Exécution du roi Louis XVI, le 21 janvier 1793. Gravure d’après dessin de Fious.
Louis
XVI perd son titre de roi de France lors de la prise des Tuileries la
journée du 10 août 1792, avant que la République ne soit proclamée par
la Convention le 22 septembre. Dès lors que la monarchie est
officiellement abolie, la personne du roi devient encombrante et la
question du jugement se pose très vite.
Maximilien de Robespierre donne d’emblée le ton :
«
Quel est le parti que la saine politique prescrit pour cimenter la
République naissante ? C’est de graver profondément dans les cœurs le
mépris de la royauté et de frapper de stupeur tous les partisans du roi.
[...] Louis ne peut donc être jugé ; il est déjà condamné, ou la République n’est point absoute. [...] j’abhorre
la peine de mort prodiguée par vos lois ; et je n’ai pour Louis ni
amour ni haine ; je ne hais que ses forfaits. J’ai demandé l’abolition
de la peine de mort à l’Assemblée que vous nommez encore constituante ;
et ce n’est pas ma faute si les premiers principes de la raison lui ont
paru des hérésies morales et politiques [...] Oui, la peine de mort, en général est un crime [...] mais un roi détrôné au sein d’une révolution qui n’est rien moins que cimentée par des lois justes [...] ne peut rendre son existence indifférente au bonheur public [...]. Je prononce à regret cette fatale vérité… mais Louis doit mourir, parce qu’il faut que la patrie vive. »
La
découverte de l’armoire de fer contenant des papiers compromettants, le
20 novembre, aux Tuileries, finit d’accabler le roi déchu. Le procès
s’ouvre le 10 décembre et dure jusqu’au 26 du même mois. Les débats sont
clos le 7 janvier. Le 15, les membres de la Convention votent en
utilisant la procédure de l’appel nominal. A la première question «
Louis est-il coupable ? », 691 représentants répondent par
l’affirmative, aucun pour le non, 27 refusent de choisir. Le même jour,
une proposition d’appel au peuple est repoussée à 424 voix contre 287
(et 12 refus de choix). Le 16 arrive la question décisive : « Quelle
peine Louis, ci-devant roi des Français, a-t-il encourue ? ». Le vote
dure toute la nuit, certains représentants prenant largement leur temps
pour expliquer leur position si bien que leur choix en devient obscur ! ;
le 17 les chiffres donnent : 366 pour la peine de mort, 34 pour la mort
assortie de diverses conditions (date, sursis, etc.), 321 pour la
détention. Après plusieurs contestations (des représentants souhaitant
être comptés autrement), un contrôle est fait, et finalement les
résultats définitifs sont proclamés le 18 : 387 pour la mort sans
condition, 46 pour la mort avec sursis, 288 pour la détention.
La légende de la petite voix de majorité : «
Ces chiffres vont vite faire naître une légende, celle d’un roi
condamné par une seule voix d’écart, grâce à un calcul pour le moins
contestable. En effet, sur les 387 partisans du régicide, 26 ont demandé
une discussion sur le fait de savoir s’il convenait ou non de différer
l’exécution, mais tout en précisant que leur choix était indépendant de
ce vœu. Il suffisait alors aux royalistes de les décompter des 387, puis
de faire l’addition suivante : 26 + 46 + 288 = 360 voix refusant la
mort immédiate de l’accusé… contre 361 ! Arithmétique toute politique
que celle-ci et qui ne peut évidemment sauver Louis XVI. » (BIARD Michel, BOURDIN Philippe, MARZAGALLI Silvia, Révolution, Consulat, Empire, 1789-1815, Paris, Belin, 2010, p. 104).
Extrait du compte-rendu de la séance de la Convention des 16 et 17 janvier 1793. Résultat définitif des votes sur la peine encourue par Louis XVI.
Procès verbal de la séance de la Convention des 16 et 17 janvier (Archives de l’Assemblée Nationale)
● La mort de Louis XVI d’après Charles-Henri Sanson, bourreau.
Note
: Charlemagne Sanson et Martin Sanson sont frères de Charles-Henri
Sanson, le premier étant bourreau à Provins, le second à Tours.
«
[...] la berline arrive. Le roi était assis dans le fond, à droite,
ayant à côté de lui un prêtre, son confesseur, et sur la banquette de
devant il y avait deux maréchaux-des-logis de la gendarmerie. La voiture
s’arrête, la portière s’ouvre : les deux gendarmes descendent les
premiers, ensuite ce vénérable prêtre vêtu du costume proscrit que
j’avais cessé de voir depuis quelque temps, et enfin le roi, plus digne,
plus calme, plus majestueux que je ne l’avais vu à Versailles et aux
Tuileries.
En le voyant approcher de l’escalier, je jette un regard désespéré autour de moi ; partout je n’aperçois que de la troupe. Le peuple, relégué derrière cette soldatesque, semble frappé de stupeur et garde un morne silence. Le roulement des tambours, qui ne cessent de battre, étoufferait d’ailleurs ses cris, s’il en poussait qui fussent un appel à la pitié. Où sont donc ces sauveurs tant annoncés ? Charlemagne et moi, nous sommes consternés ; Martin, plus jeune et plus ferme, s’avance, et, se découvrant respectueusement, fait observer au roi qu’il faudrait qu’on lui otât son habit.
-- C’est inutile, répondit-il, on peut en finir comme je suis.
Mon frère insiste et ajoute qu’il est indispensable aussi qu’on lui lie les mains.
Cette dernière condition paraît le révolter encore davantage et fait monter le rouge à son front.
-- Eh quoi ! dit-il, vous oseriez porter la main sur moi. Tenez, voici mon habit, mais ne me touchez pas !
En disant cela, il ôte lui-même son habit. Charlemagne vient en aide à Martin, et fort en peine de parler à cette illustre victime avec les égards qui débordent de son coeur, sans offusquer ces hordes farouches qui entourent l’échafaud, il lui dit d’un ton froid, mais sous lequel on devine des larmes.
-- C’est absolument nécessaire. L’exécution est impossible sans cela.
Rappelé enfin à mon rôle et n’en pouvant laisser supporter plus longtemps le poids à mes frères, je me penche à l’oreille du prêtre :
-- Monsieur l’abbé, lui dis-je, obtenez cela du roi, je vous en supplie. Pendant qu’on lui liera les mains, nous gagnerons du temps, et il est impossible qu’un pareil spectacle ne finisse point par émouvoir les entrailles de ce peuple.
L’abbé se retourna vers moi avec un triste regard dans lequel se peignaient à la fois l’étonnement, l’incrédulité et la résignation, puis s’adressant au roi :
-- Sire, dit-il, résignez-vous à ce dernier sacrifice par lequel vous ressemblerez davantage au Dieu qui va vous en récompenser.
Aussitôt il présenta lui-même ses bras pendant que son confesseur lui faisait embrasser l’image du Christ. Deux aides lièrent ces mains qui avaient porté le sceptre. Il me semblait que ce devait être le signal de la réaction qui ne pouvait manquer d’éclater en faveur de cette touchante victime : rien que le roulement infernal des tambours.
Le roi, soutenu par le digne prêtre, monta lentement et avec majesté les degrés de l’échafaud.
-- Est-ce que les tambours ne vont pas cesser, demande-t-il à Charlemagne.
Celui-ci fait signe qu’il n’en sait rien. Arrivé sur la plate-forme, il s’avança du côté où il paraissait y avoir le plus de peuple, et fit de la tête un mouvement impératif aux tambours qui suspendirent un instant, et comme malgré eux, leur roulement.
-- Français, dit-il d’une voix forte, vous voyez votre roi prêt à mourir pour vous. Puisse mon sang cimenter votre bonheur. Je meurs innocent de tout ce dont on m’accuse.
Il allait peut-être continuer, lorsque Santerre qui était à la tête de son état-major, fit un signe aux tambours dont les roulements recommencèrent de suite et n’auraient plus permis de l’entendre.
En un instant il fut attaché sur la planche fatale, et au moment où le couteau glissait sur sa tête, il put encore entendre la voix grave du pieux ecclésiastique qui l’avait accompagné jusque sur l’échafaud, prononcer ces mots :
« Fils de saint Louis, montez au ciel ! »
Ainsi a fini ce malheureux prince, qu’un millier d’hommes résolus auraient pu sauver à ce dernier moment où, hors parmi la soldatesque, il commençait d’exciter une véritable compassion ; et réellement je n’ai pas compris après tous les avis que j’avais reçus hier, qu’il ait été si cruellement abandonné. Le moindre signal eût suffi pour amener une diversion en sa faveur, car, si lorsque mon aide Gros montra cette auguste tête aux assistants, quelques forcenés poussèrent des cris de triomphe, la majeure partie se détourna avec une profonde horreur et un douloureux frémissement. »
En le voyant approcher de l’escalier, je jette un regard désespéré autour de moi ; partout je n’aperçois que de la troupe. Le peuple, relégué derrière cette soldatesque, semble frappé de stupeur et garde un morne silence. Le roulement des tambours, qui ne cessent de battre, étoufferait d’ailleurs ses cris, s’il en poussait qui fussent un appel à la pitié. Où sont donc ces sauveurs tant annoncés ? Charlemagne et moi, nous sommes consternés ; Martin, plus jeune et plus ferme, s’avance, et, se découvrant respectueusement, fait observer au roi qu’il faudrait qu’on lui otât son habit.
-- C’est inutile, répondit-il, on peut en finir comme je suis.
Mon frère insiste et ajoute qu’il est indispensable aussi qu’on lui lie les mains.
Cette dernière condition paraît le révolter encore davantage et fait monter le rouge à son front.
-- Eh quoi ! dit-il, vous oseriez porter la main sur moi. Tenez, voici mon habit, mais ne me touchez pas !
En disant cela, il ôte lui-même son habit. Charlemagne vient en aide à Martin, et fort en peine de parler à cette illustre victime avec les égards qui débordent de son coeur, sans offusquer ces hordes farouches qui entourent l’échafaud, il lui dit d’un ton froid, mais sous lequel on devine des larmes.
-- C’est absolument nécessaire. L’exécution est impossible sans cela.
Rappelé enfin à mon rôle et n’en pouvant laisser supporter plus longtemps le poids à mes frères, je me penche à l’oreille du prêtre :
-- Monsieur l’abbé, lui dis-je, obtenez cela du roi, je vous en supplie. Pendant qu’on lui liera les mains, nous gagnerons du temps, et il est impossible qu’un pareil spectacle ne finisse point par émouvoir les entrailles de ce peuple.
L’abbé se retourna vers moi avec un triste regard dans lequel se peignaient à la fois l’étonnement, l’incrédulité et la résignation, puis s’adressant au roi :
-- Sire, dit-il, résignez-vous à ce dernier sacrifice par lequel vous ressemblerez davantage au Dieu qui va vous en récompenser.
Aussitôt il présenta lui-même ses bras pendant que son confesseur lui faisait embrasser l’image du Christ. Deux aides lièrent ces mains qui avaient porté le sceptre. Il me semblait que ce devait être le signal de la réaction qui ne pouvait manquer d’éclater en faveur de cette touchante victime : rien que le roulement infernal des tambours.
Le roi, soutenu par le digne prêtre, monta lentement et avec majesté les degrés de l’échafaud.
-- Est-ce que les tambours ne vont pas cesser, demande-t-il à Charlemagne.
Celui-ci fait signe qu’il n’en sait rien. Arrivé sur la plate-forme, il s’avança du côté où il paraissait y avoir le plus de peuple, et fit de la tête un mouvement impératif aux tambours qui suspendirent un instant, et comme malgré eux, leur roulement.
-- Français, dit-il d’une voix forte, vous voyez votre roi prêt à mourir pour vous. Puisse mon sang cimenter votre bonheur. Je meurs innocent de tout ce dont on m’accuse.
Il allait peut-être continuer, lorsque Santerre qui était à la tête de son état-major, fit un signe aux tambours dont les roulements recommencèrent de suite et n’auraient plus permis de l’entendre.
En un instant il fut attaché sur la planche fatale, et au moment où le couteau glissait sur sa tête, il put encore entendre la voix grave du pieux ecclésiastique qui l’avait accompagné jusque sur l’échafaud, prononcer ces mots :
« Fils de saint Louis, montez au ciel ! »
Ainsi a fini ce malheureux prince, qu’un millier d’hommes résolus auraient pu sauver à ce dernier moment où, hors parmi la soldatesque, il commençait d’exciter une véritable compassion ; et réellement je n’ai pas compris après tous les avis que j’avais reçus hier, qu’il ait été si cruellement abandonné. Le moindre signal eût suffi pour amener une diversion en sa faveur, car, si lorsque mon aide Gros montra cette auguste tête aux assistants, quelques forcenés poussèrent des cris de triomphe, la majeure partie se détourna avec une profonde horreur et un douloureux frémissement. »
H. Sanson, Sept générations d’exécuteurs, 1688-1847 : mémoires des Sanson. T. 3, Paris, Dupray de la Mahérie, 1862, pp. 475-479.
● L’exécution de Louis XVI vue par un caricaturiste anglais.
Hell Broke Loose or the Murder of Louis, gravure de William Dent, 1793.
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Source : Gallica (Mémoires des Sanson)
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