jeudi 31 mars 2022

Richard Cœur de Lion (Georges Minois)

 

Georges Minois est un spécialiste de l’histoire médiévale et l’auteur de biographies de plusieurs grandes figures du Moyen Âge.

Richard Cœur de Lion (1157-1199) est un personnage rendu populaire par la littérature et le cinéma. Mais que savent vraiment nos contemporains de la vie de ce célèbre roi d’Angleterre ? Il naît au milieu du XIIème siècle en plein face-à-face de la chrétienté et de l’islam. Ses parents sont à la tête du plus puissant ensemble territorial d’Europe : l’empire Plantagenêt. L’empire Plantagenêt désigne un ensemble hétéroclite composé d’un royaume et de plusieurs duchés et comtés, répartis entre les îles Britanniques et la France.

Henri II, père de Richard, est roi d’Angleterre, duc de Normandie, comte d’Anjou, du Maine et de Touraine, et par sa femme Aliénor, duchesse d’Aquitaine, il est maître du Poitou, de la Saintonge, de la Marche, du Périgord, du Limousin, du Quercy, du Rouergue, de la Gascogne entre Garonne et Pyrénées, et il revendique aussi l’Auvergne et le comté de Toulouse; de plus, la Bretagne étant réputée dépendre de la Normandie, il ne va pas tarder à mettre la main dessus.

Mais cette puissante famille va éclater. En 1173, Henri II est confronté à la révolte de ses trois fils (encore adolescents), et de leur mère son épouse, soutenus par le roi de France. La reine est arrêtée, tous les châteaux des seigneurs ayant participé à la révolte sont détruits. Cependant Richard poursuit la lutte contre son père. La querelle familiale s’éternise et en 1183 Richard entre en guerre contre ses frères. Cette saga familiale est pleine de rebondissements, de retournements d’alliances. Seul l’appel à la croisade permet une trêve de courte durée dans ce conflit familial. En 1189, à la mort d’Henri II, Richard lui succède à la tête du royaume. Et très rapidement il doit préparer un nouveau départ pour la croisade. C’est à cette période que son duel avec Saladin le fait entrer dans la légende de l’histoire sous le nom de Richard Cœur de Lion. Mais les Croisés connaissent de sérieux revers et après un baroud d’honneur à Jaffa en août 1192 débute une longue odyssée de dix-huit mois pour rentrer en Angleterre puis y rétablir son autorité. S’entame ensuite un nouveau duel avec Philippe Auguste jusqu’à la blessure fatale que lui inflige un arbalétrier le soir du 26 mars 1199. La blessure s’envenime, les signes de gangrène apparaissent et Richard meurt quelques jours plus tard, le 6 avril 1199, après s’être confessé.

Richard Cœur de Lion, Georges Minois, éditions Perrin, 416 pages, 24 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/richard-coeur-de-lion-georges-minois/69973/

mercredi 30 mars 2022

Naissance d’une nation : Clovis et les principes fondateurs de l’identité française, d'Hilaire de Crémiers.....(Première partie). 3/3

  

Eh bien, voici la fin la plus surprenante qui soit ! Sidoine était catholique, comme l’étaient les membres de l’aristocratie gallo-romaine, baptisé par Faustus de Riez et quelque peu tardivement sans doute. Or, depuis saint Hilaire et son disciple saint Martin, qui avaient tant œuvré au siècle précédent, le premier pour le maintien de la foi catholique, le second pour son extension, la Gaule se reconnaissait dans la foi que déjà à l’époque, pour la spécifier, on nommait catholique.

Le catholicisme nicéen faisait partie de son identité : face aux Ariens, ceux qui niaient la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ. Cela a été dit et redit, mais on ne le dira jamais trop. Cette préoccupation de foi fut capitale. Les royaumes barbares, wisigoth, ostrogoth, burgonde, se caractérisaient en plus de leur mœurs, de leurs lois, par leur foi arienne. Les Goths en faisaient un signe de leur domination ethnique. La loi religieuse et politique qui les régissait, ils la nommaient “lex gothica”. Quant aux catholiques, ils les appelaient justement Romains puisqu’il s’agissait en effet des Gallo-Romains, ces Gaulois qui, en face d’eux, contre eux, se voulaient fidèles à Rome, à la Rome de la civilisation qui ne pouvait être dorénavant que la civilisation catholique.

C’est depuis ce temps-là, Sidoine l’atteste et Grégoire de Tours le confirme, que chez nous, en Gaule, les noms de catholique et de romain associés deviennent synonymes. C’était, pour employer un jargon à la mode, une désignation politico-religieuse. Alors, Sidoine, sans doute jusque-là d’une foi assez tiède, et peut-être plus que tiède, fait ce qu’on appelait à l’époque une conversion. Il devient un “conversus”. Cela ne veut pas dire qu’il passe du paganisme au christianisme ; il était baptisé depuis des années déjà. Cela veut dire qu’il prend sa foi au sérieux et qu’il s’engage résolument dans une conversion à Dieu de tout son être.

Combien de “conversi” dans cette église gallo-romaine, là dans la seconde moitié de ce Ve siècle ! Combien de ses compatriotes et amis suivent le même parcours ! Pour ne citer que quelques noms : Agricola, son beau-frère ; Magnus Felix, préfet honoraire de Rome ; Fereolus, petit fils de Syagrius, illustre entre tous les sénateurs gallo-romains. Comme beaucoup aussi, il entre dans les ordres. Sidoine, après sa vie quelque peu frivole, se donne à l’Église. Il accepte les charges ecclésiastiques : c’est une habitude chez ces sénateurs. Chez lui, on le sent, c’est encore le seul moyen pratique de se dévouer au bien public. D’autres se font moines, voire ermites. D’ailleurs, combien d’évêques sont sortis, à cette époque, des monastères ? De Lérins, par exemple.

En 472, Sidoine fut choisi comme évêque de la capitale de son Auvergne, Clermont. Elevé à ce rang, il fut un administrateur et un chef comme tous les évêques de ce temps, remplissant les fonctions civiles, politiques autant que religieuses : d’un dévouement total, donnant sa vaisselle d’argent aux pauvres, construisant des églises, parcourant ses montagnes, luttant pour la foi.

Il était en rapport avec ses collègues dans l’épiscopat. Tous ces gens se connaissaient entre eux, ils s’écrivaient, ils s’estimaient. Pour ne citer que les plus connus : le fameux Loup de Troyes, Léontius d’Arles, Basilius d’Aix, Eutropius d’Orange, Faustus de Riez, Mamertus de Vienne, les deux frères Mamerts devrait-on dire, qui inventèrent les rogations, Perpetuus de Tours, le célèbre Prosper d’Orléans, et Patiens, l’évêque de Lyon, son cher Patiens de sa chère ville de Lyon, qu’il qualifie de père spirituel “pater noster in Christo”. Et ce fameux clerc Constantius de Lyon qui édita la vie de saint Germain d’Auxerre et qu’il invita chez lui dans son diocèse ; il l’aimait ; c’était un saint homme, sans doute, un lettré bien sûr et de surcroît un homme fort spirituel, un vrai Gallo-Romain, quoi ! Évêques, prêtres sont les destinataires de ses lettres. Et ne l’oublions pas, il eut une correspondance avec Remi, le fameux évêque de Reims, dont en connaisseur il loue les sermons.

Mais c’est la lutte. Notre Sidoine devient un évêque-type de ce temps : “Defensor fidei, defensor civitatis”. Euric, le roi wisigoth “déteste le nom catholique de bouche et de cœur”, et il donne l’impression “d’être chef de sa secte plus que roi de son peuple”. Or, Euric, contre les Romains, entreprend d’agrandir son royaume vers le nord, la Loire, vers l’est, le Rhône.

Un bastion résiste : l’Auvergne. Au centre, Clermont et son évêque, Sidoine. Cela dura trois ans, trois années terribles avec, il est vrai, des accalmies. Des Gallo-Romains, un certain Séronatus notamment, ont osé se mettre au service du Goth contre la population catholique et gallo-romaine. Des clercs, des évêques même, plus ou moins contraints, ont cédé ou composé. Pas Clermont, pas Sidoine !

Comprenons l’esprit de sa lutte. Son combat est un. Il lutte pour la foi catholique, pour Rome, pour l’Auvergne et pour la Gaule. Cela ne fait qu’un. Il suffit de lire sa correspondance. Les remparts de Clermont, il les appelle les remparts romains. C’est étonnant, dans ce Clermont, là, dans ces montagnes d’Auvergne, la patrie de l’Arverne Vercingétorix ! La résistance gauloise est une résistance romaine. Contre Euric, dit-il, il choisit Rome, “le domicile des lois, le temple de la culture, la patrie de la liberté”.

Le siège fut mis devant Clermont. Il fut aidé par son héroïque beau-frère Ecdicius Avitus, “magister militum praesentalis”. Trois ans ! Famines, combats. Il y eut des négociations. Des évêques s’entremirent, des collègues, les évêques de Marseille, d’Arles. Il fut furieux. Il écrivit des lettres pathétiques. Quoi ! Accepter l’asservissement des Arvernes, “Arvernorum, pro dolor, servitus !” C’était un irréductible. Finalement, il fallut céder. Clermont fut prise, Sidoine exilé près de Carcassonne.

Puis il comprit qu’il n’y avait rien d’autre à faire pour pouvoir remplir sa charge que de faire ce que faisaient les autres évêques : admettre la domination de fait. L’Empire romain d’Occident était cette fois définitivement mort. En 476, Odoacre démet le ridicule enfant Romulus Augustule, le dernier empereur. 476 encore, Sidoine reconnaît, contraint, forcé, Euric, le roi wisigoth qui lui-même, d’ailleurs, compose avec ses sujets gallo-romains. Sidoine ira même jusqu’à lui faire sa cour pour rentrer en grâce. Ne le fallait-il pas ? L’heure de l’héroïsme était passée.

Les Barbares ne pouvaient pas, étant donné leur petit nombre, se passer de la hiérarchie gallo-romaine qui était la seule à avoir une influence juste et pacificatrice sur le peuple gaulois. Mais Sidoine, jusqu’au bout, resta romain de cœur, et gaulois bien sûr ! il soutint toujours la civilisation, sa littérature, les associations de poètes, “collegia pœtarum”. Il mourut en 486. Il était si estimé qu’il fut très vite considéré comme saint. Il est fêté le 23 août à Clermont-Ferrand. Saint Sidoine Apollinaire ! Il n’a pas eu de chance avec son fils qui combattit à Vouillé dans le mauvais camp, du côté wisigothique : son fils, mal conseillé, avait pris au sérieux, comme d’autres Gallo-Romains, son lien d’allégeance au roi wisigoth.

Pourquoi avoir tant parlé de Sidoine ? Parce qu’il est peut-être avec ses faiblesses, avec ses défauts, avec ses vertus aussi, un des hommes les plus représentatifs de son temps. Son œuvre en est l’une des sources les plus précieuses. Surtout, il fait comprendre ce qui s’est passé. Politiquement, religieusement. Justement, lorsqu’il meurt en 486, Clovis vient de s’emparer du Soissonnais et du royaume romain de Syagrius. Le destin tourne. Le vieux Sidoine l’a-t-il su ? Ses collègues l’ont su ; ils s’en sont réjouis et ils en ont profité. C’est que le problème de Sidoine est en train de se résoudre.

Le baptême de Clovis vous a été raconté. Les études remarquables, notamment du Professeur Michel Rouche et de Madame Mussot-Goulard, après cent ans de travaux savants sur la question, ont éclairci ce point d’histoire, donné leur vrai sens aux textes et à la légende. Contentons-nous, si vous le voulez bien, de survoler l’histoire avec l’esprit de ce bon et brave Sidoine.

Qu’est-ce après tout que l’affaire Clovis ? Pourquoi a-t-elle tant marqué les contemporains ? Pourquoi, contrairement à des vues réductionnistes, est-elle si décisive dans notre histoire ? Vous l’avez tous compris ; c’est après tout assez facile à saisir.

Il n’y avait plus de projet politique impérial. Cela se sentait, se voyait, s’éprouvait depuis des décennies. Or, et Sidoine le ressentait cruellement, il y avait besoin d’un projet politique qui sauvât la civilisation et la religion, et en même temps qui garantît l’ordre, la sécurité, la protection du territoire et la justice. C’était dans le fond très simple : l’ordre, la paix, la foi. C’était l’aspiration des Gallo-Romains, aspiration profonde, et voilà pourquoi Grégoire de Tours écrit, parlant des Gallo-Romains : “on désirait ardemment la domination des Francs”. Car, voici précisément ce qui se passa en cette fin du Ve siècle : une rencontre providentielle de cette aspiration profonde avec un projet politique clair. Ce projet politique était nouveau : c’était un projet royal. Clovis, le roi Salien, était fasciné par le sud, par la civilisation gallo-romaine, et étant païen, il n’avait point ce vice de l’hérésie dont les autres rois barbares durcissaient leur orgueilleuse singularité. Alors, la jonction se fit, naturelle, surnaturelle. Les choses se préparèrent. Non sans les arrangements et délibérations nécessaires. Mais nous savons à quel point elles se jouèrent vite, somme toute, très vite à l’aune de l’histoire ! Projet politique épiscopal, d’une part. Celui des Remi, des Avit, des autres évêques de même trempe. Projet qui soigne ce roi-là. Projet qui dut avoir son aspect matrimonial. Sans doute ! Les mariages, les clercs de tous temps se sont entendus pour les mener. Projet politique royal, d’autre part. Celui d’un jeune roi, astucieux, comme le décrivent les chroniques, ambitieux mais habile, intelligent et volontaire, tout ce qu’il faut pour réussir.

Le baptême catholique était naturellement, surnaturellement au cœur de cette politique, et ce n’est absolument pas en dégrader le caractère que de le constater. La décision de Clovis fut pure, longuement réfléchie, personnelle. Michel Rouche, Renée Mussot-Goulard le montrent, le démontrent amplement. Cela n’empêchait pas ce baptême d’avoir une perspective politique profonde, comme la conversion de Constantin, comme plus tard la conversion d’Henri IV. Les conséquences politiques en étaient incalculables et on le savait bien. A l’heure même ! Ces gens étaient intelligents, les Remi, les Avit ! Réduire le baptême de Clovis à un choix purement personnel est une aberration. Ce fut un choix global sur lequel l’intéressé n’avait pas à s’expliquer. Dans la compréhension de cette affaire, les spirituels purs ont totalement tort !

Que fut le règne de Clovis ? Comment le résumer ? Voici en quelques mots : tenir le cœur de la vieille Gaule entre Soissons et Orléans ; Lutèce, Paris, la Lutèce de Geneviève, de celle qui, au nord, exprima le mieux la foi et le patriotisme gallo-romains. Mettre la Burgondie, cette terre si civilisée, dans la mouvance du centre, et les Armoricains catholiques de même. Fermer la frontière de l’est et du nord. Repousser ces Alamans éternels qui de leur Rhétie, de leurs Champs Décumates où ils ont été contenus, ne savent s’ils doivent déferler au sud vers le Tyrol et l’Italie, ou vers l’ouest et la Gaule. Bref, mettre un terme aux invasions. Fini le déferlement des hordes ! Enfin reconquérir l’Aquitaine, vaincre le Wisigoth, libérer la foi catholique, entrer à Bordeaux et à Toulouse qui ne seront plus aux mains de l’hérétique. Tenter aussi une expédition vers les territoires d’Arles, d’Aix et de Marseille, dont chacun sait fort bien que les évêques sont favorables à l’union. Mais l’Ostrogoth d’Italie veille et envoie ses troupes. L’heure n’est pas encore venue. Elle viendra plus tard.

http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2010/05/18/bb.html#more

Expansion de l’OTAN en Ukraine : les spécialistes avertissent du danger depuis des décennies

  

L’un des aspects les plus fascinants de la guerre en Ukraine est le grand nombre de penseurs stratégiques de haut niveau qui ont averti depuis des années que cette guerre était imminente si nous continuions sur cette voie. Nous énumérons les plus importants de ces avertissements.

George Kennanarchitecte de la guerre froide en 1998 :

« Je pense que c’est le début d’une nouvelle guerre froide. Je pense que les Russes vont progressivement réagir de manière assez négative et que cela affectera leurs politiques. Je pense que c’est une erreur tragique. Il n’y avait aucune raison pour cela. Personne ne menaçait qui que ce soit.
Bien sûr, il y aura une mauvaise réaction de la part de la Russie, et ensuite [les partisans de l’élargissement de l’OTAN] diront que nous vous avons toujours dit que les Russes étaient comme ça – mais c’est tout simplement faux ».

Henry Kissingerancien secrétaire d’État américain en 2014 :

« Si l’Ukraine doit survivre et prospérer, elle ne doit pas être l’avant-poste d’un camp contre l’autre – elle doit fonctionner comme un pont entre eux. L’Occident doit comprendre que, pour la Russie, l’Ukraine ne pourra jamais être un simple pays étranger.
Même des dissidents aussi célèbres qu’Alexandre Soljenitsyne et Joseph Brodsky ont insisté sur le fait que l’Ukraine faisait partie intégrante de l’histoire russe et, en fait, de la Russie.
L’Ukraine ne devrait pas rejoindre l’OTAN. »

John Mearsheimer, John Mearsheimer, l’un des plus grands experts en géopolitique aux États-Unis, en 2015 :

« La Russie est une grande puissance et elle n’a absolument aucun intérêt à laisser les États-Unis et leurs alliés s’emparer d’un grand bien immobilier d’une grande importance stratégique sur sa frontière occidentale et l’incorporer à l’Occident.
Cela ne devrait guère surprendre les États-Unis d’Amérique, car vous savez tous que nous avons une doctrine Monroe. La doctrine Monroe stipule que l’hémisphère occidental est notre arrière-cour et que personne d’une région éloignée n’est autorisé à déplacer des forces militaires dans l’hémisphère occidental.
Tout revient à l’OTAN.
Vous vous rappelez que nous étions fous de rage à l’idée que les soviétiques mettent des forces militaires à Cuba. C’est inacceptable. Personne ne met de forces militaires dans l’hémisphère occidental. C’est la raison d’être de la doctrine Monroe. »

« Pouvez-vous imaginer que dans 20 ans, une Chine puissante formera une alliance militaire avec le Canada et le Mexique et déplacera des forces militaires chinoises sur le sol canadien et mexicain et que nous resterons là à dire que ce n’est pas un problème ?
Personne ne devrait donc être surpris que les Russes aient été apoplectiques à l’idée que les États-Unis placent l’Ukraine du côté occidental du grand livre. … Mais nous n’avons pas cessé nos efforts pour que l’Ukraine fasse partie de l’Occident.
L’Occident conduit l’Ukraine sur le chemin des primeurs et le résultat final est que l’Ukraine va être détruite […] Ce que nous faisons encourage en fait ce résultat.
Si vous pensez que ces gens à Washington et la plupart des Américains ont du mal à traiter avec les Russes, vous n’imaginez pas à quel point nous allons avoir du mal avec les Chinois. »

Jack F. Matlock, le dernier ambassadeur américain en Union soviétique, en 1997 :

« Si l’OTAN doit être le principal instrument d’unification du continent, la seule façon d’y parvenir est logiquement de s’étendre à tous les pays européens. Mais cela n’est pas le rôle du gouvernement et, même si c’est le cas, c’est la façon dont il peut faire face à la situation sans que de nouveaux dirigeants ne s’en mêlent. »

« L’expansion de l’OTAN a été la plus profonde bévue stratégique commise depuis la fin de la guerre froide.
Loin d’améliorer la sécurité des États-Unis, de leurs alliés et des nations qui souhaitent entrer dans l’Alliance, elle pourrait bien encourager une chaîne d’événements susceptibles de produire la menace sécuritaire la plus grave pour cette nation [la Russie] depuis l’effondrement de l’Union soviétique ».

« Si l’OTAN doit être le principal instrument d’unification du continent, la seule façon d’y parvenir est logiquement de l’élargir à tous les pays européens. Mais cela ne semble pas être l’objectif de l’administration, et même si c’est le cas, le moyen d’y parvenir n’est pas d’admettre de nouveaux membres au coup par coup. »

William Perrysecrétaire à la défense sous Bill Clinton en 1996 :

« Je craignais que l’élargissement de l’OTAN en ce moment ne nous fasse régresser. Je pensais qu’une régression ici pourrait gâcher les relations positives que nous avions si laborieusement et patiemment développées dans la période opportuniste de l’après-guerre froide.
Je pensais que nous avions besoin de plus de temps pour amener la Russie, l’autre grande puissance nucléaire, dans le cercle de sécurité occidental. La priorité absolue était pour moi évidente. »

Noam Chomsky, l’un des intellectuels vivants les plus importants en 2015 :

« L’idée que l’Ukraine puisse rejoindre une alliance militaire occidentale serait tout à fait inacceptable pour n’importe quel dirigeant russe. Cela remonte à 1990, lorsque l’Union soviétique s’est effondrée. La question de savoir ce qui allait se passer avec l’OTAN se posait. Gorbatchev a accepté que l’Allemagne soit unifiée et rejoigne l’OTAN. Il s’agissait d’une concession très remarquable, assortie d’une contrepartie : l’OTAN ne s’étendrait pas d’un pouce vers l’est.

Ce qui s’est passé. L’OTAN a instantanément incorporé l’Allemagne de l’Est. Puis Clinton a étendu l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie. Le nouveau gouvernement ukrainien a voté en faveur de l’adhésion à l’OTAN. Le président Porochenko ne protégeait pas l’Ukraine, mais la menaçait d’une guerre majeure. »

Jeffrey Sachs, haut conseiller du gouvernement américain et de l’ONU, trois jours avant l’invasion :

« Les États-Unis ne seraient pas très heureux si le Mexique rejoignait une alliance militaire dirigée par la Chine, pas plus qu’ils n’étaient satisfaits lorsque le Cuba de Fidel Castro s’est aligné sur l’URSS il y a 60 ans. Ni les États-Unis ni la Russie ne veulent avoir l’armée de l’autre à leur porte.

En 2008, le président George W. Bush a été particulièrement imprudent en ouvrant la porte à l’adhésion de l’Ukraine (et de la Géorgie) à l’OTAN.
La Russie craint depuis longtemps les invasions de l’Ouest, que ce soit celles de Napoléon, d’Hitler ou, plus récemment, de l’OTAN.
L’Ukraine devrait aspirer à ressembler aux membres de l’UE non membres de l’OTAN : l’Autriche, Chypre, la Finlande, l’Irlande, Malte et la Suède. »

Le directeur de la CIA, Bill Burns, en 2008 :

« L’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN est la plus brillante de toutes les lignes rouges pour [la Russie] » et « je n’ai encore trouvé personne qui considère l’Ukraine dans l’OTAN comme autre chose qu’un défi direct aux intérêts russes. »

Bill Burns était ambassadeur à Moscou en 2008 lorsqu’il a rédigé ce mémo.

Le journaliste russo-américain Vladimir Pozner, en 2018, a déclaré :

« L’expansion de l’OTAN en Ukraine est inacceptable pour le Russe, qu’il doit y avoir un compromis où l’Ukraine, garantie, qu’elle ne deviendra pas membre de l’OTAN. »

Malcolm Fraser, 22e Premier ministre australien, a averti en 2014 :

« Le mouvement vers l’est [de l’OTAN] est provocateur, imprudent et un signal très clair à la Russie« . Il ajoute que cela conduit à un « problème difficile et extraordinairement dangereux ».

Paul Keating, ancien Premier ministre australien, en 1997 :

L’élargissement de l’OTAN est « une erreur qui pourrait se classer au final avec les erreurs de calcul stratégiques qui ont empêché l’Allemagne de prendre toute sa place dans le système international [au début du 20e] ».

L’ancien secrétaire américain à la défense Bob Gates dans ses mémoires de 2015 :

« Aller si vite [pour étendre l’OTAN] était une erreur. […] Essayer de faire entrer la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN était vraiment excessif [et] une provocation particulièrement monumentale. »

Pat Buchanan, dans son livre de 1999 A Republic, Not an Empire :

« En déplaçant l’OTAN sur le perron de la Russie, nous avons programmé une confrontation du XXIe siècle. »

En 1997, un groupe de personnes comprenant Robert McNamara, Bill Bradley et Gary Hart a écrit une lettre à Bill Clinton pour l’avertir :

« L’effort mené par les États-Unis pour étendre l’OTAN est une erreur politique de proportions historiques » qui « favoriserait l’instabilité » en Europe.

Dmitriy Trenin s’est inquiété du fait que l’Ukraine était, à long terme…

« … le facteur potentiellement le plus déstabilisant dans les relations américano-russes, étant donné le niveau d’émotion et de névralgie déclenché par sa quête d’adhésion à l’OTAN. »

Sir Roderic Lyne, ancien ambassadeur britannique en Russie, a averti il y a un an :

« [pousser] l’Ukraine dans l’OTAN […] est stupide à tous les niveaux. » Il ajoute que « si vous voulez déclencher une guerre avec la Russie, c’est le meilleur moyen de le faire. »

L’année dernière encore, le célèbre économiste Jeffrey Sachsdans une colonne du Financial Times, mettait en garde contre « l’élargissement de l’OTAN, qui est tout à fait malavisé et risqué. Les vrais amis de l’Ukraine, et de la paix mondiale, devraient appeler à un compromis des Etats-Unis et de l’OTAN avec la Russie. »

Fiona Hill : « Nous avons averti [George Bush] que M. Poutine considérerait les mesures visant à rapprocher l’Ukraine et la Géorgie de l’OTAN comme une provocation susceptible de provoquer une action militaire préventive de la Russie. Mais en fin de compte, nos avertissements n’ont pas été pris en compte. »

Aleksandr Dugin, en 1997, avait prédit tout ce que Poutine a fait, dans son livre « Foundation of Geopolitics ».

Arrêt sur Info 25/03/2022

Source : Traduction par Arrêt sur Info d’une compilation par Prnigeria du fil Twitter d’Arnaud Bertrand

https://www.polemia.com/expansion-de-lotan-en-ukraine-les-specialistes-avertissent-du-danger-depuis-des-decennies/

Ukraine : brouillard de guerre sur I'info

 Jamais depuis la première guerre duGolf, l’Europe n’avait connu une telle campagne de propagande : la guerre russo-ukrainienne se mène aussi sur le front médiatique, entre mensonges et opportunisme politique..

Bruno Lemaire a brièvement voulu déclarer « une guerre économique et financière totale à la Russie ». Macron a profité du conflit russo-ukrainien pour poser, tantôt façon Kennedy durant la crise de Cuba, tantôt façon Zelensky, mal rasé, en sweat-shirt des commandos parachutistes de l’Air. La macronie se complait dans la communication guerrière, propice à annihiler la campagne électorale. La guerre russo-ukrainienne est en effet venue à point nommé relancer un climat anxiogène que le Covid peinait à maintenir dans les médias occidentaux.

Ceux-ci ont donc fait leur miel du moindre élément de langage diffusé par Kiev pour sanctifier son Président, Volodomyr Zelensky, et diaboliser l’agresseur. Une campagne de propagande qui rappelle celle de la guerre du Golfe. À la place de l’armée irakienne « quatrième du monde », ils ont servi une Russie belliqueuse face à un Occident et une Ukraine pacifique. Pourtant, Moscou a depuis longtemps appelé à la négociation en vain. S'il est évident que la Russie est coupable d’une agression, toute tentative de l’expliquer est ravalée au rang « propagande russe » par ailleurs bien réelle. L'Ukraine, un pays à « dénazifier » ? C'est abusif, même si le pays compte des milices néonazies (bataillons Azov et Aidar, intégrés à l’armée régulière), Pravy Sektor, etc. Le Donbass, victime d'un « génocide » ? Comme au Kosovo en 1999, le terme n'était que prétexte à une invasion : russe dans le premier cas, otanienne dans le second.

En revanche, dans leur enthousiasme pro-ukrainien, les journalistes occidentaux ont enchainé les fake news made in Ukrania. Le « fantome de Kiev », pilote ukrainien qui aurait abattu une dizaine d'avions russes ? Ses exploits filmés sont issus... d'un jeu vidéo. Quant à certaines images de Kiev dévastée par la guerre, il s'agissait en fait de celles de Beyrouth après l’explosion du port en 2020.

Fake news à gogo

Le mot de Cambronne prononcé par les héroïques défenseurs de I'ile aux Serpents, juste avant d’être tués par les tirs d'un navire russe ? Peut-être prononcés, mais juste avant... de se rendre. Quant au char russe écrasant intentionnellement une voiture Obolon, il était en fait ukrainien et fuyait les combats. Les Russes n'ont pas non plus visé une centrale nucléaire, comme il a été dit, mais des bâtiments proches, pas plus qu'ils n'ont ciblé un mémorial juif, mais un relais téléphonique.

Symbole de la détresse des combattants, les images de cet Ukrainien en pleurs serrant sa femme et sa fille dans ses bras ont fait le tour du monde, jusqu’à ce qu'il passe à la trappe après que l’on a appris qu'il s’agissait en fait d'un habitant du Donbass russophone assistant à l’évacuation de sa famille. Un « deux poids, deux mesures », habituel dans ce conflit. Si les images de frappes russes touchant les civils inondent les médias, celles du bombardement de Donetsk le 14 mars par un missile ukrainien sous-munitions - et leur quarantaine de morts et blessés civils - sont rapidement évacuées.

Evacuées comme l’était I'hôpital pédiatrique de Marioupol pour laisser place des combattants d'Azov, expliquent les Russes.

Une affirmation sujette à caution, tout comme leur démenti d'avoir bombardé cette installation, sise dans une ville à majorité russophone où ils avaient ouvert des couloirs humanitaires. Mais plusieurs éléments dans les images de ce qui ressemble à un crime de guerre permettent aussi de douter de leur véracité : chambranles de fenêtre arrachés comme par le souffle d'une explosion, mais meubles immaculés à l’intérieur, toutes les victimes sortant d’une seule porte de cet imposant bâtiment, etc. L’hôpital de Marioupol est-il la nouvelle maternité koweitienne dans laquelle « les soldats irakiens tuent les bébés dans les couveuses » ? Impossible de se prononcer.

Seule certitude : dans le brouillard de guerre informationnelle qui noie ce conflit, comme le disait Rudyard Kipling, « la première victime de la guerre est toujours la vérité ».

Richard Dalleau Monde&Vie  26 mars 2022 n°1009

Exécutions politiques – Toutes ne réussissent pas (Thomas Flichy de La Neuville)

 

Thomas Flichy de La Neuville est professeur à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr et intervient dans de nombreuses universités étrangères, notamment à l’United States Naval Academy, la Higher School of Economics et l’Université d’Oxford. 

Comment expliquer ces luttes soudaines et violentes qui éclatent dans l’arène politique, ces révélations tombant à point nommé pour ébranler la stature de l’adversaire ? A vrai dire, les mobiles des cabales n’ont en général rien de particulièrement honorable, comme nous le rappelle l’auteur de cette plaquette. Si bien que le public en est généralement maintenu soigneusement à l’écart, surtout s’il se pique de vouloir comprendre. Son rôle est bien de demeurer souriant et ingénu tandis que d’habiles propagandistes tournent à leur gré les évènements, puis manœuvrent l’opinion avec adresse. La cabale abaisse les uns pour élever les autres. Dans les gouvernements, elle fait et défait des ministres, dans la république des lettres, elle étouffe la réputation des auteurs, ou fait la fortune des ouvrages. Une fois l’opinion déstabilisée par des rumeurs, il devient plus facile de mettre un adversaire en accusation puis de le faire tomber.

Exemples historiques à l’appui, Thomas Flichy de La Neuville nous rappelle que les exécutions politiques sont suffisamment délicates pour manquer souvent leur cible.

A méditer au regard de l’actualité politique.

Exécutions politiques – Toutes ne réussissent pas, Thomas Flichy de La Nuville, éditions Dominique Martin Morin, 40 pages, 11 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/executions-politiques-toutes-ne-reussissent-pas-thomas-flichy-de-la-neuville/70115/

mardi 29 mars 2022

Naissance d’une nation : Clovis et les principes fondateurs de l’identité française, d'Hilaire de Crémiers.....(Première partie). 2/3

  

Pour en être convaincu, il suffit de lire, ne serait-ce que les lettres ou les œuvres des évêques de ces temps troublés. Par exemple, les lettres du célèbre neveu de ce même Sidoine, l’évêque Avitus de Vienne plus connu sous le nom de saint Avit, portant le même patronyme que son oncle, l’empereur auvergnat, ou encore les lettres de Remi, le fameux évêque de Reims.

Au-delà des procédés de l’époque, il y a du style, comme on dit. C’est qu’ils ont quelque chose à dire, un message à faire passer. Ils croient, ils ont des convictions, ils aiment, ils ont un projet. Et puis, leur langue est celle qui a façonné déjà, et qui va façonner dans les siècles suivants la liturgie, spécialement la superbe liturgie gallicane, langue pleine de dignité, qui ne méprise ni l’ample magnificence oratoire, ni le trait acéré d’éloquence. A la vérité, elle est marquée par un Esprit de feu, l’Esprit qui animait les œuvres des premiers Pères et Docteurs de l’Église latine, langue vivante, tendre et brûlante, qui exprime la foi, qui scande la vérité dogmatique, qui précise les plus justes finesses de la morale, langue ferme et subtile, logique et psychologique : langue des Ambroise, des Augustin et pour rester dans cette Gaule qui nous est si chère, langue des Honorat et de cet Hilaire de Poitiers qui sauva la foi catholique de la Gaule romaine et que Jérôme qualifia de Rhône de l’éloquence latine, “Rhodanus eloquentiae latinae”  ! Langue des Fortunat ! Cette langue latine d’Église va se maintenir vaille que vaille dans le renouveau carolingien, pour rejaillir aux XIe et XIIe siècles en fontaine vive et pure dans le latin mystique d’un saint Bernard ou d’un Guillaume de Saint-Thierry.

Mais surtout la langue vulgaire, ce latin qui se délite en ces siècles changeants dans les milieux populaires, ou plus exactement, dans les territoires de l’ancienne Gaule divisée, se fraie un passage, va muer dans l’épreuve pour apparaître en nouvelle jeunesse et dans le cours de la même renaissance du XIIe siècle en littérature de langue d’oïl, de langue d’oc, dont la vitalité d’une fécondité extraordinaire et quasiment indéfinie prouvera que la vie n’était pas morte, que l’esprit n’avait pas disparu. “Omnia renascentur”, chantait déjà le vieil Horace qui savait bien qu’il est dans l’ordre que les semences meurent pour porter du fruit.

Mais en 455, ces renaissances n’apparaissent pas. Sidoine Apollinaire est l’interprète de l’angoisse de la Gaule, de la détresse de la romanité. Il ne voit de salut qu’immédiat. Il a l’œil fixé sur le présent, et comme toujours dans un pareil cas, quand on croit voir un salut, alors c’est un enthousiasme juvénile : “Spes unica rerum, Arverne”. Quelle illusion ! Ce fut un échec pitoyable. Est-il besoin de le raconter ? Cela ne dura pas même un an. Un aventurier, général goth, Ricimer, mit fin à l’expérience. Avitus, qui n’était jamais qu’un bon sénateur et rien de plus, transformé d’abord en évêque selon l’habitude du temps, périt. Et le peuple gallo-romain souffrit à nouveau du désordre, de l’insécurité, de l’injustice, du pillage. Et le moyen de ne pas souffrir quand on se sait une terre bénie et un peuple aimable ? La terre, la Gaule, elle est là, avec ses productions essentielles, déjà, céréales, vignobles, le pain, le vin. Oh certes, il y a la bagaude, la révolte paysanne en plus de la guerre étrangère et des luttes intestines. La bagaude, bien sûr quand un peuple paysan est poussé à bout, exténué ! Elle est terrible, la bagaude !

Quel dommage, car quelle terre que cette Gaule ! Strabon l’avait dit. Salvien, le moine, le moraliste sévère, surnommé le maître des évêques et qui voit plus loin dans l’avenir que Sidoine, décrit, même encore au milieu de ce Ve siècle, l’Aquitaine comme un pays de cocagne. Ah non, ce n’est pas pour rien que les Wisigoths s’y sont installés. “L’Aquitaine, écrit-il dans son De gubernatione Dei —et il faut entendre l’Aquitaine au sens large du terme— est la mœlle de toutes les Gaules, la source de la complète fécondité et pas seulement de la fécondité, mais encore du bien-être, de la beauté, du plaisir. Tout le pays est tissé de vignes, parsemé de fleurs poussant dans les prés, de champs cultivés, planté d’arbres fruitiers, embelli par les bosquets, arrosé de sources, entrecoupé de fleuves, couvert de moissons ondoyantes, si bien que les possesseurs et les maîtres de cette terre semblent avoir détenu, moins une partie du sol terrestre qu’une image du paradis”.

Ausone, un siècle auparavant dans ses poésies pleines de préciosité, ne parlait pas autrement. Il avait chanté Bordeaux, et comme il était monté jusqu’à Trèves, il avait chanté les bords de la Moselle. Et les villes des Gaules, comme elles étaient réputées ! Tenez : Fronton n’avait-il pas nommé Reims l’Athènes des Gaules ? Dans ces villes, avaient fleuri les écoles de rhétorique de la dernière latinité. Et Lutèce ! Lutèce, les empereurs des derniers beaux moments de Rome l’ont aimée. Montant vers Trèves, ou redescendant de leur garde là-haut sur le Rhin, ils en faisaient une villégiature de prédilection. Constance Chlore y avait construit sur la rive gauche de la Seine un palais dont les jardins descendaient jusqu’au fleuve. Julien le Grec, hélas apostat, Julien aimait sa chère Lutèce, la Seine et ses eaux pures, ses vignes et ses jardins. Mais ces villes, cela faisait un siècle et demi qu’elles se rétractaient dans des remparts. Ravages, saccages ! Comme on comprend le chagrin de Sidoine ! Comme on comprend aussi ses illusions ! Échec, amertume !

Après la déposition et l’assassinat d’Avitus, sa chère Lyon est prise et reprise par les Burgondes, par les troupes romaines. Lugdunum, la ville de son enfance, la vieille capitale des Gaules, qui était le lien des Gaulois, le signe de leur unité et de leur fidélité à Rome, cette fidélité qu’ils venaient jurer sur l’autel d’Auguste !

La noblesse gallo-romaine est obligée de partager terres et propriétés. Les Barbares s’installent dans sa villa de la banlieue lyonnaise. Il doit supporter leur promiscuité. Il met encore quelque espoir dans l’Empire, en deux empereurs, Majorien et, quelques années plus tard, Anthemius, pour lesquels il écrit, un peu contraint, des panégyriques. Retourné à Rome, il y exerce la plus haute charge, préfet de la Ville. Le voici patrice. Mais les deux empereurs sont assassinés à quelques années de distance par le même aventurier Ricimer. Alors, y a-t-il encore un avenir dans Rome ?

Heureusement, pour se consoler, il a sa magnifique propriété sur le bord du lac d’Aydat, Avitacum, son château en Auvergne qui lui vient de sa femme, la fille d’Avitus, Papianilla, dont il a quatre enfants. Quand il s’y retire, comme il est heureux dans son domaine ! Il faut lire sa correspondance. Sa propriété est superbe, il la décrit avec amour. Il y invite ses amis. Il y a des thermes, des piscines merveilleuses où les torrents des montagnes viennent rouler dans des vasques bouillonnantes. Il joue, il chasse, il pêche. Il passe du bon temps, il banquette ; il écrit des petits vers compliqués avec facilité. L’aristocratie gallo-romaine possède encore de splendides propriétés que Sidoine dépeint. Rien n’est plus étonnant que cette vie futile, que cette correspondance frivole et précieuse menée dans des années terribles où la face du monde changeait. Et cela de la part d’un homme qui n’ignorait rien de la gravité de la situation et qui la déplorait. L’historien ne s’étonne de rien : il en a toujours été ainsi à toutes les époques. Il faut bien vivre.

Cependant, tout va mal. Que peut-on faire avec tous ces Barbares ? Cette question, Sidoine se la pose très concrètement. C’est pour lui une immigration-invasion. Il n’y a aucun doute, il la ressent comme telle, bien qu’elle dure, et depuis longtemps. Elle est arrivée en force, elle progresse ensuite de manière sournoise pour finir toujours en brigandages ! Les villes flambent, les belles campagnes deviennent des déserts. Et encore, le sud de la Gaule est relativement épargné par rapport au nord. Pour se venger de ses humiliations répétées, il reste cette dernière ressource au civilisé gallo-romain : sourire en petite compagnie de ces Barbares aux longs cheveux enduits de beurre rance “infundens acido comam butyro” et qui sont “nos maîtres, nos patrons”, dit-il. Ces géants puent ; il dit bien : ils puent et leurs odeurs de cuisine l’incommodent quand il est contraint de cohabiter avec eux. C’est écrit en toutes lettres. “Ces hordes chevelues”, ainsi qu’il les appelle, il ne les aime pas. Il ne supporte pas leur rude langage germanique ni les chansons du Burgonde gavé. Il ironise amèrement. Pauvre cher Sidoine, comme on le comprend ! ça, c’est sûr, les Burgondes n’ont pas son cœur. Il a certainement même du mal à se les imaginer comme des envoyés de Dieu ainsi que les dépeignent certains moralistes de l’époque, Salvien par exemple, serait-ce même sous le prétexte d’un châtiment des frivolités, des péchés des Gallo-Romains ! Non, les péchés des braves Gallo-Romains ne sont pas tels qu’ils méritent ces Barbares-là ! Quant aux Wisigoths, avec qui, dans les débuts de sa carrière, il s’imaginait pouvoir mener une politique, il les tient maintenant pour une “engeance de mauvaise foi”. C’est “la nation qui viole les traités”. Elle ne respire que “cruauté et fanatisme”. Voilà pour ce qui est des barbares qu’il côtoie. Les autres, il les connaît moins. Il reste de lui un célèbre portrait des Francs : des guerriers impressionnants de force, de souplesse, de courage.

Tout va mal donc dans le monde et en Gaule, et pourtant, Sidoine, on l’a vu, n’est pas précisément malheureux. Il s’afflige de son temps, comme les autres ! D’autant plus qu’il y a des traîtres, des Gallo-Romains, des hommes civilisés de l’aristocratie sénatoriale, qui croient bon de pactiser avec l’ennemi, avec le barbare, oui, de s’entendre avec ces rois qui s’émancipent de Rome, de la romanité. Sidoine, écœuré, dénonce ces traîtres. Que faire ? Vraiment, que faire ?

À suivre

Élisabeth I d’Angleterre

 Élisabeth I d’Angleterre

Peu de souverains, et encore moins de reines, ont le privilège d’avoir laissé leur nom au siècle qui les a vu régner : Élisabeth, aux côtés de Louis XIV, fait partie de ce cercle restreint. Peu de têtes couronnées ont, par ailleurs, suscité des avis aussi tranchés et des jugements aussi manichéens : véritable monstre de cruauté et de luxure, « putain couronnée » pour les catholiques, vertueuse héroïne biblique pour bon nombre de protestants, la figure d’Élisabeth est fortement marquée par les déchirures religieuses qui ont divisé l’Europe du XVIe siècle.

À une époque où, il est vrai, les figures féminines remarquables ne manquent pas sur les trônes ou sur leurs marches – Marie de Hongrie, Marguerite de Parme ou encore Catherine de Médicis –, ces différentes caractéristiques font néanmoins de la « Reine Vierge » un personnage d’exception : aucune femme n’atteignit cette souveraine autorité sur une société masculine et sur un royaume qui dut prendre son parti de n’avoir qu’« une maîtresse, mais point de maître ».

Tantôt traitée en princesse et proposée en mariage aux plus grands princes européens, tantôt suspecte et disgraciée, Élisabeth a vu son caractère difficile forgé par une situation longtemps ambiguë et instable. Fille d’Anne Boleyn et d’Henri VIII, elle est déclarée héritière à sa naissance en 1533, avant de devenir bâtarde d’un roi déjà las d’une épouse qu’il enverra, comme d’autres, sur l’échafaud. Elle est alors reléguée au château de Hatfield, puis rappelée à la cour, quelques années plus tard. Déclarée apte à régner, malgré son illégitimité, sa position n’en est pas moins délicate sous les règnes d’Édouard VI et surtout de Marie Tudor. Elle doit sans cesse louvoyer et va jusqu’à prétendre revenir au catholicisme quand le royaume retombe dans le giron romain. Cela ne l’empêche pas d’être souvent impliquée, de près ou de loin, dans des complots fomentés contre le pouvoir royal. Elle fera même un court séjour à la Tour de Londres. Quand elle monte finalement sur le trône à la mort de sa demi-sœur, c’est donc avec une certaine intelligence des arcanes du pouvoir et des bienfaits de la dissimulation qu’Élisabeth s’attelle à la tâche difficile qui l’attend.

Crise religieuse

L’Angleterre est alors en pleine crise religieuse. En dépit de la supériorité numérique des catholiques, elle doit faire face au dynamisme des tenants de la nouvelle foi qui, loin de se contenter des mesures schismatiques d’Henri VIII, surtout soucieux de se débarrasser de la tutelle du pape, veulent quitter l’obédience romaine. Il faut dire que les excès du retour au catholicisme sous le règne de « Marie la Sanglante » n’ont fait que multiplier les adeptes du protestantisme, qui attendent beaucoup du nouveau règne. Tous savent que le cœur d’Élisabeth penche pour la Réforme. Mais elle prétend « ne pas vouloir violer les consciences » et c’est une voie moyenne qu’elle se plaît à emprunter au début du règne. Loin de tout fanatisme, elle ne cache pas son aversion pour les prêtres mariés et l’austérité des puritains mais aussi son attachement à la somptuosité liturgique tant vitupérée par les protestants. Son but est en réalité essentiellement politique : en refusant aussi bien l’autorité pontificale que le système clérical à la genevoise, elle veut s’assurer de la maîtrise d’une Église, solide, hiérarchisée et disciplinée, libérée de toute allégeance temporelle comme spirituelle. C’est ainsi que sous son règne l’on passe de l’Église schismatique du temps d’Henri VIII à l’institution hérétique qui vaudra à la souveraine d’être excommuniée en 1570. Pie V condamne, entre autres choses, l’autorisation de la communion sous les deux espèces et les lois de Suprématie et d’Uniformité : ces textes donnent au souverain le rôle de gouverneur suprême de la religion et sanctionnent la suppression de cinq des sept sacrements. Par ailleurs, un serment rejetant le pape a pour effet immédiat d’exclure les catholiques de tous les postes publics.

Sur la scène européenne, Élisabeth hésite longtemps à afficher clairement ses positions vis-à-vis des troubles continentaux. Elle déploie beaucoup d’efforts pour maintenir avec Philippe II, champion du catholicisme, des relations pacifiques et éviter une guerre contre ses redoutables armées. Le Habsbourg, de son côté, ne se risque pas à jouer le jeu des catholiques dont la victoire marquerait l’affermissement des positions françaises en Écosse et peut-être même en Angleterre. Les intérêts des deux puissances divergent néanmoins de plus en plus et les champs de rivalité qui se multiplient finissent par devenir de véritables terrains d’affrontement. De l’autre côté des mers, les corsaires d’Élisabeth ne cessent de s’en prendre aux possessions espagnoles. Si elle les désavoue souvent, elle n’oublie pas pour autant de prendre sa part des bénéfices. Philippe, quant à lui, soutient les clans irlandais hostiles à l’Angleterre protestante. Mais c’est essentiellement la question des Pays-Bas qui précipitera la rupture des relations. Une fois encore pourtant, Élisabeth tarde à s’engager véritablement aux côtés des protestants qui l’appellent à l’aide. En dépit de ses désaccords commerciaux avec Marguerite de Parme, et du caractère religieux d’un conflit qui ne cesse de s’envenimer, elle ne vient le plus souvent à leur secours que de façon ponctuelle, notamment quand les intérêts français d’un Coligny ou d’un François d’Anjou y prennent trop d’importance. Il faut donc attendre 1585 pour la voir officiellement envoyer sur place des troupes conduites par Leicester, et surtout 1588 et l’expédition de l’Armada de Philippe II. On assiste alors au spectaculaire renversement de l’alliance anglo-espagnole qui, depuis le XVe siècle avait marqué le panorama diplomatique européen. C’est l’alliance française qui devient désormais la pierre angulaire de la politique extérieure anglaise, comme en témoigne l’aide qu’elle apporte à Henri IV dans sa conquête du trône de France.

Le mythe de la Reine Vierge

Élisabeth apparaît alors au sommet de sa gloire. On la dépeint comme une femme intelligente et savante. Durant ses jeunes années, auprès de l’humaniste anglais Asham, elle a été initiée à tous les savoirs du temps. Elle a même acquis une certaine pédanterie, caractéristique de l’époque et que l’on retrouve dans le clinquant philosophico-littéraire des divertissements de la cour. Toujours fière et altière, resplendissante derrière les ors, les bijoux et les brocarts, elle est dotée d’un sens aigu de sa propre valeur et de la vocation royale qu’elle n’entend pas subordonner à un époux qui, même étranger, risquerait de la supplanter sur le trône. Malgré l’insistance de ses sujets, elle refusera toujours de se marier, donnant ainsi naissance au mythe savamment entretenu de la Reine Vierge. Elle eut des favoris dont on ne sait pas pourtant s’ils furent réellement ses amants. Aucun ne semble avoir eu de véritable ascendant sur elle : le plus célèbre, Lord Robert Dudley, comte de Leicester, fit souvent les frais de ses célèbres accès de colère, tandis qu’Essex finit sur l’échafaud en 1601 pour avoir outrepassé son rang et tenté de soulever la Cité contre elle.

Si le règne ne semble pas pâtir de l’absence d’un roi, le célibat d’Élisabeth laisse néanmoins en suspens la question de sa succession, véritable plaie du régime dans un pays qui a connu sa part de remous historiques au gré des coups d’État et des guerres civiles. Il existe pourtant des prétendants, parmi lesquels sa cousine Marie Stuart, avec laquelle elle entretient des rapports complexes. Mais elle refuse obstinément de « mettre son linceul devant ses yeux » en reconnaissant comme héritière une princesse qui risquerait de cristalliser l’opposition catholique. Tel est le ressort de la tragique existence de Marie Stuart. Veuve du roi de France François II à 18 ans, reine d’Écosse avant de se voir contrainte d’abdiquer en faveur de son fils, Jacques VI, elle passera une partie de sa vie à attendre une reconnaissance qui n’arrivera jamais. Et lorsqu’elle doit trouver refuge en Angleterre en 1569, c’est pour finalement rester l’otage, voire la prisonnière d’Élisabeth qui finira, lassée de ses maladresses et de son implication dans les complots, par l’envoyer sur l’échafaud. C’est à cette époque que la situation des catholiques se dégrade sérieusement. Mais, pour eux, des temps plus difficiles sont encore à venir.

En effet, Élisabeth a réussi durant son long règne, qui ne s’achève qu’en 1603, à maintenir une paix civile relative dans le royaume, comparé aux affres des guerres de Religion en France et aux Pays-Bas. Mais la voie moyenne de ce qui allait devenir l’Église anglicane a du mal à trouver son public : tandis que certains dénoncent le triomphe de l’hérésie, d’autres y voient encore trop de concessions à « l’idolâtrie papiste ». Ce n’est que sous les règnes suivants qu’allaient se déclencher les affrontements religieux qui permettraient l’émergence de tristes figures comme Cromwell. En attendant l’époque élisabéthaine a marqué dans l’histoire de l’Angleterre une étape importante. Celle dont Henri IV disait : « Quel roi, cette femme ! » ouvre l’ère de la maîtrise des mers et inaugure un réel épanouissement des arts et des lettres, dont le premier sujet d’inspiration fut assurément le culte quasi mystique de la souveraine.

Emma Demeester

Bibliographie

  • Michel Duchein, Élisabeth Iere d’Angleterre, Fayard, 1996

Chronologie

  • 1533 : Naissance d’Élisabeth.
  • 1559 : Élisabeth succède à Marie Tudor.
  • 1562 : Traité de Hampton Court avec les huguenots français.
  • 1567 : En Écosse, abdication de Marie Stuart au profit de son fils, Jacques VI.
  • 1570 : Excommunication d’Élisabeth.
  • 1579-1581 : Tractations franco- anglaises autour d’un éventuel mariage entre Élisabeth et le duc d’Anjou.
  • 1584 : Constitution du Pacte d’association pour la défense de la reine : les catholiques sont particulièrement touchés par cet arsenal de lois visant à prémunir le pouvoir des complots.
  • 1585 : L’Angleterre apporte une aide militaire aux Provinces-Unies contre l’Espagne.
  • 1587 : Exécution de Marie Stuart.
  • 1588 : Échec de l’Invincible Armada.
  • 1603 : Mort d’Élisabeth. Jacques VI est proclamé roi d’Angleterre sous le nom de Jacques Ier.

https://institut-iliade.com/elisabeth-i-dangleterre/

La guerre civile russe (Alexandre Jevakhoff)

 

Alexandre Jevakhoff, historien, préside le Cercle de la marine impériale russe et est membre de l’Union de la noblesse russe. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages historiques.

Il y a cent ans, la Russie basculait dans une révolution aux conséquences mondiales. Ce livre retrace ces années qui ont entraîné la Russie dans la guerre civile. Dans les premiers temps, les révolutionnaires avaient promis que forcer le Tsar à l’abdication signifierait plus de liberté pour tous les Russes. Mais il n’a pas été nécessaire d’attendre longtemps pour voir les bolcheviks installer un pouvoir fort, répressif, dictatorial, inhumain. La Tcheka traque tout ce qu’elle considère « contre-révolutionnaire », dresse sans cesse de nouvelles listes des « ennemis du peuple » et veut « éradiquer » sans merci les « traîtres » à la patrie socialiste. A la guerre civile s’ajoute une guerre paysanne. Le 11 août 1918, Lénine explique ainsi aux responsables bolcheviques de Penza comment ils doivent traiter le « soulèvement des koulaks » (les paysans) dans cinq districts : pendre au moins cent koulaks, publier leurs noms, saisir tous leurs grains, désigner des otages. Le mois d’août 1918 entame les grandes heures de la Terreur rouge. Le Journal rouge (Krasnaïa Gazeta) du 30 août 1918 écrit qu’il faut répandre la « terreur de masse » et la « mort de la bourgeoisie ». A Petrograd, pour « venger » l’assassinat d’un responsable bolchévique, pas moins de 900 otages sont fusillés. Lénine, Trotski et Staline entrent dans l’Histoire les mains sanglantes. Les généraux blancs – Alekseiev, Kornilov, Denikine, Koltckak, Vranguel – qui font face ne sont pas préparés aux conditions d’une guerre civile très éloignée des codes d’honneur de leur éducation militaire. La suite est connue. Mais ce livre nous apporte quantité de détails issus d’une recherche récente parmi les archives russes.

La guerre civile russe, Alexandre Jevakhoff, éditions Perrin, 688 pages, 28 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/la-guerre-civile-russe-alexandre-jevakhoff/70204/

lundi 28 mars 2022

Naissance d’une nation : Clovis et les principes fondateurs de l’identité française, d'Hilaire de Crémiers.....(Première partie).1/3

  

En ces temps de crise globale -qui bien plus que simplement économique est une crise anthropologique et ontologique- les instances du Pays Légal ont voulu un débat sur l'identité nationale; ce débat a permis - au moins en partie - l'expression des inquiétudes et, parfois, des doutes et du découragement d'un très grand nombre de nos concitoyens, à propos justement de cette identité nationale.

Hilaire de Crémiers a quelque chose à dire à tous ceux qui doutent ou qui sont dans l'angoisse. Il le fait dans un texte fort, qu'il est bon de lire et dont il est bon de méditer la leçon :

Naissance d’une nation : Clovis et les principes fondateurs de l’identité française.

Cet article a été publié dans Renaissance Catholique

  (http://www.renaissancecatholique.org/)

Dans une ample vision de notre Histoire, avec le recul que lui donne le survol des siècles, Hilaire de Crémiers redonne le sens profond de l'aventure de Clovis, dont il situe bien le caractère éminemment politique -au sens fort et noble du terme- et ouvre à ces sentiments d'espérance qu'évoquait Jacques Bainville, lorsqu'il écrivait "Pour des renaissances, il est encore de la foi..."

On écoutera la version orale, si l'on peut dire, de ce Grand Texte en cliquant sur le lien ci-après, qui restitue le discours prononcé par Hilaire de Crémiers aux Baux de Provence, lors du Rassemblement Royaliste de 1996  :

            http://vimeo.com/11860504

“Spes unica rerum, Arverne”“Arverne, unique espoir de l’ordre du monde” ! Arverne, c’est-à-dire Auvergnat, autrement dit Gaulois.

“Unique espoir du monde”  ! Nous sommes en l’an 455. La dynastie Théodosio-valentinienne vient de finir avec le meurtre de Valentinien III dans le stupre et dans le sang. Encore un empereur assassiné ! Et non sans motifs. Les Barbares, installés dans l’Empire sous le titre de fédérés, en prennent à leur aise avec les traités d’alliance, les fœdera, qui les lient en principe à la puissance impériale. Ils se constituent en royaumes indépendants dans les provinces des Gaules, notamment les Wisigoths en Aquitaine, les Burgondes en Sapaudie, entre le Rhône et les Alpes. Ils profitent de la moindre occasion pour s’étendre. Et puis voilà que Genséric, à la tête de ses Vandales qui conquièrent et ravagent la Méditerranée et ses pourtours, a fait le sac de Rome. Quinze jours durant ! Il entasse des dépouilles colossales en poursuivant ses brigandages. Ce n’est pas le premier sac de Rome depuis 410, ni le dernier !

Rome n’est plus rien : le patrice qui lui tenait lieu d’empereur, Petronius Maximus, est lapidé par les Romains eux-mêmes. Que reste-t-il du vieil ordre romain ? Eh bien, malgré tout, la Gaule. Il y a un peuple gallo-romain, il y a une aristocratie gauloise et qui se sait romaine. Elle se sent attachée à Rome, à l’ordre civilisé, comme elle se sent attachée à sa terre qu’elle aime, romaine et gauloise.

Alors, pourquoi pas un empereur gaulois ? Une idée mûrit chez quelques-uns : la Gaule va sauver Rome. Et comme l’amplification oratoire est de mode dans les écoles de rhétorique et surtout chez les Gaulois, l’idée se hausse : “La Gaule va donner à Rome un nouveau Trajan” ! Ainsi s’exprime Sidoine Apollinaire, au nom de la Gaule. Né à Lyon vers 431, il est de bonne noblesse gallo-romaine. Son père et son grand-père exercèrent la charge de préfet du prétoire des Gaules. Il a vingt-cinq ans et il est poète. C’est lui qui s’écrie : “Spes unica rerum, Arverne” ! A qui s’adresse-t-il ? Quel est cet Auvergnat, ce futur Trajan ? Son propre beau-père : Flavius Eparchius Avitus, qui a exercé lui aussi la charge de préfet du prétoire des Gaules et qui en est maintenant “magister militum”, maître de la milice, chef des armées en Gaule, per Gallias.

C’est donc à la Gaule d’envoyer un vainqueur : “Tu, Gallia, mittas qui vincat”, car “c’est ici que se trouve aujourd’hui la tête de l’Empire”. “Si vous êtes le maître, je serai libre : Si dominus fis, liber ero”. On a trop cru, à mon avis, sur la foi de cette parole mise dans la bouche du Gallo-romain à l’expression d’une volonté de sécession de la Gaule. A ce moment-là, non. En tout cas, ce n’est absolument pas le sens du texte : il s’agit d’une exaltation, certes exagérée, de la Gaule. “La Gaule, dit Sidoine, c’est du monde qu’elle aurait pu s’emparer si elle avait combattu pour son propre compte”. Vanité, ou juste fierté, comme on voudra, du Gallo-romain, mais dans son esprit, la Gaule vient au secours de Rome. Il s’agit de sauver la romanité et le monde civilisé. Ce n’est pas pour rien que Sidoine a été appelé le dernier des Romains. “Spes unica rerum, Arverne”. Si Rome n’est pas sauvée par la Gaule, alors c’est la fin du monde ; la barbarie triomphera. C’est le thème du panégyrique.

Le poète aura droit à sa statue de bronze sur le forum de Trajan, à côté de Claudien et de Merobaude ; Claudien, poète officiel de la grandeur romaine, Merobaude qui était un général franc tellement romanisé qu’après avoir manié la francisque, il maniait le vers latin pour la défense et l’exaltation de Rome.

Oh certes, le panégyrique de Sidoine se ressent du style officiel, et du style officiel du Ve siècle, affecté et déclamatoire, à la recherche perpétuelle de l’effet. La phrase sent l’école de rhétorique. Mais, dès qu’apparaît une pensée forte, un sentiment puissant chez Sidoine comme chez tous les autres auteurs de la décadence, le latin retrouve sa vertu naturelle : vigueur des formules bien martelées, et aussi finesse des tournures aux équilibres délicats qui font le ravissement du lecteur dont l’attention se penche sur ces terribles et surtout fastidieuses périodes de décadence. La décadence n’est donc pas totale, loin de là ! Il y a dans l’élite encore une réelle culture, un goût de la civilisation. Une littérature est toujours un témoignage.

C’est donc à la Gaule d’envoyer un vainqueur : “Tu, Gallia, mittas qui vincat”, car “c’est ici que se trouve aujourd’hui la tête de l’Empire”. “Si vous êtes le maître, je serai libre : Si dominus fis, liber ero”. On a trop cru, à mon avis, sur la foi de cette parole mise dans la bouche du Gallo-romain à l’expression d’une volonté de sécession de la Gaule. A ce moment-là, non. En tout cas, ce n’est absolument pas le sens du texte : il s’agit d’une exaltation, certes exagérée, de la Gaule. “La Gaule, dit Sidoine, c’est du monde qu’elle aurait pu s’emparer si elle avait combattu pour son propre compte”. Vanité, ou juste fierté, comme on voudra, du Gallo-romain, mais dans son esprit, la Gaule vient au secours de Rome. Il s’agit de sauver la romanité et le monde civilisé. Ce n’est pas pour rien que Sidoine a été appelé le dernier des Romains. “Spes unica rerum, Arverne”. Si Rome n’est pas sauvée par la Gaule, alors c’est la fin du monde ; la barbarie triomphera. C’est le thème du panégyrique.

Le poète aura droit à sa statue de bronze sur le forum de Trajan, à côté de Claudien et de Merobaude ; Claudien, poète officiel de la grandeur romaine, Merobaude qui était un général franc tellement romanisé qu’après avoir manié la francisque, il maniait le vers latin pour la défense et l’exaltation de Rome.

Oh certes, le panégyrique de Sidoine se ressent du style officiel, et du style officiel du Ve siècle, affecté et déclamatoire, à la recherche perpétuelle de l’effet. La phrase sent l’école de rhétorique. Mais, dès qu’apparaît une pensée forte, un sentiment puissant chez Sidoine comme chez tous les autres auteurs de la décadence, le latin retrouve sa vertu naturelle : vigueur des formules bien martelées, et aussi finesse des tournures aux équilibres délicats qui font le ravissement du lecteur dont l’attention se penche sur ces terribles et surtout fastidieuses périodes de décadence. La décadence n’est donc pas totale, loin de là ! Il y a dans l’élite encore une réelle culture, un goût de la civilisation. Une littérature est toujours un témoignage.

Mais il est vrai, Sidoine ne voit pas l’avenir. Il met son unique espoir dans le maintien du passé, et ce passé, il l’a comme rigidifié dans ses formules. Il faut avouer que sa mythologie, ses évocations de l’histoire ne sont plus qu’une froide rhétorique ; il est bien le dernier des poètes et des prosateurs de l’antiquité latine.

Cependant, une autre source d’inspiration jaillit, qu’il ne perçoit pas, du moins pas encore. Alors qu’il gémit sur la barbarie où s’enfonce le monde, un surgeon dans le vieux terreau culturel de la latinité va pousser, et alors qu’il pleure sur une mort qui lui paraît inéluctable, il se produit une naissance qui, à très longue échéance, mais il ne le sait pas, accomplira ses vœux d’homme policé : “l’urbanitas”, la courtoisie qui lui est si chère avec toutes les qualités qui l’accompagnent, reparaîtra, ainsi qu’une pensée forte, latine, gauloise, gallo-romaine, française. Elles vaudront mieux que les mièvreries et les entortillements d’une littérature à bout d’inspiration.

À suivre