mardi 31 août 2021

Histoire militaire de la France, de 1870 à nos jours

 

Hervé Drévillon, professeur d’histoire moderne à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, est directeur de la recherche au Service historique de la Défense et auteur de plusieurs ouvrages d’histoire militaire. Olivier Wieviorka, professeur à l’Ecole normale supérieure de Cachan, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale. C’est sous leur direction qu’une équipe d’historiens a travaillé à la rédaction de cette Histoire militaire de la France publiée en deux tomes par les éditions Perrin en coédition avec le Ministère des Armées.

Le second tome de cette imposante fresque nous conduit de 1870 à nos jours, à travers de puissantes mutations dans la façon de mener les guerres.

Le Professeur Xavier Boniface traite la guerre franco-allemande de 1870-1871, lourde défaite militaire, ainsi que la Commune de Paris qui se termine de façon sanglante. Il est ensuite question de la réorganisation de l’armée, des armées outre-mer, des guerres coloniales et des opérations de pacification, puis de l’implication de l’armée dans la société française, avec le boulangisme, l’affaire Dreyfus et l’affaire des fiches.

Le Professeur François Cochet étudie la Grande Guerre, avec ses évolutions stratégiques et tactiques, mais aussi technologiques. Suit l’examen par Olivier Wieviorka de la période qui s’étend de 1918 à 1945, avec le désastre militaire de 1940 et les différents terrains sur lesquels se battront des Français durant la Seconde Guerre mondiale.

Ensuite, Pierre Journoud aborde les guerres coloniales, de 1945 à 1962. Enfin, Olivier Schmitt passe en revue les mutations de la puissance militaire française de 1962 à nos jours, entre considérations budgétaires et évolutions doctrinales dans la manière de penser la guerre.

Un volume où alternent victoires et défaites, aveuglement et lucidité, grandeur et servitude.

Histoire militaire de la France, De 1870 à nos jours, sous la direction de Hervé Drévillon et Olivier Wieviorka, éditions Perrin, 520 pages, 27 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/histoire-militaire-de-la-france-de-1870-a-nos-jours/99780/

◘ Entretien avec R. Steuckers sur la réception de l’œuvre de J. Evola en Belgique 3/8

 L’influence décisive d’un professeur du secondaire

Eemans évoquait aussi le wagnérisme de son frère Nestor, un wagnérisme hérité d’un professeur de collège, le germaniste Maurits Brants (1853-1940). Brants, qui avait décoré sa classe de lithographies et de chromos se rapportant aux opéras de Wagner, fut celui qui donna à l’adolescent Marc. Eemans le goût de la mythologie, des archétypes et des racines. Pour le Prof. Piet Tommissen, biographe d’Eemans, ce dernier serait devenu un « surréaliste pas comme les autres », du moins dans le landerneau surréaliste belge, parce qu’il avait justement, au fond du cœur et de l’esprit, cet engouement tenace pour les thèmes mythologiques.

Tommissen ajoute qu’Eemans a été marqué, très jeune, par la lecture des dialogues de Platon, de Spinoza et puis des romantiques anglais, surtout Shelley ; comme beaucoup de jeunes gens immédiatement après 1918, il sera également influencé par l’Indien Rabindranath Tagore, lequel, soit dit en passant, était vilipendé dans les colonnes de la Revue Universelle de Paris, comme faisant le lien entre les mondes non occidentaux (et donc non “rationnels”) et le mysticisme pangermaniste d’un Hermann von Keyserling, dérive actualisée du romantisme fustigé par Charles Maurras.

Eemans a souvent revendiqué les influences néerlandaises (hollandaises et flamandes) sur son propre itinéraire intellectuel, dont Louis Couperus et Paul Van Ostaijen. Ce dernier, rappelle fort opportunément Tommissen, avait élaboré un credo poétique, où il distinguait entre la « poésie subconsciemment inspirée » (et donc soumise au pouvoir des mythes) et la « poésie consciemment construite » ; Van Ostaijen appelait ses éventuels disciples futurs à étudier la véritable littérature du peuple thiois des Grands Pays-Bas en commençant par se plonger dans leurs auteurs mystiques. Injonction que suivra le jeune Eemans, qui, de ce fait, se place, à son corps défendant, en porte-à-faux avec un surréalisme cultivant la provocation de « manière consciente et construite » ou ne demeurant, à ses yeux, que « conscient » et « construit ». À l’instigation surtout du deuxième manifeste surréaliste d’André Breton, lancé en 1929, un an après le décès de Van Ostaijen, Eemans explorera d’autres pistes que les surréalistes belges, dont Magritte, ce qui, au-delà des querelles entre personnes et au-delà des clivages politiques / idéologiques, consommera une certaine rupture et expliquera l’affirmation, toujours répétée d’Eemans, qu’il est, lui, un véritable surréaliste dans l’esprit du deuxième manifeste de Breton — qui évoque le poète romantique allemand Novalis — et que les autres n’en ont pas compris la teneur et n’ont pas voulu en adopter les injonctions implicites. Si l’étape abstraite de la “plastique pure” a été une nécessité, une sorte d’hygiène pour sortir des formes stéréotypées et trop académiques de la peinture de la fin du XIXe siècle, le surréalisme ne doit pas se complaire définitivement dans cette esthétique-là. Il doit, comme le préconisait Breton, s’ouvrir à d’autres horizons, jugés parfois “irrationnels”.

Quand Sœur Hadewych hérisse les surréalistes installés

Fidèle au credo poétique de Van Ostaijen, Eemans s’était plongé, fin des années 20, dans l’œuvre mystique de Sœur Hadewych (XIIIe siècle), dont il lira des extraits lors d’une réunion de surréalistes à Bruxelles. L’accueil fut indifférent sinon glacial ou carrément hostile : pour Tommissen, c’est cette soirée consacrée à la grande mystique flamande du moyen âge qui a consommé la rupture définitive entre Eemans et les autres surréalistes de la capitale belge, dont Nougé, Magritte et Scutenaire. Toute l’animosité, toutes les haines féroces qui harcèleront Eemans jusqu’à sa mort proviennent, selon Tommissen, de cette volonté du jeune peintre de faire franchir au surréalisme bruxellois une limite qu’il n’était pas prédisposé à franchir. Pour les tenants de ce surréalisme considéré par Eemans comme « fermé », le jeune peintre de Termonde basculait dans le mysticisme et les bondieuseries, abandonnait ainsi le cadre soi-disant révolutionnaire, communisant, du surréalisme établi : Eemans tombait dès lors, à leurs yeux, dans la compromission (qui chez les surréalistes conduit automatiquement à l’exclusion et à l’ostracisme) et dans l’idéalisme magique ; il trahissait aussi la “révolution surréaliste” avec son adhésion plus ou moins formelle et provocatrice à l’Internationale stalinienne. Pour Eemans, les autres restaient campés sur des positions figées, infécondes, non inspirées par la notion d’Amour selon Dante (à ce propos, cf. notre « Hommage à Marc. Eemans » sur http://marceemans.wordpress.com/ ).

Pour poursuivre leur œuvre de contestation du monde moderne (ou monde bourgeois), les surréalistes, selon Eemans, doivent obéir à une suggestion (diffuse, lisible seulement entre les lignes) de Breton : occulter le surréalisme et s’ouvrir à des sciences décriées par le positivisme bourgeois du XIXe siècle. Breton, en 1929, en appelle à la notion d’Amour, telle que l’a chantée Dante. La voie d’Eemans est tracée : il sera le disciple de Van Ostaijen et du Breton du deuxième manifeste surréaliste de 1929. Pour concrétiser cette double fidélité, il fonde avec René Baert la revue Hermès. Le surréalisme y est « occulté », comme le demandait Breton, mais non abjuré dans sa démarche de fond et sa revendication primordiale, qui est de contester et de détruire le bourgeoisisme établi, et s’ouvre aux perspectives de Dante et de la mystique médiévale néerlandaise et rhénane. Cette situation générale du surréalisme français (et francophone) est résumée succinctement par André Vielwahr, spécialiste de ce surréalisme et professeur de français à la Fordham University de New York : « Le surréalisme éprouvait depuis plusieurs années des difficultés insolubles. Il sombrait sans majesté dans le poncif. L’écriture automatique, l’activité onirique s’étaient soldées par un supplément de “morceaux de bravoure” destinés à relever les œuvres où ils se trouvaient sans jamais fournir la clé capable d’ouvrir indéfiniment cette boîte à multiple fond qui s’appelle l’homme  » (in : S’affranchir des contradictions – André Breton de 1925 à 1930L’Harmattan, 1998, p.339).

Aller au-delà des poncifs et trouver le clé (traditionnelle) qui permet de découvrir l’homme dans sa prolixité kaléidoscopique de significations et de le sortir de toute l’unidimensionnalité en laquelle l’enferme la modernité a été le vœu d’Eemans. Qui fut sans doute, à son corps défendant, l’exécuteur testamentaire de Pierre Drieu la Rochelle qui écrivait le 1er août 1925 une lettre à Aragon pour déplorer la piste empruntée par le mouvement surréaliste : Drieu reconnaissait que les surréalistes avaient eu , un moment, le sens de l’absolu, « que leur désespoir avait sonné pur », mais qu’ils avaient renié leur intransigeance et, surtout, qu’ils « avaient rejoint des rangs » et n’étaient pas « partis à la recherche de Dieu » (A. Vielwahr, op. cit., pp. 66-67). Aragon avait reproché à Drieu que s’être laissé influencé par les gens d’Action Française, qui étaient, disait-il, « des crapules ». En quémandant humblement la lecture des écrits mystiques de Sœur Hadewych, Eemans, jeune et candide, s’alignait peu ou prou sur les positions de Drieu, qu’il ne connaissait vraisemblablement pas à l’époque, des positions qui avaient hérissé les « partisans alignés du surréalisme des poncifs ». Notons qu’Eemans travaillera sur les rêves et sur l’écriture automatique, notamment à proximité d’Henri Michaux, qui sera, un moment, le secrétaire de rédaction d’Hermès. Il reste encore à tracer un parallèle entre la démarche d’Eemans et celles d’Antonin Artaud, Georges Bataille, Michel Leiris et Roger Caillois. Mais c’est là un travail d’une ampleur considérable…

Eemans m’a souvent parlé de sa revue des années 30, Hermès. Il en possédait encore une unique collection complète. Hermès était une revue de philosophie, axée sur les alternatives au rationalisme et au positivisme modernes, dans une perspective apparemment traditionnelle ; en réalité, elle recourrait sans provocation à des savoirs fondamentalement différents de ceux qui structuraient un présent moderne sans relief et, partant, elle présentait des savoirs qui étaient beaucoup plus radicalement subversifs que les provocations dadaïstes ou les gestes des surréalistes établis : pour être un révolutionnaire radical, il fallait être un traditionnaliste rigoureux, frotté aux savoirs refoulés par la sottise moderne. Hermès voulait sortir du “carcan occidental” que dénonçaient tout à la fois les surréalistes et les traditionalistes, mais en abandonnant les postures provocatrices et en se plongeant dans les racines oubliées de traditions pouvant offrir une véritable alternative. Pour trouver une voie hors de l’impasse moderne, Eemans avait sollicité une quantité d’auteurs mais l’originalité première d’Hermès, dans l’espace linguistique francophone, a été de se pencher sur les mystiques médiévales flamandes et rhénanes.

À suivre

Laurent de Médicis | Les Médicis: le pouvoir en héritage Part. 1.

Qui écrivait et qui lisait au Moyen Âge?

◘ Entretien avec R. Steuckers sur la réception de l’œuvre de J. Evola en Belgique 2/8

 Je rencontre Eemans dans une Galerie de la Chaussée de Charleroi

Tout cela a, vaille que vaille, formé un petit réseau. Mais il faut avouer, avec le recul, qu’il n’a pas véritablement fonctionné, mis à part des échanges épistolaires et quelques contributions à Totalité (une recension, un seul article et une traduction en ce qui me concerne…). Rapidement, G. Gondinet deviendra le seul maître d’œuvre de l‘initiative, en prenant en charge tout le boulot et en recrutant de nouveaux collaborateurs, dont celle qui deviendra son épouse, Fabienne Pichard du Page.

Lorsqu’il revenait de Suisse à Bruxelles, en passant par Paris, Cologne faisait office de messager. Il nous racontait surtout les mésaventures des cercles suisses autour du NOS (Nouvel Ordre Social) et de la revue Le Huron, qu’il animait là-bas avec d’autres. Ainsi, en 1978, par un coup de fil, Cologne m’annonce avec fracas, avec ce ton précipité et passionné qui le caractérisait en son jeune temps, qu’il avait pris contact avec un certain Marc. Eemans, peintre surréaliste, historien de l’art et détenteur de savoirs voire de secrets des plus intéressants. À peine rentré dans la “mouvance”, j’ai tout de suite eu envie de la sortir de ses torpeurs et de ses ritournelles : alors, vous pensez, un “surréaliste”, un artiste qui, de plus, exposait officiellement ses œuvres dans une galerie de la Chaussée de Charleroi, voilà sans nul doute l’aubaine que nous attendions, Derriks et moi. J’étais à Wezembeek-Oppem quand j’ai réceptionné le coup de fil de Cologne : j’ai sauté sur mes 2 jambes, couru à l’arrêt de bus et foncé vers la Chaussée de Charleroi, ce qui n’était pas une mince affaire à l’époque du “30” qui brinquebalait bruyamment, crachant de noires volutes de mazout, dans toutes les rues et ruelles de Wezembeek-Oppem avant d’arriver à Tomberg, première station de métro en ce temps-là. Il faisait déjà sombre quand je suis arrivé à la Galerie, Chaussée de Charleroi. Eemans était seul au fond de l’espace d’exposition ; il lisait, comme je l’ai déjà expliqué, « le nez chaussé de lunettes à grosses montures d’écaille noire ».

Âgé de 71 ans à l’époque, Eemans m’a accueilli gentiment, comme un grand-père affable, heureux qu’Evola ait de jeunes lecteurs en Belgique, ce qui lui permettrait d’étoffer son projet : prendre le relais de Jef Vercauteren, décédé depuis 5 ans, sans laisser de grande postérité en pays flamand. Cologne disparu, amorçant sa “vie cachée” qui durera plus de 20 ans, le groupe bruxellois n’a pratiquement plus entretenu de liens avec l’antenne française du réseau Culture & Liberté. Il restait donc lié à Eemans seul et à ses initiatives. Gondinet, bien épaulé par F. Pichard du Page, lancera RebisL’Âge d’orKalki et les éditions Pardès (avec leurs diverses collections, dont “B-A-BA” et “Que lire ?”). Baillet continuera à traduire des ouvrages italiens (dont un excellent ouvrage de Claudia Salaris sur l’aventure de d’Annunzio à Fiume) puis participera à la revue Politica Hermetica et fera un passage encore plus bref que le mien au secrétariat de rédaction de Nouvelle École, la revue de l’inénarrable de Benoist (cf. infra). Et les autres s’éparpilleront dans des activités diverses et fort intéressantes.

Q. : Parlez-nous davantage de Marc. Eemans…

Eemans a donc lancé son Centro Studi Evoliani, que nous suivions avec intérêt. La tâche n’a pas été facile : Eemans se heurtait à une difficulté majeure ; en effet, comment importer le corpus d’un penseur traditionaliste italien, de surcroît ancien de l’avant-garde dadaïste de Tristan Tzara, dans un contexte belge qui ignorait tout de lui. Quelques livres seulement étaient traduits en français mais rien, par ex., de son œuvre majeure sur le bouddhisme, La doctrine de l’Éveil. En néerlandais, il n’y avait rien, strictement rien, sinon quelques reprints tirés à la hâte et en très petites quantités à Anvers : il s’agissait des éditions allemandes de ses ouvrages, dont Heidnischer Imperialismus. En français, l’œuvre n’était que très incomplètement traduite et nous n’avions aucun travail sérieux d’introduction à celle-ci, à part un excellent essai de Philippe Baillet (« Julius Evola ou l’affirmation absolue »), paru d’abord comme cahier, sous la houlette du Centro Studi Evoliani français, dirigé par Léon Colas. Ni Boutin ni Lippi n’avaient encore sorti leurs thèses universitaires solidement charpentées sur Evola. Gondinet et Cologne, dans le cadre de leur Cercle Culture & Liberté n’avaient édité que quelques bonnes brochures et les tout premiers numéros de Totalité étaient fort artisanaux, faute de moyens.

En fait, Eemans n’avait pas de véritable public, ne pouvait en trouver un en Belgique, en une telle époque de matérialisme et de gauchisme, où les grandes questions métaphysiques n’éveillaient plus le moindre intérêt. Mais il n’a pas reculé : il a organisé ses réunions avec régularité, même si elles n’attiraient pas un grand nombre d’intéressés. Au cours de l’une de celle-ci, j’ai présenté un article de Giorgio Locchi sur la notion d’empire, paru dans Nouvelle École, la revue d’A. de Benoist. Dans la salle, il y avait Pierre Hubermont, l’écrivain prolétarien et communiste d’avant-guerre, auteur de Treize hommes dans la mine, ouvrage couronné d’un prix littéraire à la fin des années 20. Hubermont, comme beaucoup de militants ouvriers communistes de sa génération, avait été dégoûté par les purges staliniennes, par la volte-face des communistes à Barcelone pendant la guerre civile espagnole, où ils avaient organisé la répression contre les socialistes révolutionnaires du POUM et contre les anarchistes. Mais Hubermont ne choisit pas l’échappatoire facile d’un trotskisme figé et finalement à la solde des services anglais ou américains : il tâtonne, trouve dans le néo-socialisme de De Man des pistes utiles.

Pendant la seconde conflagration intereuropéenne, Hubermont se retrouve à la tête de la revue Wallonie, qui préconise un socialisme local, adapté aux circonstances des provinces industrielles wallonnes, dans le cadre d’un “internationalisme” non plus abstrait mais découlant de l’idée impériale, rénovée, en ces années-là, par l’européisme ambiant, notamment celui véhiculé par Giselher Wirsing. Hubermont était heureux qu’un gamin comme moi eût parlé de l’idée impériale et, avec une extrême gentillesse, m’a prodigué des conseils. D’autres fois, le Professeur Piet Tommissen est venu nous parler de Carl Schmitt et de Vilfredo Pareto. Une dame est également venue nous lire des textes de Heidegger, à l’occasion de la parution du livre de Jean-Michel Palmier, Les écrits politiques de Heidegger. Les thèmes abordés à la tribune du Centro Studi Evoliani n’étaient donc pas exclusivement “traditionalistes” ou “évoliens”.

Eemans lance également l’édition d’une série de petites brochures et, plus tard, nous bénéficierons de l’appui généreux de Salvatore Verde, haut fonctionnaire italien de ce qui futla CECA et futur directeur de la revue italienne Antibancor, consacrée aux questions économiques et éditée par les Edizioni di Ar (cette revue éditera notamment en version italienne une de mes conférences à l’Université d’été 1990 du GRECE sur les “hétérodoxies” en sciences économiques, que l’inénarrable de Benoist n’avait bien entendu pas voulu éditer, en même temps que d’autres textes, de Nicolas Franval et de Bernard Notin, sur les “régulationnistes” ; je précise qu’il s’agissait de la “cellule” mise sur pied à l’époque par le GRECE pour étudier les questions économiques). Toutes les activités du Centro Studi Evoliani de Bruxelles ne m’ont évidemment laissé que de bons souvenirs.

Q. : Mais qui fut Eemans au-delà de ses activités au sein du Centro Studi Evoliani ?

J’ai très vite su qu’Eemans avait été, après guerre, un véritable encyclopédiste des arts en Belgique. Plusieurs ouvrages luxueux sur l’histoire de l’art sont dus à sa plume. Ils ont été écrits avec grande sérénité et avec le souci de ménager toutes les susceptibilités d’un monde foisonnant, où les querelles de personnes sont légion. Ces livres font référence encore aujourd’hui. Dans un coin de son salon, où était placé un joli petit meuble recouvert d’une plaque de marbre, Eemans gardait les fichiers qu’il avait composés pour rédiger cette œuvre encyclopédique. Toutefois, il n’en parlait guère. Il m’a toujours semblé que la rédaction de ces ouvrages d’art appartenait pour lui à un passé bien révolu, pourtant plus récent que l’aventure de la revue Hermès, qui ne cessait de le hanter. J’aurais voulu qu’il m’en parle davantage car j’aurais aimé connaître le lien qui existait entre cette peinture et ces avant-gardes et les positions évoliennes qu’il défendait fin des années 70, début des années 80. J’aurais aimé connaître les étapes de la maturation intellectuelle d’Eemans, selon une chronologie bien balisée : je suis malheureusement resté sur ma faim. Apparemment, il n’avait pas envie de répéter inlassablement l’histoire des aventures intellectuelles qu’il avait vécues dans les années 10, 20 et 30 du XXe siècle, et dont les protagonistes étaient presque tous décédés. Au cours de nos conversations, il rappelait que, comme bon nombre de dadaïstes autour de Tzara et de surréalistes autour de Breton, il avait eu son “trip” communiste et qu’il avait réalisé un superbe portrait de Lénine, dont il m’a plusieurs fois montré une vignette. Il a également évoqué un voyage à Londres pour aller soutenir des artistes anglais avant-gardistes, hostiles à Marinetti, venu exposer ses thèses futuristes et machinistes dans la capitale britannique : le culte des machines, disaient ces Anglais, était le propre d’un excité venu d’un pays non industriel, sous-développé, alors que tout avant-gardiste anglais se devait de dénoncer les laideurs de l’industrialisation, qui avait surtout frappé le centre géographique de la vieille Angleterre.

À suivre

Entretien avec R. Steuckers sur la réception de l’œuvre de J. Evola en Belgique 1/8

 Q. : Monsieur Steuckers, comment avez-vous découvert Julius Evola ? Quand en avez-vous entendu parler pour la première fois ?

RS : Dans la Librairie Devisscher, au coin de la rue Franz Merjay et de la Chaussée de Waterloo, dans le quartier “Ma Campagne”, à cheval sur Saint-Gilles et Ixelles. “Frédéric Beerens”, un camarade d’école, un an plus âgé que moi, avait découvert Les hommes au milieu des ruines dans cette librairie, l’avait lu, et m’en avait parlé tandis que nous faisions la queue pour commander d’autres ouvrages ou quelques manuels scolaires. Ce fut la toute première fois que j’entendis prononcer le nom d’Evola. J’avais 17 ans. Nous étions en septembre 1973 et nous étions tout juste revenus d’un voyage scolaire en Grèce.

Pour Noël, le Comte Guillaume de Hemricourt de Grünne, le patron de mon père, m’offrait toujours un cadeau didactique : cette année-là, pour la première fois, j’ai pu aller moi-même acheter les livres que je désirais, muni de mon petit budget. Je me suis rendu en un endroit qui, malheureusement, n’existe plus à Bruxelles, la grande librairie Corman, et je me suis choisi 3 livres : L’État universel d’Ernst Jünger, Un poète et le monde de Gottfried Benn et Révolte contre le monde moderne de Julius Evola. L’année 1973 fut, rappelons-le, une année charnière en ce qui concerne la réception de l’œuvre d’Evola en Italie et en Flandre : tour à tour Adriano Romualdi, disciple italien d’Evola et bon connaisseur de la Révolution conservatrice allemande grâce à sa maîtrise de la langue de Gœthe, décéda dans un accident d’auto, tout comme le correspondant flamand de Renato del Ponte et l’animateur d’un Centro Studi Evoliani en Flandre, Jef Vercauteren. Je n’ai forcément jamais connu Jef Vercauteren et, là, il y a eu une rupture de lien, fort déplorable, entre les matrices italiennes de la mouvance évolienne et leurs antennes présentes dans les anciens Pays-Bas autrichiens.

Je dois vous dire qu’au départ, la lecture de Révolte contre le monde moderne nous laissait perplexes, surtout Beerens, le futur médecin chevronné, féru de sciences biologiques et médicales : on trouvait que trop d’esprits faibles, après lecture de ce classique, se laisseraient peut-être entrainer dans une sorte de monde faussement onirique ou acquerraient de toutes les façons des tics langagiers incapacitants et “ridiculisants” (à ce propos, on peut citer l’exemple d’un Arnaud Guyot-Jeannin, tour à tour fustigé par Philippe Baillet, qui lui reprochait l’« inculture pédante du Sapeur Camember », ou par Christopher Gérard, qui le traitait d’« aliboron » ou de « chaouch »). Une telle dérive, chez les aliborons pédants, est évidemment tout à fait possible et très aisée parce qu’Evola présentait à ses lecteurs un monde très idéal, très lumineux, je dirais, pour ma part, très “archangélique” et “michaëlien”, afin de faire contraste avec les pâles figures subhumaines que génère la modernité ; aujourd’hui, faut-il s’empresser de l’ajouter, elle les génère à une cadence accélérée, Kali Yuga oblige. L’onirisme fait que bon nombre de médiocres s’identifient à de nobles figures pour compenser leurs insuffisances (ou leurs suffisances) : c’est effectivement un risque bien patent chez les évolomanes sans forte épine dorsale culturelle.

Mais, chose incontournable, la lecture de Révolte... marque, très profondément, parce qu’elle vous communique pour toujours, et à jamais, le sens d’une hiérarchie des valeurs : l’Occident, en optant pour la modernité, a nié et refoulé les notions de valeur, d’excellence, de service, de sublime, etc. Après lecture de Révolte..., on ne peut plus que rejeter les anti-valeurs qui ont refoulé les valeurs impérissables, sans lesquelles rien ne peut plus valoir quoi que ce soit dans le monde.

“Révolte...” et la notion de numineux

Plus tard, Révolte... satisfera davantage nos aspirations et nos exigences de rigueur, tout simplement parce que nous n’avions pas saisi entièrement, au départ, la notion de “numineux”, excellemment mise en exergue dans le chapitre 7 du livre et que je médite toujours lorsque je longe un beau cours d’eau ou quand mes yeux boivent littéralement le paysage à admirer du haut d’un sommet, avec ou sans forteresse (dans l’Eifel, les Vosges, le Lomont, le Jura ou les Alpes ou dans une crique d’Istrie ou dans un méandre dela Moselle ou sur les berges dela Meuseou du Rhin). Masques et visages du spiritualisme contemporain nous a apporté une saine méfiance à l’endroit des ersatz de religiosité, souvent made in USA, alternatives très bas de gamme que nous fait miroiter un XXe siècle à la dérive : songeons, toutefois dans un autre contexte, à la multiplication des temples scientologiques, évangéliques, etc. ou à l’emprise des Témoins de Jéhovah sur des pays catholiques comme l’Espagne ou l’Amérique latine, qui, de ce fait, subissent une subversion sournoise, disloquant leur identité politique.

Nous n’avons découvert le reste de l’œuvre d’Evola que progressivement, au fil du temps, avec les traductions françaises de Philippe Baillet mais aussi parce que les latinistes de notre groupe, dont le regretté Alain Derriks et moi-même, commandaient les livres non traduits du Maître aux Edizioni di Ar (Giorgio Freda) ou aux Edizioni all’Insegno del Veltro (Claudio Mutti). Je crois n’avoir atteint une certaine (petite) maturité évolienne qu’en 1998, quand j’ai été amené à prendre la parole à Vienne en cette année-là, et à Frauenfeld, près de Zürich, en 1999, respectivement pour le centième anniversaire de la naissance d’Evola et pour le XXVe anniversaire de son absence. L’idée centrale est celle de “l’homme différencié”, qui pérégrine, narquois, dans un monde de ruines. Evola nous apprend la distance, à l’instar de Jünger, avec sa figure de “l’anarque”.

Q. : Quelques années plus tard, la revue Totalité sera la première, dans l’espace linguistique francophone, à publier régulièrement des textes d’Evola. De Totalité émergeront une série de revues, telles RebisKalkiL’Âge d’Or, puis les éditions Pardès. Comment tout cela a-t-il été perçu en Belgique à l’époque ?

Le coup d’envoi de cette longue série d’initiatives, qui nous ramène à l’actualité éditoriale que vous évoquez, a été, à Bruxelles du moins, une prise de parole de Daniel Cologne et Georges Gondinet, dans une salle de l’Helder, rue du Luxembourg, à un jet de pierre de l’actuel Parlement Européen, qui n’existait pas à l’époque. C’était en octobre 1976. Depuis, le quartier vit à l’heure de la globalisation, échelon “Europe”, Europe “eurocratique” s’entend. À l’époque, c’était un curieux mixte : fonctionnaires de plusieurs ministères belges, étudiants de l’école de traducteurs / interprètes (dont j’étais), derniers résidents du quartier se côtoyaient dans les estaminets de la Place du Luxembourg et, dans les rues adjacentes, des hôteliers peu regardants louaient des chambres de “5 à 7” pour bureaucrates en quête d’érotisme rapide camouflé en “heures supplémentaires”, tout cela en face d’un vénérable lycée de jeunes filles, qui faisait également fonction d’école pour futures professeurs féminins d’éducation physique (le “Parnasse”). En arrière-plan, la gare dite du Quartier Léopold ou du Luxembourg, vieillotte et un peu sordide, flanquée d’un bureau de poste crasseux, d’où j’ai envoyé quantité de mandats dans le monde pour m’abonner à toutes sortes de revues de la “mouvance” ou pour payer mes dettes auprès du bouquiniste nantais Jean-Louis Pressensé. En cette soirée pluvieuse et assez froide d’octobre 1976, D. Cologne et G. Gondinet étaient venus présenter leur Cercle Culture & Liberté, à l’invitation de Georges Hupin, animateur du GRECE néo-droitiste à l’époque. Dans la salle, il y avait le public “nouvelle droite” habituel mais aussi Gérard Hupin, éditeur de La Nation Belge et, à ce titre, héritier de Fernand Neuray, le correspondant belge de Charles Maurras (Georges Hupin et D. Cologne étaient tous 2 collaborateurs occasionnels de La Nation Belge). Maître Gérard Hupin était flanqué du Général Janssens, dernier commandant de la “Force Publique” belge du Congo. J’étais accompagné d’Alain Derriks, qui deviendra aussitôt le correspondant belge du Cercle Culture & Liberté. Les contacts étaient pris et c’est ainsi qu’en 1977, je me retrouvai, pour représenter en fait Derriks, empêché, à Puiseaux dans l’Orléanais, lors de la journée qui devait décider du lancement de la revue Totalité. Il y avait là D. Cologne (alors résident à Genève), Jean-François Mayer (qui fera en Suisse une brillante carrière de spécialiste ès religions), Éric Vatré de Mercy (à qui l’on devra ultérieurement quelques bonnes biographies d’auteurs), Philippe Baillet (traducteur d’Evola) et G. Gondinet (futur directeur des éditions Pardès et, en cette qualité, éditeur de Julius Evola)

À suivre

lundi 30 août 2021

Immigration et écologie

 Une politique d'immigration a des effets néfastes sur l'équilibre écologique, la surconsommation, la démographie mondiale et l'environnement.

De nombreux aspects qui, par aveuglement humanitaire ou idéologique, ne sont pas abordés, sont les conséquences, sur l'écologie, d'une politique d'immigration des habitants du tiers monde vers les pays développés.

Un des plus grands défis qui se pose à l'humanité est la réduction de la natalité globale (on a chaque année 90 millions d'individus supplémentaires). La population mondiale atteindra 12 milliards d'individus dans cinquante ans. Les ressources alimentaires et énergétiques ne suivront pas cette croissance démographique et il est à craindre que l'humanité n'arrive plus à satisfaire ses nouveaux besoins.

Or, toute politique d'immigration favorise la natalité des habitants des pays émigrants. En effet, les immigrés bénéficient dans les pays d'accueil d'allocations familiales et de logement qui favorisent les naissances et peuvent être même leur unique source de revenus (ces familles se retrouvant dans l'obligation d'avoir perpétuellement de nombreux enfants, leur raison sociale et économique d'exister, le prestige d'un père de famille pouvant être le fait de posséder une nombreuses progéniture, plus que le travail).

En acceptant les excédents de population de ces pays, les Occidentaux n'incitent pas ceux-ci à réduire leur natalité puisqu'ils envoient l'excès de leur population en Europe ou en Amérique du Nord.

On a heureusement l'exemple de la Chine qui a fait de gros efforts pour réduire sa natalité et n'a pas, jusqu'à maintenant, cherché à exporter vers l'extérieur une démographie qui aurait pu être galopante.

L'immigration réduit à néant cet équilibre des naissances qui s'était passé sans coercition dans les pays européens (avec deux enfants au moins par famille).

Les habitants d'Europe, avec l'arrivée d'immigrés, se sentant menacés démographiquement dans leur propre pays, peuvent même par réaction augmenter leur natalité.

L'immigration favorise la consommation puisque les immigrants épousent très vite les habitudes de consommation des pays développés, ce qui a pour effet de polluer un peu plus la planète, alors que les habitudes de consommation occidentale ne devraient plus être un modèle pour le reste de l'humanité. Quand ils retournent chez eux durant leurs vacances, ils propagent ce mode de vie à grande consommation. L'immigration implique aussi un effet d'entassement et de surpopulation dans des mégapoles déjà saturées avec tous les effets néfastes de pollution supplémentaire aggravante et même dangereuse sur la nature et l'esthétique des banlieues autour de ces grandes villes. A ceci s'ajoutent tous les phénomènes inévitables de drogue, violence, délinquance, affrontements entre populations d'origines diverses en plus de nouvelles émissions de produits polluants, actuellement très nocives pour les citadins des grandes villes.

Après avoir constaté toutes ces nuisances écologiques : natalité mondiale favorisée, surconsommation aggravée, destruction de l'environnement des pays d'accueil, les pays occidentaux doivent stopper leur politique d'immigration (et pourquoi pas favoriser l'aide au retour), inciter au contrôle des naissances des pays émigrants tout en les aidant à subvenir à leurs besoins alimentaires locaux. Cette politique mondiale concourra à limiter les effets dévastateurs d'une démographie galopante et d'une surconsommation généralisée. Les pays occidentaux qui ont de façon naturelle déjà contrôlé leur natalité, quant à eux, doivent faire l'effort d'une consommation moins néfaste pour l'environnement.

La vision et la pensée nationales non seulement ne s'opposent pas, mais au contraire sont complémentaires d'une politique écologique mondiale, les intérêts nationaux pouvant être en phase avec ceux de l'espèce humaine.

Il ne faudrait pas ainsi que l'on se trouve dans une situation perverse, où les pays européens paient pour une politique d'immigration qui détruise leurs pays et participe à la destruction de la planète.

Patrice Gros-Suaudeau

L'arbre des Sephiroth et le livre de la création - Kabbale et Symbolisme

Evola et Nasser

 En poursuivant une recherche dont nous avons donné les premiers résultats il y a quelques années dans un essai inclus dans notre livre Avium voces (Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 1998, pp. 67-87), dans le numéro de juin du bulletin informatique La Nazione Eurasia (numéro spécial pour le trentenaire de la mort de Julius Evola) nous avons publié un essai intitulé Evola et l’Islam. De la tentative de reconstruire organiquement la vision évolienne de la tradition islamique a résulté un cadre qui, s’il apparaît parfois inexact dans quelques détails et souvent conditionné par une perspective plutôt personnelle, constitue toutefois, en fin de compte, une représentation inspirée par la reconnaissance évolienne de ce qu’est essentiellement l’islam : une manifestation de l’esprit traditionnel dont on ne peut pas négliger la « révolte contre le monde moderne ».

À cet essai, auquel nous renvoyons de toute façon le lecteur, se rattache le présent article, qui est né de la récente redécouverte d’un article d’Evola sur l’« émancipation de l’islam », inclus dans le recueil I testi del Meridiano d’Italia (Edizioni di Ar, Padova 2003, pp. 217-219). L’article remonte à une époque, les années 50, où les milieux fascistes italiens maintenaient encore vivant le souvenir de la position philo-arabe et philo-islamique assumée par l’Italie au cours du Ventennio (1), ainsi que de la solidarité qui durant les années du conflit mondial s’était instaurée entre les forces de l’Axe et des mouvements indépendantistes du monde musulman (2). D’Ailleurs le Manifeste de Vérone, auquel continuait à se référer une grande partie des militants du fascisme de l’après-guerre, avait indiqué parmi les points essentiels de la politique étrangère de la RSI le « respect absolu des peuples parmi les musulmans qui, comme l’Égypte, sont déjà civilement et rationnellement organisés ».

Et de fait en Égypte, dans les années 50, la révolution des Officiers Libres, après avoir chassé le roitelet fantoche (ami du roi savoyard traître et fugitif), proclama la république, abolit la partitocratie, entama un vaste programme de réformes, nationalisa le capital étranger, expulsa les Britanniques du Canal de Suez, refusa les alliances militaires fonctionnelles de la domination impérialiste, accorda asile et aide aux exilés du Troisième Reich, s’engagea à construire un socialisme national qui, dans la perspective géopolitique nassérienne de l’unité de la Nation Arabe, aurait dû devenir un véritable socialisme panarabe, basé sur les fondations spirituelles fournies par l’islam. Et lorsqu’en 1956, suite à la nationalisation du Canal de Suez, l’Égypte dut faire face à l’agression anglo-franco-sioniste (3), beaucoup de ceux qui avaient combattu avec une conscience de soldat politique contre les « ploutocraties démocratiques de l’Occident » virent dans l’Égypte une nouvelle ligne de front contre les ennemis de toujours et manifestèrent leur solidarité vis-à-vis du peuple égyptien et de son Raïs, Gamal Abd el-nasser (4).

Julius Evola, qui à l’époque collaborait activement avec les organes de presse du soi-disant « alignement national », publia le 3 Mars 1957 dans le Meridiano d’Italia (dirigé par Franco Maria Servello) un article intitulé « L’émancipation de l’islam est la voie vers le communisme » (5) ; le même article, avec quelque virgules en plus et quelque points-virgules en moins, fut reproposé le 25 juin 1958 aux lecteurs du Roma de Naples.

Avant tout, écrit Evola, « nos milieux nationaux », qui regardent avec sympathie « les mouvements irrédentistes des peuples arabes et les mêmes initiatives égyptiennes », commettent l’erreur d’attaquer aveuglément le colonialisme, « en oubliant qu’hier il se rattachait au principe même de l’hégémonie de la race blanche ». En second lieu, poursuit-il, « le danger est assez évident que les dits mouvements d’indépendance finissent de manière naturelle dans les eaux du communisme » ; et l’Égypte nassérienne, selon Evola, serait la plus avancée sur cette route dangereuse. Aux positions représentées par le nassérisme et les autres mouvements de libération du monde musulman, Evola oppose « l’islam orthodoxe », qui, à son avis, « est encore défendu par l’Arabie saoudite et par l’organisation des Frères Musulmans », même si ces derniers ont inclus dans leur programme des « idées sociales réformistes et radicales très poussées ».

« Quandoque bonus dormitat… Julius » — ce serait le cas de le dire, en paraphrasant le proverbe connu. Au contraire, le bon Evola devait vraiment dormir sérieusement pour faire des affirmations de ce genre, lui qui vingt ans auparavant avait développé sur le caractère problématique de la « suprématie de la race blanche » (6) des considérations bien plus profondes et plus cohérentes avec l’essence de sa pensée. Aussi il est difficile de comprendre comment Evola pouvait reconnaître l’orthodoxie islamique dans un pays comme l’Arabie saoudite, gouverné par une tendance (la wahabite) qui dans tout le monde de l’islam, soit sunnite soit chiite, a toujours été considérée comme sectaire et hérétique par la majorité. De plus il est vraiment étrange que même un chercheur comme Evola, beaucoup plus au courant que tant d’autres quant à l’arrière-scène de l’histoire, négligeait le fait que l’Arabie saoudite était née des opérations plus ou moins occultes de l’Angleterre, intéressée à fomenter le nationalisme arabe contre la Turquie et à se garantir un contrôle sur la péninsule arabique. Comme si cela ne suffisait pas, vers la fin des années 50 la monarchie saoudite était un pion de premier ordre du nouvel impérialisme mondial : celui des États-Unis. Mais Evola — il est cruel de devoir se rappeler de certaines limites de sa pensée — avait établi que l’Occident capitaliste était, non certes « du point de vue des idées », mais plutôt par une reconnaissance tactique des circonstances contingentes, le « moindre mal » (7). L’ennemi principal, comme on le sait, était pour lui le communisme, qui, malgré l’évidence de la situation configurée à Yalta, était vu par beaucoup, également de bonne foi, comme un risque réel. Et l’obsession du communisme l’induisit aussi, comme tant d’autres, à voir le danger communiste même là où il ne se trouvait pas : comme, justement, dans l’Égypte de Nasser, où le parti communiste était mis à l’index et où ses dirigeants, qui généralement étaient juifs, étaient mis hors d’état de nuire !

Dans l’article cité apparaît par contre un point plus digne de considération, que l’auteur tient lui-même pour « essentiel » et qui est formulé dans les termes suivants, souligné en caractères italiques : « ces mêmes peuples islamiques ne se rendent indépendants de l’Occident qu’en s’occidentalisant, c’est-à-dire en subissant spirituellement et culturellement l’invasion occidentale ». C’est-à-dire qu’« ils ne s’émancipent matériellement qu’en abandonnant dans une large mesure leurs propres traditions et en se transformant en copies plus ou moins imparfaites des États occidentaux ».

Maintenant, si Evola avait tort lorsqu’il exprimait la crainte que l’occidentalisation pousserait les pays musulmans dans les bras du communisme, il avait par contre raison lorsqu’il observait que l’émancipation politique des pays musulmans coloniaux s’accompagnait souvent de l’adoption d’éléments culturels étrangers à la culture islamique.

Ce qu’Evola ne réussissait pas à apercevoir dans le panorama de la fin des années 50, c’était les énormes potentialités de l’islam, qui, une vingtaine d’années plus tard, se seront manifestées dans un véritable « réveil » et auront conduit des avant-gardes et des peuples musulmans à mettre de côté les idéologies importées et à se tourner à nouveau vers le modèle inspirateur de la Tradition.

 Claudio Mutti, 2005. Texte repris dans : Evola envers et contre tous, avatar, 2010.

[version italienne]

Notes

  • (1) Sur les rapports entre le fascisme et le monde islamique, voir Enrico Galoppini, Il Fascismo e l’Islam, Parme, 2001.
  • (2) Cf. Stefano Fabei, Guerra santa nel Golfo, Parme 1990 ; Manfredi Martelli, Il Fascio e la Mezzaluna, Rome, 2003.
  • (3) Cf. Gianfranco Peroncini, La guerra di Suez, Parme 1986.
  • (4) Parmi ceux qui dans le socialisme national nassérien reconnurent une des formes de fascisme de l’après-guerre, il y eut Maurice Bardèche, dont nous rapportons ici quelques extraits : « ‘Relève la tête, mon frère, car les jours d’humiliation sont passés’. Cette phrase qui eût convenu à l’Allemagne de 1934, c’est par elle que Nasser annonçait sur les murs du Caire en 1954 l’avènement d’une ère nouvelle. À vingt ans de distance, un autre peuple brisait ses chaînes (…) la structure de la république d’Égypte reproduit les caractères de la structure politique fasciste. Le chef de l’État réunit entre ses mains les différents pouvoirs (…) les partis politiques sont dissous et le contact est maintenu avec le peuple par l’intermédiaire d’un parti unique, l’Union Nationale. (…) Mais en regardant mieux encore, nous trouvons dans le régime de Nasser des traits déjà visibles dans le fascisme d’avant guerre. En particulier ce caractère du fascisme (…) que l’inspirateur d’un mouvement fasciste porte en lui-même et fait porter à son peuple une certaine image de l’homme qui commande une certaine image du monde. Il y a dans tout fascisme une morale et une esthétique (…) Cette mystique fasciste, Nasser et ses amis l’ont trouvée dans l’Islam (…) Dans le Coran il y a quelque chose de guerrier et de fort, quelque chose de viril, quelque chose de romain pour ainsi dire. C’est pourquoi Nasser est si bien compris des Arabes ; il leur parle la langue que parle leur race au fond d’eux-mêmes. » (M. Bardèche, Qu'est-ce que le fascisme ?, Les Sept Couleurs 1962 ; rééd. Pythéas 1995, pp. 121-127).
  • (5) Repris dans : J. Evola, I testi del Meridiano d’Italia, Padoue, 2002, pp. 217-219.
  • (6) J. Evola, « Il problema della supremazia della razza bianca », in : Lo Stato, juillet 1936 ; repris dans J. Evola, Lo Stato (1934-1943), Rome, 1995, pp. 151-160.
  • (7) J. Evola, Orientamenti : Undici punti, Padoue, 2000, p. 24.

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/28

Idéalisme pratique – Le plan Kalergi pour détruire les peuples européens

 

Le comte Richard Coudenhove-Kalergi (1894-1975), homme politique, essayiste, historien et philosophe, né d’un père austro-hongrois et d’une mère japonaise, est l’un des premiers à avoir proposé un projet moderne d’union européenne selon une vision mondialiste, immorale, nomade et métissée.

Son livre Idéalisme pratique fut publié pour la première fois en 1925. Surnommé “le plan Kalergi”, ce livre oppose l’homme rural, qui transmet à ses descendants des traits physiques, psychiques et spirituels semblables, marqués par la fidélité, la piété, le sens de la famille, la constance, l’obstination, la rigueur, à l’homme urbain et métissé qu’il présente comme le modèle du futur. “L’humain du lointain futur sera un métis (…) La race du futur, négroïdo-eurasienne, d’apparence semblable à celle de l’Egypte ancienne, remplacera la multiplicité des peuples“, prédit Coudenhove-Kalergi.

L’auteur est par ailleurs fasciné par les Juifs qu’il voit en leaders de l’humanité urbaine, appelés à être les protagonistes du capitalisme comme de la révolution. Coudenhove-Kalergi s’enthousiasme : “Les émissaires principaux de la noblesse cérébrale, du capitalisme, du journalisme, de la littérature, qu’elle soit corrompue ou intègre, sont des Juifs. La supériorité de leur esprit les prédestine à devenir l’un des éléments les plus importants de la noblesse du futur.”

Par ailleurs, le modèle de société promu par Coudenhove-Kalergi, très en avance sur son temps – rappelons que l’ouvrage est publié en 1925 -, repose sur ce qu’il décrit comme l’amour libre et l’eugénisme érotique. Nul doute qu’il serait ravi par le monde décadent et mortifère d’aujourd’hui… Et son chapitre sur “la mission technique mondiale de l’Europe” associée à l’esprit prométhéen laisse percevoir les prémices du transhumanisme que l’on nous met en place !

Tout l’ouvrage est surprenant, élaborant froidement les contours du monde qu’il anticipe, comme le fait aujourd’hui à son tour un certain Jacques Attali à travers ses livres et conférences.

Idéalisme pratique, Coudenhove-Kalergi, éditions Omnia Veritas, 232 pages, 25 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/idealisme-pratique-le-plan-kalergi-pour-detruire-les-peuples-europeens/99871/

dimanche 29 août 2021

LES FRANCS-MAÇONS

 Il a souvent été question de savoir si la franc-maçonnerie était une secte ou non. Par bien des aspects on peut répondre que oui. Le secret qui existe dans leurs réunions, l'intervention occulte dans de nombreuses affaires de la société, l'engagement total que cela implique d'où la dépersonnalisation de leurs membres, tout laisse à penser que l'on y trouve toutes les caractéristiques d'une secte. Mais cela semble secondaire vis à vis des fondements philosophiques et métaphysiques sur lesquels repose la franc-maçonnerie.

Toutes leurs idées sont celles des «Lumières» idées qu'ils appliquent avec fanatisme.

L'idée de raison y est encore perçue comme un absolu opposé aux passions qui sont le mal, la raison devenant dans les faits et par définition les idées que prône la franc-maçonnerie, celles du Front National ne pouvant être qu'un dérèglement de la raison. Cette conception est bien sur très réductrice et bien sommaire puisque de nombreux philosophes ont développé sur ce thème une analyse infiniment plus fine et pointue.

Pour Hume la raison n'est en fin de compte qu'au service des passions (elle en est même selon lui l'esclave) et ne sert qu'à les masquer. Les passions décident et créent un discours qui se veut rationnel pour les justifier. Quant à Husserl il ne voyait dans la raison qu'un processus dynamique et historique en perpétuelle construction sans aller bien sur jusqu'à Heidegger pour qui « la raison est l'ennemie de la pensée », penseur toujours très radical dans ses formules.

Tous les soubassements philosophiques de la franc-maçonnerie sont pour la plupart complètement dépassés comme l'idée de savoir absolu à atteindre (sans doute dans les loges) ainsi qu'une vision de l'homme universel sans facticité, sans enracinement. Cette confrérie lutte soi-disant contre les préjugés. Mais qu'est-ce-qu'un préjugé ? Faut-il avoir le préjugé du préjugé. Nietzsche disait que tout mot est déjà un préjugé. L'égalité entre les hommes n'en est-il pas un ? Le courant de pensée véhiculé par les franc-maçons est globalement celui du rationalisme, mais ce n'est qu'un courant de pensée parmi d'autres qui ont été aussi développés si ce n'est plus comme l'idéalisme allemand ou l'empirisme anglo-saxon ainsi que la phénoménologie.

Dans le rationalisme on accède à la connaissance uniquement par les moyens de la logique et des mathématiques. Les francs-maçons sont toujours très fiers de souligner que Mozart était des leurs, mais si l'homme de Salzbourg était un exceptionnel génie musical, il était loin d'être un intellectuel et il n'est pas surprenant qu'un homme du XVIIIème siècle ait les idées de son temps. La franc-maçonnerie ne fait que figer la pensée du XVIIIème siècle alors que nous sommes déjà à l'aube du XXlème. Tout ceci est masqué par un rituel grotesque où l'on cherche pour tout nouvel initié à, lui créer le choc émotionnel de sa vie, procédé propre aux sectes.

Céline dans « bagatelles pour un massacre » écrivait : « être franc-maçon, c'est le baptême pour un aryen » ce qui veut dire un aryen qui trahit son aryanité. C'est pourquoi il y aura, même pour eux-mêmes, toujours quelque chose d'honteux à cette appartenance. Quelles sont donc les motivations qui font que des individus veulent adhérer à cette association. La plupart du temps on a affaire à des hommes en mal de relations sociales, d'autres y voient un moyen de promotion sociale. Certains partant de la bonne intention d'élever leur culture confondent la franc-maçonnerie avec une société savante.

Durant une émission consacrée à cette «secte» nous vîmes le visage de certains membres : des barbus, des instituteurs à barbichette, des clones d'Albert Jacquard...

Une chose stupéfiante pour cette association qui se veut progressiste est la non-mixité. Il est certain que si les femmes étaient admises on verrait sans doute plus de femmes ressemblant à Madeleine Rebérioux qu'à des mannequins, mais enfin, à notre époque cela semble bizarre.

Durant leurs réunions, ils travaillent sur des thèmes de patronage ou d'école faits par des individus qui se prennent très au sérieux. Un assemblage de petites pensées fait rarement une grande pensée. La culture et la pensée réelle sont toujours des démarches très individualistes pour ne pas dire solitaires. 

L'aspect le plus choquant est l'intervention des francs-maçons dans le débat politique de façon occulte. Par exemple les francs-maçons avaient décidé que le président du sénat serait le RPR Poncelet (étant un des leurs). Quoiqu'on vote les francs-maçons sont au dernier moment et au dernier tour ceux qui votent « pour de bon ». Ceci n'est pas un procédé très démocratique mot dont ils ont plein la bouche. Le journal « Le Figaro » avait écrit que si Poncelet était franc-maçon il fallait voir avant tout dans son élection le résultat de ses qualités propres (sans doute immenses). Est ce du cynisme ou le Figaro a-t-il gardé une foi d'enfant ?

PATRICE GROS-SUAUDEAU

Et Nasser vint 2/2

  

• Peut-on à cet égard esquisser une comparaison entre Nasser et de Gaulle ?

Avec les réserves qui s'imposent, eu égard à toutes sortes d'évidentes différences historiques, géographiques, culturelles et personnelles, assurément oui, et jusque dans leur style politique. Comme le général de Gaulle, le lieutenant-colonel Nasser alliait un fond de patriotisme indéracinable à un “empirisme organisateur” qui leur ont permis, à l'un comme à l'autre, d'aller beaucoup plus loin qu'ils ne l'avaient au fond imaginé en franchissant le Rubicon, le 18 juin 1940 et le 22 juillet 1952. Quant aux actes politiques, je me bornerai à rappeler que la rupture de De Gaulle avec l'OTAN renvoie au refus de Nasser d'adhérer au “pacte de Bagdad”, fomenté par les Anglo-Saxons pour entraîner les Arabes dans une guerre éventuelle contre l'Union soviétique, et que le discours de Phnom Penh répond à la conférence de Bandung.

II est vraiment regrettable que les deux hommes ne se soient jamais rencontrés. C'eût été un symbole magnifique. Mais après l'agression israélienne de 1967, de Gaulle a adressé à Nasser un message de soutien extrêmement fort, l'invitant à ne pas perdre courage en des circonstances qui, précisait de Gaulle lui-même, rappelaient celles qu'avaient connues la France en 1940… Et au lendemain de sa mort, alors qu'il était retiré des affaires, de Gaulle a écrit à l'am­bassadeur de la RAU en France une lettre dont je voudrais citer le passage le plus significatif : « Par son intelligence, sa volonté, son courage exceptionnels, le président Gamal Abdel Nasser a rendu à son pays et au monde arabe tout entier des services incomparables. Dans une période de l'histoire plus dure et dramatique que toute autre, il n'a cessé de lutter pour leur indépendance, leur honneur et leur grandeur. Aussi nous étions-nous tous deux bien compris et profondément estimés ». Si de Gaulle était mort le premier, Nasser aurait pu écrire la même lettre à l'ambassadeur de France au Caire, en remplaçant simplement “monde arabe” par “Europe”.

Je peux maintenant livrer un petit “scoop” à nos lecteurs. Ce parallèle entre les deux chefs d'État a été magistralement dressé par Dominique de Roux dans un livre sur Nasser qui est un peu le pendant de celui qu'il a consacré à de Gaulle. Ce livre, resté à ce jour inédit, sera prochainement publié par les éditions de l'Âge d'Homme.

• Que reste-t-il de l'héritage de Nasser en Égypte et dans le monde arabe ?

Je pourrai répondre en te renvoyant la question : que reste-t-il de l'héritage de De Gaulle en France et en Europe ? II semble qu'il y ait une sorte de fatalité de la trahi­son… De même que le “gaulliste” Chirac aura été le liquidateur du gaullisme, de même que le “péroniste” Carlos Menem aura été celui du péronisme, les “nassé­riens” Sadate et Moubarak ont vidé le nas­sérisme de sa substance, démantelé les acquis de la révolution (notamment sur le plan agraire) et rendu l'Égypte au capitalisme international auquel Nasser l'avait arrachée de haute lutte. Il n'est jusqu'à la figure même de Nasser qui n'ait été pratiquement élimi­née. II est plus facile aujourd'hui d'acheter un portrait de Nasser à Barbès qu'au Caire, j'en ai fait l'expérience… Manifestement, le souvenir de Nasser dérange un pouvoir exclusivement au service d'une grande bourgeoisie revancharde, “tenu” par les Américains et les Saoudiens, et qui interdit de transformer la maison de Nasser en lieu de mémoire alors que les anciens palais de Farouk sont désormais ouverts au public. C'est tout dire !

Toutefois, les dirigeants actuels de l'Égypte ont quelque raison de se méfier. Certes le mythe nassérien est quelque peu endormi au sein d'une population exténuée de misère par une politique économique criminelle dictée par les dogmes monétaristes du FMI, et qui n'a actuellement d'autre pré­occupation que de survivre au jour le jour. La même remarque peut être d'ailleurs rapportée à l'ensemble du monde arabe et même, je dirais, du Tiers-monde. Mais ce mythe, j'ai la conviction qu'une simple étincelle pourrait le réveiller. D'où viendra-t-elle, et de quelle façon ? II est évidemment impossible de le dire. Les vives polémiques suscitées par la récente sortie, au Caire, d'une biographie cinématographique de Nasser, démontrent en tout cas que son fantôme hante toujours la vie politique égyptienne et qu'il n'a pas fini de troubler le sommeil de ses successeurs…

• Le réveil de la conscience arabe ne risque-t-il pas de se produire sous les espèces de l'intégrisme islamique, plutôt que par la résurrection d'un nationalisme de type laïque comme l'a été le nassérisme ?

C'est une question extrêmement complexe à laquelle il est dangereux de répondre par des oppositions tranchées. D'abord, il faut rappeler que, contrairement au Baas, dont la philosophie a été largement influencée par les doctrines politiques européennes, et notamment françaises, le nassérisme n'a jamais été une idéologie laïque stricto sensu. Mais à l'inverse, il faut aussi rappeler que l'islam lui-même est une religion d'une certaine façon “laïque”, dans la mesure où il n'est pas constitué en Église et où il s'identifie totalement à la société civile qu'il innerve et sacralise dans toutes ses ramifications. Beaucoup plus que le christianisme, c'est vraiment une religion, au sens étymologique et antique du terme. Cela, il n'est jamais un seul instant venu à l'esprit de Nasser de le remettre en cause, même s'il a dû combattre durement le mouvement intégriste des Frères musulmans. Si je devais, moi aussi, faire mon autocritique, je reconnaîtrais que, dans mon livre, je n'ai sans doute pas suffisamment souligné l'importance de l'islam dans la formation intellectuelle de Nasser et dans son action révolutionnaire. Indéniablement, son socialisme trouve sa source la plus profonde, et la plus naturelle, dans l'idéal d'égalité et de solidarité communautaire exprimé dans le Coran, comme il l'a d'ailleurs lui-même souligné à de nombreuses reprises.

Cela dit, il n'en demeure pas moins exact que, dans l'état actuel de décrépitude politique et de délabrement économique et social du monde musulman (et pas seulement arabe), l'intégrisme le plus radical ne peut que séduire des masses désemparées et réduites au désespoir, et il ne manque d'ailleurs pas de le faire. Mais c'est un autre débat dans lequel je ne veux pas entrer maintenant car il exige beaucoup de nuances et de finesse, et ne saurait être ramené à des schémas simplificateurs auxquels l'Occident n'a que trop tendance à recourir pour se dispenser de penser. Tout de même, j'ai pu constater en Égypte que le pouvoir, censé mener une guerre sans merci à “l'islamisme”, lui fait en réalité beaucoup de concessions et lui abandonne même des pans entiers de la vie publique, notamment dans le domaine de la culture. La persécution insidieuse et parfois brutale dont les Coptes sont par ex. aujourd'hui l'objet eût été impensable à l'époque de Nasser qui, après la guerre de 1956, aimait à rappeler que les bombes lancées par MM. Mollet et Éden sur le si pacifique petit peuple de Port-Saïd assassinaient indifféremment chrétiens et musulmans. Voilà une autre trahison du nassérisme par ses héritiers !

• Michel Marmin, Nasser, Chronique, 1998, 128 p.

Propos recueillis par Michel Thibault, éléments n°93, 1998.

🔴 L'identité est le socle de la cité !

Et Nasser vint 1/2

  

Héros de l'indépendance égyptienne face aux superpuissances, Gamal Abdel Nasser a marqué durablement de son empreinte le monde arabe et le Tiers-monde. Une courte biographie chronologique illustrée lui a été consacrée par Jacques Legrand et Michel Marmin qui préparait alors la présentation et les annotations d'un essai inédit de son auteur de prédilection, Dominique de Roux : Gamal Abdel Nasser (Âge d'Homme, 2000). Il rappelle dans cet entretien les grandes lignes de son action et analyse sa postérité.

• Nasser fut un homme à tous égards fascinant. En travaillant à sa biographie, quels sont les caractères qui t'ont le plus marqué ? La force exceptionnelle de sa volonté ? La simplicité de ses mœurs et de ses goûts ? La rigueur de sa probité morale ? Son intelligence des situations ?

Ta question me met dans l'embarras parce que les qualités que tu viens d'énumérer, qui sont en effet celles qui caractérisent pour l'essentiel la personnalité de Gamal Abdel Nasser, sont à mes yeux également dignes d'admiration. Je dirai que celles qui se rapportent à son caractère personnel m'ont d'abord profondément ému, et que celles qu'il a révélées dans l'action politique m'ont impressionné. L'extraordinaire popularité qui a été la sienne auprès des masses arabes, si volontiers sentimentales et affectueuses, s'explique d'ailleurs largement par cette conjonction, assez unique dans l'histoire, d'un homme simple et bon, demeuré très proche de ses origines paysannes, très naturellement “peuple” et, aussi étonnant que cela puisse paraître, absolument dénué de toute ambition personnelle, et d'un chef d'une ténacité hors du commun dans la si difficile conduite d'une révolution politique et sociale sans doute encore plus ambitieuse que celle de Mustafa Kemal en Turquie, d'un courage politique admirable dans les revers, et aux vues souvent prophétiques.

Une qualité, tout de même, éclaire fortement la personnalité de Nasser, c'est son honnêteté fondamentale, sa volonté de dire la vérité au peuple et, partant, une capacité d'autocritique dont peu d'hommes d'État ont fait preuve dans l'histoire. Ainsi, en 1961, lorsqu'il constate qu'il a manqué de fermeté dans la mise en œuvre de certaines réformes économiques et sociales et qu'il les a laissé battre en brèche par une bourgeoisie réactionnaire avide de revanche, il le dit avec franchise dans un grand discours télévisé. Ce qui me frappe au fond peut-être le plus, chez Nasser, c'est sa faculté de sans cesse remettre en cause son action par la réflexion et, ainsi, de la porter toujours plus loin, toujours plus en profondeur, avec « cette clairvoyance et cette prudence », je cite, qui avaient tant frappé Jean-Paul Sartre. Cette faculté l'a ainsi conduit a élargir progressivement son champ d'action, à passer du simple et ardent patriotisme égyptien de son enfance, dont témoigne le merveilleux petit roman qu'il a écrit vers l'âge de 15 ans et que sa fille, Hoda G.A. Nasser, m'a autorisé a publier en annexe de mon livre, à des vues mondiales d'une extrême perspicacité. À cet égard, je voudrais citer le discours qu'il a prononcé au sommet des non-alignés, le 5 octobre 1964 : « Nous ne voulons pas que la division du monde en un bloc oriental et un bloc occidental prenne fin pour que des blocs plus grands et plus dangereux surgissent à leur place : un bloc de pauvres et un bloc de riches, un bloc septentrional qui aurait droit à la prospérité et un bloc méridional qui n'aurait pour lot que la privation, un bloc de Blancs et un bloc d'hommes de couleurs ». Le moins que l'on puisse constater est que l'inquiétude de Nasser a été malheureusement depuis plus que largement justifiée !

• Quels ont été les grands axes de la politique nassérienne ?

Comme il l'a souvent lui-même expliqué, notamment dans son livre Philosophie de la Révolution, dans d'innombrables discours ou face à des interlocuteurs comme Jacques Benoist-Méchin, Nasser a développé sa politique par cercles concentriques. Il a d'abord voulu libérer l'Égypte de l'emprise coloniale britannique, puis il a très vite réalisé que cette libération nationale n'aurait de sens que si elle était appuyée sur une révolution politique, économique et sociale profonde, le meilleur moyen de libérer définitivement l'Égypte des servitudes extérieures étant de libérer les Égyptiens de leurs servitudes intérieures, les unes et les autres étant en l'occurrence étroitement liées. C'est ainsi que Nasser est devenu socialiste en faisant du socialisme, si je puis dire !

Mû depuis sa prime jeunesse par un sentiment de solidarité naturelle avec une nation arabe largement soumise aux puissances occidentales, il a ensuite voulu œuvrer à sa libération et à son unification, la création de la République arabe unie (RAU) en 1958, par la fusion volontaire de l'Égypte et de la Syrie, n'étant dans son esprit qu'une étape. Ce projet grandiose, généreux et sans doute utopique qui, s'il avait pu être réalisé, eût été un formidable facteur d'équilibre sur l'échiquier mondial, s'est malheureusement heurté à des obstacles insurmontables où se conjuguèrent les louches manœuvres des puissances anglo-saxonnes, les provocations israéliennes et aussi, il faut hélas bien le dire, l'égoïsme de certains chefs d'État arabes eux-mêmes, peu soucieux de voir la révolution nassérienne faire tache d'huile… Et pourtant, malgré l'échec cuisant qu'a constitué l'éclatement de la RAU en 1961, Nasser est demeuré le leader incontesté de cette malheureuse nation arabe désunie. On en a eu la preuve éclatante quand, quelques heures seulement avant de succomber à une crise cardiaque, le 28 septembre 1970, il a réussi à arrêter les épouvantables combats fratricides entre Palestiniens et jordaniens. Ce fut son dernier grand geste politique, et non le moindre.

Très vite aussi, Nasser a compris que la révolution égyptienne et, partant, l'hypothétique révolution arabe, ne résisteraient pas longtemps à la pression des puissances occidentales, les États-Unis et leur bras séculier israélien (pour reprendre l'expression employée par Aymeric Chauprade dans le dernier numéro d'éléments) prenant le relais de la Grande-Bretagne, si elles n'étaient liées à l'insurrection des peuples et des nations du Tiers-monde contre les séquelles du colonialisme et contre la cynique partie de dominos jouée par les États-Unis et l'Union soviétique. Cette prise de conscience mondiale, cristallisée lors de la fameuse conférence de Bandung, en 1955, a amené Nasser à créer, avec Tito et Nehru, le « tiers bloc » indépendant des non-alignés. Autant sa politique arabe fut une source de déceptions cruelles, autant sa politique tiers-mondiste fut une très grande réussite. Elle a incontestablement contribué à empêcher la guerre froide de dégénérer en conflit nucléaire et, nous l'avons vu tout à l'heure, elle a permis de mettre en lumière les périls de l'avenir, lesquels se sont considérablement aggravés depuis l'effondrement du bloc soviétique. Comme l'écrit Hoda G.A. Nasser dans la préface de mon livre, « au moment où un bloc unique veut imposer l'unité mondiale sous son hégémonie exclusive, les peuples arabes et du Tiers-monde peuvent s'appuyer sur le modèle représenté par Nasser pour rétablir leur liberté, leurs particularités, leur indépendance, leur dignité et leurs prérogatives nationales ».

À suivre

2 janvier 1919 : la menace spartakiste

 En proclamant la grève générale en Allemagne le 2 janvier 1919, les Spartakistes espèrent enclencher un mouvement insurrectionnel généralisé. Ils veulent tirer parti, au maximum, de la défaite de leur pays pour utiliser l'amertume de l'opinion comme un levier révolutionnaire.

Lorsque, le 9 novembre 1918, le socialiste Scheidemann, vieux routier de la politique parlementaire, a crié, du balcon du Reichstag, « Vive la République allemande », en écho Karl Liebknecht, du balcon du château impérial déserté par les Hohenzollern, a proclamé la République socialiste.

Liebknecht sort de prison. C'est un professionnel de l'agitation révolutionnaire. A partir de 1916 il a publié, sous le titre de Spartacus, des textes incendiaires. Entouré de Rosa Luxembourg, de Clara Zetkin il a constitué un noyau dur destiné à orienter l'aile gauche des sociaux-démocrates vers des positions antimilitaristes et défaitistes.

La révolution bolchevique de 1917 en Russie leur paraît le déclic décisif : les prolétaires allemands doivent imiter ce grand exemple, cette « lumière qui s'est levée à l'Est » et imposer le pouvoir des Soviets. Leur hantise : il ne faut surtout pas laisser les sociaux-démocrates s'installer au pouvoir. Par les mutineries au sein de régiments travaillés depuis longtemps par une propagande souterraine, par l'insurrection, par le pouvoir de la rue il faut imposer le règne du drapeau rouge. Le 4 novembre, le scénario semble se dérouler selon les espérances des Spartakistes : les marins de Kiel se révoltent, massacrent leurs officiers et un conseil de soldats proclame le début de la révolution. Dans les jours qui suivent, Munich, Hanovre, Brunswick s'embrasent à leur tour. Mais c'est l'entrée de Berlin dans le mouvement qui semble décisive : les Spartakistes peuvent à bon droit se dire qu'ils sont désormais au cœur d'un dispositif capable de faire basculer l'Allemagne dans le communisme.

Face à leur détermination et à leur fanatisme idéologique, les politiciens sociaux-démocrates, les bourgeois centristes - si l'on peut utiliser un tel pléonasme -, la vieille clique des hobereaux réactionnaire à monocle ne semblent pas pouvoir peser bien lourd. La fin d'un monde, fondé sur les valeurs bourgeoises, paraît inéluctable. D'autant que les combattants revenus du front, las et amers, n'ont aucune raison de défendre une « société civile » qui fait peu de cas de l'inutile héroïsme déployé, pendant quatre ans d'une guerre effroyable, dans la boue, le froid, le sang et la merde des tranchées.

Il faudra que quelques milliers de « réprouvés » au cœur rebelle se dressent, autour d'un chef, d'un drapeau, pour sauver la partie de la menace anarcho-gauchiste. Dans les forêts sableuses du Baltikum comme dans les rues des grandes villes, les corps-francs, insensibles à l'incompréhension et à la veulerie de leurs concitoyens, choisissent de se battre pour la seule cause qui importe à ces fraternités guerrières : l'honneur et la fidélité.

P. V  du 29 décembre 1994 au 4 janvier 1995

samedi 28 août 2021

Être chrétien au Moyen Âge (Jean Verdon)

 

Jean Verdon, ancien professeur d’histoire médiévale à l’université de Limoges, est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à divers aspects du Moyen Âge.

En Occident, au Moyen Âge, la religion, c’est-à-dire le christianisme, structure toute la vie sociale, avec un fort cadre paroissial, une éducation religieuse et une année liturgique qui rythme la société.

Les chrétiens, au cours des trois premiers siècles de notre ère, avaient connu de nombreuses persécutions. Cette situation change au début du IVe siècle avec l’édit de tolérance favorable au christianisme signé en avril 311 par l’Auguste Galère, suivi en 313 par l’édit de Milan qui accorde la liberté de culte aux chrétiens. Mais la phase décisive est l’édit de Thessalonique, signé en l’an 380 par l’empereur Théodose, déclarant : “Tous nos peuples (…) doivent se rallier à la foi transmise aux Romains par l’apôtre Pierre (…) c’est-à-dire reconnaître, en accord avec l’enseignement apostolique et la doctrine évangélique, la Divinité une et la sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit”. Théodose institue donc le catholicisme comme religion d’Etat.

L’ouvrage nous en montre les conséquences sur la vie quotidienne, avec la place réservée à la prière, au repentir, à la charité, à la recherche de la sainteté, et le souci d’une bonne mort, en bon chrétien, qui préserve autant que faire se peut des flammes de l’enfer.

Être chrétien au Moyen Âge, Jean Verdon, éditions Perrin, 400 pages, 22,50 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/etre-chretien-au-moyen-age-jean-verdon/99959/

L’hérédité et la civilisation

 Des trois races de nos rois, celle qui fit la France fut celle qui évolua dans les meilleures conditions d’hérédité monarchique

C’est l’hérédité collective d’une aristocratie recueillant la succession du Sénat de Rome qui donna la durée et la force à l’Empire romain. Des trois races de nos rois, celle qui fit la France fut précisément celle qui évolua dans les meilleures conditions d’hérédité monarchique, lesquelles ont permis la régulière transmission, la continuité rigoureuse de leurs desseins.

La valeur de tout effort personnel est dominée par l’immense principe historique en vertu duquel les vivants sont « de plus en plus, et nécessairement, gouvernés par les morts », et chaque vivant par ses morts particuliers. Cette nécessité bienfaisante est la source de la civilisation. Mais il y a longtemps que la démocratie s’est insurgée contre cette condition d’un ordre civilisé; elle a choisi la barbarie, elle veut se recommencer tout entière à chaque individu qui vient au monde, sauvage et nu. C’est à l’humanité des cavernes que la démocratie veut nous ramener.

Charles Maurras, Sans la muraille des cyprès J. Gibert, 1941

Le Sénat romain n’était pas élu, ses membres étaient, en quelque sorte, cooptés parmi les magistrats issus des grandes familles aristocratiques, et du sang neuf, les "hommes nouveaux", s’y introduisait au compte-gouttes. Un ambassadeur reçu par le Sénat dit qu’il avait cru être introduit devant une assemblée de rois ! L’Empire romain semble, à première vue, ne pas avoir connu l’hérédité. En réalité, il l’a connue de manière cachée : la plupart des empereurs n’ont pu avoir de successeurs directs parce qu’ils n’eurent pas de fils ou que ces derniers moururent en bas âge; mais une étude généalogique prouve que, dans l’ensemble, l’Empire fut transmis par les femmes. Si les féministes apprenaient cela, le latin reviendrait à la mode !

Carolingiens, Mérovingiens, Capétiens, des trois races de nos rois la dernière connut une hérédité heureuse qui fit la France. Après cette constatation, Maurras cite Auguste Comte qui n’a cessé de répéter : « Les morts gouvernent les vivants. » Culte des ancêtres, coutumes des ancêtres, mos majorum, tous les peuples civilisés, et même la plupart des autres, ont vécu sur ces principes, et plus l’aventure humaine avance, plus, "nécessairement" l’expérience du passé a enrichi la civilisation.

Mais Rousseau vint. Alors que toutes les sociétés, des primitives aux plus élaborées, avaient postulé que la civilisation était un capital transmis et augmenté, le citoyen de Genève piétina la plus belle réalisation du génie humain, la France d’Ancien Régime, et les privilégiés s’enthousiasmèrent pour ce faune, comme les bourgeois d’aujourd’hui, gavés et repus, accompagnent leur digestion d’un militantisme en faveur de la faim dans le monde. Rousseau chantait déjà la chanson impie : « Du passé faisons table rase. »

La démocratie a choisi la barbarie. Rousseau ne disait-il pas dans son Discours sur l’inégalité que l’homme qui médite est un animal dépravé ? Oui, la démocratie est une barbarie : le citoyen électeur ne cesse de dire, ouvertement ou in petto « Moi, je pense que... », sans expérience ni compétence. Dès la prime jeunesse, le malheureux enfant de démocrate, futur électeur et futur fossoyeur de la civilisation, apprend à l’école rousseauiste à étaler, à exhiber, son petit moi barbare et inorganique : son barbouillage de gouache ou d’aquarelle passera pour une oeuvre digne de Michel-Ange, et les premiers mots qu’il jettera sur un papier relégueront Homère au musée des vieilleries. Ne connaissons-nous pas, quand nous visitons certains musées subventionnés, « l’humanité des cavernes » ?

Né de parents inconnus et mort célibataire, l’homme dénoncé par Renan restait encore un malheureux instruit. L’école moderne a fait de son successeur un sauvage. Saluons une fois de plus la qualité d’analyse d’un Maurras. Il est tellement intelligent, son esprit de déduction est tellement puissant qu’il nous semble un prophète. Rangés derrière son autorité, formons-nous à sa méthode.

Gérard Baudin L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 6 au 19 novembre 2008