dimanche 31 décembre 2017

Le tournant de la Régence (Marion Sigaut)

le-tournant-de-la-regence.jpgMarion Sigaut est une historienne bien connue de nos lecteurs, spécialisée dans l’histoire de France au XVIIIe siècle.
Son livre Le tournant de la Régence examine cette période qui dure à peine huit ans, de 1715 à 1723, et va marquer un basculement irréversible conduisant inexorablement à la Révolution.
Avant même l’ouverture du testament du roi Louis XIV, Philippe d’Orléans demandait aux juges de lui donner pleine autorité, en échange de quoi il leur accorderait ce que le défunt roi avait combattu de toute sa force. L’affaire était entendue, Philippe serait régent, quoi qu’en ait voulu le roi. Les juges, à qui Philippe d’Orléans venait de promettre de recouvrer le droit de remontrance et la réhabilitation des jansénistes, cassèrent le testament de Louis XIV dans le sens qui les arrangeait.
S’ensuivit un bouleversement religieux. Les juges commencèrent à s’immiscer dans les affaires religieuses sur tout le territoire. Le pape avait, par une bulle, considéré le jansénisme comme hérétique. Mais les parti janséniste, les juges et la Sorbonne firent coalition contre cette bulle. Le parlement les soutint.
Le second bouleversement fut financier. Le Régent fit appel aux services d’un étranger, l’écossais John Law, qui proposait d’ouvrir une banque d’Etat, la Banque générale. Le 4 décembre 1718, la Banque générale devint la Banque royale dont Law était directeur. C’est sous son impulsion que l’habitude fut prise de payer en papier et non plus en numéraire. Le 1er janvier 1719, toujours sous l’impulsion de ce John Law, les autorités interdirent les paiements en pièces de cuivre ou d’argent au-delà d’un montant très limité. Le public alla donc échanger ses pièces de cuivre et d’argent contre des billets de papier. Ensuite, Law introduisit la spéculation à grande échelle. Les souscripteurs d’actions se pressèrent. Le bénéficiaire principal en était… John Law. Il s’agissait d’une des premières grandes bulles financières. Pour enrayer la baisse inexorable des titres, Law fit interdire de détenir chez soi de l’or ou de l’argent sauf permissions spéciales. La spoliation devint manifeste. Le récit de cette vaste escroquerie est saisissant.
L’ouvrage détaille également les ravages de la peste qui causa une véritable hécatombe.
Le livre se termine sur l’affaire scandaleuse du duc de la Force et sur le total relâchement des mœurs sous la régence.
Le tournant de la Régence, Marion Sigaut, éditions Kontre Kulture, 230 pages, 16 euros
A commander en ligne sur le site de l’éditeur

Ecosse [2000 ans d'histoire]

vendredi 29 décembre 2017

Le film documentaire sur TV Libertés « 100 ans de crimes communistes » en DVD !

infolettre haut

Cela nous était demandé par nombre d’amis à des fins de projection en famille ou pour des groupes, sur leurs téléviseurs. 
Les DVD commandés seront expédiés à partir du 3 janvier 2018. 
Le prix : 10 € l’unité (franco). 8 € par commande de 2 à 5. 6 € par commande de 6 et plus. Chèque à l'ordre de l'AGRIF. 
NB : le documentaire n’est pas une redite audio-visuelle du livre. 
Il a été conçu et réalisé pour en être un très utile complément avec la force de l’image et de commentaires et témoignages percutants. 
Les deux réalisations complémentaires constituent comme un carquois de flèches de réplique au phénomène massif de l’occultation... Lire la suite
 

 
rac adhere rac don rac signe
Conformément à la Loi Informatique et Libertés n°78-27 du 06/01/1978 modifiée par la loi n°2004-801 du 06/08/04, vous disposez d'un droit d'accès et de rectification de ces données ainsi que d’un droit de vous opposer à ce que ces données fassent l'objet d'un traitement en nous contactant par courrier à l’adresse suivante :
L'Agrif - 70 boulevard Saint-Germain - 75005 Paris
 

Histoire du Louvre [2000 ans d'histoire]

jeudi 28 décembre 2017

Georges Clemenceau - 2000 ans d'histoire

Le corsaire devenu pirate Olivier Levasseur, dit « La Buse »


Extraits description:
En 1721, le pirate Olivier Levasseur, dit « la Buse » réalise la plus belle prise de toute l’histoire de la piraterie.
(…)
* Depuis trois siècles, la vie aventureuse de Levasseur inspire les plus grands auteurs, tel Robert Louis Stevenson, qui reprend l’anecdote des canons de la Nossa Senhora dans « l’Ile au Trésor ».
* Le mangaka Eiichirō Oda s’inspire de la Buse dans sa grande saga « One Piece » : l’histoire débute par l’exécution de Gol D. Roger, Seigneur des Pirates, qui jette une carte au trésor incomplète à la foule, et dont les derniers mots sont pratiquement les mêmes que Levasseur.
* Le capitaine du Bird Galley, William Snelgrave, est épargné par Levasseur et ses comparses, car ses hommes le décrivent comme un officier de grande valeur et surtout très humain. Snelgrave est retenu prisonnier durant un mois, décrivant par la suite les extravagantes festivités suivant la capture de son navire. Par ailleurs, il note que la plupart des matelots rejoignant les pirates se justifient en évoquant l’extrême dureté de la discipline dans les marines nationales. 
* Dans son « Histoire générale des plus fameux pyrates », Daniel Defoe raconte que Levasseur perd progressivement l’usage d’un œil, qu’il dissimule souvent avec un bandeau. Le cache-œil est aujourd’hui un stéréotype des pirates dans l’imaginaire collectif.
Pirate de légende, Levasseur fait aujourd’hui partie du folklore de l’Océan Indien. Sa tombe -se trouvant au cimetière marin de Saint-Paul de la Réunion- est une véritable attraction touristique. Cependant, il est aujourd’hui avéré qu’elle n’abrite pas la dépouille du pirate. En effet, le cadavre de Levasseur fut exposé au public pendant plusieurs jours, puis fut jeté dans une fosse commune, comme il était d’usage à l’époque pour tous les pirates exécutés.
(…)
* Le grand-père de l’écrivain J-M Le Clézio a passé 20 ans de sa vie à chercher le trésor de la Buse, ratissant les plages de l’île Rodrigues, dans l’archipel des Mascareignes.
* L’anglais Reginald Cruise-Wilkins cherche le trésor de la Buse de 1947 à 1970. Il pense que celui-ci est caché sur l’île de Mahé, aux Seychelles. Il trouve effectivement une cache de pirates, mais celle-ci ne contient que quelques pièces d’or et des pistolets.
* Le jeu vidéo Android « Assassin’s Creed Pirates » d’Ubisoft a pour intrigue la recherche du trésor de la Buse.
* Un pirate français nommé « Capitaine Levasseur » apparaît dans le film américain « Captain Blood » (1935). Il s’inspire vaguement de la Buse, avec son accent français et sa balafre. Mais il est -comme il se doit dans tout bon film anglo-saxon- tué lors d’un duel contre le héros anglais.
(…)

lundi 18 décembre 2017

Le sacré : Unité du monde et destin du peuple fin

Il ne saurait pour nous y avoir de doute sur ce point : l'homme n'existe qu'en tant qu'homme-du-peuple. Le peuple en tant qu'unité à penser ne se définit pas par l'homme. Le peuple est ce dans quoi se trouve réalisée une unité essentielle, en même temps que le mode d'approche de cette unité. Comme “lieu” (topos) de réalisa­tion d'un passé, d'un présent et d'un “à-venir”, le peuple n'est rien qui se laisse définir par l'homme. C'est au contraire l'homme qui ne se trouve révélé comme homme que par son appartenance à un peuple. Et si l'on tient à parler de “volonté de puissance”, on doit admettre que celle-ci tient son être de l'être du peuple, et non l'inverse.
Mais qu'en est-il de l'être du peuple ? Notre formulation, loin de régler les problèmes, les fait au contraire surgir avec force. Certes, on peut conjecturer un lien fondamental avec ce que Heidegger appelle la temporalité de l'être, et qu'on peut appeler aussi tridimensionnalité du temps historique. Mais des interrogations surgissent, en particulier dès que l'on parle d'« auto-affirmation de la volonté de l'homme » ou d'« auto-affirmation de l'homme dans la volonté ».
L'image d'un homme en pamoison devant sa propre marche vers la puissance, c'est-à-dire finalement devant lui-même, est à la fois puérile et bien commune : le réalisme socialiste l'a multipliée à l'infini. Ce n'est pas sur une telle image que l'on peut fonder le sacré, bien au contraire. Le mot “auto-affirmation” signifie-t-il affir­mation de l'homme en tant que “porteur d'une volonté” ? Supposons cela. Les difficultés auxquelles on se heurte sont tout de suite insurmontables. Définir l'homme comme “sujet voulant” n'est rien d'autre qu'utiliser un mode “moderne” de la définition métaphysique de l'homme comme “animal rationnel”. Déplacer le centre de gravité de la raison vers la volonté ne change rien quant au fond (surtout si l'on pense la volonté comme projection de la raison dans un univers de pensée nominaliste). L'homme comme “animal doué de volonté” reste un fantasme métaphysique. En outre, une telle définition revient à se couper définitivement l'accès au peuple en tant que phénomène fondateur, et donc, à l'essence de la volonté comme pro-venant de celle du peu­ple. L'homme en tant que porté-par-un-peuple ne saurait donc se définir, et encore moins s'affirmer, comme “sujet voulant”. Tout au plus peut-il interpréter la volonté comme ouverture au destin du peuple et lien à son essence. Un tel homme ne dit “je” que secondairement.
Homme-du-peuple et liberté-pour fonder-un-monde
Allons plus loin. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'homme comme “animal-doué-de-volonté” ressem­ble à s'y méprendre à l'homme dunihilisme achevé, c'est-à-dire à l'homme de la technique mondiale. En effet, l'homme du nihilisme achevé se constitue comme tel en tant que, dans son “faire”, il se reconnaît lui-même comme seule réalité. “Poétiquement”, il est cet étant solitaire à qui l'existant dans son ensemble ne renvoie plus que sa propre image, tellement vidée de substance qu'elle n'est plus qu'un leurre. Poser l'homme comme “animal voulant”, après qu'il l'eut été comme “animal rationnel”, c'est-à-dire, en fin de compte, comme indi­vidu absolu, c'est s'enfermer à terme dans cette fatalité de l'homme seul parmi ses avatars. Or, si l'essence de la technique n'est rien de technique, l'essence de l'homme n'est rien d'humain. L'homme comme “animal voulant” est précisément celui qui a perdu tout lien avec le “non-humain en l'homme”, qui a totalement oublié l'être.
Nous dirons, au contraire, que le non-humain est peut-être ce en quoi résident l'essence du sacré comme celle du peuple. Nous prendrons alors le mot d'“auto-affirmation” dans le sens que lui donne Heidegger, en parlant, par ex., de « l'auto-affirmation de l'université allemande » (die Selbstbehauptung der deutschen Universi­tät). Ce sens est celui d'un retour à l'essence ou, pour employer un vocabulaire plus expressif, d'une compré­hension et d'une explicitation (d'un déploiement) de ce qui appartient en propre à l'homme, de son essentiellement­ possible. La possibilité essentielle de l'homme, dit Heidegger, est sa liberté. Cette liberté est liberté-pour-fonder­-un-monde, c'est-à-dire — si l'on considère les textes que Heidegger a pu écrire “en situation” — liberté que l'homme en tant que porté-par-un-peuple reçoit de la provenance, du destin du peuple. La liberté humaine est liberté pour la fidélité à ce destin. Dès lors, la volonté peut être sortie du cadre métaphysique. Il suffit de la penser comme résolution de soi dans le déploiement du destin d'un peuple.
Cette définition peut être difficile à recevoir en tant que notion à penser. Nous sommes, de toute évidence, encore trop conditionnés à penser la volonté comme l'attribut d'un ego absolu. Que dans une pensée radicale­ment différente de la volonté, l'ego doive se dissoudre (au moins en apparence) dans ce qui ne saurait se rame­ner à aucun “je”, le destin d'un peuple, voilà qui ne peut que troubler. Ceux qui, les premiers, ont reçu l'appel d'un peuple n'en ont-ils pourtant pas déjà fait l'expérience ? Le peuple dont nous relevons n'est pas en tant que présence ; il est en tant que venant. Nous ressentons son appel, et l'essence de notre action réside dans notre réponse à cet appel. Cette réponse n'est autre que l'expérience que nous faisons déjà de la liberté comme fidélité au destin d'un peuple. Chacun à un moment tragique de leur existence, Heidegger et René Char se sont retrouvés pour reconnaître que « toute grandeur est dans le départ qui oblige ». Cette simple phrase dit tout. L'engagement est fidélité résolue au destin du peuple qui nous appelle en tant qu'“à-venir”.
Quels sont les rapports existant entre le sacré et l'auto-affirmation telle que nous la concevons ? Plus précisé­ment, quelleexpérience du sacré avons-nous en tant que nous manifestons cette auto-affirmation ? Répondre à cette question, ce n'est pas dire ce qu'est le sacré aujourd'hui, tâche peut-être impossible, mais dire où il est. Panta : en : voilà Héraclite et voilà où est le sacré. Gott ist in mir das Feuer, ich bin ihm der Schein (Dieu est en moi le feu, je suis en lui l'éclat lumineux) : voilà Silesius et voilà où est le sacré. L'intuition que nous avons du sacré est qu'il réside dans une unité essentielle, et que c'est dans sa lumière que se déploie cette unité. Les textes sacrés indo-européens ne disent pas autre chose : ils disent la lumière dans laquelle un peuple se maintient en tant que peuple, c'est-à-dire la lumière dans laquelle se fait l'unité d'un monde. (Ainsi dans les Védas, où le sacrifice est pris comme acte de soutien du monde).
Que le sacré puisse ou non se passer de dieux, c'est là une question qui vient trop tard ou trop tôt. Quand un dieu est reconnu comme figure, c'est qu'il a déjà cessé d'être en tant que dieu. Qu'est-ce donc qu'un dieu ? Voilà une interrogation face à laquelle la prudence s'impose. Lorsque Friedrich Georg Jünger évoque Apollon [in : Nouvelle école n°35, 1979], il parle d'un dieu qui n'est rien d'humain, qui ne symbolise en aucune façon quelque chose d'humain. Le seul Apollon dont il a voulu s'approcher est celui dont les Grecs de la haute époque avaient l'expérience, qui aussi le seul qui puisse nous concerner. Tout questionnement sur la “réalité effective” du dieu, questionnement nécessairement métaphysique, car refusant d'emblée de prendre en compte ce par quoi le dieu se tourne vers les hommes pour mieux pouvoir le mesurer à un seul critère d'existence “objective”, nous semble oiseux. Reli­sons ce texte. Apollon y est délivré comme énigme. Cette énigme n'a rien à voir avec les mystères des religions révélées ; elle ne contient ni n'inspire aucun credo, et même elle rejette tout credo comme lui étant essentielle­ment étranger. Mais elle n'en a pas moins ce caractère incontournable d'inconnu, où Heidegger a cru retrouver le signe premier de la divinité. Quelle est donc l'énigme qui a nom “Apollon” ? Elle n'est pas tel ou tel carac­tère, tel ou tel attribut, telle ou telle apparence du dieu. L'énigme est l'unité des aspects du dieu, le rassemble­ment de ses aspects, de ses Scheinen, de ses “apparaître” au sein d'un même. Cette unité est le divin dans Apol­lon, et la divinité elle-même.
L'unité qui a pour nom “peuple” est aussi un tel mode d'approche de la divinité. Plus précisément, elle est à la fois le mode par lequel la divinité s'approche de l'homme dans le peuple, et le chemin par lequel l'homme en tant que porté-par-un-peuple s'approche de la divinité. Cette unité — qu'encore une fois il serait absurde de penser comme « unité d'un ensemble » — est le non-humain en l'homme. On pourrait alors reprendre, en la modifiant à peine, la sentence de Silesius : Das Volk ist in mir das Feuer, ich bin in ihm der Schein. Considé­rant le mot Schein dans le sens du grec phainestai, sa signification deviendrait la suivante : « Le peuple est en moi le feu, la flamme » (il est ce qui m'anime, me fait moi, me donne accès à mon essence, ce en quoi j'ai liberté de m'affirmer en tant que l'homme que je dois être), « Je suis en lui l'éclat de l'apparaître » (en tant qu'homme, je suis un aspect, un mode de l'apparaître du peuple, et ceci, en moi, est l'énigme et aussi, peut-être d'abord, le sacré).
On dira encore : quel rapport y-a-t-il entre l'expérience que nous faisons du sacré dans la “nature”, face à (et dans nos rapports avec) l'existant dans son ensemble, et l'unité ? Cette question est assez vaine. Car où donc se réalise l'unité du monde sinon dans une perception de l'existant dans son ensemble, qui, est, comme le dit Heidegger, une “prise en garde” ? Il nous faut en fait réapprendre à penser le monde comme destin, et dépasser autant qu'il est possible la perception comme “activité d'un sujet”. Tant que l'homme demeure en son essence, le monde n'est jamais un “dehors” auquel l'homme aurait accès en tant que sujet. L'homme ne voit le monde en tant que monde qu'autant qu'il est lui-même l'apparaître d'un peuple. Unité du peuple et unité du monde sont deux modes d'un même.
Nous autres aussi, bien que vivant en une époque où règne en maître la perception “objective” propre à l'indi­vidu (c'est-à-dire à ce que Heidegger appelait le « semi-homme »), nous faisons cette expérience. Si nous trou­vons du sacré dans la “nature”, c'est que nous la voyons, non en tant qu'individus, non en “sujets-voulants­-décidant-de-l'investir”, mais en hommes portés-par-un-peuple, le peuple européen, qui, rassemblé sur son essence (le “passé”), nous enjoint par son appel de le faire-venir à une nouvelle présence. Si la “nature”, pour nous, contient du sacré, ce n'est pas parce que nous y en avons mis, et pas non plus parce qu'elle nous renverrait l'image, au moins potentielle, de notre propre “volonté de puissance”, mais bien parce qu'un peuple est encore quelque peu en nous le « feu », même si nous n'en sommes encore que confusément l'« éclat ». Et c'est ce « feu » (das Feuer), constitutif de notre identité essentielle, de notre « hespérialité », qui est ce en quoi se dépose notre perception du monde, et donc aussi ce par quoi se réalise l'unité de notre monde.
Matin passé et matin venant sont les mêmes
Que le sacré ait donc beaucoup à faire avec l'auto-affirmation de l'homme en tant que mode de l'apparaître d'un peuple, c'est ce que l'on ne saurait nier. Unité du monde, unité du peuple : le même. Le même, mais pas « la même chose » — et, sur ce point, nous renverrons à ce que Heidegger a pu écrire dans le texte, essentiel, intitulé Identité et différence. En tant que le même, unité du monde et unité du peuple se trouvent dans un rapport de co-propriation, ce qui revient à dire qu'ils s'y cherchent pour y trouver ce qui est à chacun son pro­pre. Le point, le “nœud” autour duquel s'enroulent ces “deux” unités est proprement pour nous le plus proche et le plus lointain. Il est, au sens le plus profond, le lieu de venue du sacré.
Ce “nœud”, qui correspond peut-être à ce que Heidegger a interrogé sous le nom d'Ereignis, nous apparaît, à nous aussi, comme question. Il ne s'agit pas d'une question à résoudre, mais d'une question à déployer. Que signifie ce terme ? Certainement pas aligner des propositions logiques ou paralogiques. Déployer la question du lieu de venue du sacré, c'est fonder le sacré en tant que sacré, et, du même coup, le peuple en tant que peuple. Heidegger en était arrivé à dire : Ereignis ereignet ; et il ajoutait : « c'est tout ». Ce « c'est tout » ne pose pas une fin, mais ouvre un horizon, en ce sens qu'il est un ordre de « départ pour l'assaut » ; et dans ce départ, est toute grandeur. Il signifie, si l'on peut dire, laisser Ereignis ereignen, c'est-à-dire répondre à l'appel qui nous enjoint de prendre en notre garde la « croissance de ce qui est petit » — la venue d'un peuple que nous nommerons peut-être hespérial. Là et là seulement est l'auto-affirmation.
Que dire maintenant de la technique ? Pour beaucoup, aujourd'hui, la technique reste quelque chose de “méca­nique”, de “machinal” : un zu-Hand, dont l'homme aurait usage en tant que sujet, et sur lequel il pourrait agir. Une telle conception nous semble erronée. Cette apparence que prend la technique d'objet à la disposition d'un homme-sujet n'est qu'un leurre, ou plutôt un masque. (Ce qui ne veut pas dire qu'elle soit fausse, car il n'y a jamais d'apparence “fausse”). Quitte à tout décrire en termes de sujet et d'objet, c'est bien plutôt la technique qu'il faudrait considérer comme “sujet”, et l'homme désintégré du “on” qu'il faudrait voir comme “objet”. La technique n'est un outil pour le bien-être ou la puissance que pour les hommes du nihilisme achevé. En fait, elle n'est pas un outil du tout. Elle est ce qui nous enjoint de voir l'étant comme objet, et l'être comme efficience. Cette injonction se confond avec la nuit où les peuples se sont perdus eux-mêmes, et le danger — ce « désert qui croît », ainsi que Nietzsche nous en a avertis — est que, dans cette nuit de la technique mondiale, l'homme finisse par perdre tout lien avec son essence.
Relisons Nietzsche. S'il y a, aujourd'hui, un “seigneur de la terre”, c'est bien le « dernier homme » dont parle Zarathoustra, le « semi-homme » évoqué par Heidegger dans son texte sur le Service du Travail. C'est lui l'en­geance aveugle et oublieuse qui règne en maître dans la nuit de la technique mondiale. Qui règne sur quoi ? Non pas sur la terre, qui, en tant que phénomène, qu'entité ou mode du Geviert, lui est interdite, mais sur le désert.
Quel est alors le salvateur qui vient avec l'ère de la technique ? On dira : l'être, en tant que lumière du matin qui se dévoile comme telle aux hommes du soir (Jean Beaufret). C'est dire trop et pas assez. On dira encore : l'Ereignis, en tant que signalé, devancé dans notre pensée, par le Gestell. Cette réponse, identique en fait à la précédente, ne nous mène pas plus loin. Il faut rappeler, en effet, que l'expérience que l'homme de l'aurore grecque avait de l'être ne s'est déployée en un monde que pour autant que l'être a pris cet homme en tant que son Dasein, c'est-à-dire, finalement en tant que peuple. Et de même, l'Ereignis implique la conjonction de l'unité­ peuple et de l'unité intérieure de l'homme en tant que liberté pour l'accomplissement du destin du peuple.
Que deviennent alors la poiésis et la téchnè ? En quoi sont-elles, identifiées comme au cœur de la technique, de l'ordre de ce qui sauve ? Sûrement pas dans le sens où nous aurions le pouvoir d'investir d'un “sens nou­veau” la production d'objets techniques. On ne peut asseoir sur la technique la tâche « destinale » de faire-venir d'un peuple. La poiésis nous regarde dans la mesure seulement où elle n'est au cœur de toute production techni­que d'objets que parce qu'elle est au cœur de tout faire-venir, de toute éclosion à la présence. Elle nous regarde d'abord en ceci que nous savons, comme on a savoir d'une évidence secrète, que vers nous s'est tourné ce qui « est encore petit », ce qui appelle à croître dans le danger. Et cela qui nous “appelle”, étant encore petit, pour qu'en son « faire-venir » nous trouvions notre liberté et notre destin, est un peuple et rien d'autre.
Le monde n'est jamais fait d'objets. Le monde est destin de l'homme en tant que Dasein, ce qui signifie : le monde est monde pour autant qu'il est demeure de l'homme, et l'homme, lui, n'est homme qu'en tant que porté-par-un-peuple. Nous ne ferons pas venir à la présence le peuple qui nous appelle en tant qu'« à-venir » en nous efforçant de donner un autre “sens” à des objets, quels qu'ils soient. Les étants ne seront rendus dispo­nibles pour un usage poiétique qu'une fois délivrés à cet usage par un peuple. Ne confondons donc pas les raci­nes et les derniers rameaux de l'arbre. C'est un peuple — nos racines — qui est à « pro-duire », et non pas une “nouvelle technique”.
Mais comment “produit”-on un peuple ? On ne peut, à cet égard, qu'envisager un horizon appelé, une fois atteint, à disparaître pour céder la place à un autre. La production d'un peuple ne saurait en effet avoir de “fin”. Elle est un acte continu. Dans l'immédiat, il faut lutter par tous les moyens contre l'idée de l'homme­-sans-peuple, du « semi-homme », de cet individu moral qui peut d'autant mieux se construire un “humanisme” qu'il a oublié l'être et s'est ainsi détourné de l'essence de l'homme. Sur notre chemin, nous sommes guidés par une lumière qui, n'étant aucune lueur nocturne, ne peut être que celle du matin. Matin passé et matin venant sont pour nous les mêmes. Ma certitude la plus profonde est que nous sommes voués à ce matin.
► Patrick Simon, Nouvelle École n°37, 1982.
◘ Notes : 
(1) Cf. not. Alain de Benoist, Comment peut-on être païen ?, Albin Michel, 1981.
(2) Là réside l'erreur de ceux qui, tel Pierre Chaunu dans La mémoire et le sacré, tirent argument de la non-opposition entre sacré et profane pour affirmer, de façon plutôt légère, que le paganisme est fondamentalement théocratique.

Le sacré : Unité du monde et destin du peuple partie 2

Il vaut la peine d'insister. L'essence (Wesen) n'“est” aucun principe, ni actif (l'unité est toujours, pourrait-on dire, intrinsèque et implicite) ni explicatif (expliquer est toujours re-présenter ; or, par l'unité, on ne re-présente rien, et l'unité elle-même est sans doute absolument non re-présentable). Heidegger a parfois utilisé l'image de la coupe pour faire sentir que cette unité n'“est” pas un lien, causal ou non, qui unirait en interdisant on ne sait quel éparpillement. Bien au contraire, il faut s'exercer à penser la coupe comme recueillant en elle la multiplicité, tout en n'étant pas “extérieure” au recueillement. (La coupe du Wesen est à la fois “recueillante” et “recueillement”).
Heidegger parlait des dieux (die Götter) en les appelant « les divins » (die göttlichen). Il voyait en eux les messa­gers de la « divinité » (die Gottheit). Maître Eckart, Angelus Silesius et d'autres ont aussi parlé de Gott ou de Gottheit en termes d'unité, de consubstantialité, de co-propriation. En fait, Gottheit ne signifie rien d'autre que cette « unité du monde » au sein de l'unité-recueillante que nous venons d'évoquer. Qu'est-ce alors que le sacré ? Il est le dévoilement de cette unité, et l'homme, en tant que faisant — face-à-l'étant (Da-sein), en est le dépositaire.
Essayons maintenant d'approcher l'unité-recueillante du monde en certains de ses modes de dévoilement. L'un des modes les plus importants est constitué par le peuple (das Volk). Qu'est-ce qu'un peuple ? Ce n'est ni une somme d'individus ni une structure évoluant dans un temps linéaire. Un peuple est une entité qui rassemble les ancêtres, c'est-à-dire le passé-origine surgissant dans l'immédiat d'une présence-au-monde, les présents, c'est-­à-dire ceux qui vivent aujourd'hui et qui font la présence du monde, et les hommes-à-venir, notion qui repré­sente l'anticipation dans la présence au monde d'un être-en-projet.
Pas d'opposition entre le sacré et le profane
L'unité-peuple est pour nous l'un des modes où se dévoile la Gottheit, la divinité de l'unité du monde. Nous dirons, par suite, que le sacré ne se laisse appréhender authentiquement qu'au sein d'une communauté popu­laire qui en constitue le « lieu de surgissement ». En ce sens, il n'y a pas de médiateur entre l'homme-d'un-peuple et la divinité ; celle-ci constitue pour lui le plus immédiat. Autrement dit, l'homme n'a accès à l'unité-du-monde qu'à partir (et dans) l'unité-du-peuple. Bien entendu, cela ne signifie pas qu'il n'y ait d'accès au sacré que dans la “religion collective”. Cela signifie que la personne individuelle ne peut s'ouvrir au sacré sans que l'ensemble du peuple soit “présent”, c'est-à-dire délimite le lieu de venue du sacré.
Cette notion de co-propriation de l'homme authentique et de la communauté populaire dans l'unité-recueillante de l'être est à la fois très immédiate, car elle s'adresse à une sensibilité originaire, et très difficile à saisir, car elle s'exprime difficilement au travers d'un langage bâti sur l'effectivité du concept. Heidegger la développe à partir d'un certain nombre de considérations sur l'idée de monde.
Pour Heidegger, un « monde » est un « existential », autrement dit un mode d'être de l'homme historial, c'est-à­-dire de l'homme en tant qu'il est engagé dans le déploiement du destin de la communauté dont il relève. Qu'est­-ce à dire ? Que cet homme ne vit jamais dans un “monde” qui lui serait indifférent et pré-existant, comme une boîte contenant un objet, mais qu'à proprement parler, il fonde sans cesse le “monde” en prenant sa part du destin communautaire. Heidegger dit :der Welt ist nicht, sondern weltet (le monde n'est pas, il mondifie). Le monde mondifie : il se manifeste comme une unité rassemblant d'une manière toujours progressante l'homme d'une communauté, cette communauté elle-même, les étants qui viennent à la “rencontre” de l'homme et les modes existentiels généralement représentés comme des fonctions culturelles. Cette unité de tout ce qui est dans un monde et de ce qui le fonde (l'homme historial) constitue à nos yeux un mode de la divinité.
Un temple n'est sacré que dans la mesure où il est un lieu de co-appartenance de la communauté du peuple et des hommes de cette communauté. S'il est ainsi, ainsi est-il immédiatement perçu. Cette immédiateté est le signe de l'unité qui se manifeste dans la rencontre de l'homme et du temple, par laquelle le temple est livré à son être, et l'homme révélé au sien. Quand, au contraire, le temple devient un “médiateur” entre l'homme et le dieu, il a déjà cessé d'être sacré. (Une réflexion sur la notion d'“idole” pourrait être développée à partir de là). Que nous le voulions ou non, nous ne pourrons plus jamais voir le temple d'Apollon à Delphes ainsi que le voyait un Grec contemporain de ceux qui l'ont bâti. Pour celui-ci, la place du temple à l'intérieur de la polis allait de soi. Or, c'est précisément cet “allant de soi” qui signale l'étant mondain (la Chose) en opposition à l'étant hors-du-monde (l'Objet). On comprend, dès lors, que pour un paganisme authentique, il ne saurait y avoir de “lieux saints” en opposition à des “lieux profanes” (tout comme il ne saurait y avoir, en général, d'op­position entre le profane et le sacré). Est sacré, relève de la Gottheit, de l'Un, tout lieu “mondain”, toute chose, toute région du monde en tant que ce dernier est sans cesse fondé et soutenu par la communauté du peuple. Tacite disait à propos des Germains : « Ils nomment Dieu le secret des bois ». On pourrait traduire : « Le sacré est partout où se fonde le monde de la communauté du peuple ».
Ce qui se manifeste dans la divinité, comme l'unité du monde, se manifeste partout, mais ne s'institue nulle part comme pouvoir (2). De même, la divinité n'étant aucun principe, elle n'est source également d'aucun prin­cipe, et en particulier d'aucune morale. Plutôt que d'“homme bon”, il vaudrait donc mieux, dans la perspective où nous nous plaçons, parler d'homme “bien destiné”, au sens que Heidegger a su retrouver chez les présocrati­ques. L'homme bien destiné est celui qui est “tout-un” avec le destin lui-même, c'est-à-dire avec l'Un de tous les tenants du peuple.
À suivre

Le sacré : Unité du monde et destin du peuple partie 1

Le problème posé ici est le suivant : que peut signifier la locution « unité du monde », que certains ont déjà élevée au rang de concept fondamental (1) et dans laquelle, apparemment, se trouve beaucoup plus qu'un antidote au dualisme métaphysique et chrétien ? En d'autres termes : comment penser“l'unité du monde” ? Pour répondre à cette question, considérons d'abord la formule grecque panta : en, « tout : un ». C'est, pourrait-on dire, sur ces simples mots d'Héraclite d'Éphèse que s'ouvre la pensée européenne. Toute sa vie, Heidegger n'a cessé de “tourner” autour d'eux en s'en rapprochant. « Tout : un » : que peut vouloir dire cela ?
“Tout” est la multiplicité changeante de ce qui est, c'est-à-dire de ce qui se manifeste, se présente à nous : tout ce qui change et devient, tout ce qui coulePanta rhei, « tout coule », dit une autre maxime d'Héraclite. Tout coule, et pourtant tout est un. Comment ce qui constitue la multiplicité même peut-il être “un” ? Qu'est-ce que cette unité du divers ? “Unité” signifie-t-il ici “totalité”, “globalité” ? Est-il ici seulement question de cette évidence ensembliste qui veut que chaque chose soit un élément de l'ensemble de toutes les choses, contribue à l'unicité de cet ensemble ? Certes non. Panta : En pourrait également s'énoncer : chaque étant : un. La ques­tion qui surgit alors est : comment ce qui à chaque instant se manifeste comme pluralité peut-il être un ?
L'unité, par ailleurs, ne saurait être conçue en tant que “principe unifiant”, causal ou non. Une telle conception resterait enfermée dans le dualisme métaphysique, auquel d'ailleurs elle s'apparente, puisqu'elle ne permettrait jamais de résoudre la dualité de l'étant et du principe. La réponse souvent invoquée par la théologie chrétienne, qui postule l'unité du monde en Dieu, n'est en rien satisfaisante, dans la mesure où elle ne produit qu'une pseudo­unité surajoutée à la dualité fondamentale du monde et de Dieu.
En fait, si nous voulons véritablement saisir ce que contient le panta : en héraclitéen, il nous est demandé, autant que possible, de sortir du “règne” de l'essence platonicienne, de l'essence comme principe ultime constituant le “soi” de chaque étant. Une telle conception des essences fondatrices accessibles à la ratio pèse, on le sait, sur la plupart des modes explicatifs en usage aujourd'hui. Cependant, elle ne va pas “de soi” : elle n'est venue qu'après la pensée présocratique (qui, à l'exception du poème de Parménide, nous est parvenue sous forme de fragments) et avant celle de Heidegger, qui s'est d'ailleurs constamment appuyée sur la précédente.
Mais revenons-en au “paradoxe” évoqué plus haut : panta : en / panta rhei. On interprète souvent maladroite­ment l'image héraclitéenne du fleuve. « On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau (du fleuve) », dit en substance Héraclite. On en déduit que le fleuve n'est qu'en tant que devenir — en se gardant bien de se demander ce que peut signifier ce “devenir” —, et l'on conclut que, hors du devenir, il n'y a rien (à penser). On passe alors à côté de ce que voulait dire Héraclite, et à côté de ce qui, dans ce “devenir”, se présente comme question.
Tout dans le fleuve est courant, changement, devenir. Mais qu'est-ce qui fonde ce devenir comme devenir-du­-fleuve, et, plus précisément, devenir-de-ce-fleuve-ci ? Autre formulation (qui est plus qu'une boutade) : si le fleuve est devenir, il faut bien qu'il soit. De fait, pour que soit pensable le devenir du fleuve, il faut qu'une entité rassemble en soi ce devenir, ou plutôt (pour éviter de penser à une entité “agissante”) que ce devenir se rassemble en une entité : on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau, mais cette eau qui coule est toujours celle du fleuve. Le fond de l'image du fleuve réside en ceci que le devenir voile ce qui est, dirons-nous par approximation, sa condition essentielle de possibilité : l'unité, celle-là même en laquelle sont assemblées les diverses et changeantes apparences (c'est-à-dire : manifestations de la présence) de l'étant.
Cette unité où sont assemblés les divers modes de l'apparaître d'un étant, Heidegger la nomme Wesen. Ce mot est généralement traduit par “essence”. (Il n'est d'ailleurs pas une des nombreuses inventions terminologiques de Heidegger, mais appartient à la langue philosophique allemande, qui l'utilisa pour rendre le latin essentia). Il ne faut pas oublier néanmoins toute la distance qui sépare ce Wesen de l'essence platonicienne. Osons une définition : Wesen (“essence d'un étant”), “unité rassemblante de ses modes de présence (de ses manifestations phénoménales)”. Être veut alors dire “déployer” son essence, apparaître de manière multiple, changeante, ambi­guë, dans (et à partir de) l'unité de son essence. Il apparaît alors clairement que l'essence-unité rassemblante n'est “extérieure” ni à l'étant ni au temps, qu'elle n'induit aucune coupure entre un monde dit “sensible” et un monde dit “intelligible”. L'essence étant unité rassemblante des apparences, elle ne saurait être “au-delà” de ces apparences. Ne pouvant être pensée hors de son “déploiement” en présence, hors de son surgissement en un devenir, elle ne saurait non plus être “au-delà” du temps.
Les messagers de la “divinité”
Loin d'induire une coupure entre le “sensible” et “l'intelligible”, la notion heideggérienne de Wesen réduit celle-ci à néant. L'essence se manifeste en présence ; elle n'est pas accessible hors de cette manifestation. Les présocra­tiques, d'ailleurs, étaient incapables de concevoir la moindre distinction entre le sensible et l'intelligible pour la simple raison que, pour eux, le penser et le sentir n'étaient que des modes d'un même “faire face à la pré­sence”. En allemand, “briller” et “apparaître” se disent tous deux scheinen. L'éclat, la lueur, l'apparence : der Schein. Paraître, c'est briller, laisser se déployer la totalité des signes de soi. Être et (ap)paraître ne sont donc nullement antinomiques. Être, c'“est” paraître, tout comme pour le soleil, être, c'“est” briller. Panta : en signifierait alors d'abord ceci : la pluralité des phénomènes est toujours rassemblée dans l'unité d'une essence (Wesen). La coupure entre “l'intelligible” et le “sensible” n'est qu'un sous-produit de la pensée socrato-platonicienne.
À suivre

LA « GUERRE DES JUIFS » & LA CHUTE DE MASSADA (66-74 AP. J.-C.) | 2000 A...

dimanche 17 décembre 2017

Fernand Braudel : géopolitologue malgré lui

NKUH_L1vbcCdGF1MCyk2wV84Tj0.jpgHéritier en ligne directe de l’École des Annales (Marc Bloch, Lucien Febvre), chef de file d’une “nouvelle histoire” centrée sur la longue durée et les structures du quotidien, Fernand Braudel (1902-1985) est l’historien de “la plus grande Méditerranée” et d’un capitalisme appréhendé comme un phénomène global (économique, politique et culturel) s’étendant sur cinq siècles à la quasi-totalité de la surface planétaire.
Lecteur attentif de La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe Ilet de son autre grand livre, Civilisation matérielle, économie et capitalismeYves Lacoste le sacre “bon géographe” (1). La géographie étant un “savoir-penser-l’espace”, pour y agir efficacement, Y. Lacoste nomme “géographie fondamentale” cet outil de pouvoir vieux de trois mille ans. F. Braudel se trouve derechef sacré géopolitologue. Parce qu’il fait sienne une conception large de la géographicité (ce qui est digne d’intérêt géographique). Parce que sa géographie vise à saisir le mouvement. Parce qu’il pratique une approche multiscalaire des réalités spatiales.
Une conception large de la géographicité
L’école géographique française, dite vidalienne, prétendait fonder sa scientificité sur l’exclusion des phénomènes politiques et militaires de son champ d’étude. Ce modèle de géographicité a été théorisé par L. Febvre à partir d’une lecture partiale de l’œuvre de Vidal de La Blache. F. Braudel en est le contemporain mais son œuvre, analysée par Y. Lacoste, se distingue par la prise en compte d’une large gamme de phénomènes étudiés sous l’angle spatial. Outre les réalités physiques (reliefs, climats, mers et littoraux) et le peuplement (structures et dynamiques) du bassin méditerranéen, sont ainsi “géographisés” villes et axes de circulation, jeu des appareils de pouvoir (Cités-États et États territoriaux), civilisations, réseaux de foires et de comptoirs, flux de distances diverses (ravitaillement, épices, métaux et capitaux … ) et styles artistiques. F. Braudel prend donc soin de ne pas respecter le programme assigné par L. Febvre à la géographie : « le sol, non l’État, voilà ce que doit retenir le géographe ».
Une géographie du mouvement
La géographie dite vidalienne est une géographie des permanences et des répétitions, tournée vers le milieu “naturel” (largement anthropisé en fait). Bref, une géographie immobile. Inversement et comme le démontre Y. Lacoste, F. Braudel n’oublie pas la raison d’être de la géographie fondamentale : l’action hors du cadre spatial familier. Dans La Méditerranée… comme dans Civilisation matérielle…, il décrit et explique avec soin non seulement la transhumance entre plaines et montagnes, mais aussi les liaisons urbaines, les mouvements du grand commerce sur terre comme sur mer, ceux des flottes et des armées, la vitesse de propagation des nouvelles, et plus généralement les multiples flux reliant les aires centrales de “l’économie-monde” européenne (élargie aux Amériques) à leurs périphéries et le lent glissement des centres de puissance de la Méditerranée à l’Atlantique.
Sa définition du “monde méditerranéen” révèle une conception dynamique de l’espace : borné par la géographie classique selon des critères bio-climatiques — la limite nord des oliviers et la limite sud des palmeraies — “l’espace-mouvement” méditerranéen s’élargit au Sahara et au Proche-Orient (là où arrive l’or soudanais) et à l’ensemble du continent européen, largement tourné vers la “mer blanche du milieu” (Ibn Khaldoun) jusqu’au milieu du XVIIe siècle encore. Prenant en compte l’ensemble des faits de circulation, la géographie braudélienne est une géographie de l’action, du mouvement et des rapports de puissance, évolutifs par définition. Ou plus simplement une géopolitique.
Une approche multiscalaire des réalités spatiales
Conformément au raisonnement géographique tel qu’Y. Lacoste l’a ensuite pratiqué et théorisé, F. Braudel prend soin de distinguer, dans son analyse du monde méditerranéen et des économies-mondes, différents niveaux d’analyse spatiale, du local au mondial. Cet aller-retour entre des situations et des processus correspondant à des étendues d’échelle différente lui permet de saisir, de manière globale et détaillée, son objet d’étude. Sa démarche est explicitement formulée : « Les forces sociales (…) ont leur géographie différentielle », écrit-il dans Civilisation matérielle… Ou encore : « On pourrait sans doute cartographier la façon dont les divers “ordres” de la société s’inscrivent dans l’espace, situer leur pôle, leurs zones centrales, leurs lignes de force. Chacun a son histoire propre, son domaine propre » (ibid.).
F. Braudel prend en compte, comme cette dernière phrase l’indique, les intersections et interactions entre les différents phénomènes géographiques : « L’espace, source d’explication, met en cause à la fois toutes les réalités de l’histoire, toutes les parties prenantes de l’étendue : les États, les sociétés, les cultures, les économies (…). Et tous s’influencent réciproquement » (ibid.). Y. Lacoste voit. dans cette “géographie discriminatoire” l’équivalent spatial des différents niveaux de temporalité qui sont systématiquement distingués par F. Braudel dans ses études historiques (temps longs, temps courts et un temps intermédiaire entre les deux).
En liant temps, espace et économie pour dresser l’histoire du monde méditerranéen et des économies-mondes européennes, F. Braudel fait donc œuvre de géographe et, partant, de géopolitologue. Y. Lacoste explique le “savoir-penser-l’espace” dont il fait preuve par sa vocation contrariée de géographe — F. Braudel voulait en 1923 préparer une thèse sur les frontières de la Lorraine ; Emmanuel de Martonne l’en a dissuadé, rétorquant que ce n’était pas de la géographie — et sa formation d’historien. D’emblée, il intègre les faits politiques et militaires à son champ d’étude, sans omettre leur dimension spatiale. Il n’en reste pas moins que le terme de géopolitique, à une exception près, n’est pas employé par F. Braudel. À ce “vocable trop allemand”, il préfère celui de “géohistoire”. Géopolitologue malgré lui ou géopolitologue honteux ?
► Louis Sorel, Vouloir n°137/141, 1997.
Note :
(1) Cf. Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (deux tomes), Armand Colin, 1966 (thèse rédigée en captivité à Lubeck, soutenue en 1947 et éditée pour la première fois en 1947). Du même auteur, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVllle siècles (trois tomes), Armand Colin, 1967 (tome I) et 1979 (tomes Il et Ill). Y. Lacoste fait une lecture géopolitique de l’œuvre de F. Braudel dans Paysages politiques, Le Livre de Poche, 1990, p. 83-148. Nous le suivons ici pas-à-pas.
Pour s’initier à la pensée-monde braudélienne : bibliographie indicative
ouie10.gif
Qu’est-ce qu’une “économie-monde” ?
Pour Fernand Braudel, l’histoire de la modernité est celle de l’extension l’économie-monde européenne à la surface de la Terre, dilatation qui s’accompagne d’une succession de centres dominants. Une économie-monde, écrit-il, est « un morceau autonome de planète », soit un espace géographique dont les limites, mouvantes mais réelles, s’inscrivent dans la longue durée. Ce vaste espace est autocentré : au cœur, « là où les choses se passent », une aire de commandement ; le plus souvent, une ville-port, point de convergence et d’éclatement des flux qui structurent l’économie-monde.
Autour de la ville-centre, une succession d’anneaux concentriques, les périphéries (espaces commandés), sur lesquels elle jette les fils de ses vastes réseaux. Entre Centre et périphéries, les “dénivellations énergétiques” (Jules Monnerot) sont marquées — inégalités de puissance, de pouvoir et de richesse — et les rapports s’ordonnent selon les règles d’une division du travail évolutive.
L’histoire de l’économie-monde européenne est celle de ses décentrages et recentrages successifs. D’abord l’hégémonie de Venise, de 1350 environ à la fin du XVe siècle, puis vient Anvers, jusque 1550-1600. C’est ensuite le tour de Gênes, concurrencée par Amsterdam. À la fin du XVIIIe siècle, Londres prend l’avantage, avantage consolidé par l’issue des guerres napoléoniennes, et ce jusqu’aux années vingt à partir desquelles la primauté appartient à New York. Dans le prolongement de ses travaux, F. Braudel interprète la grande dépression amorcée en 1973 comme une de ces pulsations de l’histoire au cours desquelles l’espace économique mondial se recompose. Les centres de puissance de l’économie-monde planétaire glisseraient inéluctablement vers l’Océan Pacifique. Précisons que le discours selon lequel, après être passé d’une ère méditerranéenne à une ère atlantique, nous entrerions dans le “Siècle du Pacifique” est une vieille antienne. Sur ce point on se reportera à Hervé Coutau-Bégarie, Géostratégie du Pacifique, Institut Français des Relations lnternationales-Economica, 1987, p. 38-48. (LS)

Zoom - Emmanuel de Waresquiel : Les dossiers secrets de Fouché

samedi 16 décembre 2017

« Al-Andalus, l’invention d’un mythe », de Serafin Fanjul

al-andalus-588x330.jpg
Par Camille Galic, journaliste, essayiste ♦ Certes, le livre* est énorme, d’apparence austère, parfois touffu et alourdi d’un considérable appareil de notes mais son auteur, historien, islamologue et arabisant, membre de l’Académie royale, est l’un des universitaires les plus titrés et les plus respectés d’Espagne. Comment expliquer, sinon par l’inféodation de notre pays à la pensée unique, que son étude définitive, parue en 2000 à Madrid, ait dû attendre dix-sept ans pour être publiée en France, non par une grosse maison mais par un « petit » éditeur ? Pourtant, ce livre n’était pas inconnu puisque notre ami Arnaud Imatz, qui préface – excellemment – l’édition française, avait signé un long entretien avec Serafin Fanjul dans la Nouvelle Revue d’histoire alors dirigée par Dominique Venner, entretien dont l’intégralité parut dans Polémia le 8 septembre 2012.
Al-Andalus, justification du « vivre-ensemble »
Mais voilà, pour justifier le dogme actuel du « vivre-ensemble » avec des occupants arrivés, non pas le cimeterre, mais la valise à la main, il faut absolument préserver le mythe d’un idyllique Al-Andalus polyethnique et multireligieux, exalté dans maints colloques universitaires. Or, la « réalité historique de l’Espagne des trois cultures » – chrétienne, juive et musulmane – que, documents d’époque à l’appui et fort de lustres de travaux approfondis sur la question, présente Serafin Fanjul, est fort éloignée de cet Eden du métissage racial et culturel.
D’une part, les chrétiens qui refusaient la conversion à l’islam n’étaient pas traités sur un pied d’égalité par les envahisseurs musulmans mais, au mieux, pressurés d’impôts et accablés de brimades, au pis, persécutés et massacrés.
D’autre part, ceux des envahisseurs qui se laissaient finalement tenter par les cultures indigènes et donc hispaniser étaient systématiquement supplantés, détrônés et eux aussi massacrés, par des tribus plus rigoristes franchissant le détroit du Djebel Tarek (Gibraltar) pour mettre un terme à cette dégénérescence dans les délices de Capoue qu’étaient la musique ou la poésie profane. Ainsi finirent les derniers des Almoravides, vaincus par les Almohades fanatiques… eux-mêmes renversés ensuite par les Mérinides.
Qu’ont apporté les « Arabes » ?
Enfin, si les « Arabes » (en fait, pour l’essentiel, des Berbères arabisés) laissèrent en effet des trésors dans le sud de l’Espagne, ces mosquées et palais somptueux, pour la plupart édifiés par des Espagnols ou des esclaves européens razziés, virent le jour dans des zones bénéficiant d’une solide tradition architecturale romaine puis wisigothique – constante que l’on retrouve d’ailleurs dans toute l’aire d’expansion mahométane où l’ « art islamique » tant célébré a prospéré sur le terreau grec, égyptien, perse ou byzantin. Le fameux Sinan, architecte au XVIe siècle des plus fameuses mosquées de Turquie, n’était-il pas un Gréco-Arménien de Cappadoce, enlevé à sa famille par le système du « devşirme » – enrôlement forcé de jeunes garçons chrétiens, convertis à l’islam et versés dans l’armée – et s’étant illustré comme ingénieur militaire avant que Soliman le Magnifique, étonné par ses dons, ne l’envoie, si l’on en croit André Clot, biographe du sultan (éd. Fayard, 1992), étudier l’architecture à Vienne ? Et il en va de même pour l’art d’Hippocrate, Serafin Fanjul montrant que la célèbre école médicale d’Al-Andalus devait moins aux marabouts du Haut-Atlas qu’au Grec Galien, que le Moyen Age ne connaissait pas seulement par les traductions arabes.
Car, avant Sylvain Gougenheim, qui scandalisa la bien-pensance avec son Aristote au Mont Saint-Michel/Les racines grecques de l’Europe chrétienne (Le Seuil, 2008) et Guy Rachet auteur de Les Racines de notre Europe sont-elles chrétiennes et musulmanes ? (Ed. Jean Picollec, 2011), Serafin Fanjul faisait déjà litière des théories complaisantes sur le rôle primordial qu’auraient joué les Arabes dans la transmission de la littérature et de la pensée scientifique de la Grèce classique. Rôle tenu en réalité par les monastères.
Un nouveau mythe : la liberté des chrétiens d’Orient
C’est dire combien la lecture de son livre est nécessaire à l’heure où l’on est prié de s’émerveiller devant l’exposition « Les Chrétiens d’Orient » organisée à l’Institut du Monde arabe que préside l’ancien ministre socialiste Jack Lang, grand passeur de « mythes » devant l’Eternel. Car en exposant des chefs d’œuvre – en effet remarquables, et qui méritent la visite – de l’art chrétien en terre d’islam, l’IMA nous refait le coup d’Al-Andalus : voyez comment, au Proche et au Moyen-Orient, les Evangiles cohabitaient harmonieusement avec le Coran sous l’œil bienveillant de leurs suzerains musulmans ! Voyez combien les artistes chrétiens, y compris les moines, étaient libres, et comment ils pouvaient en toute impunité glorifier Jésus et la Vierge ! Il leur suffisait d’accepter leur statut de Dhimmi : un sytème qui, contrairement à ce que croient les esprits vulgaires, est, nous explique-t-on, protecteur et non pas coercitif et ségrégationniste.
Exposition ou bourrage de crânes préparatoire au Grand Remplacement ? Contre cette lobotomisation rampante, il est un antidote : Al-Andalus, l’invention d’un mythe – un mythe qui, pour notre plus grande honte, dut beaucoup, assure le professeur Fanjul, à Théophile Gautier, Prosper Mérimée et autres littérateurs français du XIXe siècle. Aveugles à la beauté austère mais sans doute trop « européenne » de Ségovie ou de Burgos mais fous d’exotisme, ils se pâmaient devant la Giralda ou l’Alhambra et tiraient de cette luxuriance une considération exagérée pour la conquête arabe, et donc un rejet tout aussi outrancier de la Reconquista par les Rois très catholiques. Décidément, rien de nouveau sous le soleil !
Camille Galic 10/12/2017
Note :
*Serafin Fanjul, Al-Andalus, l’invention d’un mythe, L’Artilleur éditeur novembre 2017, traduction de Nicolas Klein avec la collaboration de Laura Martinez, 700 pages plus index.
Illustration : Le califat de Cordoue au temps d’Abd-al-Rahman III (Xème siècle). Abd al-Rahman III reçoit des ambassadeurs, tableau du peintre Dionisio Baixeras Verdaguer (1885). Source : Wikimedia (cc)

L’ESCLAVAGE EN GRÈCE ET À ROME (ANTIQUITÉ) | 2000 ANS D’HISTOIRE | FRANC...

vendredi 15 décembre 2017

L’ultime vestige du Saint-Empire romain germanique

csm_schloss-vaduz-liechtenstein-1140x410_bbe92b25b5.jpg
Georges Feltin-Tracol
Le 6 août 1806, sur un ultimatum de Napoléon Ier, l’empereur François II de Habsbourg signait la dissolution du Saint-Empire romain germanique, proclamait l’Empire d’Autriche et prenait le nom de François Ier. Cette décision forcée mettait un terme définitif aux 1 200 – 1 300 entités souveraines decette étonnante structure géopolitique mitteleuropéenne.
Pourtant, deux cent onze ans plus tard demeure en plein cœur des Alpes entre Suisse et Autriche sondernier vestige : la principauté de Liechtenstein. Ce territoire de 160 km² et de 37 000 habitants, dont la capitale est Vaduz, est surtout connu des Français pour être un ancien « paradis fiscal ». En union économique et douanière avec la Confédération helvétique, cette principauté a rejoint l’ONU en 1990 et participe à l’Association européenne de libre-échange, à l’Espace économique européen ainsi qu’à l’espace Schengen. Le Conseil de l’Europe la surveille néanmoins avec une très grande attention, car les canons de la démocratie oligarchique et ploutocratique n’y sont pas appliqués.
Dans La doctrine anarcho-royaliste (2017, 395 p., 9,90 €), Rodolphe Crevelle, principal responsable du Lys Noir, encense la principauté traitée de « Cuba anarcho-royaliste ». La famille princière a donné son nom au pays si bien que son chef est prince de et à Liechtenstein. La titulature n’est pas anodine. Au début des années 2000, Son Altesse Sérénissime Hans-Adam II fit adopter par référendum une révision constitutionnelle lui accordant de larges prérogatives exécutives, quitte à froisser Montesquieu et son équilibre imbécile des pouvoirs. Avec Monaco, le Liechtenstein est le dernier État d’Europe où le souverain règne et gouverne. Afin de bien montrer aux parlementaires du Landtagqu’il est plus démocrate qu’eux, le prince régnant permet aussi des procédures de démocratie directe et le recours au référendum.
La situation politique n’est depuis plus figée dans un bipartisme stérile et convenu. Les conservateurs du Parti progressiste des citoyens (35,2 % aux législatives de cette année) et les démocrates chrétiens de l’Union patriotique(33,7 %) qui alternent au gouvernement, ont vu l’apparition de la Liste libre, fondée en 1985, d’obédience sociale-démocrate – écologiste (12,6 %), et, en 2013, des Indépendants (18,4 %) au programme très flou, parfois qualifié de « populiste », voire « libertarien ». Si l’un des premiers élus est un mécanicien travesti, dès 2015, les Indépendants se sont élevéscontre les quotas de « migrants » imposées par Bruxelles.
Le gouvernement princier a en effet fait accueillir quelques dizaines de clandestins extra-européens. Il faut reconnaître que l’accueil des réfugiés est une habitude locale. Le Liechtenstein était cher au cœur d’Alexandre Soljenitsyne. Le célèbre dissident soviétique n’oublia jamais qu’en 1945, la principauté accepta la présence de quelque 500 soldats de la 1re Armée nationale russe qui venaient de combattre les Soviétiques aux côtés des forces allemandes. Malgré les pressions diplomatiques formidables des Alliés occidentaux et de Moscou, Vaduz ne céda jamais, refusa de livrer ces Russes blancs au NKVD et tint tête à l’URSS de Joseph Staline. Cet épisode méconnu fit l’objet en 1993 d’un film de Robert Enrico, Vent d’Est.
Ce bel exemple montre que la fermeté de caractère constitue la base déterminante de toute véritable souveraineté politique.
Bonjour chez vous !
• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n°56, diffusée sur Radio-Libertés, le 8 décembre 2017.
2017 12 01 PUB SITE 2.jpg