les Romains, artillerie à poudre chez les modernes. Le cœur du soldat et ses muscles, aussi, demeurent pareils. Et ses appétits, et ses ambitions, et ses craintes. On peut apprendre l'art de la guerre dans les livres, et l'on peut écrire des livres pour l'enseigner aux autres. 
De ce que Machiavel a d'abord appris cette science dans les livres, ne déduisons pas qu'elle est chez lui livresque. C'était un des grands mérites de cet homme, dont l'érudition n'a jamais fait un rat de bibliothèque, que cette faculté qu'il avait de transformer en quelque chose de vivant tout ce que contiennent les livres. Et aussi son application à vérifier sur le terrain l'exactitude de ce que lui avaient raconté les historiens et les annalistes. 
Ce n'est pas un stratège en chambre, cet envoyé florentin qui participe avec les Vitelli au siège de Pise, qui, pendant plusieurs mois, chevauche botte à botte avec César Borgia, qui discute d'effectifs, de rendement et de matériel avec Caterina Sforza, cette « capitaine », qui écoute les ardents discours de Jules II, et suivant son doigt mince et fané, pointé vers la plaine, regarde évoluer dans la brume de l'aube les Suisses, les Gascons et les Albanais. La chance l'a bien servi qui, après 15 années de vie laborieuse, d'immenses lectures et de méditations théoriques sur la guerre, l'a mis en contact avec les meilleurs généraux de son temps, lui a permis d'entendre leurs leçons, et mieux encore, de les voir à l'œuvre, de distinguer leur technique particulière, leur méthode, leurs procédés, leur style. Chacun de ces grands artistes de la guerre, que ce soit César Borgia ou Giovanni delle Bande Nere — Jean des Bandes Noires — ou Niccolò da Tolentino, ou Boldrino da Panicale, dont ses lieutenants font embaumer le corps et dont ils feignent de venir prendre les ordres chaque matin, tant le prestige du grand soldat reste fort, même après sa mort — ou Carmagnola, ou cet Alberico di Barbiano, qui est dans son « art » un novateur aussi puissant et aussi original que Bramante, Paolo Uccello, Masaccio, Piero della Francesca le sont dans le leur — chacun de ces artistes de la guerre a en effet sa propre manière d'exprimer son génie, et de créer son œuvre ; on peut à bon droit nommer cela un style. Et ce fut le grand avantage de Machiavel que d'avoir ajouté l'expérience pratique acquise sur le champ de bataille aux connaissances théoriques puisées dans les bibliothèques. 
La chance veut aussi que cette époque soit celle où des transformations profondes se produisent dans l'art et la technique de la guerre. Non pas seulement du fait que le matériel change, que l'emploi de l'artillerie fournit des facilités nouvelles et pose ainsi des problèmes imprévus, mais aussi en raison des bouleversements qui surviennent dans la vie des sociétés. La guerre de la Renaissance ne ressemble pas à celle du Moyen Age. Celle-ci dépendait encore des deux facteurs primordiaux à cette époque, la chevalerie et la féodalité. La guerre était le fait de la noblesse ; le vassal y servait le suzerain avec ses propres vassaux et avec les hommes de ceux-ci. Il ne s'agissait pas de patriotisme, mais seulement de fidélité au seigneur, cette fidélité n'excédant pas, d'ailleurs, les coutumes féodales qui fixaient le nombre de jours de services dus par le vassal ; si bien que celui-ci, arrivant à l'expiration du temps de service obligatoire, rentrait chez lui tout tranquillement avec ses soldats, même si son seigneur se trouvait à ce moment-là en pleine opération stratégique. 
Pour parer à ces incertitudes qui étaient toujours la conséquence du service féodal, et pour ne plus dépendre de ses nobles qui l'aidaient plus ou moins loyalement, plus ou moins fidèlement, Louis XI de France créa une armée de métier, une armée obéissant directement et uniquement au roi, qui était à la disposition du roi pendant la paix et pendant la guerre, indépendante alors des levées seigneuriales, toujours hypothétiques. Cette armée de métier, toujours sous les armes, qu'on pouvait mettre en ligne d'un jour à l'autre, il suffisait de transformer sa mentalité pour en faire une armée nationale, c'est-à-dire pour lui donner un but qui ne soit pas seulement la paye et l'espoir du butin ; pour lui donner, en un mot, un idéal. Créer le sentiment patriotique, c'était armer moralement ces soldats qui de mercenaires devenaient alors des volontaires, dévoués corps et âme à cette entité dont on leur révélait l'existence : la patrie.
Si, en France, le processus d'évolution allait de l'armée de métier à l'armée nationale, en Italie il en était allé autrement. Le Moyen Age avait vu surtout les milices communales, formées par les habitants de la cité, qui lâchaient les outils de leurs professions pour prendre leurs armes dès que la cloche les appelait à la bataille. Nous avons dit déjà par suite de quelle spécialisation s'étaient créées les armées de métier, composées de mercenaires, création qui avait l'avantage de ne plus paralyser la vie commerciale en enlevant les individus aux champs, à la boutique ou à l'atelier pour les traîner sur les routes, la pique à l'épaule. L'armée de métier, nous l'avons vu, a créé, comme conséquence, le capitaine de métier, le condottiere. Ces spécialistes de la guerre, soldats et généraux, ont représenté d'abord quelque chose d'utile et d'économique, mais ils sont vite devenus envahissants, et ils ont fini par bouleverser toute la vie politique de l'Italie. L'ascension du condottiere jusqu'aux trônes les plus illustres et les plus éminents fut le résultat direct et inévitable de cet état de choses qu'il paraissait urgent de modifier. 
Certains de ces condottieri, enfin, s'étaient spécialisés davantage encore, en devenant surtout des artilleurs, tels le duc d'Urbino, Federico da Montefeltro et le duc de Ferrare, Alfonso d'Este. Ceux-ci, célèbres par leur habileté dans le maniement des armes à feu, avaient créé d'importantes fonderies de canons, et le matériel perfectionné et nombreux dont ils disposaient les faisait particulièrement rechercher. Les plus grands artistes de ce temps, passionnés eux-mêmes par cet aspect du métier militaire plutôt que par l'esprit de la bataille proprement dit — sauf chez Cellini, qui est un aventurier et qui a la mentalité d'un lansquenet — s'intéressent aux choses de la guerre. Francesco di Giorgio ajoute à ses talents de peintre, de sculpteur et d'architecte une extraordinaire habileté à construire des machines de guerre, à bâtir des fortifications, à fabriquer des pièces d'artillerie. Il est un novateur, en cet art nouveau, comme l'est de son côté Léonard de Vinci, avec plus de fantaisie encore, et avec cette paradoxale et fantastique imagination qu'il apportait dans toutes ses créations. Ingénieur militaire au service de César Borgia pendant plusieurs années, Vinci a suivi le duc de Valentinois dans ses expéditions. Il a dessiné des cartes géographiques des régions où César rêvait de porter la guerre, avec une étonnante précision dans le relevé des détails topographiques. Il a consolidé les fortifications de Piombino en 1502, comme Francesco di Giorgio l'avait fait, l'année précédente, des fortifications de Sinigaglia, la ville du « bellissimo inganno ». Il est à côté de César, à la conquête d'Urbino et de Came­rino, à Sinigaglia aussi, et il est certain que Machiavel a connu, à cette époque, le peintre de la Joconde. Il n'en parle pas, bien entendu ; le nom d'aucun artiste ne vient jamais sous sa plume. Mais comment n'aurait-il pas été attiré par la majestueuse prestance et l'éblouissant génie de cet homme universel ? Attiré, oui, intéressé, mais non pas captivé. Machiavel, en effet, était strictement, étroitement, un homme politique, homo politicus, et c'était les choses de la politique qui le passionnaient à l'exclusion de toutes les autres. 
La guerre, direz-vous... La guerre, pour lui, est un accessoire de la politique. Il ne l'aime pas pour elle-même, il ne l'étudie pas gratuitement. La formation militaire fait partie de l'éducation d'un homme d'État ; il l'affirme expressément. Les princes actuels, dit-il, « ne songent pas que, chez les Anciens, tout prince jaloux de maintenir son autorité pratiquait avec soin toutes les règles que je viens de prescrire, et se montrait constamment appliqué à endurcir son corps contre les fatigues et fortifier son âme contre les dangers. Alexandre, César et tous les grands hommes de ces temps-là combattaient toujours au premier rang, marchaient à pied, chargés de leurs armes et n'abandonnaient leur empire qu'avec la vie, voulant vivre et mourir avec honneur. On pouvait peut- être reprocher à quelques-uns une trop grande ardeur à dominer, mais jamais on ne leur reprocha nulle mollesse, ni rien de ce qui énerve et dégrade l'humanité. Si nos princes pouvaient s'instruire et se pénétrer de pareils exemples, ils prendraient sans aucun doute une autre manière de vivre, et changeraient certainement ainsi la fortune de leurs États ». 
Avec les artistes, donc, qui ne s'intéressent pas ou qui s'intéressent peu à la politique, Machiavel n'a pas beaucoup de sujets de conversation. Indifférent à l'architecture, à la peinture, à la sculpture, il ne semble pas avoir pris plus de plaisir à la musique. Ses divertissements sont d'un ordre peu relevé, et demeurent, même dans l'âge mûr, ceux d'un saute-ruisseau. Aventures polissonnes, missives grivoises, beuveries et « chahuts », telles semblent être ses distractions, quand il délaisse les affaires sérieuses. Il n'est pas sûr qu'il ait rencontré Michel-Ange à cette époque ; il a certainement connu Vinci; mais parce qu'ils avaient à ses yeux moins d'importance qu'un capitaine d'aventures ou qu'un secrétaire d'ambassade, il ignore leur existence et ne mentionne pas leur nom. Même pas au titre d'ingénieur militaire ou d'expert en fortifications, qui, semble-t-il, aurait dû leur valoir de sa part une certaine attention bienveillante. 
Qui fréquente-t-il à Florence ? Ses camarades de bureau, et de préférence son vieil ami Biagio Buonaccorsi, le confident de ses fredaines, le destinataire des lettres burlesques et obscènes, auxquelles ce curieux homme se complaît lorsqu'il est de loisir. Il converse aussi avec les érudits, les humanistes, tous ceux qui peuvent lui parler des « Anciens ». Il semble enfin avoir été un bon mari et un père attentionné, malgré son libertinage. Un amateur d'art, non ; sous aucune forme. Un intellectuel, dans le sens le plus étroit et le plus limitatif du mot, hélas ! Sourd au divin, aveugle à cette autre chose divine, l'art, il appartient tout entier à la politique. 
La curiosité qu'il montre pour l'art militaire, le seul qui existe à ses yeux myopes, est donc un élément de sa passion pour la politique, de même que cet art est l'accessoire de l'art de l'homme d'État. Mais quand une chose l'intéresse, il s'y donne avec passion. Ainsi sera-t-il enchanté, malgré la besogne qui l'accable déjà, que la Seigneurie le charge, au retour de sa mission auprès de Jules II, de la réorganisation de la milice florentine. Ses idées en cette matière avaient attiré l'attention des Florentins qui constataient, d'autre part, le danger qu'il y avait à s'abandonner aux condottieri. L'idée de revenir en somme aux milices communales du Moyen Age inspire cette réforme dont on lui demande d'établir les plans. 
Il ne s'agit pour la Seigneurie que d'un travail assez simple qui porte sur le recrutement des soldats dans les pays dépendants de la République. Pour Machiavel, cette question n'est qu'une des faces du problème général, qui est celui de la composition et de la conduite des armées. La besogne qu'on lui confie, assez terre à terre, puisqu'il s'agit de savoir combien on demandera d'hommes à chaque podestat, combien on les paiera, comment on subviendra à leur entretien, et qui les entraînera, se développe et rentre dans le cadre de sa vaste science militaire. La formation de la milice florentine est un appendice, en somme, à son « Art de la guerre », et il a l'avantage de pouvoir y réaliser ses projets, de faire de l'application pratique, alors que dans les autres domaines il reste un théoricien.
C'est avec un accent de tristesse sincère qu'à la dernière page de son Arte della Guerra il se plaint de n'avoir pas eu l'occasion de mettre en pratique ses idées; le destin ne lui a pas même accordé le bonheur de devenir le conseiller technique d'un prince capable de se laisser guider et instruire par lui. « Je me plains du destin qui aurait dû me refuser la connaissance de ces importantes maximes, ou me donner les moyens de les pratiquer, car à présent que me voilà arrivé à la vieillesse, puis-je espérer d'avoir jamais l'occasion d'exécuter cette grande entreprise ? J'ai donc voulu vous communiquer toutes mes méditations, à vous qui êtes jeunes et d'un rang élevé, et qui, si elles vous paraissent de quelque utilité, pourrez un jour, dans des temps plus heureux, profiter de la faveur de vos souverains pour leur conseiller cette indispensable réforme et en aider l'exécution. » Ses divers ouvrages militaires semblent ainsi l'expansion nostalgique et mélancolique d'un soldat manqué qui, dans les campagnes auxquelles il a assisté, a toujours joué le rôle passif du spectateur; qui, dans toutes les guerres a été un témoin et non un acteur ; qui a conçu de grandes, ingénieuses et fertiles idées, et qui n'a jamais eu l'opportunité de les réaliser. Il n'a pas plus été un grand capitaine qu'il n'a été un grand homme d'État. Un observateur, un critique, un historiographe, l'homme qui enregistre les faits, les commente, les classe et les conserve ; un homme qui écrit l'histoire, enfin, et jamais l'homme qui la fait. 
Aussi prévoit-il les reproches qu'on lui adressera s'il s'aventure dans le domaine des « spécialistes ». Au début de son livre sur l'art de la guerre, il s'en justifie, parant adroitement les flèches qu'on ne manquera pas de lui lancer. « Je n'ignore pas, dit-il modestement, qu'il est téméraire d'écrire dans un métier que l'on n'a jamais exercé; je ne crois pas cependant que l'on puisse me faire de grands reproches d'oser occuper, sur le papier seulement, un poste de général dont beaucoup d'autres se sont chargés en réalité avec une bien plus insigne présomption encore. Les erreurs où je puis tomber en écrivant peuvent être rectifiées et n'auront nui à personne; mais les fautes de ceux-là ne sont aperçues que par la ruine des empires. » Ayant ainsi lancé sa pointe aux généraux malheureux, avec une certaine aigreur d'intellectuel, Machiavel déploiera tous les prestiges de sa science militaire. 
Celle-ci, je l'ai dit, est nourrie à la fois par la lecture et par l'observation, mais l'observation l'emporte, en ce sens qu'elle contrôle, vérifie, homologue et entérine ce que lui a appris la culture. La constitution de la milice, qui occupe la plus grande partie des années 1506 et 1507, satisfait ce goût qu'il a pour le détail précis, pour l'application des mesures exactes, pour le fait pratique. Les Neuf ; dont il était le secrétaire de chancellerie, lui laissaient carte blanche. Aussi supportait-il toute la besogne, toute la responsabilité, et le travail l'accablait-il, mais il avait cette satisfaction rare et exquise d'agir à sa guise, selon ce qu'il croyait être le meilleur pour l'intérêt de l'État. Personne ne le contrôle ni ne le critique ; il est seul à poursuivre cette énorme correspondance que réclament l'enrôlement des soldats, leur armement, leur transport, leur nourriture, leur équipement. Son bureau est devenu un véritable bureau de recrutement où s'entassent les rôles de compagnies, les états de fourniture s, les bulletins de commandes et les factures. Il s'occupe du matériel aussi bien que des hommes, de l'artillerie et de l'intendance. Il est à la fois trésorier-payeur et garde- magasin, comptable et armurier. Submergé par les paperasses, il s'en échappe parfois pour aller faire fouetter quelque déserteur ou ramasser de force des insoumis. 
Certains podestats faisaient la sourde oreille. IL courait alors les villages et les gros bourgs, stimulant zèle des indifférents, effrayant les rebelles par l'appareil de cordes et de coutelas que portent avec eux Don Michele, ce remarquable bourreau dont la République a hérité après la disparition du duc de Valentinois, et ses aides. Il faut qu'il organise la répression et, si celle-ci risque de provoquer des désordres plus graves, qu'il se fasse diplomate, qu'il arrange les choses sans mécontenter tramp les autorités locales, sans affaiblir, non plus, la milice. C'est à lui que les capitaines demandent les effectifs dont ils ont besoin, à lui que les maires refusent les levées prescrites. Et quand tout ce monde-là est habillé, chaussé, coiffé, armé, monté, on envoie les nouvelles recrues s'exercer au camp de Pise, où il y a chaque jour des escarmouches. Il s'agit alors de les loger, et l'on fait construire des baraquements, de les payer, en s'arrangeant pour que les bandits de grand chemin n'arrêtent pas en route les agents du Trésor, de leur fournir du pain, du vin, de la viande, de satisfaire aux mille réclamations des capitaines qui ne sont jamais contents, qui se jugent lésés, défavorisés, sacrifiés. Et il s'agit par surcroît d'inculquer à tous ces braves gens la notion de ce qu'on appelle le patriotisme, le dévouement au sol, à la cité, à la collectivité, pour empêcher que les agents recruteurs des autres compagnies au service des États voisins les débauchent et les fassent déserter quand on les aura à grands frais exercés, équipés et armés. 
Ces menus détails mêmes sont passionnants pour qui se consacre avec tout son cœur et toute son intelligence à une tâche comme celle-là. Dans la correspondance et les notes de voyages de Machiavel, organisateur de la milice florentine, on retrouve ce souci des « petites choses » qui apparaît d'autre part dans son Arte della Guerra. Pour mieux dire, Machiavel est un homme qui sait qu'il n'y a pas de petites choses. Voyez avec quelle minutie il discute les moindres détails techniques, du creusement des fossés, des herses des portes dans les forteresses, de la forme des selles (« les selles à arçon et à étriers, inconnus des anciens, donnent aujourd'hui aux cavaliers une assiette à cheval beaucoup plus ferme qu'autrefois, et je pense que le choc d'un pesant escadron de gens d'armes est beaucoup plus difficile à soutenir que ne l'était celui de la cavalerie ancienne... »), de la manœuvre en limaçon, de la meilleure forme à donner aux affûts des canons. Les rayons courbés des roues des affûts français sont-ils préférables aux rayons droits des roues des affûts italiens ? Incontestablement. Écoutez avec quelle autorité et quelle compétence d'artilleur, de charroyeur, de charpentier il en discute. « Ce serait une erreur de croire que les Français ont voulu seulement donner par là plus de beauté à leurs roues, car on ne s'inquiète pas de beauté quand il s'agit de solidité. Quand l'affût est chargé, il porte également des deux côtés, ou il penche de l'un ou de l'autre ; s'il porte également, chaque roue, soutenant le même poids, n'est pas excessivement chargée ; s'il vient à pencher, tout le poids de l'affût tombe sur une roue, et si les rayons de celle-ci sont droits, ils peuvent aisément se briser ; ils penchent en effet avec la roue et ne supportent plus le poids d'aplomb. Ainsi c'est lorsque le char porte également et qu'ils sont moins chargés que ces rayons sont les plus forts, et ils sont plus faibles lorsque l'affût étant penché, ils sont chargés davantage. C'est tout le contraire pour les rayons courbés des affûts français. Lorsque leurs affûts viennent à pencher et s'appuyer sur une des roues, ces rayons ordinairement courbés deviennent alors droits et portent tout le poids d'aplomb ; et lorsque l'affût marche également, et qu'ils sont courbés, ils ne portent alors que la moitié du poids. » 
J'ai dit que Machiavel considérait la guerre comme un jeu intellectuel, comme une partie d'échecs. Mais la marche des figures, les combinaisons tactiques dépendent, en fait, de tous ces éléments banals, terre à terre, si l'on veut, que le bon joueur doit connaître pour ne pas commettre d'erreur. Il sait bien que, dans la réalité, l'intendance joue un rôle aussi grand que l'état-major, qu'un soldat mal nourri perd la moitié de ses moyens. De là vient, chez lui, cette scrupuleuse attention partagée entre les grandes idées générales et les infimes détails matériels. Le grand capitaine est celui qui veille à la chaussure de ses hommes tout autant qu'à leur arquebuse ou à leur moral. Et c'est tout cela rassemblé qui constitue son traité sur la formation de la milice florentine, ses « provisions » pour l'infanterie et la cavalerie, son « art de la guerre », enfin, pleins de ces conseils utiles, modestes si l'on veut, qu'on le voit donner, par ailleurs, sur le plan de la science diplomatique, à son ami et disciple Rafaele Girolami, nommé ambassadeur du roi d'Espagne auprès de l'Empereur. Cette lettre à Girolami constitue un petit bréviaire à l'usage des ambassadeurs, aussi bien que ses traités militaires des bréviaires à l'usage des capitaines, et le Prince le bréviaire immortel de tous les hommes d'État ; ses Discours sur Tite-Live, moins connus, moins pratiqués, étant plus riches encore d'enseignements et d'expérience. 
Écoutez-le chuchoter à l'oreille de Girolami : « Un honnête homme exécute ponctuellement les ordres qu'il a reçus, mais il y faut aussi de l'habileté. Pour bien s'acquitter d'une commission politique, il faut connaître le caractère du prince et de ceux qui le dirigent et s'attacher à ceux qui peuvent nous procurer facilement des audiences, car il n'y a rien de difficile pour un ambassadeur qui a l'oreille du prince ; mais il lui importe surtout de se faire estimer, et il y parviendra en réglant tellement ses actions et ses discours, qu'on le juge homme d'honneur, libéral et sincère. Ce dernier point est essentiel et beaucoup trop négligé. J'en ai vu plus d'un se perdre tellement dans l'esprit des princes par leur duplicité qu'ils ont été incapables de conduire la négociation la moins importante. Sans doute il est quelquefois nécessaire de couvrir son jeu, mais on doit le faire de manière à n'éveiller aucun soupçon et se tenir prêt à répondre si l'on vient à être découvert. » Ce qui prouve que le « machiavélisme » dont on fait honneur à l'inventeur de ces sages conseils ne consiste pas dans un emploi systématique de la duplicité, de la fausseté et du mensonge, mais davantage dans l'alternance de la sincérité et de la dissimulation, selon que les circonstances réclament l'une ou l'autre. 
On voit donc Machiavel homme de guerre attacher autant d'importance aux « boutons de guêtre » que Machiavel diplomate recueillir les moindres renseignements et utiliser tout ce que pourra lui apprendre d'insignifiant en apparence une conversation fortuite. Mais quand il se hausse au-dessus des simples détails techniques, il embrasse alors tout l'ensemble de la question avec une largeur de vues, un vaste esprit de synthèse qui sont vraiment, dans cette matière comme dans les autres, le coup d'œil du génie. Il a, ainsi, très bien jugé l'efficacité et l'avenir de cette arme toute nouvelle qu'est l'artillerie. L'usage des armes à feu obligeait en effet les capitaines à modifier l'ordre de bataille et les évolutions traditionnelles des fantassins et des cavaliers. La lenteur du tir, les longs préparatifs qu'exigeait la mise en batterie des bombardes, l'usure rapide des canons empêchaient ces armes à feu de jouer un rôle décisif dans la bataille. Elles servaient surtout dans les sièges. En rase campagne, il était assez facile de se préserver. « Les coups de la grosse artillerie, le plus souvent sans aucun doute, portent à faux. L'infanterie a si peu de hauteur, et cette artillerie est si difficile à manier que, pour peu que vous leviez le canon, le coup passe par-dessus la tête ; si vous l'abaissez, il frappe à terre et n'arrive pas. Songez encore que la moindre inégalité de terrain, le moindre buisson, la plus légère éminence entre vous et l'artillerie arrête tout son effet. Quant à la cavalerie et surtout aux gens d'armes qui sont plus élevés et plus serrés que les chevau-légers, il est plus facile de les atteindre... » De là les formations de bataille imaginées par Machiavel et reproduites dans son livre, remarquables pour leur mobilité, leur souplesse, leur moindre vulnérabilité. 
Avait-il expérimenté lui-même, sur le terrain, les avantages de ces formations ? C'est peu probable. Il fallait, pour commander la manœuvre d'un bataillon, des connaissances pratiques qu'il n'avait pas pu acquérir ni exercer. Maître du kriegspiel sur le papier, Machiavel devait se montrer assez maladroit dans des exercices auxquels, en revanche, excellait un simple sous-officier d'infanterie. Les condottieri avec lesquels il discutait de stratégie s'amusaient parfois à le « mettre au pied du mur », et la légende raconte que Giovanni de Medici, le fils de Caterina Sforza, le fameux « Jean des Bandes Noires », se divertit un jour à lui confier un régiment de trois mille hommes évoluant dans la plaine, pour qu'il le fasse manœuvrer à sa guise. Machiavel, rapporte Bandello qui raconte l'histoire, sua sang et eau pendant deux heures sans obtenir autre chose qu'un désordre affreux ; sur quoi Jean des Bandes Noires, prenant le commandement, avec quelques ordres et quelques roulements de tambour, redressa la manœuvre, et dirigea sans peine les mouvements de cette compagnie. 
Cette piquante démonstration de la supériorité du « praticien » sur le « théoricien » en cette matière n'empêche pas les conclusions de Machiavel de représenter un progrès considérable sur l'esprit du temps. Celles sur la constitution de l'armée, par exemple, et les avantages qu'il y a à choisir les fantassins parmi les paysans et les cavaliers parmi les citadins, ses remarques sur l'âge des soldats, sur leurs aptitudes physiques, sur leur entraînement. Ce sont là toutes choses que les condottieri savaient d'instinct, mais Machiavel les a précisées, codifiées, afin d'instruire justement les profanes, les « civils » qui n'entendent rien aux choses militaires. 
Il se propose d'intéresser ces profanes, ces civils, aux lois qui commandent la composition et l'entretien d'une armée, parce qu'il a besoin de l'adhésion de l'opinion publique à la réforme qu'il préconise et dont les condottieri vont être les premières victimes. Le désir qu'il a de créer une armée nationale exclut en effet tous les éléments proprement mercenaires qui se louent au plus offrant et qui n'apportent à la guerre qu'un esprit de lucre. Machiavel est l'inventeur du patriotisme italien, ou, pour mieux dire, il veut répandre dans la masse du peuple ce sentiment qui est resté jusqu'alors le privilège de quelques esprits plus éclairés, de quelques cœurs plus généreux. L'Italien de la Renaissance connaissait uniquement un patriotisme local, un esprit de clocher. Transformer ce sentiment étroit, exclusif, limitatif, en un patriotisme national est un de ses plus ardents espoirs. Voulant une Italie unie, il comprend la nécessité de la doter d'une armée nationale et de la soustraire à l'ingérence des étrangers, aussi bien dans le domaine, considérable, du gouvernement des États que dans celui, plus modeste, de la composition des armées. 
Au cours des diverses campagnes auxquelles il avait assisté, Machiavel avait constaté les nombreux défauts des armées de métier, des condotte, qui n'étaient à tout prendre qu'une solution lâche, avare et paresseuse. Pour éviter à leurs sujets de faire la guerre et pour épargner à leurs finances l'entretien d'une armée permanente, les États italiens s'étaient mis entre les mains d'aventuriers et d'étrangers. Certains condottieri étaient des hommes de grande valeur, mais leur état même faisait qu'ils servaient indistinctement l'une ou l'autre république. Vendant leurs services, ils agissaient comme tous les commerçants qui s'efforcent d'en donner le moins possible tout en se faisant payer le plus cher possible. Leur insolence, leur arrogance, leur mauvaise foi, leur avidité surpassaient le plus souvent leur conscience professionnelle, sauf peut-être chez un Carmagnola qui était un honnête homme, et chez un Federico d'Urbino, dont l'honnêteté tournait à la faiblesse. 
César Borgia l'avait bien compris ; le jour où il a été persuadé que ses condottieri se disposaient à le trahir, il avait constitué une armée « nationale » levée parmi ses sujets romagnols qui lui étaient dévoués corps et âme. C'est par leur armée nationale que les Suisses, démontre Machiavel, ont atteint une supériorité militaire indiscutable. C'est par leur armée nationale que les Romains sont devenus les maîtres du monde ; nationale, en effet, était essentiellement leur armée, malgré les nombreux auxiliaires qu'ils employaient, cavaliers arabes et germains, frondeurs baléares et crétois, « artilleurs » grecs, puisque le noyau, la légion, était constitué uniquement par des Latins. Il faut donc, en cela comme dans tout le reste, revenir à l'exemple des Anciens. Enflammé par la lecture de Tacite, de Tite-Live, de César, Machiavel s'enthousiasme pour ces petits légionnaires bruns à tète ronde, manœuvrant sous le cep de vigne des centurions, abreuvés de vinaigre et nourris de biscuits secs, qui sur toutes les routes de l'univers ont porté leur épée courte et leur bouclier carré. 
Il faut revenir à l'armée nationale qui, seule, possède un « moral » et une âme ; constituée par des citoyens, commandée par des citoyens ; en un mot par des hommes attachés au sol qu'ils défendent par les liens de l'affection, du dévouement et du patriotisme. 
En cela comme en beaucoup d'autres choses, Machiavel ressemble à ces hommes de la Révolution française, qui proclamaient la Patrie en danger et commandaient la levée en masse. En Italie, aussi, à cette époque, la Patrie était en danger. Le sol national était violé par les Espagnols qui tenaient le royaume de Naples, par les Français qui avaient Milan et convoitaient toujours davantage, par l'empereur Maximilien, enfin, qui, à cette époque, faisait de grands préparatifs pour descendre en Italie. Était-ce seulement dans l'intention de venir se faire couronner à Rome ? Ou bien, reprenant la politique de ses prédécesseurs souabes, prétendait-il restaurer la toute- puissance de l'Empire dans la péninsule ? 
Tous ces événements, tous ces périls commandaient à l'Italie de devenir forte et de s'unir, pour faire front contre les « Barbares ». En cela Machiavel pensait comme Jules II, mais non pour les mêmes motifs. Alors que l'un aspirait à accroître indéfiniment le prestige de l'autorité du Saint-Siège, l'autre était mû simplement par ce sentiment patriotique, anachronique, en ce sens qu'il était très rare chez les hommes de ce temps, et exceptionnel en Italie où les particularismes locaux, les divisions, les jalousies, les susceptibilités favorisaient l'intervention étrangère. 
Ce patriotisme, il s'efforce de l'enseigner à ses contemporains, d'abord en leur donnant pour exemple leurs ancêtres les Romains qui, grâce à lui, avaient atteint la toute-puissance ; en leur démontrant ensuite que leur intérêt le commande, qu'à moins de transformer leurs institutions militaires, les États italiens périront. Et comme la transformation des institutions militaires implique de profonds changements dans les idées, les mœurs et les habitudes, c'est une métamorphose radicale, en somme, qu'il entend imposer à ses concitoyens. 
Parviendra-t-il à les convaincre ? Il s'applique à persuader d'abord les deux Soderini, le gonfalonier perpétuel, et le cardinal, dont il réclame le concours. Il veut aussi toucher le peuple lui-même, dans les magistrats qui le représentent, dans sa conscience collective, dans l' « opinion publique ». Il s'efforce de créer un mouvement d'opinion, et à cette fin il organise de fréquentes parades, au cours desquelles on fait défiler dans les rues et manœuvrer sur les places cette nouvelle milice florentine qu'il a recrutée, équipée, armée, exercée à grand-peine et à grands frais. Ces manifestations qui intéressent le peuple, toujours épris de spectacles gratuits, rendent compte des efforts faits par lui, Machiavel, pour doter sa ville de l'armée nationale qui lui faisait défaut. Dorénavant, la patrie ne sera plus défendue par des Suisses, des Gascons ou des Espagnols. Les Florentins eux-mêmes ou, pour mieux dire, les Toscans, puisque l'armée est recrutée dans les villes et les villages tributaires de Florence, protégeront la Toscane contre l'ennemi étranger. 
Il ne s'agit pas encore d'une armée nationale italienne : il ne faut pas être trop exigeant. Le passage du patriotisme provincial au patriotisme national sera long et difficile, et l'armée nationale italienne ne sera possible que le jour où les Toscans, les Lombards, les Napolitains, les Vénitiens se considéreront comme des Italiens, et penseront italien. En attendant le jour lointain où l'Italie sera pour tous les habitants de la Péninsule une réalité géographique, politique, sociale, morale, psychologique, et je dirai même : sentimentale, il faut parer au plus pressé et appliquer son sentiment patriotique à la « petite patrie ». 
La création de la milice nationale est un premier pas fait pour se libérer de la tutelle des étrangers ; plus de soldats étrangers, plus de chefs étrangers. Firenze fara da sè. Cela s'accomplit en ce qui concerne les soldats, gars racolés dans la campagne toscane, à grand labeur, après de longs voyages et d'interminables correspondances avec les podestats. Pour les chefs, pas encore. On s'étonnera que Florence, animée de ce noble désir de ne dépendre que d'elle-même et de ses fils, confie le commandement de son armée nationale, de nouveau, à un étranger. 
Et quel étranger ! Un Espagnol, un aventurier que la Seigneurie a ramassé parmi les débris de l'armée de César Borgia. L'homme à tout faire du duc de Valentinois, l'exécuteur des hautes œuvres, le bourreau qui a, de ses mains, passé le lacet autour du cou des victimes de Sinigaglia. Ce Don Michele, qu'on appelle familièrement Michelotto, élevé à la dignité de capitaine général des troupes florentines, se met à la tête de la milice. Un paradoxe ? non pas, une vieille tradition, dont il sera difficile de se débarrasser : celle qui fait préférer l'étranger au concitoyen, de peur que celui-ci ne s'enorgueillisse ou ne tire avantage de sa nouvelle dignité. On aurait pu choisir Antonio Tebalducci Giacomini, qui est un bon soldat, un technicien valeureux, qui a vaincu l'Alviano en 1505, et qui, par surcroît, appartient à une vieille famille florentine. Non, on lui préfère cet Espagnol taré, qu'on avait jeté en prison après la chute de César Borgia, par horreur de tous les crimes qu'il avait commis. Ah! ils seront difficiles à changer, ces Florentins ! 
En fait, le problème du chef ne se pose pas d'une façon aiguë pour le moment, puisque Florence n'est pas en danger ; les opérations devant Pise font partie de la routine quotidienne. Peut-être espère-t-on aussi que la réputation de cruauté froide, implacable, qui accompagne en tous lieux le féroce Michelotto aura une heureuse influence sur la discipline de la milice. Celle-ci, en effet, n'est pas composée de soldats de métier, déjà rompus à la vie militaire, mais de paysans, qui ont quitté la charrue pour prendre la pique et l'arquebuse. Machiavel sait bien que le patriotisme ne sera pas un élément suffisant pour assurer l'homogénéité, la solidité de l'armée, et surtout sa docilité, son obéissance immédiate et aveugle. Le regard dur de Michelotto, sa bouche mauvaise, ses jurons castillans, et sa promptitude à jouer du poignard feront plus, probablement, que toutes les qualités de Giacomini. C'est Machiavel, d'ailleurs, qui soutient de toutes ses forces la candidature de Don Michele, contre une opposition tenace et hostile ; on craint, semble-t-il, que Soderini veuille s'appuyer sur Michelotto pour exercer la tyrannie. 
Soderini émule de César Borgia ? Machiavel sait bien qu'il n'y a rien à craindre. Le jour où Soderini mourra, il écrira une épigramme féroce dans laquelle il montrera l'ancien gonfalonier rejeté du paradis par les anges, de l'enfer par les diables. « Soderini ? Qu'il s'en aille dans les Limbes, là où sont les petits bébés ! » Il fallut trois votes successifs au Conseil des Quatre-Vingts pour obtenir la majorité nécessaire à la nomination de Don Michele. Cela fait, Machiavel se hâta de l'envoyer devant Pise où les « miliciens » piétinaient et, du jour au lendemain, les opérations prirent un rythme plus vif, les nouveaux soldats se battirent plus courageusement. 
Pourquoi ? Eh ! Machiavel connaît bien les hommes. Il suffisait de leur donner un chef qu'ils redoutassent plus qu'ils ne redoutaient les Pisans.
Marcel BRION http://www.theatrum-belli.com

samedi 24 mars 2012

L’ACTIVITÉ ANTI-HITLÉRIENNE D’OTTO STRASSER À MONTRÉAL ET LA RÉVOLUTION CONSERVATRICE, 1941-1943

Positionner [sic] Otto Strasser (1) dans le spectre de la résistance antinazie n’est pas une mince tâche. Hôte inconfortable partout, il ne réussit jamais à s’allier ses compatriotes en exil, qu’ils fussent de gauche ou même de droite. Certes Strasser soutint une activité qui dénote un courage certain, mais qui, cependant, ne fut jamais motivée par des raisons d’ordre moral. L’ambiguïté de ses positions vis-à-vis du nazisme n’était certainement pas étrangère au malaise qu’il créait un peu partout, à plus forte raison encore chez ses compatriotes en exil. Au Canada, ces équivoques viendront s’ajouter au déroulement de la guerre et causeront sa déchéance, son chant du cygne. Sans appuis politiques importants, il dut se résigner à une activité de polémiste.
La production historique portant sur l’exil d’Otto Strasser au Canada est marquée par la rareté à la fois quantitative et qualitative (2). Nous proposons donc d’analyser la pensée d’Otto Strasser en étudiant ses textes rédigés à Montréal. Leur analyse permettra de faire ressortir les thèmes et valeurs d’une pensée et d’une vision du monde sur lesquelles est fondé un programme politique qui ne mourra pas avec la défaite du nazisme, mais qui lui survivra, d’abord au sein du propre parti de Strasser (DSU – Deutsch-Soziale Union), puis en inspirant des partis d’extrême droite tels le NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands) et même le Front National en France [sic] à une certaine époque.
1. Influences intellectuelles et action politique, 1919-1933
Otto Strasser naquit à Windsheim en Bavière le 10 septembre 1897. Son père, fonctionnaire de justice de l’État bavarois, initia très tôt ses enfants à la politique par le biais de soirées consacrées à des discussions sur le sujet. Pour Peter Strasser, le socialisme chrétien et national s’imposait comme seule voie politique possible pour l’Allemagne du tournant du siècle (3).
À 17 ans, Strasser s’engagea pour le front, dont l’expérience constitua sans doute l’une des pierres d’assises de sa carrière politique. La guerre en tant que telle et, plus précisément, le retour et le choc causés par l’ampleur de la défaite lui firent prendre conscience que son destin était manifestement lié à celui de l’Allemagne. A posteriori, il écrira : « la solution au futur de l’Allemagne devint ma tâche personnelle » (4). De même, il garda de la vie au front un sentiment et un esprit communautaires dont les traces sont visibles dans plusieurs de ses écrits polémiques et politiques (5). Quant à sa participation en 1919 à la répression de la révolution communiste à Munich au sein du corps franc du général Ritter von Epp, elle se pose comme l’origine de sa méfiance à l’égard du bolchevisme, de son nationalisme qualifié de « revanchard » par Patrick Moreau, ainsi que d’un certain antisémitisme (6).
Alors que son frère Gregor se lança, dès la révolution communiste matée, dans la politique active, d’abord en mettant sur pied la division de Landshut de l’Association nationaliste des soldats7 puis en devenant membre du parti national-socialiste naissant, Otto Strasser retourna aux études qui avaient été interrompues par la guerre. Toujours attiré par le socialisme chrétien qui s’imposait alors comme catalyseur de sa pensée politique, il fonda, en tant que membre du SPD, l’Association universitaire des anciens combattants du SPD8, et se fit même élire au parlement estudiantin. Dans la même foulée, il organisa en 1920 3 centuries socialistes qui défendirent le quartier berlinois de Steglitz contre les putschistes de Kapp (9).
Cependant, le sort réservé aux ouvriers de la Ruhr laissés aux mains des corps francs, et ce malgré les promesses qui leur avaient été faites par le gouvernement, écoeura Strasser à un point tel qu’il quitta le parti (10). Cet événement qui marquait sa rupture définitive avec la social-démocratie le désempara. De retour à Munich au début de l’automne 1920, il fit la rencontre de Ludendorff et de Hitler, pour lequel il entretint dès l’abord de l’antipathie. Évidemment, Strasser refusa alors d’adhérer au NSDAP (11). Parallèlement à la poursuite de ses études en économie (il remettra sa thèse en 1925), Strasser fréquenta, entre 1920 et 1925, les cercles de discussions révolutionnaires-conservateurs, où il put se familiariser avec les thèses des Jünger, Jung, Moeller van den Bruck et Spengler. Par ces fréquentations et l’étude des idées de Moeller van den Bruck et de Spengler, il trouva les jalons qui guideront sa carrière politique.
L’échec du putsch de Munich en 1923 signait l’arrêt passager des activités du NSDAP. Hitler fut emprisonné et le parti interdit. Au sud de l’Allemagne, les membres se fondirent au sein des organisations paramilitaires racistes qui y étaient légion, tandis qu’au nord, on forma le Mouvement nationaliste grand-allemand pour la liberté (12). Cette refonte du NSDAP-nord pour obvier à son interdiction, permit à Gregor de débuter l’énorme travail d’organisation du parti pour le nord de l’Allemagne. Hitler en prison, Gregor avait donc les coudées franches et pouvait mettre en branle son plan de construction d’un noyau "socialiste" dans cette partie de l’Allemagne. C’est dans ce but, précisément, que Gregor invita Otto à mettre en valeur ses talents de théoricien, ce que ce dernier accepta d’emblée, puisqu’il trouvait dans ce projet l’expression de la synthèse des idées nationale et sociale (13). Avec les gauleiters et les cadres de cette partie de l’Allemagne (Goebbels, Schlange, Kaufmann, etc.), le groupe s’attacha à adapter le programme fondateur du NSDAP (les "vingt-cinq points") de 1920 à la réalité socio-économique particulière du nord-ouest de l’Allemagne, industrialisé et gagné aux partis de gauche (14).
Le projet de rénovation du parti se pose ainsi comme une première ébauche du programme politique strassérien. Fruit des travaux et réflexions de la Communauté de travail des gauleiters nord- et ouest-allemands du NSDAP (15), il proposait des améliorations et approfondissements aux points un peu confus ou dépassés du programme de 1920, sur les plans de la politique étrangère, de la politique intérieure et de l’organisation de l’État national-socialiste, de l’économie et de la politique culturelle (16). Par la suite, Les quatorze thèses de la Révolution allemande (1929), National-socialisme et État (1929), puis Construction du socialisme allemand (1932), amèneront à maturité ce programme politique ainsi que ses fondements idéologiques (17).
2. L’exil
L’antagonisme entre les "socialistes" et la centrale munichoise allait, entre 1925 et 1930, constamment grandir. La fin de non-recevoir opposée par Hitler au projet de rénovation rédigé par les gauleiters de l’Allemagne du nord, l’adhésion de Goebbels aux idées de Hitler, l’activité déployée par la machine munichoise à l’encontre des frères Strasser et de leur groupe, débouchèrent, le 4 juillet 1930, sur la scission de Strasser et des "socialistes" du parti (18). Cet événement força Strasser et son groupe à une certaine clandestinité, et ce même avant la prise du pouvoir nazie en janvier 1933. Cet exil intérieur se mua, bien sûr en 1933, en véritable exil, alors que Strasser dut se réfugier d’abord en Autriche et en Tchécoslovaquie, puis successivement en Suisse, en France et au Portugal. C’est de cette dernière étape, en septembre 1940, qu’il fut secouru par les services secrets britanniques ou, plus précisément, par le SOE (Special Operations Executive), agence responsable de la subversion, de la propagande et du support à la résistance (19).
Lorsque Strasser arriva au Canada en avril 1941, la presse lui accorda un accueil plutôt favorable. Le caractère spectaculaire de son activité était attisé par le correspondant de guerre pour le Times de Londres, Douglas Reed, ainsi que par Strasser lui-même, qui ne manquait jamais une occasion de vanter son action, de souligner sa haine pour Hitler, et de rappeler qu’il possédait des informations prétendument secrètes au sujet des plans de guerre nazis. Son arrivée fut donc considérée comme celle d’un allié qui, fort de son réseau de résistance et de ses informations, aiderait les Britanniques à vaincre l’Allemagne nazie qui, à cette époque précise de la guerre, connaissait des succès militaires. En préambule de sa chronique bi-hebdomadaire dans les pages du quotidien montréalais The Gazette, on présentait Strasser comme :
[...] le fondateur et chef du Front Noir, le plus grand mouvement clandestin de résistance d’Allemagne. Sur la base de sa connaissance intime du parti nazi et de ses chefs, combinée avec le flot continu d’informations lui parvenant hebdomadairement d’Allemands de tout acabit, incluant des officiers de l’armée, des fonctionnaires d’État et des membres du parti nazi [...] (20)
Dans une critique du livre de Douglas Reed, Nemesis ? The Story of Otto Strasser and the Black Front, paru dans The Gazette du 4 octobre 1941, Donald C. MacDonald présentait Strasser de façon plutôt flatteuse, le dépeignant comme le « premier leader national-socialiste à s’être joint aux rangs de la résistance pour ensuite combattre sans relâche tant en Allemagne qu’à l’extérieur del’Allemagne » (21). Traitant d’un livre rédigé par Strasser, Germany Tomorrow, MacDonald ira même jusqu’à le conseiller « à tout étudiant sérieux intéressé à l’histoire présente » (22). Ce même journaliste n’hésitera pas, dans un article portant sur l’entrée des États-Unis dans la guerre, de faire de Strasser « l’anti-nazi numéro un » (23).
Mais cette aura pâlira avec le temps : au fur et à mesure que les Alliés prendront l’initiative, les articles de Strasser perdront de leur importance et de leur pertinence, et les lecteurs cesseront de croire à ce type de ragots. L’isolement progressif de Strasser peut être ressenti dans son écriture : de plus en plus, ses propos sont invraisemblables, voyant dans les gestes de tout un chacun les signes de l’éclatement imminent du régime hitlérien. Sous les pressions des autorités britanniques, le gouvernement canadien dut consentir à museler Strasser, lui interdisant formellement toute activité publique. Strasser continua tout de même à publier et les autorités n’eurent d’autre choix que de le condamner en vertu des Lois pour la Défense du Canada. Strasser vécut chez un ami en Nouvelle-Écosse et ne put retourner en Allemagne qu’en 1955, où il créa un parti d’extrême droite, l’Union sociale allemande (DSU).
3. La Révolution conservatrice à Montréal. Analyse thématique de l’activité de pamphlétaire d’Otto Strasser
Nous entendons par "Révolution conservatrice" le mouvement d’intellectuels d’extrême droite, dont les thèses furent publicisées par des auteurs tels que Arthur Moeller van den Bruck, Oswald Spengler, Ernst Jünger, Edgar Jung, Wilhelm Stapel, ou encore Ernst Niekisch. La Révolution conservatrice entend détruire le "système" démocratique et vise à une modernisation du nationalisme allemand, qui intégrerait les effets de la modernisation, de la technique et de l’avènement des masses. Son côté conservateur s’exprime par la volonté d’un retour aux valeurs dites germaniques que sont le sang, le sol et la nation.
L’expérience de la guerre et le choc de la défaite donnèrent l’impulsion positive au mouvement qui est en fin de compte une "dynamique conservatrice", pour reprendre le terme de Louis Dupeux (24). L’"adhésion à l’Ouest" que constituent, selon ses tenants, la signature des traités de Versailles (1919) et de Locarno (1925), et l’entrée de l’Allemagne au sein de la SDN (1926), ralliera les activistes contre le "système" de Weimar et ce, bien avant les déboires économiques de 1929-1930. Les révolutionnaires-conservateurs partagent — et c’est là peut-être leur seul véritable point commun — une vision ou perception du monde (Weltbildung ou Weltanschauung) et de l’histoire commune, qui s’oppose essentiellement à l’héritage politique, économique, social et culturel légué par les Lumières et la Révolution française. À cela, ils opposent les "forces de la Vie", "la toute puissance de l’Idée", une communauté du peuple (Volksgemeinschaft) liée et hiérarchisée organiquement, gouvernée par un régime corporatiste, dont la valeur suprême est le service à la Nation, qui prend ici, sous la plume de nombreux auteurs de la mouvance, la forme d’un être vivant (25). Cette vision du monde est dénuée de toute rationalité, qui est évacuée au profit de l’expérience philosophique, instinctive et inconsciente de la vie (26).
De la lecture des textes rédigés par Strasser durant son exil à Montréal, nous avons retenu 5 grands thèmes : le prussianisme, le nazisme hitlérien, l’entre-deux-guerres, la conduite de la guerre, puis l’Allemagne d’après-guerre et le programme strassérien.
3.1. Le prussianisme
Otto Strasser retrace dans le prussianisme l’origine à la fois du nazisme et du bolchevisme, de la même manière qu’il y retrouve les germes de la domination et de l’absolutisme (27). Selon lui, c’est imprégnés de cet esprit prussien que les généraux conduisirent l’Allemagne à la défaite de 1918. Il ajoute que ces derniers avaient une faim insatiable de territoires, « le globe terrestre devenait trop petit pour la fantaisie des politiciens de café qui se partageaient le monde » (28). C’est ce qui les empêcha de réaliser le désespoir de la situation et de demander la paix plus tôt, alors qu’il était encore temps.
L’esprit prussien a insuflé au terme "nation" des velléités d’impérialisme et de domination, au lieu de retrouver dans cette idée "le sens de son unité". L’ambition de la Prusse était de faire l’Allemagne à la manière des rois de France, ce qui est contraire au caractère allemand. La Prusse, mue par un esprit vindicatif et militariste, imposa sa puissance en rassemblant sous son joug des régions jusque-là indépendantes. Aux yeux de Strasser, cette folie centralisatrice prônée par la Prusse, l’industrie lourde et par Hitler était anti-allemande :
La Prusse avait su faire sienne l’idée d’unité nationale pour conquérir peu à peu, au cours du XIXe siècle, tous les États allemands. C’était là une performance certes remarquable, mais correspondait-elle à la mission réelle des peuples allemands ?
Cette mission est européenne comme le prouve l’histoire du Saint Empire. Elle est fédératrice et non pas nationaliste dans le sens impérialiste du mot (29).
Cela rejoint le coeur du problème selon Strasser : la Prusse, de par son aristocratie terrienne, est fondamentalement anti-européenne. La bourgeoisie prussienne, adoratrice des junkers et des militaires, adhère aux mêmes valeurs et idées. Ainsi, par ce consensus qui lie ses élites, la Prusse a pu maintenir ensemble les États allemands de la même manière qu’elle assit sa domination sur l’Europe (30).
La Prusse et ses piliers, l’aristocratie, l’armée et l’administration, n’ont cependant pas le courage de leurs convictions. Ils veulent assumer le pouvoir politique indirectement et ont donc besoin d’un masque, d’une façade. Sous la république de Weimar, ils utilisèrent Ebert et Hindenburg, et par la suite, ce fut le tour de Hitler. Strasser, dans un article, émet même la conjecture suivante : Göring serait le choix des généraux, ce qui expliquerait la prétendue "propagande" dirigée par la vieille garde prussienne, vantant les mérites du chef de la Luftwaffe (31).
Il faut chercher l’origine des plans des généraux dans la constante rivalité, au sein du "système hitlérien", opposant le parti à l’armée prussienne. Cette rivalité, selon Strasser, découle de visions diférentes et fondamentales, qui rendent l’éclatement imminent, sinon inévitable (32). Cet antagonisme se ressent de plus en plus, au fur et à mesure que l’armée s’enlise en Russie et que le redoutable hiver russe change les données stratégiques. L’armée (la "réaction" dans le jargon strassérien) s’accommode du parti tant qu’elle y trouve son profit. La victoire qui semble inatteignable et les pertes qui s’accumulent éloignent les généraux prussiens de leur objectif de domination prusso-germanique de l’Europe (33).
Pour terminer l’année 1941, Strasser rédigea un article faisant état de la désertion des généraux prussiens sous le double choc de l’échec de la campagne de Russie et de l’entrée en guerre des États-Unis. Par un parallèle historique fort douteux, il nous dit que les généraux préparent la dictature prussienne en Allemagne, comme en 1918, lorsque l’échec de l’offensive du printemps fut consommé. Envisageant la défaite, les généraux concentrent tous leurs efforts au maintien et à la survie de leur groupe. Strasser avertit les lecteurs du danger que représente la vieille garde prussienne : en gardant son armée intacte, en imposant sa volonté politique sur l’Allemagne, elle cherchera à négocier une paix qui ne sera rien d’autre qu’une trève, pavant la voie à de futures actions belliqueuses (34).
Strasser, dans son analyse du prussianisme, introduit l’élément de continuité, d’une évolution historique qui mène vers le nazisme. Pour ce Bavarois, c’est la survivance des structures socio-économiques traditionnelles prussiennes qui sont responsables. L’aristocratie, la bureaucratie, l’armée et le grand capital prussiens sont tous mis au banc des accusés, en tant que forces porteuses de cette évolution funeste, contraire au caractère allemand. Hitler, on le verra dans la prochaine section, est réduit à un rôle d’outil, de "façade" servant leurs intérêts.
3.2. Le nazisme hitlérien
La conception du "système hitlérien" de Strasser est étroitement liée au prussianisme, qui permit à Hitler et à ses acolytes de se hisser au pouvoir. D’entrée de jeu, notons la très nette distinction que fait Strasser entre le "national-socialisme" (nationaler Sozialismus ; Strasser dirait plutôt, "socialisme national" [35]) — idée violée par Hitler — et le "nazisme" — le mariage de Hitler, de l’industrie lourde et de l’armée prussienne. Le premier est d’origine tchèque (36), fut défendu en Allemagne par le groupe des frères Strasser au sein du NSDAP entre 1925 et 1930, et jouissait d’une supériorité intellectuelle. Le deuxième fut offert à Hitler comme un instrument mis au service de sa soif de pouvoir, lui octroyant de fait une nette supériorité matérielle (SA, SS, armes, moyens financiers) qui fut décisive dans la lutte opposant la « Révolution allemande » au « système hitlérien » (37).
Pour Strasser, l’hitlérisme est d’abord et avant tout Hitler : dénué de tout sens moral, intoxiqué du pouvoir, « il était capable des pactes et des promesses les plus contradictoires et des tricheries de toutes sortes » (38). Lors d’une conférence donnée en français à Québec le 7 décembre 1941, Strasser s’exprimait ainsi : « Parce qu’il s’agit-là de l’essence même de la folie, de ne pas avoir d’autres limites que celle du territoire. S’il atteignait ces limites, il continuerait jusqu’aux limites de l’univers - dans une tentative de détrôner Dieu » (39). Cette soif de pouvoir eut raison de ses premiers collaborateurs : à l’origine, Hitler était l’homme de paille et l’instrument politique de 4 hommes, Ludendorff, von Epp, Röhm et von Kahr (40), qui ont tous été trahis au profit du grand capital prussien. La vieille politique de puissance prussienne, la démagogie moderne et l’absence de moralité chez la personne de Hitler se juxtaposent dans la logique strassérienne pour constituer le nazisme hitlérien. La politique traditionnelle de puissance prussienne a constitué une menace pour l’Allemagne et l’Europe depuis des décennies, mais elle « devint un véritable danger mondial à partir du moment où sa force destructrice fut élégamment vêtue de démagogie moderne — comme une idée qui libérerait les peuples » (41). Tout le mérite de Hitler réside dans le fait qu’il réussit à convaincre le peuple de la validité et de la légitimité du pouvoir prussien.
Ernst Jünger et Oswald Spengler expliquent la logique du nazisme comme étant la création d’un État au sein duquel le peuple, bien nourri mais dépourvu de droits, travaille pour l’État, qui est représenté et dominé par la « classe des guerriers » (42). Pour Strasser, cette « classe des guerriers » est constituée de l’industrie lourde, de l’armée, de Hitler et de ses lieutenants, les seuls qui tirent des bénéfices de cette guerre.
Mais Strasser n’a-t-il jamais ressenti quelque sympathie pour le mouvement national-socialiste ? Deux exemples portant sur le putsch de 1923, tirés de Flight from Terror, démontrent que oui :
Les troupes se formèrent rapidement en colonne de quatre. Les bannières furent montées de façon arrogante. Les yeux brillaient de la promesse des émotions à venir. Le désir, la jeunesse et le courage étaient les armes les plus puissantes de cette petite armée. Même les spectateurs, alignés en bordure, se sentirent soulevés par ce tableau d’hommes qui osent (43).
Plus tard, il avouera avoir été impressionné par ce spectacle, par cette irrésistible dynamique :
Aussi étrange que cela puisse paraître, les effets du putsch de Munich sur mon esprit furent exactement le contraire de ce que l’on aurait pu s’attendre. Au lieu de m’aliéner entièrement le national-socialisme, ils m’ont rapproché du parti, encouragé toute sympathie que j’avais dans le passé (44).
Cette dynamique, si invitante fût-elle aux yeux de Strasser, perdit rapidement de son attrait en se heurtant aux objectifs de Hitler. Ces objectifs atteints, il fallait trouver le moyen de maintenir le régime. La propagande constituait le premier élément. Dirigée par « l’homme le plus intelligent du système hitlérien », Goebbels, celle-ci viole consciemment les nobles sentiments humains à des fins mauvaises, elle utilise et travaille avec des mots modernes afin d’atteindre des buts réactionnaires : « ordre nouveau », « unification de l’Europe », « nécessité de l’expansion agricole ». Le règne de la terreur, avec comme chef de file Göring, constitue le deuxième élément de la stratégie qui vise à assurer la stabilité du régime (45).
Au début de 1942, Hitler et le pouvoir nazi se préparent à une éventuelle guerre civile, écrit Strasser. Afin de mater le front intérieur où germent la révolution et l’agitation, Hitler dissout la SA et renforce la SS. Selon Strasser, la SA est redevenue un bastion de la "gauche" nationale-socialiste révolutionnaire, forçant ainsi Hitler à éparpiller ses chefs et ses troupes dans différentes unités de combat. De façon concomitante, Heinrich Himmler grossit les rangs de la SS de 500.000 nouveaux hommes, dont la moitié sera en opération dans le Reich même, et la dote de sa propre force de l’air (46). À n’en pas douter, par cet article, Strasser tente de démontrer que le contexte en Allemagne est propice à la propagande anti-hitlérienne, et qu’il existe toujours une majorité de "véritables" nationaux-socialistes de "gauche" au sein même du parti, prète à faire cause commune avec les démocraties pour renverser Hitler et son régime. Mais ces propos ne servent, en dernière analyse, qu’à justifier l’action de Strasser, irrémédiablement liée au maintien du programme de guerre politique du gouvernement britannique (propagande, guerre de partisans, révoltes...). Strasser, tel un metteur en scène, crée de toute pièce un scénario qui favorise l’emploi de sa propagande.
3.3. L’entre-deux-guerres
Deux mots, selon Strasser, résument parfaitement la défaite allemande de 1918 : « trop tard ». L’armistice, la défaite déshonorante, la chute des Habsbourg et celle des Hohenzollern, tout est arrivé trop tard. La paix, dans un premier temps, aurait dû être offerte plus tôt aux puissances de l’Entente (47). Ce geste de bonne volonté aurait permis la conclusion d’une véritable paix et aurait évité cette « trève de vingt ans », imputable d’abord au fait que les Alliés, inspirés par le Versailles de 1871, n’aient cherché qu’à affaiblir l’Allemagne — affaiblir l’ennemi ne règle rien, car une paix conclue sur ces bases ne peut durer que le temps nécessaire au pays pour reprendre ses forces —, et ensuite, parce qu’on appliqua « la théorie de l’affaiblissement de l’Allemagne », un remède du XIXe siècle, à un mal du XXe siècle. Au lieu de parler de paix, de reconstruire l’Europe « depuis ses fondations pour créer l’équivalent de l’Europe du Moyen Âge », l’on dut se contenter d’une fiction, la Société des Nations, institution étrangère en raison de ses 2 grands protagonistes, les États-Unis (48) et l’Angleterre, 2 puissances extra-continentales (49).
Né de la défaite, « le cirque de Weimar » était mû par une constitution copiée sur les textes français et américain. La Constitution de la république de Weimar ne créa pas un ordre nouveau mais permit plutôt, sous le masque de la démocratie parlementaire, aux forces traditionnelles de l’époque wilhelmienne d’exercer le pouvoir. La domination prussienne, dans ce contexte, ne s’éteignit pas, mais se perpétua plutôt en prenant des « masques » — Ebert, Hindenburg — et en concoctant une alliance avec le national-socialisme hitlérien. Hitler put donc profiter des piliers de la Prusse que sont l’industrie lourde, l’aristocratie terrienne, l’armée et la bureaucratie, pour atteindre son objectif de régner sur l’Allemagne (50).
Ainsi, pour Strasser, il aurait mieux valu que l’Allemagne ne signe pas le traité de Versailles, ce véritable goulot d’étranglement. Certes, la totalité du territoire allemand aurait été occupée « pour un temps », mais en revanche, la situation aurait été claire. D’une part, l’Allemagne et l’Europe auraient pu repartir sur de nouvelles bases, puis l’extrême droite (!) aurait compris que la guerre était bel et bien terminée. Enfin, la France aurait pu apprécier plus justement sa victoire et constater sur place ce qu’elle pouvait demander ou non en réparations aux Allemands (51).
3.4. La conduite de la guerre
Entre le 30 juin 1934 (la nuit des longs couteaux) et le 1er septembre 1939, un effort gigantesque fut entrepris en Allemagne pour se préparer à la guerre. Le ministre de l’Économie, le Dr. Schacht, cacha les intensions belliqueuses de Hitler, ce qui attira la confiance des banquiers étrangers qui ont cru que les véritables motivations du Führer n’étaient que de s’attaquer aux problèmes franco-allemands et de préparer le retour de l’Allemagne dans le circuit économique mondial, alors qu’en fait, le Dr. Schacht s’efforçait plutôt de « renforcer la position impérialiste de l’économie allemande» (52). Cette politique ne profitait qu’aux grandes entreprises, les grandes gagnantes de la politique de réarmement qui, en retour, le rendaient bien au parti par de généreux versements dans ses coffres.
Pour Strasser, la guerre, à n’en pas douter, débuta en 1938, avec une offensive de propagande visant à démoraliser et à diviser l’adversaire. Cette offensive psychologique, politique et économique déboucha avec succès sur les accords de Munich (53). Pourtant Strasser répétait à cor et à cri, à qui voulait l’entendre depuis 1936, qu’avec Hitler c’était la guerre ; puisqu’un tel régime ne peut survivre sans coups de théâtre, sans crise perpétuelle, sans ennemis. Il faut que le peuple soit mobilisé, qu’il n’ait pas le temps de réfléchir : lorsqu’on marche, on ne pense pas. En toute logique, la guerre devient alors inévitable (54).
Dans la logique strassérienne, la guerre ne pouvait que révéler les profondes dissensions au sein du système hitlérien. Alors que les armées de Hitler enregistrent des succès, la défection de Rudolf Hess fournit à Strasser la première occasion de soulever l’imminent divorce armée - parti. Selon lui, Hess n’est ni plus ni moins que la première victime d’un plan dirigé par l’armée allemande afin de renverser le Führer. En effet, Hess, parce que totalement dévoué à sa personne, représente un danger pour les généraux. De plus, si l’éventuelle invasion de l’Angleterre devait se solder par un échec, les généraux blâmeraient Hitler et le déposeraient afin de négocier une paix séparée55. Dans un message retransmis sur les ondes de Radio-Canada le 15 mai 1941, Strasser soutient qu’un plan de putsch militaire avait été élaboré en avril 1941. Selon ses sources en Allemagne, le groupe des militaires prussiens avait perdu confiance en Hitler. Ils attendaient donc une défaite afin de mettre l’opinion publique de leur côté et de justifier leur action (56).
L’invasion de la Russie et les victoires de l’armée allemande à l’automne 1941 firent déferler une vague de pessimisme chez les Alliés. Strasser pensait, en octobre 1941, soit avant que l’hiver russe ne vienne gâcher et compliquer les choses, que les victoires allemandes n’étaient en définitive que des victoires locales, que l’invasion de la Russie s’imposait en raison de l’échec de Hitler à l’Ouest, c’est-à-dire de son incapacité à mettre la Grande-Bretagne à genoux, dont l’invasion couronnée de succès constituait la condition sine qua non pour une victoire totale (57).
À partir de ce moment précis, tout, dans l’esprit de Strasser, tend à s’écrouler dans le système hitlérien. Tout devient preuve de cet écroulement latent et inévitable. La nomination de Reinhard Heydrich à la tête du protectorat tchèque, marquant la soi-disant transition vers le stade final de l’ordre nouveau nazi en Europe, ne serait dans ce contexte que le résultat de la frustration de Hitler à ne pouvoir asseoir son hégémonie sur l’Europe (58). Ce « désespoir » plonge ses racines dans le bourbier russe qui provoque le désillusionnement des généraux et de la population en général. L’armée se bat tant qu’il y a de l’espoir : cet espoir meurt à petit feu en Russie. Le soldat ne voit dans l’avenir qu’une succession de batailles, sans jamais en voir la finalité : la guerre sans fin. Les généraux, nous dit encore Strasser, en sont tout à fait conscients (59).
Le découragement pousse Hitler à mettre en scène l’unité de l’Axe. La signature du pacte anti-komintern à Berlin lui donne l’occasion de montrer une Europe unie dans une lutte commune contre le communisme. Cet exercice n’est évidemment qu’une façade pour Strasser, qui tient pour preuve l’intense activité de résistance dans ces pays. Hitler « singe » Napoléon (1803) qui avait lui aussi rassemblé ses alliés, espérant ainsi obtenir la paix avec l’Angleterre. La paix ne vint pas et, comme Hitler, Napoléon avait engagé ses armées dans une difficile guerre à l’Est (60).
Évidemment, l’entrée en guerre des États-Unis suite à l’attaque japonaise sur Pearl Harbour, fournit l’occasion à Strasser de faire d’autres analogies historiques. Dans le cadre d’une entrevue accordée au quotidien The Gazette, il entrevoit la fin prochaine de la guerre. Les États-Unis déclarent la guerre à la troisième année du conflit (pour Strasser, on l’a vu, la guerre débuta en 1938) tout comme durant le premier conflit mondial, alors qu’ils n’intervinrent qu’en 1917. Les démocraties, poursuit Strasser, gagnent à tous les niveaux - militaire, économique et psychologique. Se souvenant de l’effet dévastateur de la déclaration de guerre américaine de 1917 : « ce fut un moment de dépression indescriptible, qui sera non seulement répété aujourd’hui, mais qui sera plus grand encore en raison de l’impasse sur le front russe » (61).
Avec l’entrée du Japon, la guerre s’étend au théâtre asiatique. Selon Strasser, il n’est plus possible pour les Alliés de garder la même stratégie de guerre d’usure. Il faut en finir le plus rapidement et avec le moins de pertes possibles avec la guerre en Europe, pour s’attaquer ensuite au Japon. Il s’agit là de 2 guerres différentes de par leur nature. Si la guerre en Europe est idéologique et transcende ainsi les nations, les classes et même les familles, c’est l’avenir même de la civilisation occidentale, de la « race blanche » qui se joue en Asie, de là toute l’importance du front pacifique (62).
3.5. L’Allemagne d’après-guerre et le programme strassérien
Dans la préface de son livre L’Aigle prussien sur l’Allemagne, Strasser expose en quelques lignes sa conception de l’après-guerre :
Je suis intimement convaincu que, sans une Allemagne satisfaite, ni l’Europe ni le Monde (sic) ne seront jamais satisfaits ; j’affirme donc que, sans l’annihilation complète du nazisme et du prussianisme, il ne pourra jamais exister une Allemagne pacifique et chrétienne (63).
Si l’on en croit Strasser, il n’existe pour les Allemands que 2 options politiques. Ses pamphlets en font d’ailleurs souvent allusion :
L’Allemagne n’[avait] le choix qu’entre 2 options desquelles dépendait son existence en tant que nation : l’une [consistait] en une réforme interne, ce qui [voulait] dire le socialisme ; l’autre [consistait] en une tentative d’exploitation du reste du monde, afin que peut-être les énormes richesses accumulées par les quelques individus qui dirigent l’Allemagne, débordent et atteignent le petit. Mais la domination et l’exploitation du monde ne sont atteignables que d’une façon et tout se résume par un choix : révolution interne ou Seconde Guerre mondiale (64).
En définitive, 2 éléments se posent comme conditions sine qua non à une victoire ultime sur le nazisme : la défaite militaire de Hitler et de la Prusse et la victoire spirituelle sur le nazisme — le point le plus important. Celle-ci consiste, pour Strasser, en la destruction complète de l’esprit prussien afin d’éviter une résurgence de ses instincts impérialistes et belliqueux qui conduirait inévitablement à une autre guerre, qui pourrait bien prendre « les traits du marteau et de la faucille » (65).
Sur le plan politique, cela signifie diviser la Prusse et garder l’Allemagne intacte; briser l’esprit prussien, détruire la Prusse jusque dans ses racines, c’est-à-dire détruire le « junkerisme », le militarisme et l’esprit de la soldatesque, ainsi que le "prusso-centrisme" qui caractérise l’histoire de l’Allemagne depuis 1871. Dans ce même article, il résume l’essentiel de son programme politique en 5 points :
  • 1) démocratie économique et coopération sociale ;
  • 2) autonomie gouvernementale et fédéralisme ;
  • 3) fédération de tous les États européens ;
  • 4) coopération avec toutes les démocraties du monde (ce que l’Allemagne ne serait évidemment pas) ;
  • 5) retour à Dieu (66).

Lorsque Strasser parle de « démocratie économique » et de « coopération sociale », il veut vraiment dire une économie au service des intérêts de la communauté du peuple, dont les membres partagent la possession et la gestion. Le "retour à Dieu" signifie à la fois le retour aux valeurs chrétiennes et la chrétienté comme trait d’union de l’Allemagne fédérée et de l’Europe.
Mais encore faut-il, avant de bâtir cette communauté, purger les horreurs du nazisme, punir les crimes commis, et Strasser a, à cet égard, son propre plan. Le manifeste du mouvement de l’Allemagne libre proclame : « Guerre au nazisme et punition à tous ceux qui sont coupables de ses horreurs » (67). La première opération serait de prendre bien soin de ne pas mettre tous les Allemands dans le même panier, ce qui équivaudrait à jouer le jeu de Hitler, qui tentait de faire de tous les Allemands ses complices. La distinction entre "bons" et "mauvais" Allemands se pose comme base à toute action judiciaire suivant la défaite du nazisme.
Strasser, s’il prenait la tête d’un gouvernement allemand d’après-guerre, agirait selon ces principes de base : tous les criminels seraient jugés dans les pays où ont été commises leurs horreurs, tandis qu’en Allemagne même, les procès auraient lieu en 3 phases. En premier lieu, les têtes dirigeantes (environ 100 personnes) du parti, les leaders économiques et militaires, feraient face à la justice et seraient passibles de la peine de mort ; les chefs intermédiaires seraient ensuite jugés ; finalement, les millions de SS et les membres de la Gestapo seraient traduits en justice en bloc, parce que trop nombreux. Ceux-ci seraient enrôlés au sein de bataillons de travail et forcés de reconstruire ce qu’ils avaient eux-mêmes détruit dans les pays qui souffrirent de l’occupation allemande. Les membres du parti (environ 5 à 7 millions de personnes) verseraient l’équivalent de leur contribution dans la caisse du parti pendant une période de dix ans. Ces sommes constitueraient un fond d’aide à la reconstruction de l’Europe (68).
Ce plan est fort peu sévère et manque de réflexion, sinon de recul. Aveuglé par la foi qu’il a envers le courage et le bon jugement de ses compatriotes, Strasser minimise l’ampleur de l’horreur de cette guerre. Il est vrai cependant que le sort des juifs d’Europe n’est pas encore connu du public et que les Alliés, au courant depuis 1942, ne réaliseront pleinement l’extrême monstruosité des crimes commis, qu’à la libération des camps (69).
4. Les valeurs
Les textes rédigés par Otto Strasser sont aussi le reflet de valeurs qui, pour l’essentiel, s’opposent à celles issues de la Révolution française. Le voile de retenue ne réussit pas complétement à dissimuler les tendances anti-libérales de Strasser. Cet ensemble de valeurs guident la vision du monde de Strasser et, par conséquent, ses idées politiques. Au faîte de son échelle de valeurs, se trouvent la foi en Dieu et dans les dogmes chrétiens (70). Cette valeur tient la place suprême dans sa vision du monde et a été héritée de son père, Peter, profondément religieux, qui plaçait alors celle-ci au premier plan de sa pensée politique. La foi chrétienne est l’élément clé : elle était le vecteur de l’unité européenne du Moyen Âge et le bris de cette unité confessionnelle provoqua la désunion de l’Europe au XVIe siècle. La Révolution française marquait le début d’un processus de laïcisation de l’Europe et Strasser compte bien faire de l’idée chrétienne la base de la reconstruction de l’Europe.
L’amour de la patrie ne fait aucun doute chez Strasser. Héros de la Première Guerre mondiale, il combattit au sein des corps francs et défendit même le gouvernement républicain légitime contre les putschistes de Kapp. Le nationalisme, dans la pensée de Strasser, est intimement lié au christianisme. L’Allemagne strassérienne se pose comme le flambeau de l’Europe fédérée. Elle est également völkisch ; épurée de ses étrangers — les Juifs notamment, qu’il appelle souvent Palästiner (71) —, elle pourra enfin devenir une Volksgemeinschaft. Strasser reconnaît à son peuple une grande moralité, un sens aigu de la justice et c’est pourquoi il croit sincèrement qu’il se trouve en Allemagne une majorité d’opposants au régime hitlérien. Ce peuple, toutefois, n’est pas fait pour la démocratie. Il a besoin d’une forte direction, ce que le plan de Strasser saisit parfaitement, de l’avis du principal intéressé.
Cette propension qu’il a de parler de l’Europe et de la coopération connaît ses limites ; si l’Allemagne "exportera" son système politique, elle vivra en vase clos. En 1931, Strasser avait écrit : « Ni Rome, ni Moscou, mais l’Allemagne, rien que l’Allemagne ! » (72). On sent ce nationalisme restrictif et résolument tourné vers lui-même dans sa volonté que soient réglés les problèmes allemands par des Allemands, notamment au niveau de la conduite de la guerre : que les Alliés se chargent de la guerre "externe", les Allemands s’occuperont de la propagande et de l’organisation du soulèvement interne (73). Le même sentiment se dégage de la lecture des plans de Strasser pour punir les criminels de guerre (74).
L’antilibéralisme de Strasser, malgré des efforts évidents pour le cacher, est apparent dans les articles qu’il rédige en exil. Ainsi, il prend ses distances lorsqu’il parle des "démocraties" comme d’un groupe distinct sans liens idéologiques et culturels avec l’Allemagne. Celles-ci sont après tout responsables de cette guerre, d’abord parce qu’elles n’ont cherché qu’à écraser l’Allemagne avec le diktat de Versailles et ensuite, parce qu’elles ont, par leur faiblesse, pavé la voie à Hitler. Cet esprit antidémocratique est doublé d’un fort ressentiment à l’égard du système économique capitaliste. S’il n’est pas aussi explicite que dans ses textes rédigés avant son arrivée à Montréal, Strasser dévoile ses penchants lorsqu’il relate comment Hitler s’allia le grand capital, ou lorsqu’il parle de "socialisme" (75).
Strasser est un conservateur, peu porté sur la modernité, contrairement à d’autres révolutionnaires-conservateurs (76). En mettant de l’avant le retour à Dieu, l’idée de fief, il prône, à l’instar d’Edgar Jung, un retour ni plus ni moins au Moyen Âge, apogée de la solidarité européenne. Le présent n’a donc aucune importance pour lui : il se pose tout au plus comme un stade transitoire vers un futur porteur des vraies valeurs germaniques. Les constants retours dans l’histoire, à cette Europe du Moyen Âge dont l’unité fut brisée en 1530, s’imposent ici comme autant de preuves. Ce retour au conservatisme sera le symbole de l’union européenne qui aura retrouvé des valeurs comme la solidarité, la spiritualité, bref le "nous" comme élément central de la vision du monde.
Des valeurs liées à la personnalité de Strasser interpellent également le lecteur attentif : le courage, le penchant pour l’action, cette volonté qu’ont certains individus à jouer un rôle actif, mais aussi l’honneur ou l’héroïsme; nous ne les avons pas traitées en profondeur parce qu’elles ont peu d’incidences directes sur ses idées politiques, bien qu’en revanche, elles jouent un rôle importantdans l’articulation de sa vision du monde. Ces valeurs sont généralement implicites, indirectement affirmées dans les écrits montréalais de Strasser. On les "sent" toutefois présentes entre les lignes, ou sous une fine couche de retenue, qui ne se manifeste que par l’emploi de certains termes ou par un certain bémol dans sa rhétorique.
* * *
Si nous dressions un bilan de l’activité d’Otto Strasser en sol montréalais, la continuité et une légère évolution de sa pensée, imputable à la guerre qui, forcément, changea quelque peu sa perspective, seraient les points saillants. Ses attaques contre l’esprit prussien et le prussianisme en général, son ouverture aux démocraties ne doivent pas atténuer notre appréciation de son activité de polémiste. En attaquant le prussianisme, c’est véritablement à l’encontre du grand capital et de la monarchie qu’il s’insurge. Son opposition au nazisme hitlérien est dans la note du mouvement révolutionaire-conservateur, puisqu’il fonde celle-ci sur des principes essentiellement idéologiques : la collusion avec l’industrie lourde et les élites prussiennes, "l’embourgeoisement" du parti, le primat de la volonté du Führer sur l’idée nationale-socialiste, la stratégie légaliste... Aussi, il a une réaction typiquement bourgeoise à l’égard des origines modestes de Hitler et de son rang dans l’armée. Ses articles portant sur l’entre-deux-guerres sont l’occasion d’attaquer le "système" démocratique de Weimar et ses faiblesses, sinon de rappeler son caractère étranger à la nature allemande. Il en est de même lorsqu’il met l’accent sur l’inéluctabilité de la révolte des Allemands contre le régime de Hitler : ainsi, il défend sa thèse de la "révolution latente". Le programme qu’il défend au Canada est essentiellement le même qu’à l’époque de l’aile gauche du NSDAP ou du Front Noir. Son projet politique prône toujours, à mots feutrés, l’instauration d’une communauté du peuple (Volksgemeinschaft) allemande, la fédération des États allemands autonomes et, dans une certaine mesure, auto-gouvernés, la fédération européenne unie sur la base du christianisme et du nationalisme, retrouvés enfin après près de 400 années de désunion.
La pensée politique d’Otto Strasser s’inscrit volontiers dans la foulée de la tradition antidémocratique allemande qui tire ses racines du romantisme et qui fut répandue au XIXe siècle par des auteurs tels que Julius Langbehn et Paul de Lagarde. Ces 2 critiques culturels élaborèrent des schémas de réflexion qui inspirèrent des hommes comme Oswald Spengler, Arthur Moeller van den Bruck, Edgar Jung, tous membres, pour la plupart, de cette "génération du Front" imbue des "idées de 1914" qui se sacrifia inutilement dans une guerre qui changea d’un coup les mentalités, marquant de façon très dure la difficile transition vers la modernité. Ce groupe d’hommes dont Otto Strasser faisait partie, fort de cette tradition antidémocratique, s’insurgea contre cette modernité (technique et culturelle) qui brisait toutes les valeurs dans lesquelles il avait été élevé, pour lesquelles il s’était battu et auxquelles il croyait par-dessus tout. En raison des valeurs qu’il défendait, de sa vision du monde, du programme politique qu’il élabora, Otto Strasser était un révolutionnaire-conservateur au même titre que Jung, Spengler, Moeller van den Bruck, et ce malgré son association avec le parti national-socialiste, qui fut motivée par son ambition politique démesurée et par une incompréhension des véritables desseins du mouvement nazi. Ses origines bourgeoises, son engagement dans la guerre et ses influences intellectuelles ne font que confirmer cette "appartenance" à ce mouvement d’intellectuels d’extrême droite.
► Joey Cloutier, Cahiers d'histoire n°19, 1999.  http://vouloir.hautetfort.com
♦ Notes :
  1. Cet article n’aurait jamais vu le jour sans l’aide financière du GERSI (Groupe d’étude et de recherche sur la sécurité internationale) et du CCEAE (Centre canadien d’études allemandes et européennes), qui nous ont permis de nous rendre à Strasbourg afin d’y effectuer un court mais fructueux séjour de recherche. Au Centre d’Études germaniques de Strasbourg, Mme Christiane Falbisaner-Weeda nous a reçu avec un professionnalisme et une gentillesse qui ont grandement facilité nos efforts, ce pourquoi nous la remercions vivement. Cet article est en partie tiré de notre mémoire de maîtrise (M.A.) portant sur l’activité de propagandiste d’Otto Strasser en Amérique du Nord, intitulé : Un national-socialiste en exil à Montréal : Les activités anti-hitlériennes d’Otto Strasser et la Révolution conservatrice (1941-1943), Univ. de Montréal, 1998, 120 p. Nous remercions également notre directeur, le professeur Paul Létourneau, pour son support à la fois moral et intellectuel.
  2. Hormis pour les travaux des sympathisants de la tendance Strasser – Douglas Reed, Nemesis ? The Story of Otto Strasser and the Black Front (Boston, Houghton Miffin, 1940) et The Prisoner of Ottawa : Otto Strasser (Londres, Jonathan Cape, 1953) ; Karl O. Paetel, « Otto Strasser und die "Schwarze Front" des "wahren Nationalsozialismus" », Politische Studien, 8, 92 (Dezember 1957) – il n’existe pas d’études portant sur l’évolution de la pensée politique d’Otto Strasser durant son séjour au Canada. Notons cependant qu’un article fort intéressant est paru sur la présence de Strasser au Canada et sur le rôle des autorités britanniques et canadiennes : Robert Keyserlingk, « Political Warfare Illusions : Otto Strasser and the Britain’s World War Two Strategy of National Revolts Against Hitler », The Dalhousie Review n°61, 1 (1981), pp. 71-92.
  3. Patrick Moreau, La Communauté de combat nationale-socialiste révolutionnaire et le Front Noir - Actions et idéologie en Allemagne, Tchécoslovaquie et Autriche de 1930 à 1935, Thèse de doctorat de 3e cycle d’histoire, Université de Paris-I, Sorbonne, 1978, p. 2.
  4. Otto Strasser et Michael Stern, Flight from Terror (New York, Robert M. McBride et Co., 1943), p. 11. Sauf indication contraire, les traductions de l’allemand et de l’anglais sont de l’auteur de l’article.
  5. Not. « Vierzehn Thesen der deutschen Revolution », dans Richard Schapke, Die Schwarze Front : Von den Zielen und Aufgaben und vom Kampfe der Deutschen Revolution, (Leipzig, Wolfgang Richard Lindner Verlag, 1932), p. 98 : « Ainsi nous, les jeunes, sentons le pouls de la Révolution allemande et nous, soldats du front, voyons devant nous le visage du futur proche [...] ».
  6. Moreau, op. cit., p. 4. Sur l’antisémitisme d’Otto Strasser, on consultera : David Bankier, « Otto Strasser und die Judenfrage », Bulletin des Leo Baeck Instituts n°60 (1981), pp. 3-20.
  7. Verband nationalgesinnter Soldaten (VnS).
  8. Akademischer Kriegteilnehmerverband SPD.
  9. Moreau, op. cit., p. 5 ; Reed, The Prisoner of Ottawa..., op. cit., p. 58 et Otto Strasser, L’Aigle prussien sur l’Allemagne (Montréal, Bernard Valiquette, 1941), p. 104.
  10. Les mouvements de grève des ouvriers de la Ruhr, qui démontraient leur mécontentement à l’égard du traitement clément des fauteurs du putsch de Kapp, furent réprimés dans le sang par les corps francs. Le bilan est lourd : 3.000 morts. Alfred Wahl, L’Allemagne de 1918 à 1945 (Armand Colin, 1993), p. 27.
  11. Moreau, op. cit., pp. 6-7 et Strasser, Mein Kampf : Eine politische Autobiografie (München, Heinrich Heine Verlag, 1969), pp. 13 sq.
  12. Nationalistische Freiheitsbewegung Großdeutschland. Moreau, op. cit., pp. 13-14.
  13. Dans un récent ouvrage, Christoph H. Werth résume bien cette allégeance tout à la fois au nationalisme et au socialisme. Loin d’être un thème nouveau dans la pensée révolutionnaire-conservatrice, il fut toutefois développé de façon particulière par le cercle Strasser. Christoph H. Werth, Sozialismus und Nation : Die deutsche Ideologiediskussion zwischen 1918 und 1945 (Wiesbaden, Westdeutscher Verlag, 1996), pp. 243 et sq.
  14. Ibid., pp. 18-19, et Peter Stachura, Gregor Strasser and the Rise of Nazism (Londres, George Allen and Unwin, 1983), pp. 38-39.
  15. Arbeitsgemeinschaft der nord- und westdeutschen Gauleiter der NSDAP.
  16. Le manuscrit : Arbeitsgemeinschaft der nord- und westdeutschen Gauleiter der NSDAP, Der nationale Sozialismus : Dispositionsentwurf eines umfassenden Programms des nationalen Sozialismus, tiré de Reinhard Kühnl, « Zur Programmatik der nationalsozialistischen Linken : Das Strasser-Programm von 1925-26 », Vierteljahrshefte für Zeitgeschichte n°14 (1966), pp. 317-333.
  17. « Vierzehn Thesen der Deutschen Revolution », parurent originalement dans les Nationalsozialistische Briefe en 1929 ; la copie que nous possédons est tirée de Schapke, op. cit., pp. 98-101. « Nationalsozialismus und Staat », Grünen Hefte der NS Briefe n.1 : Der Nationalsozialismus - die Weltanschauung des 20. Jahrhunderts (Berlin, Kampfverlag, 1929). Otto Strasser, Aufbau des deutschen Sozialismus (Leipzig, W. R. Lindner Verlag, 1932), 101 p.
  18. Strasser, le major Buchrucker et Herbert Blank, « Die Sozialisten verlaßen die NSDAP. Aufruf der Strasser Gruppe anläßlich ihner Abspaltung der NSDAP », Der nationale Sozialist n°110 (4. Juli 1930), tiré de Strasser, L’Aigle prussien..., op. cit., pp. 211 sq. Pour ce qui concerne Gregor Strasser, il restera au sein du parti et deviendra, par sa qualité de Reichsorganisationsleiter, le numéro 2 du NSDAP et l’interlocuteur prévilégié avec les autres partis politiques. Le 8 décembre 1932, il remettra sa démission et sera abbattu lâchement dans sa cellule lors de la purge du 30 juin 1934. Sur Gregor, on consultera avec un vif intérêt : Peter Stachura, « Der Fall Strasser : Gregor Strasser, Hitler and National Socialism », in Peter Stachura (dir.), The Shaping of the Nazi State (Londres, Croom Helm, 1978), pp. 88-130. La lettre de démission en allemand se trouve aux pp. 113-115, suivie de sa traduction anglaise.
  19. Sur le Special Operations Executive, voir : Michael Balfour, Propaganda in War 1939-1945 : Organisations, Policies and Publics in Britain and Germany (Londres, Routledge and Kegan Paul, 1979) Richard Deacon, A History of the British Secret Services (New York, Taplinger Publishing & Co, 1969) ; Michael R. D. Foot, « Was the SOE Any Good ? », Journal of Contemporary History n°16 (1981), 167-181 ; David Stafford, Britain and European Resistance, 1940-1945. A Survey of the Special Operations Executive, with Documents (Univ. of Toronto Press, 1980).
  20. En plus de commenter à brûle-pourpoint différents événements majeurs dans le déroulement de la guerre, Strasser disposait d’une colonne régulière dans les pages du quotidien The Gazette. Cette collaboration s’échelonna entre le 22 août 1941 et le 20 juillet 1942.
  21. Chronique littéraire : « Books of the Day and their Authors », The Gazette, 4.10.1941, p. 10.
  22. Dans la même chronique. Otto Strasser, Germany Tomorrow (Londres, Jonathan Cape, 1940).
  23. MacDonald, « Nazis Know War Lost, as in 1917, Due to US Entry Says Strasser », The Gazette, 12.12.1941, p. 13.
  24. L. Dupeux, « "Kulturpessismismus", konservative Revolution und Modernität », in Manfred Mangl et Gérard Raulet (Hrsg.), Intellektuellendiskurse in der Weimarer Republik : Zur politischen Kultur einer Gemengelage (Frankfurt a. M., Campus-Verlag, 1994), p. 291.
  25. L. Dupeux, Stratégie communiste et dynamique conservatrice : Essai sur les différents sens de l’expression "National Bolchevisme" en Allemagne sous la République de Weimar (1919-1933), Thèse de doctorat d’État, Univ. de Paris-I (H. Champion, 1976), p. 5 ; Stefan Breuer, Anatomie de la Révolution conservatrice (MSH, 1996), p. 228.
  26. Bernhard Jenschke, Zur Kritik der konservativ-revolutionären Ideologie in der Weimarer Republik. Weltanschauung und Politik bei Edgar Julius Jung (München, Verlag C.H. Beck, 1971), p. 30.
  27. Strasser, L’Aigle prussien..., op. cit., p. 8.
  28. Ibid., p. 16.
  29. Ibid., p. 54.
  30. Ibid., pp. 56-57, et MacDonald, « Strasser Pictures Post-War Germany », The Montreal Gazette, 22.08.1941, p. 13.
  31. « Strasser Sees Reichswehr Plot to Make Göring Germany’s Ruler », The Montreal Gazette, 10.09.1941, p. 14.
  32. Ibidem.
  33. « Nazi Party, Army Break Imminent ; Russian War Factor, Says Strasser ", The Montreal Gazette, 19.11.1941, p. 7.
  34. « Strasser Says Prussian Generals Quitting Now as in August 1918 », The Montreal Gazette, 31.12.1941, p. 17.
  35. Cette précision sémantique avait été à l’origine de la première querelle entre Hitler et Strasser lors de leur première rencontre en 1920. Cf. not. Strasser, Mein Kampf..., op. cit., pp. 13 sq.
  36. Selon Strasser, le mouvement national-socialiste est né en Tchécoslovaquie en 1897, lorsque le leader travailliste d’origine autrichienne, Klofac, devint le président du parti national-socialiste tchécoslovaque. Il devait cependant quitter le parti parce qu’il répudiait le marxisme matérialiste et le leadership de Vienne, puis parce qu’il voulait promouvoir l’idée nationaliste. Plus tard, Masaryk et Bénès poursuivront cette tradition. « Nazism. Its Origin, Activity, and Doom », Dalhousie Review n°21, 2 (1941), p. 273.
  37. Ibid., pp. 273-274.
  38. Ibid., p. 277.
  39. « Strasser Stresses Peril of Nazi Win », The Montreal Gazette, 8.12.1941, p. 11.
  40. Strasser et Michael Stern, Flight..., op. cit., p. 81.
  41. Nazism. Its Origin..., loc. cit., p. 278.
  42. Ibid., p. 279.
  43. Strasser et Stern, Flight..., op. cit., p. 81.
  44. Ibid., p. 87.
  45. « Nazism. Its Origin... », loc. cit., p. 282.
  46. « Hitler Preparing for Civil War at Home Declares Otto Strasser », The Montreal Gazette 11.02.1942, p. 7. Ces arguments sont de la pure fabulation, puisque ces réaffectations étaient dues à 2 choses : l’effort de guerre plus important et l’application de la "solution finale".
  47. L’Aigle prussien..., op. cit., pp. 24-26.
  48. Bien que le Congrès s’opposât à ce que les États-Unis fassent partie de la SDN, il n’en demeure pas moins qu’ils jouèrent un rôle majeur dans sa création.
  49. Ibid., pp. 62-63.
  50. Ibid., pp. 98-99 et « Nazism. Its Origin... », loc. cit., p. 278.
  51. L’Aigle prussien..., op. cit., pp. 100-101.
  52. Ibid., pp. 315-316.
  53. Ibid., pp. 333-334.
  54. Sur cette question, l’analyse de Strasser est semblable à celle que feront les historiens de "l’école" totalitariste dans les années 1960, soit, entre autres, Hannah Arendt, Hans-Joachim Winkler, Walther Hofer et Carl Friedrich.
  55. « Strasser Sees Rift of Army and Party », The Montreal Gazette, 14.05.1941.
  56. « Strasser Alleges Nazi Revolt Plan », The Montreal Gazette, 16.05. 1941, p. 13.
  57. « Strasser Holds Russian Setbacks by no Means Defeat for British », The Montreal Gazette, 22.10.1941, p. 2. Jamais, dans son analyse de la politique étrangère nazie, Strasser ne souligne l’importance de l’opération en Russie. On doute fort qu’il n’ait pas compris qu’il s’agissait de l’objectif suprême de la politique étrangère du Troisième Reich. Puisque le programme du Front Noir soulignait lui aussi la nécessité d’acquérir des terres (sans toutefois préciser où), il est permis de penser qu’il élude tout simplement la question. Nous renvoyons le lecteur au document suivant : « Vierzehn Thesen der Deutschen Revolution », in R. Schapke, Die Schwarze Front..., op. cit., pp. 94-98 ; en anglais : Barbara M. Lane et Leila J. Rupp (Éd.), Nazi Ideology before 1933. A Documentation (Austin, Univ. of Texas Press, 1978), pp. 107-110
  58. « Strasser Says New Nazi Terrors Sign of Very Real Desperation », The Montreal Gazette, 8.10.1941, p. 7.
  59. « Nazi Party, Army Break Imminent ; Russian War Factor, Says Strasser », The Montreal Gazette, 19.11.1941, p. 7.
  60. « Hitler Once More Apes Napoleon in Assembling Puppets of Europe », The Montreal Gazette, 3.12.1941, p. 10.
  61. Donald C. MacDonald, « Nazis Know War Lost as in 1917, Due to US Entry Says Strasser» , The Montreal Gazette, 12.12.1941, pp. 13-14.
  62. « A New Strategy of War and Peace », Dalhousie Review n°22, 1 (1942), pp. 58-63.
  63. L’Aigle prussien..., op. cit., p. 11.
  64. Strasser et Michael Stern, Flight from Terror, op. cit., p. 239. Cet extrait provient d’un pamphlet rédigé par Strasser, probablement en 1938. Bien qu’il ne mentionne pas le titre, nous croyons qu’il puisse s’agir de : Innere Revolution oder Weltkrieg.
  65. « Nazism. Its Origin... », loc. cit., p. 285.
  66. Ibid., p. 286.
  67. « Strasser Says Guilty Nazi Heads Should Get Post-War Punishment », The Montreal Gazette, 5.11.1942, p. 2.
  68. Idem. et Strasser, « To Make Britain’s Victory Complete », loc. cit., pp. 154-165.
  69. Voir not. Dennis L. Bark et David R. Gress, Histoire de l’Allemagne depuis 1945 (Robert Laffont, 1992), pp. 3 sq. D’aucuns disent, peut-être avec raison, que le processus de dénazification ne fut pas lui non plus très sévère.
  70. Cette valeur est présente dans nombre de ses écrits et a une influence certaine sur ses idées politiques depuis son retour de la Première Guerre mondiale. Le manuscrit du congrès de Hanovre, les 2 textes polémiques de 1929, le manifeste du Front Noir, ses écrits en exil, portent tous la marque indélébile de cette valeur centrale dans la pensée de Strasser.
  71. Cf. section V. du programme de l’Arbeitsgemeinschaft : "Kulturpolitik", point numéro 1 sur la question juive. Kühnl, loc. cit. Il est intéressant de constater que Strasser resta fidèle à ses idées antisémites jusqu’à sa mort ; dans son autobiographie, à laquelle il ajoute quelques documents, il reproduit des extraits choisis du programme de 1925-26, en prenant bien soin d’y inclure sa solution au "problème juif" : Strasser, Mein Kampf..., op. cit., p. 215. (Publiée en 1969).
  72. Ulrich von Utten (Otto Strasser), « Rußland und wir », Die Schwarze Front, 1, 6 (8. Sept. 1931), tiré de L. Dupeux, Stratégie communiste et dynamique conservatrice..., op. cit., p. 503.
  73. Not. dans : « Nazi Home Front... », loc. cit., pp. 13-14 ; « To Make Britain’s Victory Complete », loc. cit., p. 160; « Collapse of the Hitler System Predicted in Letter from Nazi », The Montreal Gazette, 1.03.1942, p. 10.
  74. « Strasser Says Nazi Heads Should Get Post-War Punishment», loc. cit., p. 2.
  75. Par ex. dans L’Aigle prussien sur l’Allemagne, op. cit., « Nazism. Its Origin... », loc. cit., ou encore Flight from Terror, op. cit.
  76. Not. Ernst Jünger.