vendredi 26 avril 2024

"Europe, civilisation des libertés !", intervention de Jean-Yves Le Gallou au colloque de l'Iliade du 6 avril dernier

 

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Co-fondateur de l’Institut Iliade, Jean-Yves Le Gallou est essayiste et ancien haut fonctionnaire. Membre du GRECE en 1969, il co-fonde en 1974 le Club de l’horloge. Il est président du groupe FN puis du MNR au conseil régional d’Île-de-France de 1986 à 2004, et député européen de 1994 à 1999. En 2003, il crée Polémia et il anime également l’émission de critique des médias I-Media sur TV Libertés.

Son intervention au colloque de l'Iliade cliquez ici :

Je vais vous faire une confidence. Je vais vous raconter à quoi Romain et moi avons passé cette dernière semaine de préparation du colloque. Cette semaine, toutes les trois heures, nous sommes allés sur le site de la préfecture de police pour vérifier qu’il n’y figurait pas d’arrêté d’interdiction de notre colloque. Il n’y a pas eu d’interdiction de notre colloque et c’est heureux. Mais le simple fait que la question ait pu se poser, le simple fait qu’il ait pu être envisagé qu’un colloque intellectuel comme celui-ci soit interdit, montre l’ampleur des menaces qui pèsent sur les libertés françaises et les libertés européennes aujourd’hui. Cette interdiction potentielle est à mettre en perspective avec la vague d’interdictions bien réelle de manifestations, la vague de dissolutions, la vague de détentions arbitraires qui ont eu lieu au cours de la dernière année.

C’est aussi à mettre en perspective avec trois propositions de loi en cours de discussion au Parlement. Enfin, quand je dis en cours de discussion, j’exagère, puisqu’on s’achemine vers des votes à l’unanimité. Je vais vous les énumérer rapidement. Et puis nous rappellerons ce que sont les libertés européennes et en quoi elles peuvent nous inspirer aujourd’hui. D’abord, il y a un projet, un premier projet de loi, qui vise à compléter la loi Pleven par l’ajout d’un interdit supplémentaire, à savoir la discrimination capillaire. Je dois dire que ça me sidère un petit peu puisqu’il y a quatre ans j’avais prévu d’organiser le 1ᵉʳ avril 2020 une manifestation parodique précisément contre la discrimination capillaire. Mais ce qui était un « 1ᵉʳ avril » il y a quatre ans est une proposition de loi votée en première instance aujourd’hui. Certes, cela vise davantage à protéger les jeunes rastas noirs que les vieux hommes blancs chauves. Mais enfin, l’esprit des lois est là. Ça, c’est la première loi. La deuxième loi, c’est un nouveau dispositif qui crée un délit d’outrage en ligne pour tout ce qui porte atteinte à la dignité d’une personne et présente à son égard un « caractère injurieux, dégradant ou humiliant », ou crée une « situation intimidante, hostile ou offensante », c’est-à-dire une définition extrêmement large de ce nouveau délit pénal. Et puis il y a le sommet, déjà voté en première instance à l’Assemblée nationale, à l’unanimité : c’est la création d’un délit d’opinion privé. La correctionnalisation des propos privés, c’est-à-dire l’extension de l’ensemble du dispositif de la loi Pleven aux conversations privées – entre amis, en famille – qui est a été votée en première lecture à l’Assemblée nationale. C’est l’interdiction, la pénalisation, la criminalisation de la blagounette.

Certes, et ce n’est pas une consolation, il n’y a pas qu’en France qu’on connaît une telle évolution liberticide. En Écosse, J. K. Rowling, la mère d’Harry Potter, a expliqué qu’elle risquait sept ans de prison – oui, vous avez bien entendu, sept ans de prison – puisqu’elle refusait la loi faisant de la négation de la transidentité un délit. En Allemagne, la présidente du Bundestag a demandé à l’Office fédéral de protection de la Constitution, c’est-à-dire la police politique, de contrôler le choix de leurs assistants par les parlementaires de l’AfD, ce qui est la négation de la démocratie représentative. Dans le même temps, le gouvernement a engagé 400 procédures disciplinaires contre des policiers pour délit d’opinion identitaire. Je pourrais aussi citer la Pologne où on prévoit une loi contre les discours de haine dans le but de protéger la propagande LGBTQ X, Y, Z. Trois ans de prison ferme. Je pourrais citer la Belgique, les Pays-Bas. Partout en Europe, c’est la nuit qui tombe sur les libertés.

Alors, comment appelle-t-on un régime où la liberté d’expression est réprimée ? Comment appelle-t-on un régime où des interdits professionnels sont mis en place en fonction des opinions ? Comment appelle-t-on un régime qui abolit la distinction entre le domaine privé et le domaine public ? On appelle cela un régime totalitaire, ou, pour reprendre le titre du livre de l’essayiste Mathieu Bock-Côté, un « totalitarisme sans le goulag ». Alors comment faire face ? Comment réagir ? Eh bien, en retournant à la source des libertés européennes à l’aube grecque, de la pensée aux discussions de l’Académie, à la fondation de la rhétorique, c’est-à-dire à l’organisation de la libre confrontation des opinions et au développement de la disputatio. À l’origine de l’essor de la pensée européenne.

Voici ce qui est au cœur de la pensée européenne : en dehors des dogmes religieux, ne peut être dit vrai que ce qui peut être librement contesté. Je précise : la proposition A peut être dite vraie, mais uniquement si elle est confrontée à la proposition non A et qu’elle en sort victorieuse ou en tout cas et uniquement à cette condition. Je vais donner, au risque de choquer, un exemple concret. Je croirai personnellement à la thèse de l’origine anthropique du réchauffement climatique le jour où, dans la dizaine de disciplines qui concernent le climat, les recherches critiques sur la thèse officielle seront financées et publiées, autant financées et publiées que les recherches conformes à la doxa. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Un chercheur américain qui a publié un article dans la revue Science (à propos de l’origine des feux de forêts en Californie) a déclaré : « Je n’ai pu le publier que parce que j’ai biaisé les résultats. » Donc, en l’état actuel, on ne peut pas dire que la thèse du réchauffement d’origine anthropique soit scientifique. Ce n’est rien d’autre qu’un millénarisme, une hérésie millénariste. Et d’ailleurs, il y a dans les tuyaux la préparation d’un adjuvant à la loi Pleven visant à interdire le « déni climatique » (sic). C’est le retour de la « science officielle » comme à la belle époque du lyssenkisme, sous Staline. Alors il faut retrouver les libertés académiques, retrouver les libertés universitaires, retrouver les libertés publiques. Il y a 30 ans ou 40 ans, il aurait été impensable d’avoir à tenir un tel discours tellement ces exigences-là paraissaient évidentes.

Alors, continuons notre retour aux sources et revenons à la distinction entre le public et le privé. Le dictateur romain Sylla, précurseur d’Auguste, avait fait adopter une loi, une lex Cornelia, qui réprimait les violences et les injures au domicile. Mais il avait exclu des poursuites les membres de la famille et les proches parce que l’État n’avait pas à entrer dans le privé. L’État n’avait pas à entrer dans la maisonnée. Et cette loi a inspiré beaucoup d’autres lois successives aux différentes époques de l’histoire. Elle a contribué à fonder une distinction essentielle entre le domaine public et le domaine privé. Bref, il ne faut pas faire entrer l’État dans l’espace privé comme il est en train d’y entrer par la loi que j’ai évoquée, de criminalisation des propos privés. Comme il y entre aussi par l’intermédiaire de toute une série de réglementations sur ce qu’on peut ou doit faire à l’intérieur de son domicile pour respecter des normes de plus en plus nombreuses et tatillonnes. Quand on accepte cela, on va dans le sens du totalitarisme. Alors, il faut libérer le domicile et les relations à l’intérieur du domicile des contraintes de l’État.

Continuons d’aller aux sources. Eh bien, les sources, ce sont aussi les leçons du Moyen Âge. Pour le grand historien Fernand Braudel, du ve au xve siècle il y a un mot qui traverse toute la dynamique économique et sociale de l’Europe.

Ce mot, c’est les libertés. Pas la liberté, les libertés : liberté des villes, libertés universitaires (qui sont aujourd’hui en voie de disparition), liberté des corporations, liberté des terres, les alleux. Quand vous vous promenez en France, vous trouvez partout des bourgs, des lieux-dits qui s’appellent Les Allues, Les Alluets. Des toponymes qui renvoient à cette période d’émancipation des terres. Alors cette idée de liberté, c’est une idée de libertés au pluriel. C’est une idée très féconde pour faire face à la normalisation, au retour du jacobinisme contre les libertés locales et à la concurrence dans le domaine agricole des petites exploitations avec les latifundia. Les réglementations sont écrites et faites par les grosses unités, les multinationales en particulier. Il faut en dispenser les petites unités. Et, comme dans cette période finalement féconde (contrairement à ce qu’on a pu en raconter à certaines périodes) du Moyen Âge, cet âge des libertés, l’heure est aux franchises. Franchises pour les terroirs, franchises pour les communes, franchises pour les petites et moyennes entreprises, franchises pour les écoles.

Continuons d’aller aux sources avant de conclure. Aller aux sources, c’est aussi se rappeler l’histoire de la liberté de la presse. Toute la lutte du XIXᵉ siècle en France et dans les pays voisins tourne autour de la lutte contre la censure qu’on appelait « Anastasie » avec ses ciseaux. Quand Polignac, ministre de Charles X, a voulu rétablir la censure par des ordonnances, il a déclenché la révolution de Juillet contre la censure. Mais la liberté de la presse a connu encore différents avatars. Sous la monarchie de Juillet, sous le Second Empire, sous les débuts de la Troisième République, il y eut régulièrement le retour de la censure. Il faut attendre la grande loi de 1881 pour fonder durablement la liberté de la presse. Son article 1 est simple et merveilleux. Il faudrait y revenir, voici son texte : « La presse et l’imprimerie sont libres. » C’est ce qui est resté la règle, en dehors des périodes de guerre, jusqu’en 1972. Année funeste où a été votée la loi Pleven, première étape d’un resserrement progressif puis d’une disparition des libertés. D’abord par l’extension progressive de son contenu en France, l’extension des incriminations – j’en ai cité quelques-unes – et par son imitation dans la quasi-totalité des pays européens. Face à l’extension permanente de nouveaux sujets de poursuites, il faut, là aussi, un choc de liberté. Aujourd’hui, l’Europe a besoin d’un double choc, d’un choc de liberté et d’un choc d’identité. Ces deux chocs sont liés car il n’y a pas d’identité européenne s’il n’y a pas de liberté européenne, et il n’y a pas de liberté européenne sans identité. Liberté et identité, c’est le combat central. Nous ne pouvons sauver l’une que si nous sauvons l’autre. Les deux sont liées. Nous devons retrouver les sources, les fondements des libertés européennes.

Toutes les interventions au colloque de l'Iliade du 6 avril 2024 cliquez là

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Discriminer, la fin d'un tabou ? – Entretien avec Thibault Mercier

Comment l’Armée rouge a libéré l’Europe durant la Seconde Guerre Mondiale (août 2019)

 

par Boris Egorov

En dépit du fait que le 75e anniversaire de la Victoire à l’issue de la Seconde Guerre mondiale sera célébré l’année prochaine, la Russie a déjà commencé les célébrations. D’avril 2019 à mai 2020, des feux d’artifice ont lieu à Moscou pour commémorer les «Jours du Souvenir» durant lesquels les villes soviétiques et européennes ont été libérées du nazisme.

Minsk (3 juillet 1944)

Sputnik

Lancée à la fin du mois de juin 1944, cette importante offensive soviétique en Biélorussie, connue sous le nom d’opération Bagration, a infligé aux Allemands leur plus lourde défaite militaire. Près d’un demi-million de soldats ennemis ont été tués et l’ensemble du groupe d’armée Centre a été détruit. Le 3 juillet, l’Armée rouge avait complètement libéré Minsk.

Vilnius (13 juillet 1944)

Victor Temin/MAMM/MDF/russiainphoto.ru

La capitale de la Lituanie soviétique était un point stratégique important sur le chemin de la Prusse orientale. Le 9 juillet, l’Armée rouge a encerclé la ville et l’a libérée le 13 juillet après des combats de rue acharnés. Les unités de la résistance lituanienne, qui attaquaient la ville par le sud, ont apporté une aide considérable à la progression des troupes soviétiques.

Kaunas (1er août 1944)

Ivan Shagin/MAMM/MDF/russiainphoto.ru

Pendant l’occupation, Kaunas, la deuxième plus grande ville lituanienne, avait été transformée par les Allemands en une puissante forteresse. Malgré cela, il n’a fallu que quelques jours aux troupes soviétiques pour libérer la ville. À partir du 29 juillet, deux frappes majeures de l’Armée rouge ont coupé en deux et anéanti la garnison allemande. Puis un autre problème est apparu : Kaunas était infestée de mines. Plus de 5 500 d’entre elles ont été détectées et supprimées dans la ville et sa périphérie.

Chisinau (24 août 1944)

TASS

La libération de la Moldavie et de sa capitale, Chisinau, est considérée comme l’une des opérations les plus réussies de l’Armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale, l’un des soi-disant « dix coups de Staline ». À la suite de l’opération, le groupe d’armées Ukraine du Sud, qui comprenait des troupes allemandes et roumaines, a été complètement anéanti et la Roumanie a quitté l’Axe.

Bucarest (31 août 1944)

Sputnik

Les troupes soviétiques ont efficacement utilisé le chaos et le désordre qui régnaient parmi les troupes allemandes suite aux défaites militaires en Moldavie et au coup d’État en Roumanie, et sont entrées rapidement et sans aucune résistance dans Bucarest, où elles ont été chaleureusement accueillies par les habitants.

Tallinn (22 septembre 1944)

Domaine public

En septembre 1944, le commandement allemand a pris conscience qu’il ne pouvait plus tenir le territoire estonien et a ordonné une évacuation massive. Plus de 60 000 soldats ont été évacués de Tallinn, tandis que le gros des forces allemandes se sont retirées à Courlande. Le 22 septembre, les troupes soviétiques sont entrées dans la ville presque sans résistance.

Riga (15 octobre 1944)

Nikolay Petrov/TASS

En prenant Riga, les troupes soviétiques prévoyaient de couper la route aux troupes allemandes qui se retiraient d’Estonie. Cependant, la résistance acharnée des SS lettons à la périphérie de la ville a retardé l’assaut soviétique pendant près de deux semaines et a permis aux Allemands d’atteindre avec succès Courlande. L’Armée rouge a finalement libéré la ville le 15 octobre.

Belgrade (20 octobre 1944)

Evgeny Khaldey/MAMM/MDF/russiainphoto.ru

Les partisans yougoslaves de Josip Broz Tito et l’Armée populaire bulgare ont fourni à l’Armée rouge une aide active dans la libération de la Yougoslavie et de Belgrade. Une série de frappes fulgurantes et efficaces a complètement évincé les nazis du pays, anéanti le détachement d’armée Serbie et compliqué de manière significative l’évacuation de la Grèce par l’Allemagne.

Varsovie (17 janvier 1945)

Sputnik

La capitale polonaise a été libérée en trois jours d’affrontements. L’attaque fulgurante et couronnée de succès des troupes soviétiques leur a permis de traverser la Vistule et de prendre pied dans la ville. La 1ère armée polonaise alliée a mené une avancée accompagnée de l’hymne national polonais. La deuxième frappe a été lancée par la 2e armée de blindée soviétique de la Garde, qui s’est frayé un chemin vers l’arrière de l’ennemi et a coupé toutes les voies de retraite pour la garnison allemande.

Budapest (13 février 1945)

Evgeny Khaldey/Sputnik

Les Allemands ont rassemblé 13 divisions de chars pour la défense de la ville. Une telle concentration de chars était chose rare, même pour le front Est. Bien que les troupes allemandes et hongroises aient été encerclées à Budapest le 29 décembre, elles ont refusé de se rendre et ont continué à se battre pendant plus d’un mois et demi.

Bratislava (4 avril 1945)

Getty Images

La prise de Bratislava a ouvert une voie directe vers Prague pour l’Armée rouge. Le commandement allemand prévoyait d’utiliser la ville comme une forteresse sur le long terme. Les troupes soviétiques ont toutefois évité un assaut frontal et, après une manœuvre en profondeur, ont attaqué la ville depuis le nord-ouest. Il a fallu deux jours pour libérer la capitale slovaque.

Vienne (13 avril 1945)

Ivan Shagin/MAMM/MDF/russiainphoto.ru

L’Armée rouge a commencé son assaut sur Vienne par l’est et le sud, tout en essayant de contourner la ville par l’ouest. Les soldats se sont battus pour chaque maison et chaque immeuble que les Allemands avaient transformés en positions fortifiées. Sous le feu acharné de l’ennemi, les ingénieurs soviétiques ont déminé le principal pont de la ville, le Reichsbrücke. Les Allemands ont livré une résistance farouche et la capitale autrichienne n’a été libérée qu’après une semaine de combats acharnés.

Même après la chute de Berlin et la capitulation du Troisième Reich, Prague continuait à se battre. Les troupes allemandes restantes s’y étaient concentrées dans l’espoir de percer vers l’ouest et de se rendre aux Américains. Le 5 mai, les habitants de Prague ont entamé un soulèvement, rapidement soutenu par la 1ère division d’infanterie de l’Armée de libération russe, des Russes qui avaient collaboré avec les nazis et qui, en changeant de camp, voulaient obtenir le pardon. Avec l’arrivée des troupes soviétiques, les collaborateurs russes se sont enfuis vers l’Ouest. Le 9 mai, la garnison de la ville s’est rendue à l’Armée rouge.

source:https://fr.rbth.com/histoire/83348-urss-liberation-capitales-europe-seconde-guerre-mondiale

https://reseauinternational.net/comment-larmee-rouge-a-libere-leurope-durant-la-seconde-guerre-mondiale/

Henri VIII, amour et vengeance à la cour des Tudors

25 janvier 1515 : François Ier est sacré à Reims

 

François Ier

Il y a cinq siècles était sacré à Reims François Ier, monarque dont le règne (jusqu’en 1547) est l’un de ceux qui ont le plus marqué notre Histoire dans des domaines aussi divers que la politique, les relations extérieures, la culture et les arts.

L’année 1515 est marquée par la victoire de Marignan, dans le cadre des guerres d’Italie. La bataille opposa l’armée française alliée aux Vénitiens aux mercenaires suisses du pape. Suite à ce succès, le roi signa une paix perpétuelle avec les cantons suisses (1516) qui s’engagèrent non seulement à ne plus combattre le roi, mais à se mettre à son service. Le traité ne fut violé que lors de la Révolution française. La victoire aboutit également à la signature du concordat de Bologne (1516) accroissant l’emprise du pouvoir royal sur l’Eglise de France ; concordat qui régla les rapports entre la France et Rome jusqu’à la Révolution. La victoire de Marignan fut néanmoins le seul grand éclat militaire du règne de François Ier, masquant dans la mémoire populaire le désastre de Pavie (1525) qui mena le roi prisonnier en Espagne. Autre échec important : en 1542, lors de la neuvième guerre d’Italie, l’Angleterre, alliée au Saint-Empire, débarqua une armée au Nord de la France qui s’approcha à moins de 100 kilomètres de Paris, ce qui contraignit le roi à signer la paix (1546). Les guerres d’Italie continuèrent jusqu’en 1559 avec Henri II.

Les guerres d’Italie ont été une des causes de la Renaissance française : impressionné par la Renaissance italienne, le roi mena une politique de prestige dans les arts et les lettres favorisée par le contexte de l’époque (“le beau XVIe siècle” qui correspond à la première moitié du XVIe siècle). Le château de Chambord est l’édifice emblématique de cette “Renaissance artistique”. Sous le règne fut fondé le Collège des Lecteurs royaux (1530), ancêtre du Collège de France, où étaient étudiées entre autres les disciplines scientifiques, ce qui constituait une véritable innovation, ces matières étant alors considérées comme secondaires. François Ier ramena également de ses bagages d’Italie le savant touche-à-tout Léonard de Vinci et ses œuvres les plus célèbres dont La Joconde. Sur le plan culturel enfin ne doit pas être oubliée l’ordonnance de Villers-Cotterêt (1539) qui contient deux articles d’une grande importance, imposant le français (et non plus le latin) comme langue royale et de l’administration.

Sur le plan extérieur, le conflit avec Charles Quint aboutit à une alliance surprenante avec l’Empire ottoman. Il s’agit de la première mise en pratique majeure du concept de la Raison d’Etat (outrepasser les règles morales et religieuses dans l’intérêt du pays), concept qui ne cessa pas de prendre de l’importance et qui connut son triomphe avec la politique de Richelieu (politique très pragmatique passant par des alliances avec des pays protestants). Cette alliance avec la Sublime Porte fut reconduite par ses successeurs jusqu’à Louis XIV inclus, ne tombant en désuétude que lorsque les Ottomans entrèrent dans une phase de déclin continu (fin du XVIIe siècle).

Quel bilan pour le règne ? La politique de prestige artistique et culturelle est incontestablement remarquable. Cependant, l’obstination du roi pour le mirage italien (jusqu’en 1546 !), conduisant à épuiser ses forces et les finances, paraît plus critiquable. Surtout, François Ier ne vit pas, jusqu’à l’affaire des Placards (1534), le danger que constituait la diffusion en France du protestantisme sous sa forme calviniste (fin de l’unité religieuse, et donc sociale). Cet aveuglement des débuts du règne conduisit à près d’un demi-siècle de guerre civile. Néanmoins, quel que soit le jugement que nous pouvons porter sur son règne, celui-ci marqua indubitablement les deux siècles qui suivront.

Aetius.

https://www.fdesouche.com/2015/01/25/25-janvier-1515-francois-ier-sacre-reims/

jeudi 25 avril 2024

La Pravda américaine. Quand Staline a failli conquérir l’Europe

 

Par Ron Unz

Pendant de nombreuses années, j’ai maintenu beaucoup trop d’abonnements à des magazines, plus de périodiques que je ne pouvais en lire ou même parcourir, si bien que la plupart des semaines, ils allaient directement au stockage, avec à peine plus qu’un coup d’œil sur la couverture. Mais de temps en temps, je parcourais l’un d’entre eux, curieux de savoir ce que j’avais l’habitude de manquer.

Ainsi, à l’été 2010, j’ai feuilleté un numéro de Chronicles, l’organe phare à faible tirage du mouvement paléo-conservateur marginalisé, et j’ai rapidement commencé à lire une critique d’un livre au titre fade. Mais l’article m’a tellement étonné qu’il a immédiatement justifié les nombreuses années de paiements d’abonnement que j’avais envoyés à ce magazine.

Le critique était Andrei Navrozov, un émigré soviétique résidant depuis longtemps en Grande-Bretagne, et il commençait en citant un passage d’une précédente revue de 1990, publiée presque exactement vingt ans auparavant :

Souvorov commente chaque livre ; chaque article ; chaque film ;  chaque directive de l’OTA ; chaque hypothèse de Downing Street ;  chaque commis du Pentagone ; chaque universitaire ; chaque communiste et anticommuniste ; chaque intellectuel néoconservateur ;  chaque chanson ; poème ; roman et pièce musicale soviétique jamais entendu ; écrit ; fait ; chanté ; publié, produit ou né pendant les 50 dernières années. Pour cette raison, Icebreaker est l’œuvre la plus originale de l’histoire que j’ai eu le privilège de lire.

Il avait lui-même écrit cette critique de livre antérieure, qui a été publiée dans le prestigieux Times Literary Supplement à la suite de la publication originale en anglais de Icebreaker, et sa description n’a pas été exagérée. Les travaux visaient à renverser l’histoire établie de la Seconde guerre mondiale.

L’auteur de Icebreaker, qui écrivait sous le nom de plume Viktor Souvorov, était un vétéran du renseignement militaire soviétique qui avait fait défection à l’Ouest en 1978 et publié par la suite un certain nombre de livres très appréciés sur l’armée et les services secrets soviétiques. Mais ici, il avance une thèse beaucoup plus radicale.

L’« hypothèse Souvorov » affirme qu’au cours de l’été 1941, Staline était sur le point d’organiser une invasion et une conquête massives de l’Europe, tandis que l’attaque soudaine d’Hitler le 22 juin de la même année était destinée à prévenir ce coup imminent. En outre, l’auteur a également fait valoir que l’attaque prévue par Staline ne constituait que le dernier acte d’une stratégie géopolitique de beaucoup plus longue haleine qu’il avait élaborée depuis au moins le début des années 1930.

Après la Révolution bolchévique, le nouveau régime soviétique avait été considéré avec beaucoup de suspicion et d’hostilité par d’autres pays européens, dont la plupart considéraient aussi leurs propres partis communistes comme une cinquième colonne. Ainsi, pour réaliser le rêve de Lénine et porter la révolution en Allemagne et dans le reste de l’Europe, Staline avait besoin de diviser les Européens et de briser leur ligne commune de résistance. Il considérait la montée de Hitler comme un « brise-glace » potentiel, [IceBreaker, NdT], une occasion de déclencher une autre guerre européenne sanglante et d’épuiser toutes les parties, tandis que l’Union Soviétique resterait à l’écart et se servirait de ses forces, attendant le bon moment, pour envahir et conquérir le continent tout entier.

À cette fin, Staline avait ordonné au puissant parti communiste allemand de prendre des mesures politiques pour s’assurer que Hitler arrive au pouvoir, puis avait attiré le dictateur allemand à signer le pacte Molotov-Ribbentrop pour diviser la Pologne. Cela a conduit la Grande-Bretagne et la France à déclarer la guerre à l’Allemagne, tout en éliminant l’État tampon polonais, plaçant ainsi les armées soviétiques directement à la frontière allemande. Et dès qu’il eut signé cet accord de paix à long terme avec Hitler, il abandonna tous ses préparatifs défensifs et se lança dans un énorme renforcement militaire des forces purement offensives qu’il comptait utiliser pour la conquête européenne. Ainsi, selon Souvorov, Staline est le « principal coupable » du déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale en Europe, et l’édition anglaise actualisée de son livre porte exactement ce titre.

À ma grande surprise, j’ai découvert que les théories spectaculaires de Souvorov avaient acquis une énorme importance mondiale depuis 1990 et qu’elles avaient été largement discutées presque partout sauf en Amérique et dans les autres pays anglophones. Comme Navrozov l’a expliqué :

L’édition anglaise du livre s’est vendue à 800 exemplaires.

Quelques mois plus tard, une édition allemande du livre, sous le titre « Der Eisbrecher : Hitler in Stalins Kaulkul », a été publiée en Allemagne par une petite maison d’édition, Klett-Cotta, avec des critiques timides et prudentes. Il s’est vendu à 8 000 exemplaires. En 1992, le manuscrit de Souvorov a été livré à un éditeur franc-tireur à Moscou, et le livre a enfin vu le jour dans sa version originale russe, se vendant rapidement à 100 000 exemplaires pour son premier tirage. Dans les années qui ont suivi, plus de cinq millions d’exemplaires ont été vendus, faisant de Souvorov l’historien militaire le plus lu de l’histoire.

Pourtant, au cours des 20 années qui se sont écoulées entre le lancement d’Icebreaker en Angleterre et la présente publication de « The Chief Culprit« , aucun éditeur britannique, américain, canadien ou australien n’a jugé bon d’exploiter un intérêt potentiellement mondial pour cet Icebreaker à la dérive – ou aborder Souvorov même du bout des doigts – malgré le fait que les exemplaires à 20$ de l’édition Hamish Hamilton, presque impossibles à obtenir, épuisés depuis longtemps, ont été transférés sur Internet et valent près de 500 dollars.

Depuis 1990, les travaux de Souvorov ont été traduits dans au moins 18 langues et une tempête internationale de controverses scientifiques s’est déchaînée autour de l’hypothèse de Souvorov en Russie, en Allemagne, en Israël et ailleurs. De nombreux autres auteurs ont publié des livres à l’appui de cette théorie ou, plus souvent, se sont heurtés à une forte opposition, et même des conférences universitaires internationales ont été organisées pour en débattre. Mais nos propres médias de langue anglaise ont presque entièrement mis sur liste noire et ignoré ce débat international en cours, à tel point que le nom de l’historien militaire le plus lu qui ait jamais existé m’était resté totalement inconnu.

Enfin, en 2008, la prestigieuse Naval Academy Press d’Annapolis a décidé de briser cet embargo intellectuel de 18 ans et a publié une édition anglaise actualisée de l’œuvre de Souvorov. Mais une fois de plus, nos médias ont presque entièrement détourné leur regard, et une seule critique a paru dans une obscure publication idéologique, sur laquelle je suis tombée par hasard. Cela démontre de façon concluante que pendant la majeure partie du XXe siècle, un front uni d’éditeurs et d’organes de presse de langue anglaise pouvait facilement maintenir le boycott d’un sujet important, de sorte que presque personne en Amérique ou dans le reste de l’Anglosphère n’en entende jamais parler. Ce n’est qu’avec l’essor récent d’Internet que cette situation décourageante a commencé à changer.

Il n’est guère facile de déterminer les véritables motivations de Staline et la base de sa politique étrangère dans les années 1930, et ses déclarations et ses actions sont sujettes à de multiples interprétations. Par conséquent, la théorie selon laquelle le dictateur a passé toutes ces années à préparer habilement le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale me semble assez spéculative. Mais l’autre affirmation centrale de l’hypothèse de Souvorov, selon laquelle les Soviétiques étaient eux-mêmes sur le point d’attaquer lorsque les Allemands ont frappé, est une question extrêmement factuelle, qui peut être évaluée sur la base de preuves solides. Je trouve l’affaire très convaincante, du moins si les faits et les détails que Souvorov cite à l’appui ne sont pas totalement faux, ce qui semble peu probable avec la Naval Academy Press comme éditeur.

Le front de l’Est a été le théâtre décisif de la Seconde Guerre Mondiale, impliquant des forces militaires beaucoup plus importantes que celles déployées à l’Ouest ou dans le Pacifique, et le récit classique souligne toujours l’ineptie et la faiblesse des Soviétiques. Le 22 juin 1941, Hitler lança l’opération Barbarossa, une attaque surprise soudaine et massive contre l’URSS, qui prit l’Armée rouge complètement par surprise. Staline a été régulièrement ridiculisé pour son manque total de préparation, Hitler étant souvent décrit comme le seul homme en qui le dictateur paranoïaque ait jamais eu pleinement confiance. Bien que les forces soviétiques en défense étaient d’une taille énorme, elles étaient mal dirigées, leur corps d’officiers n’étant toujours pas remis des purges paralysantes de la fin des années 1930, et leur équipement obsolète et leurs mauvaises tactiques n’étaient absolument pas à la hauteur des divisions de panzer modernes de la Wehrmacht allemande, jusqu’alors invaincues. Les Russes ont d’abord subi des pertes gigantesques, et seuls l’arrivée de l’hiver et les vastes espaces de leur territoire les ont sauvés d’une défaite rapide. Après cela, la guerre a basculé pendant quatre autres années, jusqu’à ce qu’un nombre supérieur de soldats et des tactiques améliorées amènent finalement les Soviétiques dans les rues d’un Berlin détruit en 1945.

Telle est la compréhension traditionnelle de la lutte titanesque russo-allemande que l’on retrouve sans cesse dans tous les journaux, livres, documentaires télévisés et films qui nous entourent. Mais même un examen superficiel de la situation initiale a toujours révélé d’étranges anomalies.

Il y a de nombreuses années, alors que j’étais au collège, je suis devenu un passionné des jeux de guerre avec un vif intérêt pour l’histoire militaire, et le front oriental de la Seconde Guerre Mondiale était certainement un sujet très populaire. Mais à chaque reconstruction de l’opération Barbarossa, on a toujours noté que les Allemands devaient une grande partie de leur grand succès initial au déploiement très étrange des énormes forces soviétiques, qui étaient toutes rassemblées le long de la frontière en formations vulnérables presque comme si elles préparaient une attaque, et certains auteurs ont laissé entendre que cela aurait pu être le cas. Mais le volume de preuves recueillies par Souvorov va bien au-delà de ce genre de spéculation oiseuse, et il dresse un tableau historique radicalement différent de ce que nos comptes standard ont toujours laissé entendre.

Tout d’abord, bien qu’il y ait eu une croyance répandue dans la supériorité de la technologie militaire de l’Allemagne, de ses chars et de ses avions, c’est presque entièrement de la mythologie. En fait, les chars soviétiques étaient de loin supérieurs en armement principal, en blindage et en maniabilité à leurs homologues allemands, à tel point que l’écrasante majorité des panzers étaient presque obsolètes en comparaison. Et la supériorité soviétique en nombre était encore plus extrême, Staline déployant plusieurs fois plus de chars que le total combiné de ceux détenus par l’Allemagne et toutes les autres nations du monde : 27 000 contre seulement 4 000 dans les forces d’Hitler. Même en temps de paix, une seule usine soviétique à Kharkov produisait tous les six mois plus de chars d’assaut que ce que le Troisième Reich avait construit avant 1940. Les Soviétiques avaient une supériorité similaire, quoique un peu moins extrême, dans leurs bombardiers d’attaque au sol. Le caractère totalement fermé de l’URSS signifiait que de vastes forces militaires restaient entièrement cachées aux observateurs extérieurs.

Rien n’indique non plus que la qualité des officiers soviétiques ou de la doctrine militaire n’ait pas été à la hauteur. En effet, nous oublions souvent que le premier exemple réussi d’une « guerre éclair » de l’histoire dans la guerre moderne fut la défaite écrasante d’août 1939 infligée par Staline à la 6e Armée japonaise en Mongolie extérieure, en s’appuyant sur une attaque surprise massive de tanks, bombardiers et infanterie mobile. Et Staline avait apparemment une si haute opinion d’un grand nombre de ses meilleurs stratèges militaires en 1941 que, malgré ses énormes pertes initiales, nombre d’entre eux sont restés aux commandes et ont finalement été promus aux plus hauts rangs de l’establishment militaire soviétique à la fin de la guerre.

Certes, de nombreux aspects de la machine militaire soviétique étaient primitifs, mais c’était exactement la même chose pour leurs opposants nazis. Le détail peut-être le plus surprenant au sujet de la technologie de la Wehrmacht en 1941 était que son système de transport était encore presque entièrement pré-moderne, reposant sur des chariots et des charrettes tirés par 750 000 chevaux pour maintenir le flux vital de munitions et de troupes fraîches à ses armées en marche.

Pendant ce temps, les principales catégories de systèmes d’armes soviétiques semblent presque impossibles à expliquer, sauf en tant qu’éléments importants des plans offensifs de Staline. Bien que la majorité des forces blindées soviétiques étaient des chars moyens comme les T-28 et T-34, généralement de loin supérieurs à leurs homologues allemands, l’URSS avait aussi été pionnière dans le développement de plusieurs lignes de chars hautement spécialisés, dont la plupart n’avaient aucun équivalent ailleurs dans le monde.

  • Les Soviétiques avaient produit une remarquable gamme de chars BT légers, capables d’escamoter facilement leurs chenilles et de continuer sur roues, atteignant une vitesse maximale de 100 km/h, deux ou trois fois plus rapide que tout autre véhicule blindé comparable, et idéalement adaptés à une exploitation en territoire ennemi en profondeur. Cependant, une telle machine avec des roues n’était efficace que sur les autoroutes en dur, dont le territoire soviétique était dépourvu, et donc idéale pour voyager sur le vaste réseau d’autoroutes de l’Allemagne. En 1941, Staline a déployé près de 6 500 de ces chars d’assaut, soit plus que le reste des chars du monde réunis.
  • Pendant des siècles, les conquérants continentaux de Napoléon à Hitler avaient été bloqués par la barrière de la Manche, mais Staline était beaucoup mieux préparé. Bien que la vaste URSS de Staline ait été entièrement une puissance terrestre, il a été le pionnier de la seule série au monde de chars légers entièrement amphibies, capables de traverser avec succès de grandes rivières, des lacs, et même ce détroit notoirement large que Guillaume le Conquérant a traversé la dernière fois avec succès en 1066. En 1941, les Soviétiques ont déployé 4 000 de ces chars amphibies, soit beaucoup plus que les 3 350 chars allemands de tous types utilisés dans leur attaque. Mais étant inutiles pour la défense du territoire, ils ont tous été abandonnés ou détruits sur ordre.
  • Les Soviétiques ont également déployé des milliers de chars lourds, destinés à engager et à vaincre les blindés ennemis, alors que les Allemands n’en avaient pas du tout. En combat direct, un KV-1 ou KV-2 soviétique pourrait facilement détruire quatre ou cinq des meilleurs chars allemands, tout en restant presque invulnérable aux obus ennemis. Souvorov raconte l’exemple d’un KV ayant subi 43 coups directs avant d’être finalement frappé d’incapacité, entouré par les carcasses des dix chars allemands qu’il avait d’abord réussi à détruire.

D’autres preuves de l’ampleur et de l’intention des armées de Staline à l’été 1941 sont tout aussi révélatrices :

  • Au cours des premières années de la Seconde Guerre Mondiale, les Allemands utilisèrent efficacement des parachutistes et des forces aéromobiles pour s’emparer de cibles ennemies clés loin derrière les lignes de front pendant une offensive majeure, ce qui fut un élément important de leur victoire contre la France en 1940 et la Grèce en 1941. De telles unités sont nécessairement légèrement armées et n’avaient aucune chance contre l’infanterie régulière dans une bataille défensive ; leur seul rôle est donc offensif. L’Allemagne est entrée en guerre avec 4 000 parachutistes, une force beaucoup plus importante que tout ce qu’on trouve en Grande-Bretagne, en France, en Amérique, en Italie ou au Japon. Cependant, les Soviétiques avaient au moins 1 000 000 de parachutistes entraînés, et Souvorov pense que le vrai total était en fait plus proche de 2 000 000.
  • Parfois, les décisions de production des principaux systèmes d’armes fournissent de fortes indications sur la stratégie plus large qui sous-tend leur développement. L’avion militaire le plus produit dans l’histoire était l’IL-2, un puissant bombardier d’attaque au sol soviétique lourdement blindé, conçu à l’origine comme un système à deux hommes, avec un mitrailleur arrière capable de défendre efficacement l’avion contre les chasseurs ennemis durant ses missions. Cependant, Staline a personnellement ordonné que la conception soit modifiée pour éliminer le deuxième homme et l’armement défensif, ce qui a rendu le bombardier extrêmement vulnérable aux avions ennemis lorsque la guerre a éclaté. Staline et ses planificateurs de guerre avaient apparemment misé sur une suprématie aérienne quasi totale pendant toute la durée d’un conflit, hypothèse plausible seulement si la luftwaffe allemande était détruite au sol par une attaque surprise dès le premier jour.
  • Il existe de nombreuses preuves que dans les semaines précédant l’attaque surprise allemande, Staline avait ordonné la libération de plusieurs centaines de milliers de prisonniers du Goulag, qui avaient reçu des armes de base et étaient organisés en divisions et corps dirigés par le NKVD, constituant une partie substantielle du deuxième échelon stratégique situé à des centaines de kilomètres de la frontière allemande. Ces unités étaient peut-être destinées à servir de troupes d’occupation, permettant aux forces de première ligne beaucoup plus puissantes de poursuivre et de finaliser les conquêtes de la France, de l’Italie, des Balkans et de l’Espagne. Sinon, je ne peux trouver aucune autre explication plausible à l’action de Staline.
  • L’invasion et l’occupation prévues d’un grand pays dont la population parle une autre langue exigent une préparation logistique considérable. Par exemple, avant leur attaque, les Allemands, notoirement méthodiques, imprimèrent et distribuèrent à leurs troupes un grand nombre de livres de phrases de base germano-russes, permettant une communication efficace avec les villageois et les citadins slaves locaux. Ironiquement, à peu près à la même époque, l’URSS semble avoir produit des dictionnaires russo-allemands très similaires, permettant aux troupes soviétiques conquérantes de se faire facilement comprendre des civils allemands. Plusieurs millions de ces recueils de phrases avaient été distribués aux forces soviétiques à la frontière allemande au cours des premiers mois de 1941.

La reconstitution par Souvorov des semaines qui ont précédé le début des combats est fascinante et met l’accent sur les mesures prises par les armées soviétique et allemande en miroir. Chaque camp déplaçait ses meilleures unités de frappe, créait des aérodromes et des dépôts de munitions près de la frontière, idéal pour une attaque mais très vulnérable en défense. Chaque camp a soigneusement désactivé tous les champs de mines résiduels et arraché tous les obstacles de barbelés, de peur qu’ils n’entravent l’attaque à venir. Chaque partie a fait de son mieux pour camoufler ses préparatifs, parlant haut et fort de la paix tout en se préparant à une guerre imminente. Le déploiement soviétique avait commencé beaucoup plus tôt, mais comme leurs forces étaient beaucoup plus importantes et avaient des distances beaucoup plus grandes à franchir, elles n’étaient pas encore tout à fait prêtes pour leur attaque lorsque les Allemands ont frappé, ce qui a brisé la conquête de l’Europe prévue par Staline.

Tous les exemples ci-dessus de systèmes d’armes soviétiques ou de décisions stratégiques semblent très difficiles à expliquer dans le cadre du discours défensif conventionnel, mais sont parfaitement logiques si l’orientation de Staline à partir de 1939 avait toujours été offensive, et s’il avait décidé que l’été 1941 était le moment de frapper et d’élargir son Union soviétique à tous les États européens, comme le voulait initialement Lénine. Et Souvorov fournit des dizaines d’exemples supplémentaires, construisant brique par brique un cas très convaincant pour cette théorie.

Le livre n’est pas trop long, comptant peut-être 150 000 mots, et 20 $ plus quelques clics de souris sur Amazon vous fourniront une copie à lire et à juger par vous-même. Mais pour ceux qui désirent un simple résumé, la conférence en 2009 de Souvorov au Forum Eurasie de l’Académie navale d’Annapolis est commodément disponible sur YouTube [Lien indisponible, un autre lien est proposé, NdT], bien que légèrement entravée par son faible anglais :

Et aussi ses conférences C-SPAN Book TV au Woodrow Wilson Center :

Les théories controversées, même si elles sont soutenues par des preuves apparemment solides, peuvent difficilement être évaluées correctement tant qu’elles n’ont pas été mises en balance avec les contre-arguments de leurs détracteurs les plus sévères, et cela devrait certainement être le cas avec l’hypothèse de Souvorov. Mais bien que les trois dernières décennies aient vu le développement d’une importante littérature secondaire, en grande partie très critique, presque tout ce débat international s’est déroulé en russe, en allemand ou en hébreu, des langues que je ne lis pas.

Il y a quelques exceptions. Il y a plusieurs années, je suis tombé sur un débat sur le sujet sur un site Web, et un grand critique a affirmé que les théories de Souvorov avaient été totalement démystifiées par l’historien militaire américain David M. Glantz dans Stumbling Colossus, publié en 1998. Mais quand j’ai commandé et lu le livre, j’ai été très déçu. Bien qu’il prétendait réfuter Souvorov, l’auteur semblait ignorer presque tous ses arguments centraux et se contentait de résumer de façon plutôt ennuyeuse et pédante le récit standard que j’avais vu des centaines de fois auparavant, avec quelques excès rhétoriques dénonçant la vilenie unique du régime Nazi. Ironiquement, Glantz souligne que, bien que l’analyse de Souvorov sur la lutte militaire titanesque russo-allemande ait reçu une grande attention et un soutien considérable parmi les chercheurs russes et allemands, elle a été généralement ignorée dans le monde anglo-américain, et il semble presque insinuer qu’elle peut probablement être ignorée pour cette raison. Cette attitude reflétait peut-être l’arrogance culturelle de nombreuses élites intellectuelles américaines pendant la désastreuse période Eltsine de la Russie à la fin des années 1990.

Un livre de bien meilleure qualité, généralement favorable au cadre de Souvorov, est Stalin’s War of Annihilation, de l’historien militaire allemand Joachim Hoffmann, primé, commandé à l’origine par les forces armées allemandes et publié en 1995 avec une édition révisée en anglais publiée en 2001. L’introduction de l’auteur relate les menaces répétées de poursuites judiciaires qu’il a reçues de la part d’élus et les autres obstacles juridiques auxquels il a dû faire face, alors qu’ailleurs il s’adresse directement aux autorités gouvernementales invisibles comme s’il savait qu’elles étaient en train de lire par-dessus son épaule. Lorsque le fait de s’écarter trop loin des limites de l’histoire admise comporte le risque sérieux que l’ensemble du tirage d’un livre soit brûlé et que l’auteur soit emprisonné, le lecteur doit nécessairement faire preuve de prudence lorsqu’il évalue le texte, car des sections importantes ont été biaisées ou supprimées par précaution dans l’intérêt de sa conservation. Il devient difficile d’évaluer les débats savants sur des questions historiques lorsque l’une des parties fait face à une incarcération car ses arguments sont trop audacieux.

Pouvons-nous dire si Souvorov a raison ? Puisque nos gardiens de l’information du monde anglophone ont passé les trois dernières décennies à fermer les yeux et à prétendre que l’hypothèse de Souvorov n’existe pas, l’absence quasi totale d’examens ou de critiques substantiels m’empêche largement d’arriver à une conclusion définitive. Mais sur la base des preuves disponibles, je crois qu’il est beaucoup plus probable qu’improbable que les théories de Souvorov soient au moins substantiellement correctes. Et si c’est le cas, notre compréhension actuelle de la Seconde guerre mondiale – l’événement formateur central de notre monde moderne – en serait entièrement transformée.

Souvorov note que les traités ou pactes portent traditionnellement le nom de la ville dans laquelle ils ont été signés – le Pacte de Varsovie, le Pacte de Bagdad, l’Accord de Munich – et donc le « Pacte Molotov-Ribbentrop » signé le 23 août 1939 par lequel Hitler et Staline ont convenu de la division de la Pologne devrait plutôt être appelé le « Pacte de Moscou ». Grâce à cet accord, Staline a obtenu la moitié de la Pologne, les États baltes et divers autres avantages, dont une frontière directe avec l’Allemagne. Pendant ce temps, Hitler a été puni par des déclarations de guerre de la France et de la Grande-Bretagne, puis par une condamnation mondiale en tant qu’agresseur militaire. Bien que l’Allemagne et la Russie soviétique aient toutes deux envahi la Pologne, la Russie a réussi à éviter d’être entraînée dans une guerre avec les anciens alliés de la Pologne. Ainsi, le principal bénéficiaire du Pacte de Moscou a clairement été Moscou.

Étant donné les longues années de guerre de tranchées sur le front occidental pendant la Première guerre mondiale, presque tous les observateurs extérieurs s’attendaient à ce que le nouveau cycle du conflit suive un schéma statique très similaire, épuisant progressivement toutes les parties, et le monde a été choqué lorsque les tactiques novatrices de l’Allemagne lui ont permis d’obtenir une défaite éclair des armées alliées en France pendant 1940. Mais à ce moment-là, Hitler considérait la guerre comme essentiellement terminée et était convaincu que les conditions de paix extrêmement généreuses qu’il offrait immédiatement aux Britanniques aboutiraient bientôt à un règlement définitif. En conséquence, il a ramené l’Allemagne à une économie de temps de paix, préférant le beurre aux armes à feu afin de maintenir sa grande popularité nationale.

Staline, cependant, n’était pas soumis à de telles contraintes politiques, et à partir du moment où il avait signé son accord de paix à long terme avec Hitler en 1939 et divisé la Pologne, il a augmenté son économie de guerre totale à un cran encore plus haut. S’engageant dans une montée en puissance militaire sans précédent, il a concentré presque entièrement sa production sur des systèmes d’armes purement offensifs, tout en arrêtant même la production de ces armements mieux adaptés à la défense et en démantelant ses lignes défensives de fortifications. En 1941, son cycle de production était terminé et il avait des plans en conséquence.

Ainsi, tout comme dans notre récit traditionnel, nous voyons qu’au cours des semaines et des mois qui ont précédé l’opération Barbarossa, la force militaire offensive la plus puissante de l’histoire du monde s’est discrètement rassemblée en secret le long de la frontière germano-russe, préparant l’ordre qui allait déclencher leur attaque surprise. L’armée de l’air non préparée de l’ennemi devait être détruite au sol dans les premiers jours de la bataille, et d’énormes colonnes de chars d’assaut allaient commencer à pénétrer profondément, entourant et piégeant les forces opposées, remportant une victoire éclair classique, et assurant l’occupation rapide de vastes territoires. Mais les forces préparant cette guerre de conquête sans précédent étaient celles de Staline, et sa force militaire aurait sûrement saisi toute l’Europe, probablement bientôt suivie par le reste de la masse continentale eurasienne.

Puis, presque au dernier moment, Hitler s’est soudain rendu compte du piège stratégique dans lequel il était tombé, et a ordonné à ses troupes sous-équipées et en infériorité numérique de lancer une attaque surprise désespérée contre les Soviétiques, les rattrapant par hasard au moment même où leurs propres préparations finales pour une attaque surprise les avaient rendues plus vulnérables, et arrachant ainsi une victoire initiale majeure des mâchoires d’une défaite certaine. D’énormes stocks de munitions et d’armes soviétiques avaient été placés près de la frontière pour approvisionner l’armée d’invasion de l’Allemagne, et ils tombèrent rapidement entre les mains des Allemands, apportant un complément important à leurs propres ressources terriblement insuffisantes.

Les ressources énormes et pleinement militarisées de l’État soviétique, complétées par les contributions de la Grande-Bretagne et de l’Amérique, ont fini par renverser la vapeur et par mener à une victoire soviétique, mais Staline s’est retrouvé avec seulement la moitié de l’Europe plutôt que sa totalité. Souvorov soutient que la faiblesse fatale du système soviétique était son incapacité totale à concurrencer les États non soviétiques dans la production de biens civils en temps de paix, et parce que ces États avaient encore survécu après la guerre, l’Union Soviétique était vouée à l’effondrement final.

Navrozov, le chroniqueur des Chronicles, est un slave russe et donc peu favorable au dictateur allemand. Mais il termine sa critique par une déclaration remarquable :

Par conséquent, si l’un d’entre nous est libre d’écrire, de publier et de lire ceci aujourd’hui, il s’ensuit que dans une partie non négligeable, notre gratitude pour cela doit aller à Hitler. Et si quelqu’un veut m’arrêter pour avoir dit ce que je viens de dire, je ne fais aucun secret de l’endroit où je vis.

Ron Unz

Note du Saker Francophone

On suit Ron Unz dans sa série American Pravda et on vous en proposera à terme l’intégralité. Ces textes sont pour le moins audacieux. Il est toujours difficile de tirer des conclusions à partir de quelques faits et de suppositions autour des intentions cachées de tel ou tel dirigeants surtout après des décennies de propagande. On vous laisse libre de vous faire votre propre opinion. Nous ne sommes sans doute pas à la veille de voir les historiens libres de leurs analyses, notamment sur cette période de l’histoire.

Source Unz Review

Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone

via:https://lesakerfrancophone.fr/la-pravda-americaine-quand-staline-a-failli-conquerir-leurope

https://reseauinternational.net/la-pravda-americaine-quand-staline-a-failli-conquerir-leurope/

Henri VIII, amour et vengeance à la cour des Tudors

Doggerland : Un pays englouti découvert sous la mer du Nord

 

Entre la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne un pays fertile s’étendait encore il y a 10.000 ans. Pour les archéologues, il s’agit-là d’une découverte étonnante qui apporte des renseignements inédits sur la préhistoire.

Tout commence il y a 150 ans, lorsque les pêcheurs adoptent le chalutage en eau profonde. Nombre d’entre eux découvrent dans leurs filets des énormes défenses de mammouths voire des squelettes de rhinocéros laineux ! […] Jusqu’à l’arrivée des archéologues, les pêcheurs rejetaient consciencieusement toutes ces « saletés » par-dessus bord. […] C’est un archéologue amateur, Dick Mol, qui a convaincu les pêcheurs de lui rapporter ces squelettes étranges et de noter l’endroit où ils avaient été pêchés. En 1985, un capitaine rapporte ainsi une mâchoire humaine, dont la datation au carbone démontrera qu’elle est vieille de plus de 9.500 ans. […]

Les hommes qui parcouraient ce pays disparu nous ressemblaient par la taille, la dimension de la boîte crânienne, etc. Ils avaient découvert un paradis pour chasseurs-cueilleurs. De ce paradis, il reste des traces géographiques pour qui sait sonder les fonds sous-marins. […] Les parties les moins profondes de la mer du Nord étaient émergées. Elles se couvraient de forêts humides et de marais, de nombreux fleuves les parcouraient, les chasseurs, les cueilleurs et les pêcheurs prospéraient ! […]

La glace reculant, les terres émergées suivent le mouvement. […] Les archéologues envisagent alors une série de scénarii catastrophiques. Outre le grignotage progressif de leur territoire, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont connu des tsunamis, des exodes massifs et probablement des conflits pour les territoires restants.

Ils ont assisté, impuissants, à l’inondation de leurs chères grandes forêts, ce phénomène donnant lieu à des scènes surréalistes comme l’explique l’archéologue Martin Bell au National Geographic : « À une certaine époque, les sommets de gigantesques chênes ont dû émerger morts, au milieu des marais salés. Ce devait être un paysage tout à fait étrange ». Vers la fin du processus de reflux, en 6.500 avant Jésus-Christ la Grande-Bretagne devenait une île.

Aleteia

https://www.fdesouche.com/2015/02/10/doggerland-un-pays-englouti-decouvert-sous-la-mer-du-nord/

La Pravda américaine. Le Général Patton s’est-il fait assassiner ?

  

Par Ron Unz

Pendant la longue période de la Guerre froide, nombre de Russes, fatigués des mensonges et des omissions de leurs organes de presse, écoutaient la radio occidentale pour saisir quelques parcelles de vérité.
De nos jours, les Américains disposent d’internet, qui leur apporte une opportunité assez semblable : cliquer sur un site web étranger et découvrir des articles importants, ayant échappé pour une raison ou une autre à l’attention de leurs propres journalistes. Chose ironique, une part importante de cette couverture par des « médias alternatifs » est disponible dans les journaux anglais les plus éminents et les plus respectables, mis sous presse par le plus proche de nos alliés de toute l’histoire.

Par exemple, il y a trois ou quatre ans, j’ai remarqué un lien sur l’un des sites internet libertaires de premier plan, qui laisser à penser que Georges. Patton, l’un des commandants militaires les plus réputés de la Seconde Guerre Mondiale, s’était fait assassiner par ordre du gouvernement étasunien. N’étant pas moi-même très enclin à porter vers le conspirationnisme et l’alarmisme, cette affirmation sinistre m’apparut tout à fait bizarre, mais je décidai de suivre le lien et de me payer une tranche de folie, de celles que l’on ne trouve que dans les tréfonds de l’Internet. Mais voilà, la source de l’information était un long article du Sunday Telegraph britannique, l’un des journaux les plus réputés au monde, qui présentait un nouveau livre, publié après une décennie de recherche et d’interviews, et écrit par un journaliste américain expérimenté et spécialisé en affaires militaires.

Le livre ainsi que l’article étaient parus en 2008, et je n’avais jamais lu le premier mot de cette affaire dans aucun journal américain de quelque importance. La description qu’en faisait l’article semblait très factuelle et détaillée. J’en vins à consulter quelques universitaires de premier plan parmi mes connaissances, disposant de connaissances en histoire et en science politique. Aucun d’eux n’avait jamais entendu parler de cette théorie, et ils se montrèrent aussi surpris que je pouvais l’être par les éléments dont je disposais, et par le fait que des révélations aussi remarquables aient pu ne recevoir aucun écho dans notre propre pays, qui est comme chacun sait la terre des médias les plus libres et les plus friands de scandale du monde entier.

La curiosité commençant à prendre le pas sur moi, je commandai donc le livre pour 8 dollars sur amazon.com.

Target : Patton, écrit par Robert K. Wilcox et publié par Regnery Press, s’étale sur 450 pages, et comprend une bibliographie complète et pas loin de 700 notes de bas de page. Les nombreuses années passées par l’auteur sur ce projet ont eu leur effet sur le contenu, qui intègre de nombreuses interviews personnelles, ainsi que l’analyse soigneuse d’une quantité considérable de sources primaires et secondaires. J’ai rarement été amené à consulter un travail de journalisme aussi complet et détaillé, et l’on comprend que l’auteur y ait porté un tel soin au vu de la nature explosive des accusations qu’il porte. Mais son travail n’a jamais eu l’opportunité d’être proposé aux lecteurs des médias dominants américains.

À titre personnel, j’ai trouvé les preuves de l’assassinat de Patton tout à fait convaincantes, pour ne pas dire accablantes. Tout lecteur curieux peut, en investissant la modique somme de 2.93 dollars hors frais de port, commander ce livre et en juger par lui-même.

Wilcox lui-même fut tout aussi frappé de stupeur que n’importe qui quand il tomba pour la première fois sur ces faits surprenants, mais les preuves qui s’étalaient sous ses yeux le convainquirent d’investir des années de son temps pour mener une recherche sur cette théorie, afin d’en publier les résultats. Et il en a découvert des vertes et des pas mûres.

Au cours des derniers mois de sa vie, Patton se montrait de plus en plus critique envers le gouvernement étasunien, de sa conduite de la Seconde guerre mondiale, et de sa politique à l’égard des Soviétiques. Il projetait de démissionner après son retour aux États-Unis, et de commencer une grande tournée publique pour dénoncer la gouvernance politique étasunienne ; de la part d’un héros de guerre de sa stature, ces dénonciations auraient sans doute eu un impact très important. L’accident de voiture qui lui coûta la vie se produisit la veille du jour où il devait revenir au pays, et il venait, par deux fois, d’échapper de peu à la mort dans des circonstances très suspectes.

Le livre comprend des interviews en personne avec l’assassin, qui confesse de lui-même avoir été mandaté par le gouvernement – il était à l’époque attaché aux services de renseignement de l’OSS, l’ancêtre de la CIA de l’époque. Cet agent disposait déjà au moment des faits d’une longue carrière documentée, très précisément dans ce type d’activité, tant pendant la guerre qu’au cours des décennies qui suivirent. On pense qu’il a travaillé comme « indépendant » à l’international, et s’est occupé de « nettoyer » des cibles humaines pour la CIA et pour divers autres employeurs. Arrivant à la fin de sa vie, il développa une forme de rancœur envers les bureaucrates du gouvernement étasunien, s’estimant maltraité par eux ; et la culpabilité qu’il put également ressentir d’avoir été le responsable de la mort d’un des plus grands héros militaires des USA contribua également à sa décision de « déballer » ce qu’il savait, avec à l’appui un journal personnel assez conséquent. De nombreuses interviews avec des personnes liées aux circonstances de la mort de Patton semblent avoir également étayé la théorie.

L’assassin reporte que William Donovan, dirigeant de l’OSS, avait ordonné l’assassinat de Patton parce que ce dernier était « parti en vrille », et devenait une menace importante envers les intérêts nationaux étasuniens. Dans le même temps, un agent de terrain militaire affecté au contre-espionnage avait commencé à recevoir des remontées crédibles établissant qu’un assassinat de Patton était dans les cartons, et avait essayé d’en avertir sa hiérarchie, Donovan y compris ; non seulement ses avertissement furent-ils ignorés, mais il fut menacé à plusieurs reprises, et même arrêté. Il apparaît clairement que les ordres de Donovan provenaient d’au-dessus, ou bien à la Maison Blanche, ou bien ailleurs.

Les motivations de l’assassinat peuvent avoir eu des origines intérieures aux USA, ou étrangères. Au cours des vingt dernières années, des chercheurs comme John Earl Haynes et Harvey Klehr ont démontré avec brio l’influence considérable qu’avait établi un vaste réseau d’espions communistes dans les branches les plus élevées du gouvernement étasunien. Et Wilcox lui-même documente avec soin l’infiltration subie par l’OSS elle-même de la part d’éléments hauts placés du NKVD soviétique, ainsi que le fait qu’au cours de cette même période, les deux agences de renseignements se trouvaient dans une situation ambiguë de quasi-partenariat : Donovan se montrait particulièrement soucieux de s’accommoder les bonnes grâces politiques des éléments pro-soviétiques hauts placés dans le gouvernement étasunien.

Et Patton, un anti-communiste zélé, présentait des vues différentes, et plaidait pour une attaque militaire immédiate contre les armées affaiblies de l’Union Soviétique. On peut facilement comprendre comment Staline et les dirigeants américains de son orbite auraient pu décider que supprimer physiquement Patton constituait une priorité absolue.

Au moment de sa mort, Patton était le plus haut officier de l’armée des USA en Europe, et la nouvelle de son décès devient bien entendu une information de premier plan dans le monde entier. Plusieurs rapports officiels furent produits quant aux circonstances exactes de l’accident de circulation très bizarre en question, mais aucun de ces rapports n’existe plus dans les archives du gouvernement étasunien. J’ai du mal à imaginer une explication non sinistre à ces disparitions.

Ces quelques modestes paragraphes vous exposent une toute petite portion de l’imposant travail documentaire et de l’analyse méticuleuse que Wilcox a menés pendant dix ans pour construire ce livre impressionnant. Bien sûr, de nombreuses questions attendent une réponse, et il est impossible d’apporter des preuves absolues soixante-dix ans après les faits. Mais pour ce qui me concerne, la probabilité d’un assassinat est écrasante, et implique presque certainement des dirigeants américains de premier plan.

Je tiens également de source sûre que la communauté du renseignement des USA fait l’objet depuis plusieurs années d’une croyance répandue, voulant que Patton ait été éliminé par le gouvernement étasunien pour des raisons politiques, ce qui n’est pas du tout surprenant dans ces cercles. L’assassin présumé avait fait confession de sa culpabilité il y a plusieurs dizaines d’années déjà, devant des journalistes, lors d’une réunion-repas de l’OSS à Washington DC, assis à la même table que William Colby, son ami et collègue de longue date et ancien directeur de la CIA. Malgré le fait que les articles de presse locale qui s’en étaient suivis aient été totalement ignorés des médias nationaux, il n’y a pas à s’étonner que l’information ait infusé dans la communauté du renseignement.

Peut-être quelque chercheur expérimenté, sur la base d’une perspective différente, pourrait-il investir du temps et du travail pour réfuter le solide dossier établi par Wilcox, mais pour l’instant personne ne s’y est mis. Imaginons pour la forme que les preuves de cette théorie ne soient finalement pas si éclatantes qu’elles le semblent, et ne permettent d’estimer la possibilité que cette histoire soit vraie qu’à une possibilité raisonnable, disons 25%. J’estime pour ma part que s’il existe même une faible possibilité que l’un des généraux les plus admirés des USA, opérant dans l’Europe d’après guerre, ait pu être assassiné pour des raisons politiques par le propre gouvernement des États-Unis, le scandale qui devrait éclater serait l’un des plus grands de toute l’histoire moderne des USA.

Le livre a été écrit par un auteur réputé, et publié par une maison d’édition bien établie, quoique assez conservatrice. Malgré cela, il n’a fait l’objet d’aucun relais de la part d’aucune publication nationale importante aux USA, conservatrice ou libérale, et n’a donné lieu à aucune enquête. Seul un journal britannique de premier plan a repris les éléments ignorés par les journalistes américains.

Il est probable qu’un livre qui aurait traité en miroir des éléments historiques solides expliquant le décès soudain de quelque général russe ou chinois de premier plan, au tournant de la Seconde guerre mondiale, aurait facilement fait son chemin jusqu’aux premières pages du New York Times, et sans doute jusqu’à la section hebdomadaire des fiches de lectures proposées par le journal [weekly Book Review, NdT]. On aurait peut-être même assisté à une couverture média considérable si la victime avait été un général de premier plan de l’État du Guatemala, dont le nom aurait pourtant jusque-là été totalement inconnu du grand public américain. Mais ces mêmes allégations, sur la disparition de l’un des dirigeants militaires les plus célèbres et les plus admirés dans années 1940 n’ont pas soulevé l’intérêt des grands journalistes américains.

À nouveau, il y a bien deux sujets à distinguer. Que j’aie raison ou non de croire que l’assassinat de Patton est étayé de preuves accablantes est sans aucun doute passible de débat. Mais il est irréfutable que les médias étasuniens sont totalement passés à côté de ces révélations.

Comme je le disais au début, j’étais tombé sur cette histoire fascinante il y a quelques années, et je n’avais pas eu le temps alors de publier un article. Mais quand j’ai décidé de revenir sur le sujet, j’ai relu le livre pour me rafraîchir la mémoire, et l’ai trouvé encore plus convaincant qu’en première lecture. Huit années après sa première publication, je ne pus trouver aucune couverture presse de la part de nos grands journaux craintifs, mais au vu de la croissance immense du journalisme flottant sur internet, je me demandai si les informations avaient pu être relayées ailleurs.

En faisant usage de mon moteur de recherche préféré, je n’ai pas trouvé grand chose. À quelques reprises, au fil des années, Wilcox avait pu s’exprimer ci et là, comme dans le New York Post en 2010 et dans le American Thinker webzine en 2012, ce dernier faisant mention d’un nouveau témoin d’importance qui avait finalement décidé de sortir du bois. Mais outre cela, son livre remarquable semble s’être enfoncé dans l’oubli.

D’un autre côté, d’autres auteurs ont récemment commencé à tirer parti de ses recherches, en rhabillant le récit sous une forme ayant plus de chances de s’attirer les faveurs de l’establishment américain et des médias qu’il contrôle.

Le plus notoire en est Bill O’Reilly, le pontife de FoxNews, qui a publié Killing Patton en 2014, au sein d’une série de best-sellers historiques populaires coécrits avec Martin Dugard. Le titre de l’ouvrage apparaît comme un défi envers la thèse officielle de l’accident de voiture, et je fus prompt à ouvrir le livre, mais je fus rapidement et sévèrement déçu. La présentation qu’on y trouve est bien mince, et on y trouve à peine 10% des éléments d’analyse de Wilcox, les 90% restants étant gonflés d’un résumé historique très conventionnel du front de l’Ouest de la fin de la Seconde guerre mondiale, description comprise des camps de concentration nazis, bien peu de tout ceci ayant la moindre connexion avec Patton. La seule partie intéressante de l’ouvrage semble reprendre les recherches publiées par Wilcox, et cette relation est totalement masquée par l’absence de toute note de bas de page. On ne trouve qu’une seule indication, dans une brève phrase en fin d’ouvrage, citant le livre de Wilcox comme résumé très utile des « théories du complot ». Non sans raison, Wilcox semble s’être irrité du peu de cas et de crédit dont il a fait l’objet.

Le livre simpliste d’O’Reilly s’est vendu a plus d’un million d’exemplaires, avec un titre proclamant l’assassinat de Patton. Mais la couverture presse qui s’ensuivit fut maigre et largement négative, s’employant à critiquer une soi-disant indulgence pour les « théories du complot »Media Matters a résumé la réaction par ces mots : « les historiens déchirent le nouveau livre d’O’Reilly sur Patton », et au vu du manque total de documentation apporté par O’Reilly, le gros de cette critique apparaît plutôt justifié. Ainsi, les médias ont totalement fait abstraction d’un livre très bien documenté et très étayé, et ont préféré attaquer et ridiculiser un autre livre très faible sur le même sujet : cette double approche constitue un moyen efficace d’obscurcir la vérité.

Les faiseurs d’opinions américains ont tendance à s’appuyer sur nos journaux nationaux principaux pour comprendre le monde, et la seule couverture que j’ai pu trouver dans ces journaux du best-seller d’O’Reilly fut un article d’opinion plutôt bizarre par Richard Cohen, un journaliste du Washington Post. Cohen ne semble pas s’intéresser outre mesure à la question de l’assassinat de Patton, mais condamne sévèrement O’Reilly pour n’avoir pas consacré assez de pages au soi-disant anti-sémitisme de Patton. En fait, il alla presque jusqu’à induire que certaines des notes retrouvées dans les journaux intimes de Patton étaient assez méchantes envers les Juifs pour que les américains n’aient à se soucier de savoir si notre général le plus gradé en Europe ait été assassiné par son propre gouvernement, ou par qui que ce soit d’autre. La mentalité de nos médias principaux est vraiment devenue très étrange de nos jours, et nous vivons dans le monde qu’ils créent pour nous.

Dernièrement, le succès du livre d’O’Reilly et la reprise de la Guerre froide avec la Russie peuvent avoir amené à la production d’un nouveau documentaire s’intéressant au dossier de l’assassinat de Patton, mais en reconstruisant les faits de manière déformée. Les recherches menées par Wilcox avait démontré que des dirigeants américains de premier plan avait organisé l’assassinat de Patton, même si cela était probablement en coordination avec les Soviétiques. Le livre d’O’Reilly relatait certains de ces faits, mais ses interviews dans les médias écartaient toute responsabilité américaine dans l’affaire, en déclarant abruptement que « Staline a tué Patton ». Et sur la base des articles de presse que j’ai lus, je me demande si ce nouveau documentaire, réalisé semble-t-il sans le concours de Wilcox, ne va pas également ignorer les preuves importantes de l’implication directe du gouvernement des États-Unis, en faisant uniquement porter le chapeau à « ces salauds de Russes ».

En fin de compte, cet incident historique d’importance nous donne un moyen d’évaluer la crédibilité de certaines ressources reprises partout. Je n’ai eu de cesse d’insister auprès de mes interlocuteurs sur le fait que Wikipédia n’est de strictement aucun intérêt sur tout sujet un tant soit peu « controversé ». Au vu de l’immense stature historique du personnage de Patton, il n’est pas surprenant que sa fiche Wikipédia soit extrêmement longue et détaillée – elle s’étale sur 15 000 mots, et comprend presque 300 références et notes de bas de page. Mais cet étalage d’information ne contient pas la plus minime indication d’un quelconque possible soupçon autour des circonstances de sa mort. « Wiki-Pravda », pourrait-on dire.

Ron Unz

Source Unz Review

Traduit par Vincent pour le Saker Francophone

via:https://lesakerfrancophone.fr/la-pravda-americaine-le-general-patton-sest-il-fait-assassiner

https://reseauinternational.net/la-pravda-americaine-le-general-patton-sest-il-fait-assassiner/