dimanche 31 janvier 2021

Bakounine, Le Bon et le crépuscule européen

   

J’ai écrit de nombreux textes qui tournent autour du même thème, de la même constatation. Les choses, les problèmes ne changent plus depuis deux siècles ou presque. Lisez la conclusion des mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand et vous êtes déjà dans notre vieux monde. Monde unifié, monde laid, monde antiartistique, monde décivilisé, monde de contrôle, d’argent et de quantité. Les problèmes que nous vivons semblent sortis d’hier. Or c’est faux, ils sont anciens, et c’est pourquoi je conseille la lecture des auteurs comme Le Bon, Tocqueville ou bien sûr René Guénon ou Evola.

Je vais parler de notre Italie.

Les problèmes italiens sont vieux et ils datent de son unification ratée par une clique corrompue, celle qui la soumit ensuite à l’Angleterre (libéraux, sénateurs, maçons), à l’Allemagne, à l’Amérique puis à l’Europe.

En 1869 le révolutionnaire Bakounine observe déjà ce maigre bilan :

« Nulle part on ne peut aussi bien étudier qu’en Italie le néant du vieux principe de la révolution exclusivement politique, et la décadence de la bourgeoisie, cette représentante exclusive des idées de 89 et de 93 et de ce qu’on appelle encore aujourd’hui le patriotisme révolutionnaire.

Sortie d’une révolution nationale victorieuse, rajeunie, triomphante, ayant d’ailleurs la fortune si rare de posséder un héros et un grand homme, Garibaldi et Mazzini, l’Italie, cette patrie de l’intelligence et de la beauté, devait, paraissait-il, surpasser en peu d’années toutes les autres nations en prospérité et en grandeur. Elle les a surpassées toutes en misère. »

Et de constater tristement :

« Moins de cinq années d’indépendance avaient suffi pour ruiner ses finances, pour plonger tout le pays dans une situation économique sans issue, pour tuer son industrie, son commerce, et, qui plus est, pour détruire dans la jeunesse bourgeoise cet esprit d’héroïque dévouement qui pendant plus de trente ans avait servi de levier puissant à Mazzini »

 Pays mort-né comme notre Europe de la Fin des Temps (il règne une atmosphère évolienne, de Kali-Yuga dans le texte du grand Bakounine) ou notre France républicaine, la bourgeoisie mondialisée scia la branche du risorgimento :

« Le triomphe de la cause nationale, au lieu de tout raviver, avait écrasé tout. Ce n’était pas seulement la prospérité matérielle, l’esprit même était mort ; et l’on était bien surpris en voyant cette jeunesse d’un pays politiquement renaissant, vieille de je ne sais combien de siècles, et qui, n’ayant rien oublié, n’avait aucun souci d’apprendre quelque chose. »

Le besoin de places qui s’est vu depuis avec leur Europe est déjà là :

« On ne peut guère s’imaginer quelle immense convoitise de positions sociales et de places a été réveillée au sein de la bourgeoisie italienne par le triomphe de la révolution nationale. C’est ainsi qu’est née la fameuse Consorteria, cette ligue bourgeoise qui, s’étant emparée de tous les emplois lucratifs, malmène, déshonore, pille aujourd’hui l’Italie, et qui, après avoir traîné cette patrie italienne par toutes les boues possibles, l’a fait aboutir aux désastres de Custozza, de Lissa et de Mentana. »

Les mêmes problèmes (dénatalité, déclin culturel, militarisme, étatisme) se posent vers 1890. Le savant français Gustave Le Bon remarque alors dans un grand livre :

« Le principe des nationalités, si cher jadis aux hommes d’État et dont ils faisaient tout le fondement de leur politique, peut être encore cité parmi les idées directrices dont il a fallu subir la dangereuse influence. Sa réalisation a conduit l’Europe aux guerres les plus désastreuses, l’a mise sous les armes et conduira successivement tous les États modernes à la ruine et à l’anarchie. Le seul motif apparent qu’on pouvait invoquer pour défendre ce principe était que les pays les plus grands et les plus peuplés sont les plus forts et les moins menacés. Secrètement, on pensait aussi qu’ils étaient les plus aptes aux conquêtes ».

Comme Léopold Kohr, le très habile Le Bon, qui a tout annoncé parce qu’il a tout étudié, fait l’éloge du Small is beautiful :

« Or, il se trouve aujourd’hui que ce sont précisément les pays les plus petits et les moins peuplés : le Portugal, la Grèce, la Suisse, la Belgique, la Suède, les minuscules principautés des Balkans, qui sont les moins menacés. L’idée de l’unité a ruiné l’Italie, jadis si prospère, au point qu’elle est aujourd’hui à la veille d’une révolution et d’une faillite. Le budget annuel des dépenses de tous les États italiens, qui, avant la réalisation de l’unité italienne, s’élevait à 550 millions, atteint 2 milliards aujourd’hui. »

Et Le Bon souligne aussi la faiblesse des pays latins, corrompus depuis des lustres selon lui par le verbalisme, le socialisme, l’anarchie et le césarisme ! Mais c’est plus compliqué. Car ce siècle de l’unification fut celui du règne de la quantité au sens guénonien, et l’on peut dire d’ailleurs que la belle Allemagne, celle de la musique et de la philosophie, de la poésie et du romantisme, prit fin avec son unité qui déboucha sur l’industrialisme, le socialisme et le bellicisme que l’on sait.

Gustave Le Bon encore, comme s’il avait prévu le nazisme :

« L’Allemagne moderne, malgré de trompeuses apparences de prospérité, en sera sans doute la première victime, à en juger par le succès des diverses sectes qui y pullulent. Le socialisme qui la ruinera sera sans doute revêtu de formules scientifiques rigides, bonnes tout au plus pour une société idéale que l’humanité ne produira jamais, mais ce dernier fils de la raison pure sera plus intolérant et plus redoutable que tous ses aînés. Aucun peuple n’est aussi bien préparé que l’Allemagne à le subir. Aucun n’a plus perdu aujourd’hui l’initiative, l’indépendance et l’habitude de se gouverner. »

Sources

  • Nicolas Bonnal – Chroniques sur la Fin de l’Histoire (Kindle)
  • Le Bon – Lois psychologiques de l’évolution des peuples
  • Leopold Kohr – the Breakdown of nations
  • Bakounine – Lettre aux rédacteurs du Réveil, à Paris, octobre 1869 (inédit)

Les livres de N. Bonnal sont disponibles chez:

https://voxnr.com/9115/bakounine-le-bon-et-le-crepuscule-europeen

L’écho de la Pucelle (2020)

   

Il y a un siècle, naissait la fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme, le deuxième dimanche du mois de mai. Si la pucelle eut une vie courte et riche en exploits, la force évocatrice de sa geste jouit, elle, d’une extraordinaire longévité.

Orléans sans Jeanne d Arc ? En raison de la pandémie, les fêtes johanniques orléanaises n’auront pas lieu ce printemps. Depuis 1451 pourtant, la ville fête sa libération par Jeanne (8 mai 1429). Cet évènement majeur mêlant participation de la population, des autorités civiles, religieuses et militaires, est reporté après l’été. La pneumonie chinoise n’étouffera pas la piété française.

D’autant que l'on fête cette année un singulier anniversaire. On l’oublie souvent, depuis la loi du 10 juillet 1920, existe une fête officielle « de Jeanne d’Arc et du patriotisme ». Tenue chaque deuxième dimanche de mai, elle s’ajoute à la solennité religieuse du 30 mai. En effet, réhabilitée par l’Église depuis 1456, Jeanne est déclarée vénérable en 1594, béatifiée en 1909 et enfin canonisée le 16 mai 1920… Soit moins de deux mois avant sa consécration républicaine !

Babord, Tribord

C'est qu’à la charnière des XIXe et XXe siècles, l’héritage de Jeanne d’Arc fut âprement disputé entre droite et gauche. Les républicains de tout poil ont parfois maquillé la Pucelle en héroïne populaire, féministe, victime du cléricalisme. Dès 1832, l’anticlérical Jules Michelet voit dans Jeanne d’Arc la « transfiguration de l’esprit populaire ». On doit à son Histoire de France (1849) des pages d’anthologie : « Souvenons-nous, Français,

que la patrie chez nous est née du coeur d’une femme, de sa tendresse, de ses larmes, du sang qu’elle a donné pour nous ». En 1848, Auguste Comte réclame l’instauration d’une fête nationale commémorant le « glorieux martyre de l’incomparable Pucelle ». Sous la IIe République, le ton républicain est plus marqué. Le député radical Fabre, soutenu par les Sufragettes, lance lui aussi l’idée d’une fête républicaine. À gauche toute, Louise Michel était qualifiée de « Jeanne d’Arc de la révolution sociale ». En 1936 encore, l’Humanité s’offusque que la droite nationale s’approprie cette « paysanne de Lorraine qui s’était levée contre les factions athées de l’étranger et qui fut livrée par son roi elle appartient au peuple de France ». La fille du peuple brûlée par l’Église :  plaquant sur l’Histoire leurs propres préjugés, la gauche crée une Jeanne factice. Pour un peu, on oublierait que son étendard fleurdelisé était frappé des noms de Jésus et Marie…

Ce vernis d'une Jeanne gauchisée ne peut résister longtemps. La Pucelle n’a jamais été du goût d’un Grand Orient qui ne voit dans les festivités johanniques qu’un « prétexte aux machinations de l’Église », « un défi à la France républicaine », bref une « grande fête politique des curé. »

À droite, on se gausse des tentatives républicaines d’annexion de la Pucelle. La Croix, journal conservateur à l’époque, se moque des progressistes « sorts de leurs tanières pour proclamer Jeanne d’Arc hérétique, libre-penseuse, qui a préparé la révolution ». La paysanne de Domrémy ayant combattu pour Dieu et le roi, il est évident que les vrais fidèles de Jeanne ne peuvent être que catholiques ou conservateurs. Les droites défendent l’honneur de Jeanne : insultée en Sorbonne par le professeur Thalamas, la Pucelle est vengée par la gifle d’un camelot du roi. Pour Maurras, Jeanne n’appartenait pas a une classe révolutionnaire mais « conservatrice » car attachée à la terre. Chez « cette héroïne de la Nation », qui « n’est pas l’héroïne de la Démocratie », le Martégal veut voir « les trois idées directrices de L’ancien Tiers-État français : le Patrimoine maintenu et la Patrie sauvée par la Royauté rétablie » (Méditation sur la politique de Jeanne d'Arc, 1929).

D’une guerre à l’autre

C'est chez l'auteur de la Colline inspirée que le culte de Jeanne est à son sommet. Maurice Barrès arpente le terroir johannique, fasciné par |’influence de la terre lorraine sur la guerrière. Les hommages à la petite et à la grande Patrie se joignent ainsi en une même dévotion. Du reste, les érudits de la fin du XIXe ont beaucoup glosé sur la nationalité de Jeanne d Arc. La Lorraine étant au xve siècle terre d’Empire, Jeanne était-elle allemande ? Grâce à Dieu, Jeanne n’est pas née dans le duché de Lorraine mais bien dans le Barrois mouvant, relevant du roi de France.

Jeanne était française, non teutonne.

Car Jeanne est aussi, pour le cardinal Daniélou, « la sainte du temporel ». Bref, une sainte de la Patrie à l’intercession plus que nécessaire par gros temps. Jeanne est partout dans la France des tranchées. Bergson et Claudel lui attribuent la victoire de la Marne. En 1920, Foch rend hommage à la Pucelle. Mue par Barrès, l’institution de la Fête de 1920 doit autant à la foi des poilus qu’au militantisme des Camelots du roi.

Éclair d’unité aux heures de la désunion, l’héritage johannique est déchiré entre 1940 et 1945. Pétain salue le désintéressement de Jeanne, les affichistes l’exaltent, les Chantiers de jeunesse la mettent en scène. Vichy utilise Jeanne dans une optique explicitement anglophobe, alors que la sainte elle-même assurait ne point haïr les Anglois. Quant à De Gaulle, fervent admirateur de la Pucelle, il ne cesse de s’en réclamer Dans son discours de Brazzaville du 10 mai 1941 il veut voir dans la fête johannique, silencieusement célébrée le lendemain en terre occupée, le reflet de « la flamme de la résistance nationale ». Ce n’est pas un hasard si la France libre s’est choisie pour emblème la croix de Lorraine.

Au-delà des divisions, la Pucelle demeure le modèle du combat, de l’unité, de la réconciliation. Dans sa plaidoirie au procès Pétain, Me Isorni déploie la thèse du glaive et du bouclier : « Depuis quand notre peuple a-t-il opposé Genevieve, protectrice de la ville, à Jeanne gui libéra le sol ? Depuis quand, dans notre mémoire, s’entrégorgent-elles, à jamais irréconciliables ? ». Jeanne d’ Arc, c’est aussi six navires de la Royale, une promotion de Saint-Cyr 1893-1895 et un chant militaire aux accents spirituels, sur l’air de la Marche de Robert Bruce.

Jeanne au royaume des lettres

Tout dans l"épopée de Jeanne appelle au lyrisme. Parfois motif textile - en témoignent des Toiles de Jouy tissées sous la Restauration ! -, elle est surtout un motif littéraire. Chantée par Alain Chartier puis Francois Villon (Ballade des dames du temps jadis, 1489), elle apparait aussi chez Shakespeare (Henri VI). Hormis Chapelain en 1656 (La Pucelle ou la France délivrée, 1659), les dramaturges français puisent peu dans la geste de la guerrière barroise. L’œuvre libertine de Chapelain fut plus tard parodiée par un mauvais Voltaire. On estime parfois que l’Ancien Régime a peu exalté Jeanne d’Arc. Pourtant, au début du XVIe siècle, l'une des premières statues en bronze fondues en France depuis l’Antiquité est précisément une statue de Jeanne. En 1610, le poète Jacques Dorat range la Pucelle aux côtés des héros anciens. Après la Révolution, la Pucelle fait objet d’un opéra de Schiller suscitant les larmes de Chateaubriand. Suit Lamartine, dont la plume romantique fait primer chez Jeanne le sens de la patrie sur la foi : « Ange, femme, peuple, vierge, soldat, martyre, elle est l’image même de la France popularisée par la beauté, sauvée par l’épée, survivant au martyre, et divinisée par la sainte superstition de la patrie ».

Bien plus spirituelle, chez Péguy la Jeannette en prière, familière du bon Dieu : « Pour d’autres peuples vous avez envoyé des saints.

VOUS avez même envoyé des guerriers. Nous sommes des pêcheurs, mais nous sommes chrétiens tout de même. Nous sommes du peuple chrétien. Nous sommes de votre peuple de chrétienté » (Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc, 1910). C’est l’époque de sainte Thérèse de Lisieux, elle aussi intimement liée à Jeanne. Quant à Léon Bloy mystique et politique, il disserte sur la croix de bois présentée à Jeanne sur le bicher et l’oppose à la Croix de fer que « l’empereur de l’hérétique Allemagne offre aujourd’hui aux assassins et aux incendiaires »

(Jeanne d’Arc et l’Allemagne, 1915). Dans une autre guerre franco-allemande, Bernanos implore une Jeanne honorée par tous les soldats français croyants ou non. Plus tard, contre la dépossession identitaire et la perte de souveraineté, Jeanne sera invoquée avec passion par les droites nationales, aux parades rituelles de Le Pen comme au cour du bocage puyfolais.

Hors de France, Jeanne inspire Schiller mais aussi Mark Twain (mémoires de Jeanne d’Arc, 1895). Aux États-Unis, ou sept statues équestres la représentent, la sainte fascine. C’est au cri de « Joan of Arc » que s’élancent des Sammies en 1918. L’image de la guerrière en armure, placardée sous forme d’affiches, incite les ménagères américaines à épargner pour la victoire. Surtout, l’Amérique, c’est Hollywood. Dans le chef-d’œuvre de Victor Fleming, Joan of Arc 1948), Jeanne est jouée par une Ingrid Bergman bouleversante. Ce grand film, pour lequel le père Doncœur fut conseiller historique, demeurera pour l’actrice « le souvenir le plus cher de [sa] carrière ». La pièce de Jean Anouilh, L’Alouette, triomphe bientôt à New York. Ce rayonnement planétaire d'une femme si française, c’est peut-être Francois Cheng qui en parle le mieux. L’Académicien français d’origine chinoise voit dans ces mots de Jeanne le plus beau quatrain de notre langue : « Pus vint cette voix, Environ l’heure de midi, Au temps de l’été, Dans le jardin de mon père ». Voici Jeanne dans sa simplicité. Délivrée des sophismes. Loin du discours macronien de 2016 ou le futur président, évoquant le destin de celle qui avait « fendu le système », parlait de son ego à lui et de ses ambitions plus que de la geste johannique. La figure de Jeanne a-t-elle jamais connu pire contresens ? Il suffit pourtant de se taire. D’écouter sa voix lumineuse, sa douce insolence à son procès. De contempler sa foi droite. « Jehanne irradie ceux qu’elle approche », écrit Philippe de Villiers. Écoutons-la.

Photo : Le supplice de Jeanne sur son bûcher rouennais (détail de l’église Notre-Dame des Vertus Aubervilliers.)

Francois La Choüe Monde&vie 1er mai 2020 n° 985

Du nouveau sur Louis XIV

 

La chambre du trépas de Louis XIV Roy de France

300e anniversaire de la mort du Roi-Soleil.

« Dieu seul est grand, mes frères… », proclamait Massillon en prononçant l’oraison funèbre de Louis XIV. Evoquant le roi guerrier, l’oratorien y blâmait l’« art funeste d’apprendre aux hommes à s’exterminer les uns les autres ». Au lendemain de la disparition du monarque, la parole se libérait, observe Joël Cornette : « Nul prince n’a obtenu plus de louanges pendant sa vie, ni essuyé plus de reproches après sa mort. » 

Dans un ouvrage paru dans la célèbre collection des « Journées qui ont fait la France », l’auteur, un spécialiste du Grand Siècle, étudie les réactions qui se sont manifestées après le décès du roi, le 1er septembre 1715, et confronte ce bilan à chaud à celui que peut dresser un historien, trois siècles plus tard (1). Remarquable travail, qui analyse le projet politique que Louis XIV a porté – la constitution d’un appareil administratif d’Etat appuyé sur une forte culture royale -, mais aussi ses limites et ses échecs. A l’aube du siècle des Lumières s’ouvrait une ère nouvelle pour la monarchie française, puisque ni le Régent, ni Louis XV, ni Louis XVI ne voulurent reproduire le modèle incarné par leur parent.

Ceux qui s’intéressent à cette époque avaient déjà à leur disposition le Dictionnaire du Grand Siècle que dirigea François Bluche (Fayard, rééd. 2005) ou le Dictionnaire de l’Ancien Régime coordonné par Lucien Bély (PUF, rééd. 2002). Ce dernier a réuni une douzaine de chercheurs pour publier, cette fois, le premier dictionnaire consacré à Louis XIV (2). Précieux ouvrage qui permettra aux passionnés de se rafraîchir la mémoire ou de parfaire leurs connaissances : rédigées à partir des découvertes les plus récentes, les entrées de ce volume explorent l’homme Louis XIV et son oeuvre à travers toutes leurs facettes. Voulant échapper à l’apologie, le propos, ici, est parfois critique à l’excès. Il a du moins le mérite de faire réfléchir, et laisse en tout cas place à l’admiration pour le « rêve de grandeur » qui animait le Roi-Soleil.

Jean Sévillia

(1)La Mort de Louis XIV. Apogée et crépuscule de la royauté, de Joël Cornette, Gallimard, 368 p., 21 €.
(2) Dictionnaire Louis XIV, sous la direction de Lucien Bély, Robert Laffont, « Bouquins », 1 408 p., 32 €.

https://www.jeansevillia.com/2015/10/14/du-nouveau-sur-louis-xiv/

samedi 30 janvier 2021

DEVANT L'HISTOIRE QUELQUES REMARQUES NON SYSTÉMATIQUES

 

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L'histoire : un no man's land ?

De l'homme qui attache une importance particulière à l'histoire, on dit volontiers qu'il se sent mal à l'aise dans le présent et qu'il cherche à se reporter par le rêve aux époques qu'il préfère ; et, pour cette raison, qu'il est “conservateur”. Pour décrire ce comportement, qui prend aujourd'hui l'allure d'une épidémie, on a créé le terme de « nostalgie ». La nostalgie constitue un phénomène aux aspects multiples et sur lequel il n'est pas facile de porter un jugement. Mais elle ne semble pas dépendre d'attitudes intellectuelles fondamentales. Il existe des conservateurs nostalgiques et des conservateurs qui ne le sont pas, tandis que d'innombrables non-conservateurs éprouvent d'intenses nostalgies. De toute façon, la nostalgie n'est pas un élément constitutif du conservatisme ; et le fait qu'il soit ou non nostalgique ne permet pas de dire de quelqu'un qu'il est ou n'est pas conservateur.

◘ 1. L'histoire est proche

La plupart des malentendus au sujet de l'histoire tiennent au fait que l'on considère celle-ci comme éloignée dans le temps. Certes, l'histoire n'est pas immédiatement perceptible. Mais elle ne s'en inscrit pas moins dans le présent. Notre rapport avec elle peut se concevoir selon le modèle de l'holographie, qui a été exposé en 1948 par Dennis Gabor. Il s'agit d'une nouvelle sorte de “photographie” capable de fixer aussi bien les contours que l'envers d'un objet, bien que notre œil ne puisse en percevoir que l'endroit. L'homme qui n'a pas le sens de l'histoire est semblable à quelqu'un qui regarde dans un miroir : il s'y voit comme posé à la surface, avec tes déformations et les lacunes que cela comporte. Avoir le sens de l'histoire, cela signifie ne pas se contenter de cette unique dimension. Et — pour rester sur l'image que nous avons prise comme exemple — se pencher sur l'histoire, cela veut dire tenir derrière sa tête un second miroir ou tout un système de miroirs, afin de se voir de tous côtés – et prendre ainsi de la distance par rapport à soi-même.

◘ 2. L'histoire n'est pas un centre d'éducation

Le profit que l'on retire de l'histoire est généralement d'ordre moral. On en vante les exemples, que l'on pourrait chercher à égaler. On prétend qu'elle aiderait à éviter des erreurs que les autres ont commises. Et ainsi de suite. Les historiens n'ont pas ménagé leurs railleries quant à ces prétendus effets immédiatement éducateurs de l'histoire. Les successeurs des grands hommes sont généralement peu nombreux ; et les erreurs se renouvellent de façon lassante. Si l'histoire a un effet éducateur, le moins que l'on puisse dire est que cet effet se manifeste moins directement.

◘ 3. L'histoire permet des constatations vérifiables

L'histoire possède un pouvoir disciplinaire parce que sa fonction est la même que celle de l'expéri­mentation dans le domaine des sciences naturelles : l'histoire offre la seule possibilité d'effectuer des constatations vérifiables au niveau humain, tout comme l'expérimentation l'offre au niveau de la nature. Cette observation est plus facile à faire depuis que la philosophie s'est volontairement repliée dans le rôle modeste d'une secrétaire au cours de conversations interdisciplinaires. La logique, certes, dispose de ses inductions, mais seulement dans l'abstrait. Ce que nous essayons de distinguer, dans le domaine humain, en tant que “nature”, “âme” (Seele) et “esprit” (Geist), est si intimement confondu que la logique peut à peine l'appréhender. Que puis-je dire de véritablement vérifiable sur une chose, une personne, un événement humain ? Je peux dire ce que cela a été, ce que cela est devenu avec le temps et quel changement est intervenu. Sur le détail, il peut y avoir des divergences d'appréciation : dans les grandes lignes, un consensus est possible.

◘ 4. La vérifiabilité n'est pas tout

Quiconque fait remarquer les étroites limites des constatations vérifiables, s'expose en général à être soupçonné de vouloir dévaloriser toutes les constatations qui vont au-delà. Mais il serait insensé d'agir de la sorte : cela voudrait dire que toute tentative de remonter aux sources, tout projet de grande portée devrait être réduit d'autant, et qu'il faudrait laisser s'étioler la force créatrice qui est en l'homme. Dans la sphère des actions humaines, l'histoire possède une fonction particulière : la “vérifiabilité” ne signifie rien de plus. Et ce serait minimiser cette fonction que de l'appeler “compensatrice”, car l'expérience de l'histoire peut avoir 2 effets contraires et radicalement opposés.

◘ 5. Par l'histoire, nous faisons l'expérience du complexe

Ce serait encore une de ces simplifications inadmissibles que de dire, comme dans le cas de la nostalgie, que le « conservateur » éprouve l'histoire comme une absurdité. Certains auteurs ont utilisé cette métaphore de “l'in-signifiant” pour désigner quelque chose qui apparaît effectivement à travers chaque événement historique : à savoir le fait d'expérience que l'histoire représente toujours un plus par rapport aux grilles interprétatives que nous essayons de lui attribuer par la pensée. L'expérience fondamentale selon laquelle « le monde n'est pas divisible », c'est-à-dire que la pensée de l'homme et la réalité ne peuvent jamais coïncider, atteint dans la dimension historique une intensification qu'on pourrait comparer à “l'effet stéréo”. L'histoire est une école d'humilité : toutes les tentatives d'explications monocausales (aussi bien que bi- et tricausales) se brisent contre elle, et nous font prendre conscience du caractère complexe de toute réalité. Cela ne doit pas forcément nous troubler ni même nous écraser — au contraire : d'une manière difficilement définissable (et pour des motifs rationnels non explicables), cela peut en réalité nous pousser à une plus forte approbation. En réalisant à quel point le monde est complexe, nous vivons, en quelque sorte, une seconde naissance.

◘ 6. Par l'histoire, nous faisons l'expérience de la forme

Donner du sens à ce qui n'a pas de sens” est également une des formules dont nous devons nous méfier. Elle dissimule une psychologie un peu courte. Il est vrai que le monde n'a pas de sens, et que, comme l'homme ne peut pas vivre sans un sens, eh bien, il lui en invente un. Mais le rapport que nous devons avoir avec l'histoire est encore plus essentiel. Cette “seconde naissance” ne consiste pas seulement dans l'expérience de la complexité du monde — elle réside tout autant dans notre impulsion à opposer au complexe (Benn ou Montherlant diraient « au chaos ») une forme, une configuration. Ce qui nous émeut profondément dans l'histoire, c'est que l'homme cherche toujours, précisément sur le fond de cette expérience d'une réalité complexe, et même dans les situations les plus désespérées, à laisser encore une trace derrière lui. Même s'il ne s'agit que d'une égratignure de la si compacte réalité — comme Malraux le dit quelque part avec cette géniale nonchalance qui lui est propre.

◘ 7.

L'homme de l'Aufklärung dira : ce n'est pas beaucoup. Notre réponse ne peut être que : mais cela est.

► Armin MOHLER, Nouvelle École n°27/28, 1975.

(trad. : Paul Kornsprobst, article extrait d'un recueil collectif dirigé par M. Gerd-Klaus Kaltenbrunner : Die Zukunft der Vergangenheit : Lebendige Geschichte, klagende Historiker, Herder, München, 1975)

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/35

Clovis 1er, deuxième partie : le Dieu de Clotilde...

L'arrière-plan du “national-bolchevisme” : Versailles et l'occupation de la Ruhr 2/2

  


Le spectre de Rapallo

C’est ce désastre économique qui a conduit la France dans l’aventure de la Ruhr. Mais il y avait, selon Bariety, une autre raison, moins avouée : la terreur qu’inspirait à la France la conclusion des Accords germano-soviétiques de Rapallo (avril 1922). Le Reich faisait implicitement savoir qu’il n’était plus seul et que les Alliés occidentaux avaient intérêt à réviser Versailles ou, du moins, à l’édulcorer. Londres interprète Rapallo dans le même sens et les partisans britanniques de l’apaisement estiment qu’il faut procéder à une révision de façon à ancrer l’Allemagne dans l’Occident. Paris réagira plus passionnément : on y imagine l’alliance du potentiel industriel et technologique allemand avec la puissance révolutionnaire que déploie la nouvelle Russie et avec sa démographie galopante… La structure globale des relations internationales, favorable à la France, s’effondrerait si un axe Berlin/Moscou voyait le jour. L’État-major français et le ministre de la Défense, Maginot, font aussitôt pression sur Poincaré pour qu’il réagisse face à ce danger.

Pour Bariety, comme pour les communistes et les nationaux-bolchévistes allemands de l’époque, c’est davantage la perspective d’une alliance germano-russe qui a amené Poincaré à occuper la Ruhr que la volonté de faire respecter certaines clauses de Versailles.

Six plans allemands

Face à cette stratégie adoptée par la France, comment vont réagir les mondes politiques allemands ? La réponse nous est apportée, avec une remarquable concision, par Karl Dietrich Erdmann (Université de Kiel). Pour Erdmann, les réactions à l’occupation de la Ruhr sont au nombre de six :

  • 1) Celle des communistes de Karl Radek qui adoptent la “stratégie Schlageter” (Schlageter-Kurs).
  • 2) Celle de Hitler qui rêve d’une “Ruhr en flammes”.
  • 3) La Realpolitik nationale de Gustav Stresemann.
  • 4) La proposition de “modus vivendi” de Hans Luther.
  • 5) La solution préconisée par Karl Jarres.
  • 6) La position d’Adenauer.

De ces six positions, les plus antinomiques sont celles de Radek et d’Adenauer. Radek a appelé les nationalistes völkisch à se joindre au combat des communistes pour barrer la route à l’impérialisme français et pour briser le pouvoir du capitalisme allemand, jugé trop lâche pour s’opposer avec l’énergie voulue à l’occupation de la Ruhr. Géopolitiquement, cet appel s’inscrit dans la logique de Rapallo, celle qui effrayait le Quai d’Orsay. Comme les “conservateurs” Moeller van den Bruck ou Hielscher, Radek faisait miroiter une grande coalition des peuples de “l’Est”, sous la double houlette des Allemands et des Russes. Les flux d’échanges économiques se feraient désormais en autarcie du Rhin au Pacifique.

La stratégie préconisée par Radek échouera car elle fera appel simultanément à deux “mondes” politiques profondément différents, hostiles l’un à l’autre, inaptes à dialoguer. La diète “anti-fasciste” du 29 juillet 1923, à laquelle participa la KPD malgré l’appel de Radek, prouvera l’impossibilité du dialogue entre Völkische et communistes. Par ailleurs, considérablement affaiblie par sa guerre civile et par la guerre de 1920 contre la Pologne appuyée par la France, l’URSS [État fédéral institué fin 1922] avait signifié aux autorités allemandes qu’il lui était impossible de porter secours au Reich en cas d’invasion française et de guerre ouverte.

La position d’Adenauer

Adenauer, pour sa part, militait pour la constitution d’une république rhénane non entièrement détachée du Reich. Cette république, devant s’étendre du Palatinat à la Ruhr, garderait un droit de représentation à Berlin mais veillerait à combiner son réseau industriel avec ceux de la Belgique et de la France. Cette position “entre deux chaises” de la nouvelle république aurait, selon Adenauer, une fonction d’apaisement, ancrerait le Reich à l’Ouest et le détacherait de l’Est soviétisé. Adenauer ne pourra concrétiser son rêve qu’après 1945. L’opposition entre l’option Radek (ou Niekisch) et l’option Adenauer demeure d’actualité pour l’Allemagne et également pour la Belgique. L’avenir réside dans une reprise des échanges avec les industries d’Ukraine, de l’Oural, de l’Asie Centrale et non dans l’ancrage à l’Ouest atlantique, dans cet Occident qui patauge dans ses crises car les contradictions entre ses différents pôles sont trop fortes.

Et la Belgique ?

Les six contributions de l’ouvrage ne mentionnent pas les positions prises en Belgique, allant de l’hostilité résolue à l’aventure militaire (le Mouvement Flamand et les Socialistes de gauche, De Man compris) à l’enthousiasme d’une poignée de francophiles isolés. Le roi Albert Ier était franchement hostile à l’occupation, signale le professeur Willequet dans la biographie qu’il a consacré au souverain [Albert Ier, roi des Belges : un portrait politique et humain, Belgique Loisirs, 1979]. Bariety signale simplement la péripétie du “putsch d’Aix-la-Chapelle”, où quelques Allemands cherchent à proclamer une “république nord-rhénane”, très liée à la Belgique et peu liée à la France. Ce putsch, entrepris à l’instigation de quelques militaires comploteurs et des milieux de l’industrie métallurgique belge, visait à éviter l’encerclement de la Belgique par la France, via une république rhénane orientée exclusivement vers Paris. Bruxelles et le Quai d’Orsay s’affrontaient secrètement, sans que l’opinion publique ne soit au courant, pour la satellisation du Luxembourg. Au Grand-Duché, en effet, des agitateurs de diverses obédiences militaient pour l’annexion à la France ou pour une union dynastique avec la Couronne belge, impliquant une subordination des Grands-Ducs (ou Grandes-Duchesses) au Roi des Belges. Le roi Albert ne voudra rien entendre de pareilles élucubrations et proclamera qu’il veillera toujours à respecter la pleine souveraineté du peuple luxembourgeois. Le cauchemar qui hantait les milieux politiques belges, c’était de voir se constituer un Luxembourg et une Rhénanie entièrement sous contrôle français. D’autant plus qu’une large part de l’opinion publique critiquait avec véhémence les accords secrets pris entre les États-majors français et belge.

 Luc Nannens (pseud. RS), Orientations n°7, 1986.

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/29

CLOVIS 1er, première partie : l'ascension du roitelet...

L'arrière-plan du “national-bolchevisme” : Versailles et l'occupation de la Ruhr 1/2

   

[Ci-contre : Dame Europe à l’instar de Diogène cherche avec sa lanterne la Paix. Dessin paru dans le journal satirique berlinois Kladderadatsch, 1923]

• Recension : Klaus Schwabe (Hrsg), Die Ruhrkrise 1923, Wendepunkt der Internationalen Beziehungen nach dem Ersten Weltkrieg, Ferdinand Schöningh, Paderborn, 1985, 111 p.

Le contexte du national-bolchevisme a essentiellement été celui de l’occupation de la Ruhr par les troupes franco-belges. Cette occupation constitue indubitablement le point culminant des tensions qui secouèrent l’Europe occidentale après Versailles et se situe aussi dans le contexte des réparations que ce Traité exigeait de l’Allemagne vaincue.

L’Allemagne tentera de répondre à l’occupation militaire par la résistance passive. La France maintiendra son occupation et cherchera même à détacher la rive gauche du Rhin de l’ensemble du Reich. La République de Weimar plonge alors dans l’hyper-inflation de 1923, ponctuée, en novembre, par le putsch avorté d’Hitler et Ludendorff.

La crise ne déclenchera pas une nouvelle guerre européenne mais marquera un tournant important dans les relations internationales. La crise rhénane provoque une véritable redistribution des cartes. Expliquer les tenants et aboutissants de cette redistribution des cartes : tel est l’objectif que s’est assigné un groupe d’historiens réunis autour de Klaus Schwabe. Le Français Jacques Bariety analyse la politique française à l’égard de la Rhénanie et sa volonté de prendre le contrôle des industries de la Ruhr. Werner Link esquisse les grandes lignes de la politique américaine d’alors et Schwabe celles de la politique britannique. Karl Dietrich Erdmann énumère les alternatives proposées par les différentes formations politiques allemandes de l’époque.

La politique américaine a consisté essentiellement à arbitrer les conflits entre Européens. La politique britannique visait à juguler l’expansion de la France en Europe, en jouant l’apaisement à l’égard de l’Allemagne. Jacques Bariety nous révèle le nœud du problème franco-allemand entre 1914 et 1925 (Locarno). Avant la Grande Guerre, Français et Britanniques s’inquiètent des progrès considérables de l’industrie métallurgique allemande. En effet, le Reich avait pris la deuxième place dans le monde en ce domaine, immédiatement derrière les États-Unis. La place de l’Allemagne est due, entre autres, à une judicieuse combinaison des bassins de la Ruhr et de la Lorraine (Luxembourg compris, pays faisant alors partie de la Zollunion). La solidité de cette structure industrielle allemande a permis au Reich de tenir le coup pendant quatre ans face à toutes les puissances liguées contre lui. La destruction de ce potentiel devenait ipso facto un objectif militaire. C’est cet objectif que cherchera à asseoir le Traité de Versailles, du moins dans l’optique française. 

Le plan Foch

Bariety nous signale en outre que, pendant la durée des hostilités, aucun plan précis n’existait en France, prévoyant l’autonomisation de la Rhénanie ou son annexion déguisée. Foch sera le premier à suggérer cette politique, en constatant que la Rhénanie constituait une “place d’armes” des puissances centre-européennes, où se sont toujours rassemblées les armées prêtes à envahir la France. Le groupe réuni autour de Foch exercera une pression constante sur les gouvernements français et alliés pour influencer dans ce sens la rédaction définitive du Traité de Versailles. Cette stratégie se heurtera à un refus de la part de Wilson, président des États-Unis, et de Lloyd George, Premier ministre britannique. Clemenceau fera machine arrière de crainte de perdre l’appui de ses alliés anglo-saxons.

En 1923, quand Poincaré décide d’occuper la Ruhr, cherche-t-il à faire respecter les clauses du Traité de Versailles qui visent expressément l’affaiblissement de l’industrie allemande ou poursuit-il un projet plus vaste, la satellisation de la rive gauche du Rhin ? La question reste ouverte. Pour Bariety, il faut savoir que la France demeure seule à vouloir faire respecter les clauses les plus dures de Versailles, que les États-Unis se désintéressent de la question et que les Britanniques craignent que ne se constitue une hégémonie continentale en Europe sous l’égide de la France. De 1919 à janvier 1923, la diplomatie française hésitera entre les sanctions et les compromis (comme entre Rathenau et Loucheur en 1921). Fin 1922, la France doit admettre l’échec de sa tentative d’annihiler le potentiel industriel rhénan. Les firmes de la Ruhr, qui avalent reçu des dédommagements pour la confiscation de leurs avoirs en Lorraine et au Luxembourg, investissent ces fonds dans de nouvelles industries sises généralement en Westphalie et en Allemagne du Nord. Dès 1922, le Reich devenu républicain produit la même quantité d’acier, sur le sol allemand, qu’en 1913, où il possédait encore la Haute-Silésie et la Lorraine et où le Luxembourg appartenait à la Zollverein [Union douanière de 1834 à 1919]. La tactique suivie par les industriels allemands a été simple : ils sont allés se fournir en minerais en Suède et en Espagne. Conclusion : l’industrie allemande a pu conserver intacte son autonomie par rapport à la France et à la Belgique. La France traverse de ce fait une crise économique grave, pour avoir trop parié sur les réparations. Les mines lorraines ne travaillent plus qu’entre 50 et 30% de leurs capacités réelles. Si l’Allemagne conserve son niveau de production d’acier, la France, malgré le retour des bassins lorrains, tombe à 48% de sa production de 1913.

À suivre

Vers le royaume

   

Balzac avait voulu, dans le roman éponyme, se hasarder dans ce qu’il appelait L’envers de l’histoire contemporaine. C’est un peu le projet de trois romanciers qu s’expriment dans la revue Ligne de risque : Yannick Haenel, François Meyronnis et Valentin Retz. Mais qu’est-ce que l’envers de l’histoire ? Le revers du canevas, l’éternité… ou son contraire, l’immortalité transhumaniste que l’homme se donne à lui-même !

Le livre commence sur un constat, arraché à un sdf, qui a élu domicile Place de la République à Paris : « On m’a tout volé », lit-on sur un grand écriteau qui lui cache la poitrine. L’idée mère de nos trois complices est que nous pourrions tous porter cet écriteau. La modernité, les Lumières, la Révolution française mais aussi le nazisme et le communisme nous ont tout volé. 

Le monde se réduit à la logique des systèmes que l’homme a mis en place. Sa seule réalité est la cybernétique. À force d’automatisme, de calculs et de codes, nous nous retrouvons dans le monde virtuel et parce que dans l’opération, nous avons perdu la liberté de notre esprit, avec le rythme qui lui est propre, il est juste de dire que le Dispositif nous a tout volé. Il faut chercher à nous retrouver nous-mêmes, et, pour ces trois romanciers, c’est la littérature, son verbe ou le leur, qui nous y aidera. Ils lancent donc, comme une bouteille a la mer, leur appel des derniers jours. Et ils posent la question : comment échapper au Dispositif ? Comment retrouver la liberté ? Il s’agit pour chacun de se soustraire à « la stupeur du monde », cette stupeur qui nous rend tous interchangeables dans le grand Œuvre comptable du Dispositif et pour cela il importe à nouveau de croire dans l’histoire.

L’histoire n’est pas une suite incohérente d’événements qui seraient tous régis par la loi des plus forts. C’est un récit sacré, fait de coïncidences enthousiasmantes ou terribles, qui nous raconte, sans s’en donner l’air, notre propre histoire, mais surtout, Nietzsche l’avait bien compris, qui nous murmure à l’oreille l’histoire de ce Dieu, si solidaire de l’homme, qu’il parait mort, lui aussi empoisonné par le Dispositif. Vous lirez dans ces pages des choses que vous n’avez sans doute jamais lu ailleurs, par exemple la conversation entre Marmontel et Chamfort sur le sens caché de cette Révolution française, qui veut faire époque dans un recommencement de l’histoire. Vous découvrirez aussi que Hitler est, selon ses propres dires, le pur produit du Dispositif, et qu’il unissait dans la même exécration le judaïsme et le christianisme. Cette histoire, qui est proprement l’envers de l’histoire contemporaine, n’est pas constituée de souvenirs du passé, elle est ce qui du passé forme aujourd’hui notre présent. Elle est ce qui peut nous permettre de nous comprendre, en puisant dans cette connaissance  les ressources qui nous feront échapper au Dispositif.

Mais je leur laisse la parole à propos des Lumières : « Pour Emmanuel Kant, les Lumières furent le moment historique ou l’espèce humaine sort de sa minorité et devient adulte. Ce qu’il n’a pas anticipé c’est l’aspect coudé et sinueux que prendront les Temps modernes au moment de leur apothéose. On veut atteindre un but : l’émancipation humaine. Et par une déviation inattendue, on aboutit à son contraire le comble de la servitude ». « De la liberté absolue j’en arrive au despotisme absolu » marmonnait le Chigalev de Dostoievski. C'est tout le paradoxe de la modernité : la liberté mute en despotisme a l’ombre de Dame Guillotine. Comme l’immortalité est le contraire de l’éternité parce que c’est une fabrication humaine qui croit l’avoir remplacée et qui l’a seulement fait oublier.

Dans la partie suivante, “Le sacrifice d’Israël”. c’est justement à un exercice de mémoire que se livrent nos auteurs, mémoire de la Shoah, dont le récit est déjà esquissé dans la Bible lorsque Amann le ministre d’Assuerus roi des Perses organise la destruction des juifs dans l’immense empire de son maitre. C’est une femme Esther (la cachée) l’une des épouses de l’Empereur, qui lui fait prendre conscience de l’horreur. Renversement de situation : c’est Amann qui va mourir. Yahvé est bien ici le goël d’Israël, le rédempteur. De la même façon aujourd’hui c’est une rédemption, c’est un racheteur (goël), un renverseur de situation que nous attendons pour sortir du Dispositif.

Le livre, vaste quête littéraire et historique, se termine par la bonne nouvelle le royaume est possible. Il n’est pas hors d’atteinte. C’est une expérience intime qui nous est proposée : « Écoutez ! Voila que s’allume un passage en vous. Quelque chose s’ouvre et respire. C’est un endroit que vous ne connaissez pas, aussi ténu qu'une brise entre deux fleurs des champs et c’est extraordinaire vous sentez que rien encore n’est venu toucher ce lieu, que la société n’y a aucune part. Il y a en vous un endroit indemne, absolument séparé, vers lequel vous vous mettez à marcher : c’est le Royaume ». Tout est accompli !

Yannick Haenel, François Meyronnis, Valentin Retz, Tout est accompli, éd. Grasset, 364 p., 22 €

Abbé G. de Tanoüarn monde&vie 5 décembre 2019 n°979

vendredi 29 janvier 2021

Comment Gramsci décrit la dégénérescence socialiste

 On nous casse tout le temps les pieds à droite ou à gauche avec le néo-libéralisme – ou l’ultra-libéralisme. En réalité ce sont les libertariens qui ont raison et on est plutôt victimes de l’ultra-socialisme et de l’ultra-parasitisme en ces temps de la fin si digne de la Rome ancienne et assistée, qui désespérait tant notre camarade Juvénal et quelques dizaines d’autres. Nos dettes et nos prélèvements montrent que l’on est tout sauf libéraux. On est dans le sozial qui exaspérait Céline, et dans rien d’autre. Sauf que certains (les banquiers ou les fonctionnaires) en profitent mieux que d’autres (les salariés ou la jeunesse calcinée de Todd). Et ce n’est pas nouveau.

Pour me consoler, j’ai relu les œuvres de Gramsci, fameux théoricien marxiste ; lui aussi envoie promener les fadaises sur le libéralisme et voici ce qu’il dit et écrit en 1920 (découvrez le très bon site universitaire québécois uqac.ca) :

« Le capitaine d’industrie est devenu chevalier d’industrie, il se niche dans les banques, dans les salons, dans les couloirs des ministères et des parlements, dans les bourses. Le propriétaire du capital est devenu une branche morte de la production. »

Comme on était lucide à gauche.

Gramsci voit donc le problème de la désindustrialisation apparaître, le règne de la finance arriver avec les coups en bourse. Un siècle plus tard, il n’y a plus d’usines en Amérique mais Wall Street n’a jamais été si élevé, avec un Dow Jones à 19.000, cherchez pourquoi ! Et Bonner et Pat Buchanan expliquent pourquoi : on a siphonné via les taux abaissés la richesse américaine comme la richesse européenne, sauf peut-être l’allemande plus maligne et surtout familiale. A Londres et Bruxelles, la politique et la finance se disputent comme à New York le cadavre de l’industrie. Et on demande aux banques centrales de continuer de faire « bonne impression » pour continuer de soutenir les marchés.

Et Gramsci voit en bon romain l’intrusion de l’Etat produire une dégénérescence anthropologique (découvrez le libertarien allemand Hoppe qui parle lui de dé-civilisation). La part de prélèvement est passée de 8 à 2O% en France entre 1914 et 1920. Aujourd’hui on est à 60. Le social et la guerre, le beurre et les canons. L’Etat et son éducation tarée créent des générations perdues de gens oisifs.

« L’Etat devient ainsi l’unique propriétaire de l’instrument de travail, il assume toutes les fonctions traditionnelles de l’entrepreneur, il devient la machine impersonnelle qui achète et distribue les matières premières, qui impose un plan de production, qui achète les produits et les distribue : l’Etat bourgeois, celui des bureaucrates incompétents et inamovibles ; l’Etat des politiciens, des aventuriers, des coquins. Conséquences : accroissement de la force armée policière, accroissement chaotique de la bureaucratie incompétente, tentative pour absorber tous les mécontents de la petite-bourgeoisie avide d’oisiveté, et création à cet effet d’organismes parasitaires à l’infini. »

Ce ne serait pas les bobos, les RTT socialos, cette petite-bourgeoisie avide d’oisiveté ? Sinon ici Gramsci raisonne comme nos frères libertariens et aussi comme le Gustave Le Bon – celui de la Psychologie du socialisme.

Gramsci décrit la dégénérescence systémique aussi dans les lignes qui suivent. Le nombre de fonctionnaires avait décuplé en France en un siècle (l’observation avait déjà été faite par Marx, très hostile aussi à l’État, dans son « Dix-huit Brumaire de Bonaparte ») :

« Le nombre des non-producteurs augmente de façon malsaine, dépasse toute limite tolérable pour le potentiel de l’appareil productif. On travaille et on ne produit pas, on travaille durement et la production ne cesse de décroître. C’est qu’il s’est formé un gouffre béant, un gosier immense qui engloutit et anéantit le travail, anéantit la productivité.

Les heures non payées du travail ouvrier ne servent plus à augmenter la richesse des capitalistes : elles servent à nourrir l’avidité de l’énorme multitude des agents, des fonctionnaires, des oisifs, elles servent à nourrir ceux qui travaillent directement pour cette foule de parasites inutiles. »

La dette alimente les financiers, les fonctionnaires internationaux, les manipulateurs de symboles (Robert Reich), ces héritiers du Dr Mabuse qui siphonnent la richesse en prétendant la redistribuer. Gramsci encore :

« Et personne n’est responsable, personne ne peut être frappé : toujours, partout, l’Etat bourgeois avec sa force armée, l’Etat bourgeois qui est devenu le gérant de l’instrument de travail qui se décompose, qui tombe en morceaux, qui est hypothéqué et sera vendu à l’encan sur le marché international des ferrailles dégradées et inutiles… »

La société moderniste et arrogante n’est donc pas moderne du tout. Elle a multiplié par dix-neuf mille la dette américaine et les autres. Et ce bazar durera tant que les banques centrales pourront se permettre de faire bonne impression.

Certains disent que ce sera éternel.

https://voxnr.com/6724/comment-gramsci-decrit-la-degenerescence-socialiste

Assimiler l'étranger dans l'Antiquité

Déclin aristocratique et corvée démocratique 2/2

   

« A mesure que les révolutions suivaient leur cours et que l’on s’éloignait de l’ancien régime, le gouvernement des hommes devenait plus difficile. Il y fallait des règles plus minutieuses, des rouages plus nombreux et plus délicats. C’est ce qu’on peut voir par l’exemple du gouvernement d’Athènes. »

Ici on croirait du Tocqueville. Peut-être que la sensibilité aristocratique de nos deux grands historiens…

Mais Fustel décrit la corvée démocratique au jour le jour (pp.451-452) :

« On est étonné aussi de tout le travail que cette démocratie exigeait des hommes. C’était un gouvernement fort laborieux. Voyez à quoi se passe la vie d’un Athénien. Un jour il est appelé à l’assemblée de son dème et il a à délibérer sur les intérêts religieux ou financiers de cette petite association. Un autre jour, il est convoqué à l’assemblée de sa tribu ; il s’agit de régler une fête religieuse, ou d’examiner des dépenses, ou de faire des décrets, ou de nommer des chefs et des juges. »

Après c’est du Prévert :

« Trois fois par mois régulièrement il faut qu’il assiste à l’assemblée générale du peuple ; il n’a pas le droit d’y manquer. Or, la séance est longue ; il n’y va pas seulement pour voter : venu dès le matin, il faut qu’il reste jusqu’à une heure avancée du jour à écouter des orateurs. Il ne peut voter qu’autant qu’il a été présent dès l’ouverture de la séance et qu’il a entendu tous les discours. Ce vote est pour lui une affaire des plus sérieuses ; tantôt il s’agit de nommer ses chefs politiques et militaires, c’est-à-dire ceux à qui son intérêt et sa vie vont être confiés pour un an ; tantôt c’est un impôt à établir ou une loi à changer ; tantôt c’est sur la guerre qu’il doit voter, sachant bien qu’il aura à donner son sang ou celui d’un fils. Les intérêts individuels sont unis inséparablement à l’intérêt de l’État. L’homme ne peut être ni indifférent ni léger. »

Tout est préférable au règne des Agathoi (les « bons » de Théognis)… Fustel ajoute :

« Le devoir du citoyen ne se bornait pas à voter. Quand son tour venait, il devait être magistrat dans son dème ou dans sa tribu. Une année sur deux en moyenne, il était héliaste, c’est-à-dire juge, et il passait toute cette année-là dans les tribunaux, occupé à écouter les plaideurs et à appliquer les lois. Il n’y avait guère de citoyen qui ne fût appelé deux fois dans sa vie à faire partie du Sénat des Cinq cents ; alors, pendant une année, il siégeait chaque jour, du matin au soir, recevant les dépositions des magistrats, leur faisant rendre leurs comptes, répondant aux ambassadeurs étrangers, rédigeant les instructions des ambassadeurs athéniens, examinant toutes les affaires qui devaient être soumises au peuple et préparant tous les décrets. »

Avec sa méticulosité et sa soif de taxes et de règlements, la démocratie exige déjà un job à temps plein qui va créer une bureaucratie fonctionnarisée. Et on retombe inévitablement sur l’importance de l’argent déjà dénoncée par Théognis :

«  Enfin il pouvait être magistrat de la cité, archonte, stratège, astynome, si le sort ou le suffrage le désignait. On voit que c’était une lourde charge que d’être citoyen d’un État démocratique, qu’il y avait là de quoi occuper presque toute l’existence, et qu’il restait bien peu de temps pour les travaux personnels et la vie domestique. Aussi Aristote disait-il très-justement que l’homme qui avait besoin de travailler pour vivre ne pouvait pas être citoyen. »

N’oublions que la Révolution Française accoucha de la plus formidable armée de fonctionnaires au monde, celle qui émerveillait aussi bien Taine que le pauvre Karl Marx qui inspira les totalitarismes révolutionnaires (« dans un pays comme la France, où le pouvoir exécutif dispose d’une armée de fonctionnaires de plus d’un demi-million de personnes et tient, par conséquent, constamment sous sa dépendance la plus absolue une quantité énorme d’intérêts et d’existences, où l’État enserre contrôle, réglemente, surveille et tient en tutelle la société civile… »).

On n’est pas ici pour transformer le cours de l’histoire humaine, et on s’en gardera, vu que ce désir malheureux est si souvent promis à un sort malheureux ! Mais on ne s’étonnera alors pas, et j’inviterai à découvrir l’œuvre du philosophe libertarien Hoppe à ce propos, en affirmant que le grand avènement démocratique, avec son cortège de guerres impériales-humanitaires-messianiques, de contrôles étatiques et d’inflation fiscale,  marque souvent la fin d’une civilisation en fait – y compris et surtout sur le plan culturel. Que le phénomène démocratique ait débouché sur le césarisme ici, le fascisme ou le communisme là, et sur la création maintenant d’une caste mondialisée de bureaucrates belliqueux ne devra bouleverser personne.

Sources citées (non celles évoquées)

  • Théognis – Elégies (Remacle.org)
  • Fustel – La cité dans l’histoire (classiques.uqac.ca)
  • Marx – Le dix-huit Brumaire

https://voxnr.com/49190/declin-aristocratique-et-corvee-democratique

jeudi 28 janvier 2021

Passé-Présent n°291 : Les origines de la Commune de Paris

 Suivons Philippe Conrad dans l’exposition chronologique des événements qui ont précédé l’établissement de la Commune de Paris, officiellement proclamée en mars 1871, et qui aboutirent à une guerre insurrectionnelle face au gouvernement légitime d’Adolphe Thiers replié à Versailles.

Percy Fawcett à la recherche d’une cité perdue.
Une fois encore Anne Sicard s’attache à nous faire connaître, ou à mieux appréhender, l’existence d’un personnage méconnu. Il s’agit cette fois de Percival Harrison Fawcett (1867-1925) officier supérieur de l’armée britannique, archéologue, cartographe et explorateur au physique de héros, organisateur de nombreuses expéditions en forêt amazonienne dont la dernière, à la recherche d’une cité perdue dans le Mato Grosso, lui sera fatale.

https://www.tvlibertes.com/passe-present-n291-les-origines-de-la-commune-de-paris

Déclin aristocratique et corvée démocratique 1/2

  

On peut s’adonner à l’adoration de la démocratie en ces temps d’Etat profond et d’Europe de Bruxelles, il reste que le mot plèbe, dont elle marque la triomphe, a été balayé de tous temps par les génies de l’humanité, à commencer par Platon ou Juvénal, jusqu’à Nietzsche ou Tocqueville. On a évoqué les transformations sociétales (les chiens et les gosses qui parlent aux maîtres et aux parents, etc.) du livre VIII de la République, mais on va revenir  ici à la démocratie à la grecque et à sa gestion compliquée…

Fustel de Coulanges dresse un tableau assez terrible de la progression  démocratique à Athènes et dans la Grèce ancienne, où elle fut plus cruelle qu’à Athènes, parfois abominable. Mais elle est tellement fatale et inévitable – y compris la décadence qui va avec – qu’on ne va pas la dénoncer !

La Cité dans l’Histoire… Fustel écrit, dans un style proche de Tocqueville :

« Mais telle est la nature humaine que ces hommes, à mesure que leur sort s’améliorait, sentaient plus amèrement ce qu’il leur restait d’inégalité. »

La progression de la plèbe est bien sûr liée à celle de la tyrannie :

« Dans quelques villes, l’admission de la plèbe parmi les citoyens fut l’œuvre des rois ; il en fut ainsi à Rome. Dans d’autres, elle fut l’œuvre des tyrans populaires ; c’est ce qui eut lieu à Corinthe, à Sicyone, à Argos. »

Fustel ici nous fait découvrir un poète méconnu et politiquement réac, Théognis de Mégare. Le passage est passionnant, décrivant un déclin de l’humanité qui nous rappelle celui où Ortega nous explique que l’humanité moderne, comme la romaine, est devenue stupide :

« Le poète Théognis nous donne une idée assez nette de cette révolution et de ses conséquences. Il nous dit que dans Mégare, sa patrie, il y a deux sortes d’hommes. Il appelle l’une la classe des bons, γαθοί; c’est, en effet, le nom qu’elle se donnait dans la plupart des villes grecques. Il appelle l’autre la classe des mauvais, κακοί; c’est encore de ce nom qu’il était d’usage de désigner la classe inférieure. Cette classe, le poète nous décrit sa condition ancienne : « elle ne connaissait autrefois ni les tribunaux ni les lois » ; c’est assez dire qu’elle n’avait pas le droit de cité. Il n’était même pas permis à ces hommes d’approcher de la ville ; « ils vivaient en dehors comme des bêtes sauvages ». Ils n’assistaient pas aux repas religieux ; ils n’avaient pas le droit de se marier dans les familles des bons. »

Théognis apparaît comme un nostalgique du temps jadis, le laudator temporis acti, façon Bonald par exemple qui écrit au lendemain de la brutale Révolution dite française (comme disait Debord, une bourgeoisie habillée… à la romaine). Il ajoute :

« Mais que tout cela est changé ! les rangs ont été bouleversés, « les mauvais ont été mis au-dessus des bons ». La justice est troublée ; les antiques lois ne sont plus, et des lois d’une nouveauté étrange les ont remplacées. La richesse est devenue l’unique objet des désirs des hommes, parce qu’elle donne la puissance. L’homme de race noble épouse la fille du riche plébéien et « le mariage confond les souches ».

Et Fustel décrit le noble destin de Théognis :

« Théognis, qui sort d’une famille aristocratique, a vainement essayé de résister au cours des choses. Condamné à l’exil, dépouillé de ses biens, il n’a plus que ses vers pour protester et pour combattre. Mais s’il n’espère pas le succès, du moins il ne doute pas de la justice de sa cause ; il accepte la défaite, mais il garde le sentiment de son droit. A ses yeux, la révolution qui s’est faite est un mal moral, un crime. Fils de l’aristocratie, il lui semble que cette révolution n’a pour elle ni la justice ni les dieux et qu’elle porte atteinte à la religion. « Les dieux, dit-il, ont quitté la terre ; nul ne les craint. La race des hommes pieux a disparu ; on n’a plus souci des Immortels. »

Puis, comme Mircéa Eliade, mais bien avant, Fustel explique que Théognis comprend qu’on oubliera même le souvenir de la nostalgie :

« Ces regrets sont inutiles, il le sait bien. S’il gémit ainsi, c’est par une sorte de devoir pieux, c’est parce qu’il a reçu des anciens « la tradition sainte », et qu’il doit la perpétuer. Mais en vain la tradition même va se flétrir, les fils des nobles vont oublier leur noblesse ; bientôt on les verra tous s’unir par le mariage aux familles plébéiennes, « ils boiront à leurs fêtes et mangeront à leur table » ; ils adopteront bientôt leurs sentiments. Au temps de Théognis, le regret est tout ce qui reste à l’aristocratie grecque, et ce regret même va disparaître. »

Et comme on ne descend jamais assez bas, cette semaine j’ai découvert que ma libraire ne savait pas écrire Shakespeare, ma femme que son imprimeur de partitions ignorait qui était Mozart.

Le culte religieux, lié à l’aristocratie (la marque de l’aristocrate c’est la piété, dit Bonald) disparait donc :

« En effet, après Théognis, la noblesse ne fut plus qu’un souvenir.

Les grandes familles continuèrent à garder pieusement le culte domestique et la mémoire des ancêtres ; mais ce fut tout. Il y eut encore des hommes qui s’amusèrent à compter leurs aïeux ; mais on riait de ces hommes. On garda l’usage d’inscrire sur quelques tombes que le mort était de noble race ; mais nulle tentative ne fut faite pour relever un régime à jamais tombé. Isocrate dit avec vérité que de son temps les grandes familles d’Athènes n’existaient plus que dans leurs tombeaux (La cité antique, pp.388-389). »

Arrive la démocratie dont on oublie qu’elle fut surtout une corvée compliquée (comme dit Cochin, il faut se coucher tard pour conspirer longtemps…). Le peuple gagne peu à devenir démocrate. Il en devient esclave, explique Fustel dans des chapitres justement ignorés…

À suivre

Le monde des esprits - Cycle des Arcanes

Les derniers paysans

 Un historien raconte la trajectoire, sur quatre ou cinq générations, de familles qui incarnent d’authentiques dynasties paysannes.

     Vers 1950, la France était encore une nation rurale dont les paysans formaient le tiers de la population. Aujourd’hui, plus de huit Français sur dix vivent en ville, tandis que les agriculteurs ne représentent plus que 1 % de la population active.

Dès 1967, le sociologue Henri Mendras publiait un livre dont le diagnostic tenait dans le titre : La Fin des paysans. L’auteur y défendait une thèse qui avait fait scandale à l’époque. La disparition de la civilisation paysanne, selon lui, ne laisserait dans les campagnes françaises que des agriculteurs-producteurs obéissant aux règles du marché, de la division du travail et de la technique.
Mendras avait été prophète en analysant les conséquences de la fin de la paysannerie, catégorie sociale qui a profondément marqué notre histoire, notre culture et notre imaginaire. François Mitterrand, avec sa célèbre affiche de 1981 le campant devant un village surplombé par son église, savait sur quelle corde nostalgique il jouait dans l’opinion.
     Chaque année nous apporte son lot de documentaires télévisés ou de beaux livres illustrés sur les derniers paysans. La fin du village ou l’apparition des « rurbains », ces citadins qui se sont fixés à la campagne mais qui finissent par être rattrapés par l’urbanisation, ont suscité, de même, de nombreuses publications savantes. Tout autre est la perspective suivie par Jean-Marc Moriceau, professeur à l’université de Caen, spécialiste d’histoire rurale, dans Secrets de campagnes. Dans cet ouvrage, l’historien raconte la trajectoire, sur quatre ou cinq générations, de cinq familles incarnant d’authentiques dynasties paysannes, mais dont les héritiers actuels ont su se maintenir sur leurs terres et s’adapter aux exigences de l’agriculture du XXIe siècle. De la Bourgogne à l’Angoumois et de la Normandie à l’Auvergne, les contextes diffèrent, et nul éleveur ou cultivateur n’est semblable à un autre. Mais un trait commun caractérise ces hommes : ils font un métier où rien n’est jamais acquis et où tout est un combat permanent. D’où un effet de contraste entre un ancrage ancestral et une certaine fragilité qui pend comme une épée de Damoclès au-dessus de ces paysans à la fois si modernes et si peu modernes.

Jean Sévillia 

Secrets de campagnes. Figures et familles paysannes au XXe siècle, de Jean-Marc Moriceau, Perrin, 238 p., 19,50 €.

https://www.jeansevillia.com/2015/04/11/les-derniers-paysans/

La Petite Histoire : Une bataille de géants aux portes de Moscou

 Le 7 septembre 1812, après des semaines de retraite incessante et de politique de la terre brûlée, les Russes commandés par le général Koutouzov se décident enfin à affronter la Grande armée. Le choc est terrible et oppose plus de 250 000 hommes à moins de 130 km de Moscou, avec à la clé des pertes effroyables encore jamais vues sur un champ de bataille. C’est une véritable « bataille de géants » en plein cœur de la Russie. Si les deux camps revendiqueront la victoire, celle-ci est bien française. Maîtresse du terrain et des redoutes, la Grande armée de Napoléon s’ouvre ici la route de Moscou, espérant y recevoir une capitulation qui ne viendra jamais…

https://www.tvlibertes.com/la-petite-histoire-une-bataille-de-geants-aux-portes-de-moscou

mercredi 27 janvier 2021

LA PLUS GROSSE EMISSION d'Alexandre raconte...... le drame de Mayerling !

Machiavel et la modernité Politique, stratégie et guerre 5/5

  

Caractère existentiel de l'analyse, de l'engagement et de ses issues : les valeurs fondant identité et modes de vie en sont l'enjeu ; d'où la portée, limitée et réduite, du neutralisme ou de la neutralité, positions intermédiaires et édulcorées du politique qui est polémique, même au niveau sémantique ou linguistique. Peut-il y avoir une neutralité idéologique et morale entre deux acteurs aux prises ? Peut-on tenir, vis-à-vis d'eux, sans hypocrisie ou cynisme, une égale position d'équidistance ? S'il existe sûrement un intérêt immédiat au non alignement, y a-t-il un ou un intérêt à long terme dans le non-engagement ? La force des grandeurs morales ne compense pas toujours les carences des grandeurs physiques.

En machiavélien et clausewitzien conséquent, C. Schmitt développe une idée, de grande valeur heuristique et praxéologique : celui qui est en lutte avec un ennemi absolu voit une menace, donc un affaiblissement essentiel de sa capacité immédiate de lutte, dans toute forme de relativisation de l'ennemi; un ennemi qui serait fictivement neutralisé jusqu'à être transformé en partenaire du jeu. Or la nature manichéenne de toute bipolarisation des valeurs et de toute antithèse absolue est-elle une objection pertinente ?

Carl Schmitt poursuit : « Les concepts d'ami et d'ennemi doivent être pris dans leur signification concrète, existentielle, et non comme métaphores ou symboles. Ils ne doivent pas être mêlés et affaiblis par des considérations économiques, morales ou d'autre nature et, moins que jamais, ils doivent être interprétés dans un sens individualiste et privé... Le libéralisme a cherché à résoudre le dilemme ; l'ennemi n'est pas le concurrent ou l'adversaire en général. L'ennemi n'est pas non plus l'adversaire privé qui nous hait à cause de sentiments d'antipathie... L'ennemi, ce ne peut être qu'un ensemble d'individus groupés, affrontant un ensemble de même nature et engagés dans une lutte pour le moins virtuelle, c'est-à-dire effectivement possible :.. L'ennemi ne saurait être qu'un ennemi public, parce que tout ce qui est relatif à une collectivité, et particulièrement à un peuple tout entier, devient de ce fait affaire publique. L'ennemi c'est l'hostis et non l'inimicus » .

C'est de cette conscience du « donné extrême » et du donné radical, polémique et belligène, que découle la considération inébranlable selon laquelle « les concepts d'ami, d'ennemi et de combat, tirent leur signification objective et spécifique de la possibilité de provoquer la mort physique d'un homme. La guerre naît de l'hostilité, car celle-ci est la négation absolue d'un autre être. La guerre n'est que l'actualisation ultime de l'hostilité ».

Un problème apparaît alors : celui de la concrétisation de ce modèle abstrait, de ce type idéal. Cette identification est politiquement capitale pour définir, d'abord, les modes de la relation policée et civile d'obéissance qui est inscrite dans le droit et dans le contrat social et, de ce fait, le rapport de la politique et du politique ; elle est ensuite essentielle pour la reconnaissance de la dissociation irréductible, à la fois historique et conceptuelle, du champ de la politique et de celui de l'État.

La relation d'identité, État = politique est donc, non pertinente. Les modalités extrêmes de la politique peuvent dissoudre l'État : guerre civile à l'intérieur, guerre totale à l'extérieur.

La radicalité idéelle du concept de politique trouve son expression accomplie dans la relation existentielle d'hostilité mortelle, propre à la guerre, qui est actualisation de la virtualité omniprésente de l'animus hostilis. Elle exige une présupposition principale : l'existence et la présence effectives de l'ennemi. Sa désignation est l'œuvre du politique, l'expression de son primat.

La netteté des deux états de paix et de guerre et la transition de l'un à l'autre, posent d'abord le problème de la définition philosophique de la virtualité d'une essence, l'hostilité, de l'intention hostile ou de l'animus hostilis dans l'actualité du combat, de l'animus belligerandi ou la passion belligène ; ensuite, le problème juridique de la réglementation des cas et situations intermédiaires : actes hostiles et guerres non déclarées, comportant des sanctions et des formes variables de représailles...

Plus malaisée encore la définition, aux yeux du droit public international et de la conscience universelle, des états ou conditions hybrides, et fort actuels, de guerre et de non-guerre, de paix chaude ou de guerre froide.

Existe-il un mode de la relation entre paix et guerre, calquée sur le rapport ami-ennemi, qui permette de sortir de l'impasse et de rechercher une solution tierce déjà exclue par la netteté de la formule classique : Inter pacem et bellum nihil est medium ? Recherche fort utile en notre temps, car liée à la recherche de solutions et décisions autres que celles extrêmes.

C'est la poursuite de la spéculation machiavélienne sur les moyens capables de maîtriser la violence et de la soumettre à l'essentiel, l'originel et le primordial.

Ne sommes-nous pas depuis 1945, et entre les deux blocs Est et Ouest, dans la situation où « Bellum manet, pugna cessat »? S'agit-il de l'hostilité propre à la nature humaine, à peine cristallisée par la situation objective des relations internationales dans une conjoncture désormais planétaire, ou bien d'un tournant radical de l'histoire où la paix « n'est que la continuation de la guerre par d'autres moyens », comme le voudraient les tenants du « bellicisme et de la guerre totale »? Ces deux conceptions n'ont-elles pas en commun l'idée de la virtualité omniprésente de l'antagonisme de l'ami et de l'ennemi, constitués en présupposés comme la réalité profonde du politique et de fondement originel de tout conflit ?

Notons en passant que C. Schmitt se défend des critiques selon lesquelles sa définition du politique serait « belliciste, militariste ou impérialiste et qu'elle ferait de la guerre un but, un objectif ou un idéal social ». Le propos de ses discriminations théoriques n'est-il pas de dégager des espaces de liberté au sein des situations intermédiaires de guerre et de non guerre : situations dans lesquelles l'effacement des frontières, conduit à l'hybridation constante des deux règnes, autrefois disjoints, d'affrontement et de quiétude ?

Le problème est de taille, non seulement sous l'aspect du droit international public et de son effort constant pour en formaliser les frontières et les conduites, mais aussi sous celui de la conceptualisation de stratégies et doctrines d'action, non soumises à la montée inévitable aux extrêmes du paroxysme belligène.

Revenons un moment en arrière, à l'effort de C. Schmitt pour saisir la portée et l'ambiguïté profonde de la notion de « neutralité »17. Celle-ci ne peut être déduite, comme on l'a rappelé plus haut, des tentatives du droit public international, ni du respect des normes, édictées sous la contrainte d'une relation permanente, et relativement stable, de dissymétrie de puissance, mais uniquement de la relation préliminaire, principale et historiquement évolutive du concept d'hostilité. Cette dernière recouvre tout le champ de la politique et, en tant que telle, les relations fondamentales d'État à État. Les alliances et les coalitions ne représentent qu'une de leurs formes : celle du regroupement politique final en amis et ennemis.

Cette conséquence particulière révèle, si besoin était, l'étendue de la condition de subordination de l'agir politique, dans ses expressions les plus diverses, au présupposé initial. Elle permet de saisir l'évolution de ses possibilités d'existence, au sens de leur respect et de leur signification, tout au long des hostilités depuis leurs phases et conditions de départ.

L'équilibre des rapports entre pouvoir-puissance, qui se dégage du concept de guerre et de sa réalité actualisée et mouvante, conduit C. Schmitt à entrevoir quatre situations et à en décrire les traits spécifiques. On ne retiendra ici que les trois premiers, car le quatrième, celui de l'isolement et de l'autarcie d'un acteur par rapport au système mondial, est désormais révolu dans un univers de relations planétaires.

Les caractéristiques de ces différentes situations peuvent être ainsi résumées :

    situation d'équilibre de forces entre belligérants et neutres : neutralité possible et praticable sur les deux plans, objectif et subjectif, du respect de la situation de non belligérance et de la fonction d'amitié impartiale.

    situation univoque de supériorité des belligérants sur les neutres. La neutralité résulte du compromis tacite entre belligérants en situation d'équilibre de forces ; ceci laisse des espaces politiques de manœuvre, hors du terrain moral et matériel des hostilités, aux non belligérants situés ainsi dans une sorte de « no man's land » du conflit.

    situation univoque de supériorité des neutres (en position de prépondérance des forces) sur les belligérants. Ces derniers font figure de pions, clients ou acteurs secondaires sur l'échiquier politique du moment. Leur condition est celle, intéressante de nos jours, d'acteurs soumis à tutelle ou à une liberté d'action limitée, et dont l'espace de jeu dépend d'une situation qu'ils ne maîtrisent pas entièrement parce qu'elle est excentrique aux enjeux et intérêts pour lesquels ils se battent. L'initiative, régionale ou locale, est consentie, mais à l'intérieur de formes qui échappent aux buts des acteurs engagés et isolément considérés. S'agit-il là du cas de figure auquel nous appliquons l'expression de « stratégie indirecte »?

1 « Esquisse d'une théorie sur les rapports entre guerre et droit », in « La guerre et ses théories », PUF, Paris 1970. Institut international de philosophie politique, Annales de philosophie politique, 9.

2 Voir E. Bloch : « La philosophie de la Renaissance », Payot, Paris.

3 F. Bacon : « De argumentis scientiarum », 1, Vll, C; « Machiavello et hujus­modi scriptoribus, qui aperte et indissimulanter prof erunt quid homines facere soleant non quid debeant ». F. Meinecke, p. 403, in « Die idee der Staatsràson in die neueren Geschichte », Oldenbourg, München, Berlin, 1924. Voir aussi G. Pro­cacci in « Introduzione » au Principe et Discorsi p. LXXXVI, Feltrinelli editore, Milano, 1979.

4 In C. Lefort: « Le travail de l'œuvre : Machiavel », Gallimard, Paris, NRF, 1972, p. 73. Citation de T. Guiraudet, « Œuvres de Machiavel », An VII, préface.

5 A. Philonenko : « Essais sur la philosophie de la guerre », Paris, Librairie philosophique. J. Vrin, 1976, p. 16, note 7 : « La tragédie anglaise n'a voulu voir en Machiavel qu'un fourbe ». E. Meyer dans ses « Litterarhistoriche Forschungen » (Weimar 1907, Bd 1) relève, dans la littérature élisabéthaine, 395 allusions à Machiavel qui a toujours incarné la fausseté et la fourberie. A travers les oeuvres de Ben Jonson, Webster, Beaumont, Fletcher, etc... Machiavel apparaît comme le personnage ténébreux. Mais c'est chez Shakespeare d'une part, et Marlowe d'autre part, qu'on trouve l'expression la plus plastique du visage attribué à Machiavel. Sans se soucier de l'anachronisme, Shakespeare attribue à Richard, duc de Gloucester, dans l'acte III de « Henri IV », le monologue suivant : « Eh quoi ! je puis sourire et tuer en souriant... je suis capable de noyer plus de marins que la sirène,... de tromper avec plus d'art qu'Ulysse... au caméléon je puis prêter des couleurs, et mieux que Protée de formes changer, et à l'école envoyer le sangui­naire Machiavel ». Marlowe, dans l'avant-propos du « Juif de Malte », est plus explicite et pénétrant : « Le monde a beau croire que Machiavel est mort, son âme n'a fait que passer les Alpes... ».

6 Voir notes annexes

7 Première descente de Charles VIII en Italie, en 1494.

8 Voir C. Schmitt : « Theorien des Partisanen », Duncker & Humblot, Berlin 1963, 1975. Sous-titre : « Notes complémentaires au concept de politique ».

9 Contrée, arrières.

10 « Discours, 1,12 »

11 « Le Prince », XXVI

12 Voir note annexes

13 Voir R. Aron : « Macht, Power, Puissance : prose démocratique ou poésie démoniaque ? in Archives européennes de sociologie », 1964, V, L

14 En voici une illustration dans quelques passages du jeune Hegel relevés par Philonenko : « Essais sur la philosophie de la guerre », Paris, Ed. Vrin, 1976, p. 57, note 15 à propos de W. Shirer. « La guerre est la grande purificatrice. Elle forme la santé éthique des peuples corrompus par une longue paix... les périodes heureuses sont les pages vides de l'histoire, parce que ce sont celles des accords sans conflits ».Et encore:« La santé morale des peuples est maintenue en son indifférence, vis-à-vis des choses finies, qui tendent à se fixer, de même que les vents protègent la mer contre la paresse où la mènerait un durable repos, ou la paix perpétuelle des peuples ». (Hegel. « Philosophie du droit », § 324).

15 Hegel, « Philosophie du droit », § 324.

16 C. Schmitt in « Begriff des Politischen », 1927, in Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, LVIII, München, Leipzig, Dunker & Humblot.

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2021/01/23/machiavel-et-la-modernite-politique-strategie-et-guerre.html