vendredi 31 janvier 2014

Pédophilie : les démocraties aux ordres de Satan – par Laurent Glauzy (partie 2 sur 2)

[Suite du dossier choc de Laurent Glauzy, en exclusivité pour CI. Première partie lisible ici.]
La secte Anubis et le cas Dutroux
La tante d’une des deux fillettes assassinées par Marc Dutroux a fait de graves déclarations : « Le marché des vidéos porno qui met en scène des mineurs compte des ramifications dans toute l’Europe, notamment aux Pays-Bas, en Allemagne et en Suisse. » Le quotidien flamand De Standaard a divulgué qu’au moins quatre policiers faisaient partie de la secte satanique Abrasax, suspectée d’avoir acheté des enfants au pédo-criminel Dutroux pour ses rites.
Cette découverte déconcertante a été réalisée grâce à une lettre (« un bon de commande ») trouvée lors des recherches des corps de Julie et Melissa, ensevelies vivantes par le même Dutroux dans la maison de Bernard Weinstein.
Dans cette lettre de la secte satanique signée Anubis, il était demandé à Weinstein de « ne pas oublier que la grande fête approche et nous attendons le cadeau pour la grande prêtresse ».
Un autre étrange document demande de trouver « huit victimes d’un à trente-trois ans ». Anubis, de son vrai nom Francis Desmedt, est « grand maître » de la soi-disant « vieille religion », une sorte d’association internationale de sorcières. La grande prêtresse n’est autre que Dominique Nephtys, membre de l’église belge de Satan. Quels sont les autres membres de cette secte satanique restée secrète ? Il est bien difficile de répondre, car les enquêtes n’ont pas pu avancer : le 14 octobre 1996, le juge d’instruction anti-pédophile Jean-Marc Connerotte a été dessaisi par la cour de cassation, pour avoir assisté à un souper spaghettis de soutien aux victimes de Marc Dutroux, dans le cadre d’une soirée organisée le 21 septembre.
Le magistrat n’enquêtera donc plus sur Dutroux, alors qu’il était devenu un héros populaire. Cette annonce a provoqué des manifestations et des grèves multiples. Une femme, pendant que les manifestants hurlaient « Justice pourrie », s’est exclamée : « Aujourd’hui des enfants sont assassinés pour la seconde fois ».
Le 12 décembre 2013, l’affaire Dutroux connaît un nouveau rebondissement : lors de la procédure de levée de son immunité parlementaire, le très courageux député fédéral belge Laurent Louis révèle être soutenu dans sa démarche par la grand-mère de Julie Lejeune, une des petites victimes de Dutroux. Il affirme aussi avoir rencontré un jeune homme qui a été violé à quatorze ans par Di Rupo. Laurent Louis a reçu le soutien de l’humoriste Dieudonné qui dans son spectacle interdit Le Mur, évoquait la pédophilie, laissant entendre ses liens avec les plus hautes sphères de l’Etat !
Le parquet général avait demandé à la Chambre de lever son immunité parlementaire, voté à l’unanimité par la clique des députés afin qu’il puisse être jugé. Le 7 juin 2012, Laurent Louis avait été inculpé pour recel de pièces du dossier Dutroux ainsi que pour calomnie à l’égard d’un journaliste présenté comme « protecteur des pédophiles ». Cette dernière prévention concerne également des « injures » proférées à l’adresse d’Elio Di Rupo, que le député avait plusieurs fois traité de pédophile.
Le consul pédophile
Des personnes au-dessus de tout soupçon continuent de massacrer des enfants en toute impunité. Le consul-adjoint israélien en poste au Brésil, Arie Scher, accusé de pédophilie et de trafic de mineurs, a fui le Brésil le 5 juillet 2000 pour se réfugier en Israël. Scher aurait réussit à quitter l’Amérique latine avant que les forces de l’ordre ne diffusent son identité aux postes de frontière. La police brésilienne a recueilli les déclarations d’une adolescente de treize ans qui aurait « participé à plusieurs jeux fétichistes dans l’appartement du consul, situé dans l’élégant quartier d’Ipanema, dans le Sud de Rio de Janeiro. Sur une des photographies trouvées lors de la perquisition de l’appartement, la même enfant apparaissait nue, embrassant le consul. Selon la police, Scher et son complice, le Pr George Schteinberg, possédaient neuf sites Internet de pornographie et de pédophilie1. » Tel Aviv qui refuse les accusations de la police Brésilienne, nommera Arie Scher consul de l’État hébreu en Australie.
La chasse aux enfants en Belgique
L’hebdomadaire Diario2 a décrit des faits horribles liés à la pédophilie, qui se sont déroulés à Aruba, petite île-État de la mer des Caraïbes rattachée au royaume des Pays-Bas : « Après la terrible dénonciation de l’Eurodéputé belge Olivier Dupuis au Congrès radical, Diario relate des chasses aux enfants, assassinés à coups de fusil en guise de divertissement. Le reportage La chasse aux enfants en Belgique, signé du journaliste italien Gianluca Paolucci, est repris par l’hebdomadaire : « Durant le congrès du Parti radical, le député européen belge Olivier Dupuis a lancé une série d’affirmations qui ont fortement choqué le public : dans son pays, des enfants ont été contraints de subir des violences en tout genre. Ils ont été assassinés comme des lapins, lors de parties de chasse auxquelles participaient des personnes de l’aristocratie, des financiers, des notables et des fonctionnaires de l’Etat. »
« Des personnalités au-dessus de tout soupçon »
Le satanisme constitue un danger en pleine expansion. Les adorateurs du diable sont en constante augmentation, également à Rome. Le quotidien Avvenire révèle : « Une autre secte satanique de trois mille adeptes a été découverte à Rome.. » 3 Cet article dévoile aussi que « la congrégation comptait ‘parmi ses affiliés des personnalités du monde du spectacle… »
À Londres, Scotland Yard enquête sur de la disparition de 2 500 adolescents. Le journaliste Alfio Bernabei rapporte d’autres faits terribles qui se sont produits dans la capitale anglaise : « De la chair d’enfants et de fœtus humains a été consommée par des hommes et des femmes ayant pris part à des rituels cannibales, ces dernières années, dans le cadre d’une commémoration satanique. Des enfants ont été torturés, violés et sacrifiés sur des autels. » 4
Mille cinq cent personnes disparues en six mois
Aux États-Unis, ces horreurs sont encore plus fréquentes. La ville californienne de Modesto détient le record national des États-Unis en termes de disparition, avec mille cinq cent personnes disparues en six mois5. Fay Yager, directrice du Centre pour la défense des enfants, Children of the Underground, expose que les enquêteurs sont de plus en plus confrontés au monde mystérieux des sectes sataniques. En 1989, sur Canale 5, lors de l’émission Arcana, le journaliste Giorgio Medail affirmait qu’aux États-Unis, chaque année, sont assassinés au cours de rites sataniques cinquante mille personnes, dont de jeunes enfants.
Selon Ted Gunderson, ces crimes horribles, dans la grande majorité des cas, restent impunis faute de volonté politique. L’ancien agent du FBI argue que la loi n’est pas appliquée, parce que ces groupes comptent des soutiens au plus haut niveau de l’État. Selon lui, ‘aux États-Unis, deux scandales liés à la prostitution infantile et à la production de snuff movies impliquant des politiciens proches de la Maison-Blanche et au-dessus de tout soupçon, ont été étouffés. Les services secrets, qui dépendent directement du président, sont intervenus pour faire cesser les enquêtes. Les victimes ont été emprisonnées et les témoins sont morts dans d’étranges accidents6.
À l’issue d’une longue enquête, le journaliste Paul Rodriguez, du Washington Times, a affirmé : « J’ai réussi à prouver que des personnes liées à la Maison-Blanche géraient un réseau de jeunes garçons. J’ai trouvé plusieurs documents qui attestent l’implication de Craig Spence dans les organisations de parties gays et pédophiles. Probablement ancien agent de la CIA et ex-directeur de l’équipe de George Bush, il était lié à la Maison-Blanche, chargé d’organiser un réseau aux services de la Maison-Blanche [ce lobbyiste Républicain sera retrouvé mort en 1989, dans sa chambre, à l’hôtel Ritz-Carlton, le plus cher de Boston]. Le nom d’un autre député, Barry Franks, apparaît dans ce scandale pédophile. Pendant une année, nous avons travaillé à quatre : les informations collectées sont terrifiantes. Exclu des enquêtes, le FBI s’est donc occupé des services secrets qui dépendent directement de la Maison-Blanche. Ce réseau criminel comprenait des représentants Républicains et Démocrates. Il s’étendait de New York à la Pennsylvanie, du Nebraska à la Californie. Des garçons étaient enlevés dans la rue et séquestrés dans des fermes. Les victimes étaient également prises dans des instituts d’adoption ou dans les campings. »7
Paul Rodriguez a mené plusieurs enquêtes avant de publier, en première page de son journal, des articles sur un réseau d’enfants impliquant des députés et des VIP appartenant à l’entourage de Ronald Reagan et de George Bush.
Les titres des articles de Paul Rodriguez étaient particulièrement éloquents : « Sexe en vente dans l’appartement d’un député », « le service secret fait cesser l’enquête sur des prostituées de VIP », « des enfants prostitués emmenés au milieu de la nuit à la Maison-Blanche ». Après quelques mois, Paul Rodriguez renonça mystérieusement à ses enquêtes sur la pédophilie au sommet de l’État américain.
Le trafic d’organes
Il y a aussi un marché des organes provoquant des scènes criminelles sur des enfants. Les clients reçoivent un catalogue d’organes servant soit à des mises en scènes fétichistes et sataniques, soit à des transplantations clandestines. Ce commerce particulièrement répugnant engendre aussi la disparition, chaque année, de centaines de mineurs, victimes de réseaux internationaux8. Le parlementaire hondurien Rosario Godoy de Osejo, fondateur d’un comité pour les enfants disparus, expose : « Le prélèvement d’organes sains sur de jeunes sujets pour alimenter la vente des pays riches explique les nombreux cas de disparition d’enfants exportés à l’étranger. » Il affirme qu’au Honduras, le président Callejas était impliqué dans ce trafic, comprenant aussi de fausses adoptions et ayant causé, dans les années 1990, l’enlèvement de huit cents enfants9.
Il existerait vraiment des sortes de supermarchés proposant des organes de jeunes cadavres. La Gazetta del Sud commente : « L’ONU a officiellement dénoncé le trafic d’enfants qui a pour finalité le commerce d’organes dans certains pays. (…) La commission des Nations unies a examiné de nombreux témoignages, des documents écrits et aussi des vidéos fournies par des organisations liées à la protection de l’enfance. Un porte-parole de la commission a refusé de communiquer le nom des pays suspectés dans ce trafic. » 10
Éric Sottas, fondateur, en 1985, de l’Organisation Mondiale Contre la Torture, a rappelé le cas de 1 395 jeunes malades disparus en Argentine, de l’hôpital psychiatrique de La Colonia Montes de Oca, situé à côté de Buenos Aires. Éric Sottas a évoqué la découverte dans un frigo de la chambre mortuaire de la Faculté de médecine de l’Université de Barranquilla, en Colombie, de nombreux corps où étaient prélevés des organes destinés à alimenter le trafic de transplantation11.
Ce monde de l’horreur paraît sans fin : Baby Doc, l’ex-directeur d’Haïti, se serait enrichi en commercialisant des cadavres frais et des organes congelés auprès de cliniques américaines, et d’instituts américains universitaires ou de recherche. (…) Au Guatemala aussi, un trafic était spécialisé dans la vente d’enfants aux États-Unis pour des transplantations clandestines12. En Colombie, des enfants sont enlevés alors qu’ils jouent dans la rue. Des laboratoires leur enlèvent les yeux avant de les relâcher13.
Le quotidien italien La Repubblica relate que les techniques de recherches de l’Université de l’Indiana, aux États-Unis, permettent de régénérer le cœur tout en évitant une transplantation. L’intervention consiste à prélever une cellule du cœur d’un embryon et de l’implanter sur le muscle cardiaque d’un adulte. Ainsi, l’organe malade bénéficie de la force et de la longévité des jeunes cellules. Pour réduire les risques de rejet, la cellule neuve pourrait être prélevée sur le fils du recevant, c’est-à-dire un embryon créé en éprouvette avec les spermatozoïdes du père et les ovules de la mère14.
Afin d’adopter un tel système, on pourra aussi utiliser l’ovule d’une donatrice anonyme, afin que les cellules soient génétiquement identiques. Ainsi, ‘pour redonner de la force à son cœur vieilli, il faudra procréer un enfant, puis l’assassiner pour se faire greffer ses jeunes cellules. Ces techniques particulièrement morbides peuvent en théorie fonctionner sur des fœtus qui seront ensuite avortés.
En 1996, dans son ouvrage Il grande peccato ieri e oggi (Le grand péché d’hier et d’aujourd’hui), P. Andrea D’Ascanio mentionne une nouvelle tendance cannibale : des fœtus avortés sont aujourd’hui utilisés comme compléments alimentaires pour garantir une peau souple et un corps plus fort. Pour ce faire, des cadavres sont utilisés en cuisine afin de préparer des soupes excellentes pour la santé. C’est la dernière nouveauté diététique en vogue en Chine. Selon P. Andrea D’Ascanio, notre système, de plus en plus éloigné de la réalité, prépare ‘un monde factice, où ‘des évènements atroces se déroulent en coulisses : par exemple, en Grande-Bretagne, vingt-hui enfants ont été assassinés pour tester un nouveau traitement. 
Concernant des évènements similaires qui se sont produits à l’hôpital universitaire de Stoke-on-Trent, en Grande-Bretagne,entre 1989 et 1993, Il Manifesto publie : « Tels des cochons d’Inde, des nouveau-nés prématurés ont servi à l’expérimentation d’un nouveau ventilateur de couveuses : sur un total de 122 enfants soumis au nouveau traitement, 28 sont décédés et plus de 15 ont été victimes des dommages cérébraux permanents. » 15 Ce terrible bilan est tiré du rapport d’une commission d’enquête ordonnée par le ministère de la Santé britannique.
Trafics d’organes : révélations au péril de la vie
En mai 1996, Xavier Gautier, grand reporter au Figaro, a été trouvé pendu dans sa résidence d’été dans l’île de Minorque (Baléares). Le seul indice était l’inscription sur un mur, en espagnol « traîtres, diable rouge ». Les enquêteurs espagnols ont privilégié la piste du suicide ! Avant de partir en vacances, Xavier Gautier avait travaillé sur une longue enquête concernant un trafic d’organes présumé, provenant de Bosnie, pour une clinique d’Italie du Nord. Antonio Guidi, diplômé de médecine de La Sapienza, ministre de la Famille de 1994 à 1995 et ministre de la Santé de 2001 à 2006, ‘explique : « Le phénomène est mondial. Mais l’Italie, qui a constitué un lieu de transition pour le trafic de drogue, est devenue un point de transit pour le trafic d’enfants. Ils arrivent de pays instables de l’Est de l’Europe et d’Afrique. Ces enfants sont de la viande de réserve pour les riches. Des dépôts d’organes pour les fils de ceux qui ont de l’argent. » Cependant, quand il lui est demandé si ces enfants ont été mutilés pour que les organes servent à des transplantations en Italie, il rétorque avec beaucoup de légèreté et un certain sadisme : « En Italie, non. C’est impossible ! Ils traversent nos terres comme des oiseaux migrateurs, dont le destin est d’être abattus. » 16
Les accusations faites à l’Italie
Pourtant, La Nacion de Buenos Aires s’est fait l’écho des accusations de don Paul Baurell, professeur de Théologie de l’Université brésilienne de Sao Paolo, et de celles faites le 1er août 1991 à Genève par Renée Bridel, déléguée de l’association internationale des juristes démocrates, auprès du groupe de travail sur l’esclavage des Nations unies, qui accusent l’Italie de pratiquer le trafic d’organes. Les articles de La Nacion de Buenos Aires ont été repris par le quotidien brésilien O Globo di Rio, qui définit l’Italie comme étant l’un des plus grands importateurs d’enfants du Brésil. Le correspondant d’O Globo di Rio à Rome affirme : « L’Italie et le plus important acheteur de bébés. »
Cette même année, le quotidien La Repubblica di Lima dénonce, avec une liste de noms à l’appui, des ressortissants italiens venus au Pérou pour acheter des nouveau-nés. Corriere della Sera commente : « Selon la presse de Lima, des ressortissants italiens auraient importé 1 500 petits Péruviens, qui seront ensuite assassinés pour permettre l’exportation de leurs organes. » 17
Ces enfants enlevés, réduits en esclavage, violés, contraints à se prostituer, immolés à Satan ou assassinés pour que soient dérobés leurs organes, constituent une réalité infernale ‘à l’échelle planétaire, comme le certifie Renée Bridel. Bien entendu, ni la presse ni la télévision ne dénoncent la gravité de cet univers pervers fait de souffrance d’enfants innocents. Tous ces donneurs de leçons, ces grands théoriciens morbides de la démocratie, en parlent seulement avec parcimonie, pour ne pas éveiller les consciences sur un monde politique complice de sectes satanistes.
Laurent Glauzy
 1 Gazetta del Sud du 7/7/2000.
2 Diario du 12/4/2000.
3 Avvenire du 5/9/1996.
4 L’Unità du 9/8/1990.
5 Diario della settimana n° 17 du 28/4/1999.
6 Idem.
7 Idem.
8 Visto du 8/11/1996.
9James Dunkerley, The Pacification of Central America : Political Change in the Isthmus, 1987-1993, 1994, p. 19.
10 Gazzetta del Sud du 25/8/1995.
11 Libération du 7/12/1987 et Milly Schar-Manzoli, Manuale di difesa immunologica, Padova, MEB, 1988.
12 Corriere del Ticino du 6/3/1987 et Gente du 20/3/1987.
13 Idem.
14 La Repubblica du 23/11/1994.
15 Il Manifesto du 9 mai 2000.
16 Il Giornale du 4/9/1995.
17 Corriere della Sera du 7/9/1991.

De la police au pré-carré africain, l’incontournable maçonnerie

Les francs-maçons restent très influents dans la police. Quelque trente-cinq frères ont été ministres de l’Intérieur depuis la Révolution française de Lucien Bonaparte (1799-1800) à Pierre Joxe (1984-1986 et 1988-1991) en passant par Léon Gambetta (1870). On estimait en 2006 que 20% environ des commissaires étaient maçons, par tradition républicaine, mais aussi par nécessité de carrière. Un ancien Grand Maître du GODF, Fred Zeller, a raconté sa surprise : « J’ai un jour présidé la fraternelle des policiers maçons et j’ai ainsi appris, par les interventions des uns et des autres, que tous les services officiels étaient systématiquement noyautés. » C’était dans les années 1970, mais trente ans plus tard, tout ministre de l’Intérieur doit en tenir compte : en 2006, le chef de cabinet de Nicolas Sarkozy, Laurent Solly, et son directeur de cabinet, Claude Guéant, étaient membres du GODF. Parmi ses conseillers, il avait également pris soin de recruter l’ancien responsable de la fraternelle de la Place Beauvau, membre de la GLNF. Pour tenir la police, on a toujours besoin de maçons autour de soi... 
     Autres ministères dont le titulaire est la plupart du temps un frère : la Coopération et les DOM-TOM. Historiquement, la maçonnerie a toujours été très implantée dans les colonies ou ex-colonies, notamment africaines. Le nom d’origine de la GLNF, fondée en 1913, est un programme à lui tout seul : « Grande Loge indépendante et régulière pour la France et les colonies ». Au sein de l’ancien Empire français, les loges ont longtemps servi à mettre de l’huile dans les rouages et un peu d’ordre dans l’imbroglio ethnique, à faire émerger « des élites nouvelles » au service de la métropole. Des maçons furent ainsi les premiers artisans d’une « indépendance » très contrôlée, tissant des liens avec les nouveaux régimes. Quelques décennies plus tard, si le cordon ombilical a été officiellement coupé avec la France coloniale, le cordon maçonnique demeure plus solide que jamais. Idriss Déby au Tchad, Blaise Campaoré au Burkina Faso, Omar Bongo au Gabon, Denis Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville, Paul Biya au Cameroun, Hassan II au Maroc... Tous ont été initiés à la GLNF, l’obédience la plus attachée aux potentats africains. En 1999, six mois après son coup d’Etat en Côte-Ivoire, le général Robert Gueï se voyait remettre son tablier... 
     Le premier et le plus ancien de ces frères-présidents est Omar Bongo, inamovible président-dictateur de la République gabonaise depuis...1967. La GNLF ne s’est pas contentée de l’initier dans les années 1980, elle l’a aidé à monter sa propre obédience, la Grande Loge du Gabon, afin de rester maître chez lui. Plus tard, au Congo, Sassou Nguesso créera également sa propre Grande Loge de Brazzaville, dont il sera immédiatement désigné Grand Maître. Les dictateurs n’envisagent pour eux-mêmes qu’un seul grade maçonnique : le plus élevé. A chaque cérémonie d’intronisation, la GLNF dépêche ses plus hauts spécialistes de l’Afrique et du bâtiment : des dirigeants du groupe Bouygues, d’anciens policiers ou militaires reconvertis dans les affaires
      Les dessous pétroliers n’arrangent guère le tableau. Pour séduire le Gabon et le Congo, riches en or noir, le groupe Elf, fondé par le frère Pierre Guillaumat, leur a longtemps dépêché d’éminents maçons : l’inamovible André Tarallo et l’inénarrable Alfred Sirven. Tous deux ont finalement été condamnés à l’issue du procès fleuve visant le réseau qu’ils avaient monté pour décrocher des contrats pétroliers en Afrique, en Amérique latine et en Europe de l’Est. 
     Rien de tel que la franc-maçonnerie – du moins sous cette forme dévoyée – pour synthétiser diplomatie, barbouzerie et business, toujours imbriqués en matière de relations franco-africaines. Elle permet aussi, dans les Etats presque sans droit, sans frontières respectées ni institutions légitimes, d’apporter un semblant de cohérence aux hiérarchies parallèles. Elle n’empêche pas les guerres civiles, loin de là. En 1998, au Congo-Brazzaville, un terrible bain de sang a opposé les milices de Pascal Lissouba, affilié au GODF, et de Denis Sassou Nguesso, affilié à la GNLF. Cobras contre Ninjas, GODG contre GNLF, terrible résumé. « Alors que les cadavres emplissaient les rues, tout le monde se réunissait au Gabon voisin comme si de rien n’était », témoigne un maçon horrifié. Depuis Paris, des frères de bonne volonté tentent de mettre un terme aux massacres. En vain. Ils avaient connu davantage de réussite en 1989, lorsque le gouvernement de Michel Rocard avait missionné des francs-maçons, le préfet Christian Blanc et l’ancien Grand Maître du GODF Roger Leray, accompagnés pour faire bonne mesure par un prêtre et un pasteur, afin de réconcilier indépendantistes kanak et irrédentistes caldoches. Mais c’était un territoire français d’Outre-Mer, pas l’Afrique. 
     En France, nombre de francs-maçons s’indignent de cet honneur fait à des potentats africains, le comble étant atteint lors du 90e anniversaire de la GLNF, en 2003 à Nice, lorsque les frères Bongo et Sassou furent invités en grande pompe. Sous la Ve République, on a les présidents maçons que l’on peut... Deux ans plus tard, le centenaire de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, sûrement la plus maçonnique des lois jamais adoptées (1905) par le Parlement français, sera célébré dans la discrétion...
Renaud Lecadre, Histoire secrète de la 5ème République
http://www.oragesdacier.info/2014/01/de-la-police-au-pre-carre-africain.html

DE GAULLE… MYTHE, IMPOSTURE et TRAHISON

« On peut se demander ce que connaîtront nos petits-enfants de l’Histoire de France, et surtout comment ils comprendront qu’un homme qui a signé, non pas la capitulation, mais un armistice devant une armée ennemie victorieuse, peut être un traître... et qu’un autre, tel De Gaulle, put accepter la défaite en Algérie, alors que son armée avait gagné la guerre, livrer aux couteaux des égorgeurs des dizaines de milliers de civils, près de cent mille de ses soldats, et être quand même placé au Panthéon des Héros ! » (Roger HOLEINDRE, 8ème RPC, Président du Cercle National des Combattants)
« Lorsque la pierre tombale de l’Algerie Française aura été scellée par la volonté acharnée d’un homme épaulé par la lâcheté de tout un peuple, je n’abandonnerai jamais l’idée de pouvoir débarrasser mon pays du personnage qui a corrompu l’âme de la France » (Colonel Antoine Argoud)
Ces mots du brillant officier que fut le Colonel Argoud ne cessent, depuis des années, de résonner à ma mémoire et je console mon amertume en me disant que s’il existe vraiment une justice, de Gaulle devrait aujourd’hui s’y trouver. En effet, mon éducation chrétienne m’incite à penser que toute œuvre humaine passe en revue devant Dieu pour être classée comme acte de fidélité ou comme acte d’infidélité. En face de chaque nom, dans les registres du ciel, sont couchés avec une redoutable exactitude toute action mauvaise, tout despotisme, toute trahison, tout parjure et la loi de Dieu sera sans appel pour ceux qui auront contrevenu à ses commandements. Par conséquent, si le paradis est accordé à De Gaulle, alors il n’y a plus de raison de craindre la Justice Divine… tout le monde y aura accès… et cela ne se peut !
Quand l’Histoire et la postérité jugeront Charles de Gaulle, elle dira : « Il a demandé son succès à l’astuce et au mensonge ; il l’a déshonoré par ces milliers de morts qui ont cru à ses paroles. Et ses crimes d’avoir appelé les Musulmans à servir la France pour ensuite les abandonner au massacre, d’avoir trompé ses soldats, d’avoir abusé de cette candeur sublime sans laquelle il n’y a pas de héros, d’avoir privé du rayonnement de leur Patrie plus d’un million d’êtres après les avoir livrés à la hache des bourreaux, d’avoir couvert les enlèvements et laissé mourir dans d’indescriptibles souffrances des milliers d’êtres humains innocents… sont inexpiables ». C’est cela que l’Histoire ne lui pardonnera pas ! C’est d’avoir souillé d’astuce, de mensonges et de cruauté la grande œuvre d’unité que des générations précédentes avaient entreprise ; d’avoir taché indélébilement l’histoire de la France. « Les mensonges écrits avec de l'encre ne sauraient obscurcir la vérité écrite avec du sang ».
Dès 1944, il s’affirmait en fossoyeur de l’Algérie française en confiant à André Philip, ministre socialiste : « Tout cela finira par l’indépendance, mais il y aura de la casse, beaucoup de casse » et en 1957, bien avant sa prise de pouvoir, il laissait entrevoir à un autre ministre socialiste, Christian Pineau, sa conception de la politique algérienne basée essentiellement sur le mensonge, les palinodies et la trahison, qu’il comptait mener :
- Il n’y a qu’une solution en Algérie, c’est l’indépendance !
- Mais, mon général, pourquoi ne pas le dire maintenant ?
- Non, Pineau, ce n’est pas le moment !
            Elu Président, lors d’un entretien avec André Passeron, journaliste au quotidien « Le Monde », de Gaulle confirmera la préméditation de sa trahison en indiquant que ses intentions, avant 1958, étaient bel et bien d’abandonner l’Algérie. Dans son livre, « De Gaulle 1958–1969 », page 314, on peut lire : « Tenez, par exemple, pour l’Algérie de tout temps, avant que je revienne au pouvoir et lorsque j’y suis revenu, après avoir étudié le problème, j’ai toujours su et décidé qu’il faudrait donner à l’Algérie son indépendance. Mais imaginez qu’en 1958, quand je suis revenu au pouvoir et que je suis allé à Alger, que je dise sur le forum qu’il fallait que les Algériens prennent eux-mêmes leur gouvernement, mais il n’y aurait plus eu de De Gaulle dans la minute même. Alors il a fallu que je prenne des précautions, que j’y aille progressivement et, comme ça, on y est arrivé. Mais l’idée simple, l’idée conductrice, je l’avais depuis le début ».
Ainsi, fit-il connaître au monde entier la duplicité à base de manipulations diverses dont il fit preuve tout au long de sa vie pour mener à bien ses ambitions politiques…
Et pourtant. Pour la majorité de la presse française et pour le peuple français par trop naïf et crédule, de Gaulle, cet instrument de braderie qui jamais durant la guerre d’Algérie ne fit preuve d’amour, de générosité et de dignité humaine, fut un objet d’admiration et d’enthousiasme. « Il était grand ! » Et voilà, ici, cette notion de grandeur qui sauve tout : « De Gaulle, ce grand homme ! »… Grand par la taille, oui, (1m96) quant au reste !...
Sous le vocable de grandeur on exclut tout d’un coup le critère du bien et du mal. Pour celui qui est grand il n’est pas de mal. Il n’est aucune horreur qui puisse être imputée à crime à celui qui est grand ! Ce qui est « grand » est bien ; ce qui n’est pas « grand » est mal. Et pourtant, parmi sa génération de soldats, il y eut de grands hommes, de vrais, ceux-là : Leclerc, De Lattre de Tassigny, Juin, Monsabert, Salan… mais lui, de Gaulle, était d’une autre race, brutal, cynique, ambitieux, assoiffé d’honneurs, hautain, méprisant, discourtois, cassant, sans rien d’aimable dans l’insolence… craint de ses propres ministres.
 Alain Peyrefitte, en évoquant l’Algérie, écrira dans ses mémoires : « Dans cette affaire, le général a fait preuve d'une inutile cruauté » et rapportera ces mots méprisants qu’il eut à l’égard des harkis lors du Conseil des Ministres du 4 mai 1962 : « Les harkis, ce magma dont il faut se débarrasser sans attendre ! » Que de cynisme de la part d’un Chef d’Etat ! Et quand ce même Peyrefitte, pris de remords à la vue du désastre humain que représentait l’exode des Français d’Algérie exposera au « général Président », le 22 Octobre 1962, « le spectacle de ces rapatriés hagards, de ces enfants dont les yeux reflètent encore l’épouvante des violences auxquelles ils ont assisté, de ces vieilles personnes qui ont perdu leurs repères, de ces harkis agglomérés sous des tentes, qui restent hébétés… », De Gaulle répondra sèchement avec ce cynisme qu’on lui connaissait : « N’essayez pas de m’apitoyer ! »… On était bien loin du « C’est beau, c’est grand, c’est généreux la France ! »…
Cependant, ce qui est incompréhensible, c’est que tout le monde connaissait le personnage ; tout le monde savait cela, oui, mais voila : « Il était grand ! »… C’était suffisant. Sur la « grandeur », de ce « général micro », Churchill –qui l’a bien connu- dira avec sévérité : « De Gaulle, un grand homme ! Il est arrogant, il est égoïste, il se considère comme le centre de l’univers… il est… vous avez raison, c’est un grand homme… »
Pour bon nombre de journalistes et d’historiens, être grand c’est le propre de ces êtres d’exception qu’ils appellent des héros. Et de Gaulle se retranchant derrière l’Histoire, en abandonnant à leur perte non seulement ses anciens compagnons d’armes, ses soldats qu’il avait entraînés dans « son » aventure (que l’on se souvienne de Mai 1958 !) mais encore, plus d’un million de Français à qui il devait tout et autant de fidèles Musulmans engagés politiquement et militairement parlant… sentait « que c’était grand » et son âme était en paix. Et il ne vient à l’idée de personne que reconnaître pour grand ce qui échappe à la mesure du bien et du mal, c’est seulement reconnaître son propre néant et son incommensurable petitesse. Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. Aux yeux du monde, de Gaulle l’a franchi…
Quelle responsabilité pour celui qui se déclarait le « sauveur de la France », pour celui qui avait « ramené la liberté », celui qui invoquait la grandeur morale, nationale et intellectuelle ! Rarement autant d’indifférence, d’immoralité politique et de vilénie furent mises au service d’une politique que l’on voulait faire passer pour pragmatique et généreuse. C’est là toute l’imposture gaulliste.
Le 19 janvier 1960, recevant exceptionnellement les élus d’Algérie, il les sidéra en déclarant d’une certaine hauteur : « L’intégration est une connerie, d’ailleurs, l’armée ne fait que des conneries ! » Et, toisant insolemment le député musulman M’hamed Laradji, il ajouta avec un mépris glacial : « Les Musulmans ne seront jamais des Français ! ». Laradji qui eut dix membres de sa famille assassinés par le FLN soutint le cynisme de De Gaulle en insistant sur le fait que la politique menée par le Chef de l’Etat allait faire souffrir les Algériens pro-français… ce à quoi, la « grandeur gaullienne » répondit sèchement : « Eh bien, vous souffrirez ! ».
… Et c’est ainsi que la guerre continua encore durant deux ans et six mois, couverte par les mensonges, les palinodies, les reniements, la trahison et tant pis pour ceux qui se firent tuer durant ce laps de temps : Soldats du contingent, militaires d’active, civils Musulmans, Chrétiens et Juifs, enlevés, torturés, égorgés, émasculés, ébouillantés, découpés en morceaux, femmes livrées à la prostitution…
Dans son livre « Les damnés de la terre », Alexis Arette (qui tenait l’information de Georges Bidault, l’ancien Président du Conseil National de la Résistance sous l’occupation allemande), rapporte l’anecdote suivante :
« Lors de la conférence de Casablanca qui se tint du 14 au 24 janvier 1943 afin de préparer la stratégie des alliés après la guerre à l’égard de l’Europe, Churchill parvint à réunir non sans mal Giraud et De Gaulle en face de Roosevelt. Giraud était indispensable dans l’élaboration de cette stratégie. Général de grande valeur, à la tête de l'armée d'Afrique, il ne devait aucune de ses étoiles aux « arrangements politiques du temps » et jouissait d'un grand prestige aux yeux des Américains depuis son évasion, l'opération Torch et la prise d'Alger. Ces derniers le considérant, sans la moindre équivoque, comme le chef militaire de la France combattante envisageaient très sérieusement une coopération unifiée où tout naturellement sur le plan strictement militaire de Gaulle était placé hiérarchiquement sous ses ordres… ce que le « général micro » n’appréciait guère. Les deux hommes se détestaient... Tout les opposait : le sens du devoir, la fidélité à la parole et à l'Etat, la valeur militaire, etc... Mais les Américains comprenant que le ralliement de l'Afrique dans sa globalité était nécessaire et que dans ce contexte Giraud qui restait loyal à Pétain - mais qu'ils considéraient comme infiniment plus fiable et d’une envergure supérieure à De Gaulle- était absolument incontournable. Churchill allait donc œuvrer pour mettre les deux hommes en face de Roosevelt et obtenir la fameuse poignée de main de circonstance dont la photo fera le tour du monde... Cependant Roosevelt, toujours frileux pour entrer en guerre en Europe, posa clairement la question aux deux officiers Français : « Les Etats Unis seraient susceptibles de débarquer en France à la condition que la France accepte d'ouvrir son empire au commerce américain et prenne l'engagement de décoloniser dans les trente ans ». Giraud eut un haut de cœur et claqua la porte... De gaulle resta. On connaît la suite... »
Peu de choses ont été dites officiellement sur le marchandage de cette entrevue et le refus de Giraud d'accepter les conditions honteuses du démantèlement de l'Empire Colonial Français, conditions auxquelles de Gaulle souscrivit sans le moindre scrupule...
Si Roosevelt n’estimait pas De Gaulle, Winston Churchill ne l’estimait pas davantage et dira du personnage : « De toutes les croix que j’ai portées, la plus lourde a été la Croix de Lorraine ». Un jour, il fit à de Gaulle cette remarque qui le glaça : « Votre pire ennemi, c’est vous-même. Vous avez semé le désordre partout où vous êtes passé ! »
Je me suis souvent demandé quel aurait été le sort de l’Algérie s’il n’y avait pas eu de Gaulle. L’Histoire aurait, assurément, été écrite différemment. A l’ordinaire, l’Histoire n’est qu’une résultante d’infiniment petites forces où chaque individu n’a que la part d’une composante élémentaire. Mais à certaines heures naissent des hommes qui résument en eux une force capable d’intégrer, d’orienter toutes les autres forces élémentaires de la nation. Ceux-là changent vraiment le destin des peuples et du monde. Ou plutôt ces hommes sont le destin… et de Gaulle en fait partie. Ainsi, concernant la guerre d’Algérie, l’Histoire, sous de Gaulle, nous a démontré qu’elle n’était jamais qu’un rocher imaginaire de gloire et de boue entraîné par des torrents de sang vers des absences de rivages… Et cette Histoire là, comme le sable, a bu les rêves et le sang de milliers d’hommes sans en être fécondée.
José CASTANO
e-mail : joseph.castano0508@orange.fr

jeudi 30 janvier 2014

Histoire et providence

Jeanne d’Arc a aujourd’hui moins de sceptiques qu’elle n’en trouva de son temps. Dès le jour où une force mystérieuse poussa cette jeune fille de dix-huit ans à quitter son père, sa mère et son village pour sauver la France, les objections ne manquèrent jamais. Jamais elles ne la découragèrent. Ceux qui crurent en elle, le peuple le premier, eurent raison contre les raisonneurs. Et ceux-là mêmes qui n’avaient pas la foi, mais qui voulaient le bien du royaume, se dirent qu’après tout les affaires étaient si bas qu’on ne risquait rien à essayer ce concours providentiel. La cause du dauphin ne pouvait plus compter que sur un miracle. Et ce miracle, la France l’attendait, car à peine Jeanne d’Arc fut-elle partie de Vaucouleurs pour se rendre auprès de Charles VII, que son nom vola de bouche en bouche et rendit courage aux assiégés d’Orléans.
Jacques BAINVILLE
* Jacques Bainville : Histoire de France, Tallandier, collection “Texto”, Paris, 2007, p. 122.
Jacques Bainville est connu pour être un penseur à l’exceptionnelle lucidité employant son intelligence lumineuse à dégager des lois, les lois de l’Histoire. Ne se laissant pas submerger par la complexité et la confusion de la matière historique, ni par les facilités d’une affectivité de type romantique qui ravit autant qu’elle aveugle, il voit les principes et les conséquences. Certes il n’ira pas jusqu’à dire, comme Hegel, que « tout ce qui est réel est rationnel et que tout ce qui est rationnel est réel », mais c’est un fait qu’avec lui l’Histoire devient lisible et matière à enseignements.
L’historiosophie bainvillienne
Il y aurait quelque danger, cependant, à réduire la discipline historique au type d’investigation bainvillien, essentiellement politique, aussi utile, fécond et pertinent soit-il. Deux grands historiens de tradition d’Action française : Pierre Gaxotte, en intégrant les grands acquis de l’École des Annales, et surtout Philippe Ariès, beaucoup plus sensible aux modalités subtiles du “temps de l’Histoire” et au peu de compréhension et de maîtrise que le politique a souvent des événements, favorisèrent, à cet égard, des progrès notables. Mais il y aurait également de l’injustice à ignorer ce qu’il peut se trouver, chez Bainville, de sensibilité et d’attention à la part d’irrationnel et de hasard que présente(nt) le(s) devenir(s) historique(s), ainsi que la conscience qui est la sienne du caractère parfois non ou peu pensable des “faits”. À preuve, ce texte de l’Histoire de France, d’une particulière profondeur.
Scepticisme et décision
Plusieurs fils en forment la trame ; il y a d’abord la vérité politique qui constitue un de ces “enseignements” dont nous avons parlé, à savoir que c’est la légitimité du Charles VII (“le roi de Bourges”, notre roi de dérision) qui, seule, pouvait sauver la France. Là, rien de plus normal, si l’on peut dire. – Ou rien de moins propre à étonner les royalistes en tout cas. Mais s’y ajoute la dimension de la “force mystérieuse” et du “miracle” qu’on eût cru réservée à Michelet, et que Bainville, d’évidence, intègre comme une donnée historique – lui le réputé sceptique…
Le scepticisme justement ! Comme pour renforcer le poids dudit possible miracle, Bainville insiste sur le manque de “foi” : le scepticisme triomphait beaucoup plus qu’”aujourd’hui”, où nous connaissons au moins la suite heureuse de l’histoire. Et la lucidité, sans nul doute, devait être du côté des “raisonneurs” – bref de ceux que l’on aurait volontiers qualifiés de “Bainville de l’époque’” ! Mais justement, Bainville ne se trouve peut-être pas là où on voudrait qu’il soit. D’abord il affirme cette vérité si importante – elle fait même presque toute notre espérance aujourd’hui… – que c’est le peuple qui eut, avec quelques rares membres de l’élite de l’époque, « raison contre les raisonneurs » (belle formule !). Et là, on se dit que Bainville, pour cause de son amour de la France – lequel amour ne saurait se réduire aux intérêts ou à la vision du monde d’une caste, étant englobant et désintéressé – est bien “du peuple”. (D’ailleurs nous sommes tous du peuple, disait Pascal.)
Surgit, en second lieu, une autre hypothèse, qui augmente la complexité du texte, en ajoutant un nouveau fil à sa trame, à savoir que, oui, Bainville aurait bel et bien pu être un de ces “raisonneurs” froids et sceptiques, mais qui, voulant tout de même le « bien du Royaume », se laissèrent aller à tenter le coup de ce « concours providentiel » – peut-être fruit de l’illusion, comme leur scepticisme ne pouvait que le leur susurrer, mais tout de même bien réel par ses effets et diablement efficace.
Qu’il faut croire raisonnablement en la Providence
Il est difficile de savoir où se situe Bainville. Seul son amour de la France, dont Maurras avait achevé de lui apprendre combien il en était débiteur, est parfaitement sûr, comme l’est également la leçon qu’il semble nous transmettre ici. Elle est qu’en politique, il faut savoir compter sur la Providence… quant bien même on n’y croirait pas tout à fait intellectuellement, ou pas toujours. Et peut-être est-ce à ceci que se laisse reconnaître un autre aspect de la légendaire lucidité de notre auteur, qui est de s’ouvrir au “mystère” et de parier sur lui. – Une lucidité qui pourrait bien faire défaut aux purs rationalistes.
Francis Venant L’Action Française 2000 du 2 août au 5 septembre 2007

mercredi 29 janvier 2014

Nation et nationalisme, Empire et impérialisme, dévolution et grand espace

Communication au XXIVe Colloque du GRECE, Paris, le 24 mars 1991.
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers amis et camarades,
Le thème de notre colloque d'aujourd'hui est à la fois intemporel et actuel.
Actuel parce que le monde est toujours, envers et contre les espoirs des utopistes cosmopolites, un pluriversum de nations, et parce que nous replongerons tout à l'heure à pieds joints dans l'actualité internationale, marquée par le conflit, donc par la pluralité antagonistes des valeurs et des faits nationaux.
Intemporel parce que nous abordons des questions que toutes les générations, les unes après les autres, remettent inlassablement sur le tapis. En traitant de la nation et du nationalisme, de l'Empire et de l'impérialisme, nous touchons aux questions essentielles du politique, donc aux questions essentielles de l'être-homme, puisque Aristote déjà définissait l'homme comme un zoon politikon, comme un être ancré dans une polis, dans une cité, dans une nation. Ancrage nécessaire, ancrage incontournable mais ancrage risqué car précisément il accorde tout à la fois profondeur, sens de la durée et équilibre mais provoque aussi l'enfermement, l'auto-satisfaction, l'installation, la stérilité.
Devant le retour en Europe de l'Est et de l'Ouest d'un discours se proclamant nationaliste, il est impératif de comprendre ce double visage que peut prendre le nationalisme, de voir en lui cet avantage et ce risque, cette assurance que procure l'enracinement et ce dérapage qui le fait chavirer dans l'enfermement. Quant à la notion d'empire, elle a désigné au Moyen Âge le Reich centre-européen, sorte d'agence qui apaisait les conflits entre les diverses ethnies et les multiples corps qui le composait ; puis elle a désigné, sous Bonaparte, le militarisme qui tentait d'imposer partout en Europe des modèles constitutionnels marqués par l'individualisme bourgeois, qui méconnaissaient les logiques agrégatrices et communautaires des corps de métier, des « républiques villageoises » et des pays charnels ; ensuite, elle a désigné l'impérialisme marchand et thalassocratique de l'Angleterre, qui visait l'exploitation de colonies par des groupes d'actionnaires, refusant le travail parce que, lecteurs de la Bible, ils voyaient en lui une malédiction divine ; leur aisance, leur oisivité, ils la tiraient des spéculations boursières.
Cette confusion sémantique, qui vaut pour le terme « nation » comme pour le terme «empire», il importe que nous la dissipions. Que nous clarifions le débat. C'est notre tâche car, volontairement, nous parions pour le long terme et nous refusons de descendre directement dans l'arène politicienne qui nous force toujours aux pires compromis. Si nous ne redéfinissons pas nous-mêmes les concepts, si nous ne diffusons pas nos redéfinitions par le biais de nos stratégies éditoriales, personne ne le fera à notre place. Et la confusion qui règne aujourd'hui persistera. Elle persistera dans le chaos et de ce chaos rien de cohérent ne sortira.
Commençons par définir la nation, en nous rappelant ce qu'Aristote nous enseignait à propos du zoon politikon ancré dans sa cité. Le politique, qui est l'activité théorique surplombant toutes les autres activités de l'homme en leur conférant un sens, prend toujours et partout son envol au départ d'un lieu qui est destin. À partir de ce lieu se crée une socialité particulière, étayée par des institutions bien adaptées à ce paysage précis, forcément différentes des institutions en vigueur dans d'autres lieux. Nous avons donc affaire à une socialité institutionnalisée qui procure à sa communauté porteuse autonomie et équilibre, lui assure un fonctionnement optimal et un rayonnement maximal dans son environnement. Le rayonnement élargit l'assise de la socialité, crée le peuple, puis la nation. Mais cette nation, produit d'une évolution partie de l'ethnos originel, se diversifie à outrance au cours de l'évolution historique. En bout de course, nous avons toujours affaire à des nations à dimensions multiples, qui se déploient sur un fond historique soumis à tous les aléas du temps. Toute conception valide de la nation passe par une prise en compte de cette multidimensionalité et de ce devenir. Le peuple est donc une diversité sociologique qu'il faut organiser, notamment par le truchement de l'État.
L'État organise un peuple et le hisse au rang de nation. L'État est projet, plan : il est, vis-à-vis de la concrétude nation, comme l'ébauche de l'architecte par rapport au bâtiment construit, comme la forme par rapport à la matière travaillée. Ce qui implique que l'État n'a pas d'objet s'il n'y a pas, au préalable, la concrétude nation. Toutes les idéologies statolâtriques qui prétendent exclure, amoindrir, juguler, réduire la concrétude, la matière qu'est la nation, sont des sottises théoriques. Le peuple précède l'État mais sans la forme État, il ne devient pas nation, il n'est pas organisé et sombre rapidement dans l'inexistence historique, avant de disparaître de la scène de l'histoire. L'État au service de la concrétude peuple, de la populité génératrice d'institutions spécifiques, n'est pas un concept abstrait mais un concept nécessaire, un concept qui est projet et plan, un projet grâce auquel les élites du peuple affrontent les nécessités vitales. L'État — avec majuscule — organise la totalité du peuple comme l'état — sans majuscule — organise telle ou telle strate de la société et lui confère du sens.
Mais il est des États qui ne sont pas a priori au service du peuple : Dans son célèbre ouvrage sur la définition du peuple (Das eigentliche Volk, 1932), Max Hildebert Boehm nous a parlé des approches monistes du concept État, des approches monistes qui refusent de tenir compte de l'autonomie nécessaires des sphères sociales. Ces États capotent rapidement dans l'abstraction et la coercition stérile parce qu'ils refusent de se ressourcer en permanence dans la socialité populaire, dans la « populité » (Volkheit), de se moduler sur les nécessités rencontrées par les corps sociaux. Cette forme d'État coupée du peuple apparaît vers la fin du Moyen Âge. Elle provoque une rupture catastrophique. L'État se renforce et la socialité se recroqueville. L'État veut se hisser au-dessus du temps et de l'espace. Le projet d'État absolu s'accompagne d'une contestation qui ébauche des utopies, situées généralement sur des îles, elles aussi en dehors du temps et de l'espace. Dès que l'État s'isole de la socialité, il ne l'organise plus, il ne la met plus en forme. Il réprime des autonomies et s'appauvrit du même coup. Quand éclate la révolution, comme en France en 1789, nous n'assistons pas à un retour aux autonomies sociales dynamisantes mais à un simple changement de personnel à la direction de la machine État. Les parvenus remplacent les faisandés au gouvernail du bateau.
C'est à ce moment historique-là, quand la nation concrète a périclité, que nous voyons émerger le nationalisme pervers que nous dénonçons. Le discours des parvenus est nationaliste mais leur but n'est pas la sauvegarde ou la restauration de la nation et de ses autonomies nécessaires, de ses autonomies qui lui permettent de rayonner et de briller de mille feux, de ses autonomies qui ont une dynamique propre qu'aucun décret ne peut régenter sans la meurtrir dangereusement. L'objectif du pouvoir est désormais de faire triompher une idéologie qui refuse de reconnaître les limites spatio-temporelles inhérentes à tout fait de monde, donc à toute nation. Une nation est par définition limitée à un cadre précis. Vouloir agir en dehors de ce cadre est une prétention vouée à l'échec ou génératrice de chaos et d'horreurs, de guerres interminables, de guerre civile universelle.
Les révolutionnaires français se sont servis de la nation française pour faire triompher les préceptes de l'idéologie des Lumières. Ce fut l'échec. Les nationaux-socialistes allemands se sont servis de la nation allemande pour faire triompher l'idéal racial nordiciste, alors que les individus de race nordique sont éparpillés sur l'ensemble de la planète et ne constituent donc pas une concrétude pratique car toute concrétude pratique, organisable, est concentrée sur un espace restreint. Les ultramontains espagnols se sont servis des peuples ibériques pour faire triompher les actions du Vatican sur la planète. Les banquiers britanniques se sont servis des énergies des peuples anglais, écossais, gallois et irlandais pour faire triompher le libre-échangisme et permettre aux boursicotiers de vivre sans travailler et sans agir concrètement en s'abstrayant de toutes les limites propres aux choses de ce monde. Les jésuites polonais ont utilisé les énergies de leur peuple pour faire triompher un messianisme qui servait les desseins de l'Eglise.
Ce dérapage de l'étatisme, puis du nationalisme qui est un étatisme au service d'une abstraction philosophique, d'une philosophade désincarnée, a conduit aux affrontements et aux horreurs de la guerre de Crimée, de la guerre de 1870, de la guerre des Boers, des guerres balkaniques et de la guerre de 1914. Résultat qui condamne les nationalismes qui n'ont pas organisé leur peuple au plein sens du terme et n'ont fait que les mobiliser pour des chimères idéologiques ou des aventures colonialistes. Inversément, cet échec des nationalismes du discours et non de l'action concrète réhabilite les idéaux nationaux qui ont choisi l'auto-centrage, qui ont choisi de peaufiner une socialité adaptée à son cadre spatio-temporel, qui ont privilégié la rentabilisation de ce cadre en refusant le recours facile au lointain qu'était le colonialisme.
Pour sortir de l'impasse où nous ont conduit les folies nationalistes bellogènes, il faut opérer à la fois un retour aux socialités spatio-temporellement déterminées et il faut penser un englobant plus vaste, un conteneur plus spacieux de socialités diverses.
Le Saint-Empire du Moyen Âge a été un conteneur de ce type. En langage moderne, on peut dire qu'il a été, avant son déclin, fédératif et agrégateur, qu'il a empêché que des corps étatiques fermés ne s'installent au cœur de notre continent. La disparition de cette instance politique et sacrée à la suite de la fatale calamité des guerres de religion a provoqué le chaos en Europe, a éclaté l'œkoumène européen médiéval. Sa restauration est donc un postulat de la raison pratique.
À la suite des discours nationalistes fallacieux, il faut réorganiser le système des États européens en évitant justement que les peuples soient mobilisés pour des projets utopiques irréalisables, qu'ils soient isolés du contexte continental pour être mieux préparés par leurs fausses élites aux affrontements avec leurs voisins. Il faut donc réorganiser le continent en ramenant les peuples à leurs justes mesures. Ce retour des limites incontournables doit s'accompagner d'une déconstruction des enfermements stato-nationaux, où les peuples ont été précisément enfermés pour y être éduqués selon les principes de telle ou telle chimère universaliste.
Le retour d'une instance comparable au Saint-Empire mais répondant aux impératifs de notre siècle est un vieux souhait. Constantin Frantz, le célèbre philosophe et politologue allemand du XIXe siècle, parlait d'une «communauté des peuples du couchant», organisée selon un fédéralisme agrégateur, reposant sur des principes diamétralement différent de ceux de la révolution française, destructrice des tissus sociaux concrets par excès de libéralisme économique et de militarisme bonapartiste.
Guillaume de Molinari, économiste français, réclamait à la fin du XIXe siècle la construction d'un « marché commun » incluant l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la France, la Hollande, la Belgique, le Danemark et la Suisse. Il a soumis ses projets aux autorités françaises et à Bismarck. Lujo Brentano envisage à la même époque une union économique entre l'Autriche-Hongrie et les nouveaux États balkaniques. L'industriel autrichien Alexander von Peez, par un projet d'unification organique de l'Europe, entend répondre aux projets américains de construire l'Union panaméricaine, qui évincera l'Europe d'Amérique latine et amorcera un processus d'« américanisation universelle ».
Gustav Schmoller affirme que toute politique économique européenne sainement comprise ne peut en aucun cas s'enliser dans les aventures coloniales, qui dispersent les énergies, mais doit se replier sur sa base continentale et procéder à grande échelle à une « colonisation intérieure ». Jäckh et Rohrbach théorisent enfin un projet de grande envergure : l'organisation économique de l'Europe selon un axe diagonal Mer du Nord/Golfe Persique. L'objectif de la théorie et de la pratique économiques devait être, pour ces deux économistes des vingt premières années de notre siècle, d'organiser cette ligne, partant de l'embouchure du Rhin à Rotterdam pour s'élancer, via le Main et le Danube, vers la Mer Noire et le Bosphore, puis, par chemin de fer, à travers l'Anatolie et la Syrie, la Mésopotamie et le villayat de Bassorah, aboutir au Golfe Persique. Vous le constatez, on retombe à pieds joints dans l'actualité. Mais, ce projet de Jäckh et de Rohrbach, qu'a-t-il à voir avec le thème de notre colloque ? Que nous enseigne-t-il quant au nationalisme ou à l'impérialisme ?
Beaucoup de choses. En élaborant leurs projets d'organisation continentale en zones germanique, balkanique et turque, les puissances centrales de 1914 réévaluaient le rôle de l'État agrégateur et annonçaient, par la voix du philosophe Meinecke, que l'ère des spéculations politiques racisantes était terminée et qu'il convenait désormais de faire la synthèse entre le cosmopolitisme du XVIIIe siècle et le nationalisme du XIXe siècle dans une nouvelle forme d'État qui serait simultanément supranationale et attentive aux ethnies qu'elle englobe. L'Entente, porteuse des idéaux progressistes de l'ère des Lumières, veut, elle, refaire la carte de l'Europe sur base des nationalités, ce qui a fait surgir, après Versailles, une « zone critique » entre les frontières linguistiques allemande et russe.
Nous découvrons là la clef du problème qui nous préoccupe aujourd'hui : les puissances porteuses des idéaux des Lumières sont précisément celles qui ont encouragé l'apparition de petits États nationaux fermés sur eux-mêmes, agressifs et jaloux de leurs prérogatives. Universalisme et petit-nationalisme marchent la main dans la main. Pourquoi ? Parce que l'entité politique impérialiste par excellence, l'Angleterre, a intérêt à fragmenter la diagonale qui s'élance de Rotterdam aux plages du Koweit. En fragmentant cette diagonale, l'Angleterre et les États-Unis de Wilson brisent la synergie grande-continentale européenne et ottomane de Vienne au Bosphore et de la frontière turque aux rives du Golfe Persique.
Or depuis la chute de Ceaucescu en décembre 1989, tout le cours du Danube est libre, déverrouillé. En 1992, les autorités allemandes inaugureront enfin le canal Main-Danube, permettant aux pousseurs d'emmener leurs cargaisons lourdes de Constantza, port roumain de la Mer Noire, à Rotterdam. Un oléoduc suivant le même tracé va permettre d'acheminer du pétrole irakien jusqu'au cœur industriel de la vieille Europe. Voilà les raisons géopolitiques réelles de la guerre déclenchée par Bush en janvier dernier. Car voici ce que se sont très probablement dit les stratèges des hautes sphères de Washington :
    « Si l'Europe est reconstituée dans son axe central Rhin-Main-Danube, elle aura très bientôt la possibilité de reprendre pied en Turquie, où la présence américaine s'avèrera de moins en moins nécessaire vu la déliquescence du bloc soviétique et les troubles qui secouent le Caucase ; si l'Europe reprend pied en Turquie, elle reprendra pied en Mésopotamie. Elle organisera l'Irak laïque et bénéficiera de son pétrole. Si l'Irak s'empare du Koweit et le garde, c'est l'Europe qui finira par en tirer profit. La diagonale sera reconstituée non plus seulement de Rotterdam à Constantza mais du Bosphore à Koweit-City. La Turquie, avec l'appui européen, redeviendra avec l'Irak, pôle arabe, la gardienne du bon ordre au Proche-Orient. Les États-Unis, en phase de récession, seront exclus de cette synergie, qui débordera rapidement en URSS, surtout en Ukraine, pays capable de redevenir, avec un petit coup de pouce, un grenier à blé européen auto-suffisant.
    Alors, adieu les achats massifs de blé et de céréales aux États-Unis ! Cette synergie débordera jusqu'en Inde et en Indonésie, marchés de 800 millions et de 120 millions d'âmes, pour aboutir en Australie et en Nouvelle-Zélande. Un grand mouvement d'unification eurasienne verrait le jour, faisant du même coup déchoir les États-Unis, en mauvaise posture financière, au rang d'une puissance de second rang, condamnée au déclin. Les États-Unis ne seraient plus un pôle d'attraction pour les cerveaux du monde et on risquerait bien de voir s'effectuer une migration en sens inverse : les Asiatiques d'Amérique, qui sont les meilleurs étudiants d'Outre-Atlantique, retourneraient au Japon ou en Chine ; les Euro-Américains s'en iraient faire carrière en Allemagne ou en Italie du Nord ou en Suède. Comment éviter cela ? En reprenant à notre compte la vieille stratégie britannique de fragmentation de la diagonale ! Et où faut-il la fragmenter à moindres frais ? En Irak, pays affaibli par sa longue guerre contre l'Iran, pays détenteur de réserves pétrolières utiles à l'Europe ».
La stratégie anglo-américaine de 1919, visant la fragmentation des Balkans et du Proche-Orient arabe et projetant la partition de la Turquie en plusieurs lambeaux, et la stratégie de Bush qui entend diviser l'Irak en trois républiques distinctes et antagonistes, sont rigoureusement de même essence. L'universalisme libéral-capitaliste, avatar des Lumières, instrumentalise le petit-nationalisme de fermeture pour arriver à asseoir son hégémonie.
Au seuil du XXe siècle comme au seuil du XXIe, la necessité d'élargir les horizons politiques aux dimensions continentales ont été et demeurent nécessaires. Au début de notre siècle, l'impératif d'élargissement était dicté par l'économie. Il était quantitatif. Aujourd'hui, il est encore dicté par l'économie et par les techniques de communications mais il est dicté aussi par l'écologie, par la nécessité d'un mieux-vivre. Il est donc aussi qualitatif. L'irruption au cours de la dernière décennie des coopérations interrégionales non seulement dans le cadre de la CEE mais entre des États appartenant à des regroupements différents ou régis par des systèmes socio-économiques antagonistes, ont signifié l'obsolescence des frontières stato-nationales actuelles.
Les énergies irradiées à partir de diverses régions débordent le cadre désormais exigu des États-Nations. Les pays riverains de l'Adriatique et ceux qui forment, derrière la belle ville de Trieste, leur hinterland traditionnel, ont organisé de concert les synergies qu'ils suscitent. En effet, l'Italie, au nom de la structure stato-nationale née par la double action de Cavour et de Garibaldi, doit-elle renoncé aux possibles qu'avaient jadis concrétisé l'élan vénitien vers la Méditerranée orientale ? La Sarre, la Lorraine et le Luxembourg coopèrent à l'échelon régional. Demain, l'axe Barcelone-Marseille-Turin-Milan fédèrera les énergies des Catalans, des Languedociens, des Provençaux, des Piémontais et des Lombards, en dépit des derniers nostalgiques qui veulent tout régenter au départ de Madrid, Paris ou Rome. Ces coopérations interrégionales sont inéluctables.
Sur le plan de la politologie, Carl Schmitt nous a expliqué que le Grand Espace, la dimension continentale, allait devenir l'instance qui remplacera l'« ordre concret » établi par l'État depuis Philippe le Bel, Philippe II d'Espagne, François I, Richelieu ou Louis XIV. Ce remplacement est inévitable après les gigantesques mutations de l'ère techno-industrielle. Schmitt constate que l'économie a changé d'échelle et que dans le cadre de l'État, figure politique de la modernité, les explosions synergétiques vers la puissance ou la créativité ne sont plus possibles. Le maintien de l'État, de l'État-Nation replié sur lui-même, vidé de l'intérieur par tout un éventail de tiraillements de nature polycratique, ne permet plus une mobilisation holarchique du peuple qu'il n'administre plus que comme un appareil purement instrumental. Sa décadence et son exigüité appellent une autre dimension, non obsolète celle-là : celle du Grand Espace.
Si le Grand Espace est la seule figure viable de la post-modernité, c'est parce qu'on ne peut plus se contenter de l'horizon régional de la patrie charnelle ou de l'horizon supra-régional de l'État-Nation moderne. L'horizon de l'avenir est continental mais diversifié. Pour pouvoir survivre, le Grand Espace doit être innervé par plusieurs logiques de fonctionnement, pensées simultanément, et être animé par plusieurs stratégies vitales concomitantes. Cette pluralité, qui n'exclut nullement la conflictualité, l'agonalité, est précisément ce que veulent mettre en exergue les différentes écoles de la post-modernité.
Cette post-modernité du Grand Espace, animé par une pluralité de logiques de fonctionnement, condamne du même coup les monologiques du passé moderne, les monologiques de ce passatisme qu'est devenue la modernité. Mais elle condamne aussi la logique homogénéisante de l'impérialisme commercial et gangstériste des États-Unis et la monologique frileuse des gardiens du vieil ordre stato-national.
Pour organiser le Grand Espace, de Rotterdam à Constantza ou le long de toute la diagonale qui traverse l'Europe et le Proche-Orient de la Mer du Nord au Koweit, il faut au moins une double logique. D'abord une logique dont un volet réclame la dévolution, le recentrage des énergies populaires européennes sur des territoires plus réduits, parce que ces territoires ne seront alors plus contraints de ne dialoguer qu'avec une seule capitale mais auront la possibilité de multiplier leurs relations interrégionales. Ensuite une logique qui vise l'addition maximale d'énergies en Europe, sur le pourtour de la Méditerranée et au Proche-Orient.
L'adhésion à la nation, en tant qu'ethnie, demeure possible. Le dépassement de cet horizon restreint aussi, dans des limites élargies, celles du Grand Espace. L'ennemi est désigné : il a deux visages selon les circonstances ; il est tantôt universaliste/mondialiste, tantôt petit-nationaliste. Il est toujours l'ennemi de l'instance que Carl Schmitt appelait de ses vœux.
Que faire ? Eh bien, il faut :
    Encourager les logiques de dévolution au sein des États-Nations
    Accepter la pluralité des modes d'organisation sociale en Europe et refuser la mise au pas généralisée que veut nous imposer l'Europe de 1993
    Recomposer la diagonale brisée par les Américains
    Organiser nos sociétés de façons à ce que nos énergies et nos capitaux soient toujours auto-centrés, à quelqu'échelon du territoire que ce soit
    Poursuivre la lutte sur le terrain métapolitique en s'attaquant aux logiques de la désincarnation, avatars de l'idéologie des Lumières.
Pour conclure, je lance mon appel traditionnel aux cerveaux hardis et audacieux, à ceux qui se sentent capables de s'arracher aux torpeurs de la soft-idéologie, aux séductions des pensées abstraites qui méconnaissent limites et enracinements. À tous ceux-là, notre mouvement de pensée ne demande qu'une chose : travailler à la diffusion de toutes les idées qui transgressent les enfermements intellectuels, le prêt-à-penser.
Je vous remercie.
► Robert Steuckers, Communication au XXIVe Colloque du GRECE, Paris, le 24 mars 1991.
http://robertsteuckers.blogspot.fr/2014/01/nation-et-nationalisme-empire-et.html

Saint Louis, le roi doux et humble de cœur

Nous avons évoqué le mois dernier saint Louis, modèle du roi chrétien. Nous nous attardons sur cette radieuse figure en ce début d'année 2014 où nous aurions tant besoin de suivre son exemple, en espérant que le huitième centenaire de la naissance du saint roi ne passera pas totalement inaperçue dans notre France hystériquement laïque...
La paix dans l’ordre et la justice
Il nous plaît de faire partager notre admiration pour ce souverain rentré tout juste de la croisade en 1254, vaincu mais plus rayonnant que jamais de gloire intérieure et prêt à donner au monde une leçon de paix dans l'ordre et la justice. Ce beau royaume de France qu'il avait si heureusement confié à sa mère Blanche de Castille, tandis qu'il guerroyait et souffrait atrocement sur les terres mêmes où souffrit le Christ, il entendait maintenant l'ériger en un reflet du royaume de Dieu en se consacrant à maintenir la justice entre ses sujets et même avec les hommes des pays voisins. Déjà, de toutes parts, on recourait à lui comme au justicier suprême ; les humbles savaient qu'il les comprenait, les puissants n'osaient plus devant lui s'obstiner dans leurs querelles. Tous, fussent-ils évêques ou ducs opulents, étaient invités à rendre à leurs malentendus de justes proportions à l'aune de la miséricorde divine.
Il alla même jusqu'à donner le plus époustouflant exemple de pardon. Rien à voir avec la moderne repentance qui n'est qu'un moyen de renier sa foi ou sa patrie (souvent les deux ensemble), sous prétexte de se ranger derrière de grands principes désincarnés (Droits de l'Homme notamment)...
Quatre guerres franco-anglaise
Un petit retour en arrière est nécessaire pour comprendre l'audace du geste du saint roi. En fait les rois de France et d'Angleterre semblaient voués à se faire à tout jamais la guerre, depuis que le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, s'emparant de l'île d'outre Manche (1066), était devenu presque aussi puissant que le roi de France, dont il était le vassal, fort peu docile, pour la Normandie. Pour tout compliquer, Henri Plantagenêt, dernier héritier des comtes d'Anjou et du Maine et du duché de Normandie, épousa, en 1152, la trop belle Aliénor d'Aquitaine, à peine le mariage de celle-ci déclaré nul avec Louis VII le Jeune (1137-1180), roi de France. Elle était donc allée porter dans les larges bras du Plantagenêt tout son héritage aquitain (Poitou, Auvergne, Limousin, Périgord, Bordelais, Gascogne). Mais pire : ce prince insatiable, héritant des prétentions de son père Geoffroy, parvint à se faire désigner comme successeur par le vieux roi d'Angleterre, Etienne de Blois. Celui-ci mourut peu après et, le jour de Noël 1154, Henri Plantagenêt, âgé de vingt et un an, allait se faire sacrer roi d'Angleterre à Westminster, sous le nom de Henri II. Et voilà la moitié de la France devenue anglaise !
Situation alors épouvantable pour Louis VII, roi de France, lequel ne semblait au temporel guère capable de faire le poids face à Henri, prince athlétique et sans scrupule. Louis commença par s'appuyer sur le droit féodal : Aliénor, en tant que duchesse d'Aquitaine, et Henri II, en tant que duc de Normandie, étaient vassaux du roi de France. Ils auraient donc dû demander à celui-ci la permission de se marier. Louis VII était en droit de proclamer la confiscation de leurs biens et de soutenir activement les petits seigneurs normands, angevins et aquitains qui refuseraient d'obéir au Plantagenêt ! À un moment Louis fit même cause commune avec Geoffroy, un frère d'Henri II qui se rebellait pour réclamer un fief. Puis, quand Henri II prétendit reprendre à son compte les prétentions des ducs d'Aquitaine sur le comté de Toulouse, Louis VII se rendit en personne dans cette ville auprès de Raymond V qui venait d'épouser sa sœur Constance de France. Henri II renonça à entrer de force dans une ville où séjournait le roi de France ; il avait compris qu'il ne pouvait pas tout se permettre ...
À la cour de France, du pain, du vin, de la gaieté
Ce fut certainement à ce moment-là que Louis VII rencontrant par hasard l'Anglais Walter Map, de passage à Paris, lui dit : « À votre prince il ne manque de rien : chevaux de prix, or et argent, étoffes de soie, pierres précieuses, il a tout en abondance. À la Cour de France nous n'avons que du pain, du vin et de la gaieté ». Une simplicité et une bonne humeur qui annonçaient déjà son arrière-petit-fils saint Louis (Louis IX)...
Louis VII crut alors le moment venu de profiter des difficultés que rencontrait le roi anglais. Les populations d'outre-Manche, ne voyant plus en celui-ci qu'un despote, se plaignaient d'être surchargées d'impôts, tandis que les fils du roi, en grandissant, obéiraient de moins en moins à leur père qui promettait de partager son royaume en dépit du bon sens.
Vers 1158, intervint un essai de pacification. Henri II s'était réconcilié avec son frère Geoffroy en lui cédant le comté de Nantes. Mais Geoffroy mourut presque aussitôt dans un tournoi, ce qui eut pour effet d'agrandir encore le royaume anglo-angevin de la Bretagne !
Pendant ce temps Louis VII qui priait souvent pour Aliénor, son ancienne épouse - car il savait qu'elle n'était pas heureuse avec cette brute épaisse de Plantagenêt qui la trompait à tour de bras - avait dû se résigner à se remarier en 1154 avec Constance de Castille qui ne lui avait donné qu'un fille, Marguerite, née en 1158. Henri II et Aliénor lancèrent alors l’idée de fiancer leur fils, Henri (celui qui allait devenir Henri Court-Mantel), âgé de trois ans, avec la petite Marguerite qui venait de naître et qui apporterait en dot le Vexin et la forteresse de Gisors...
Puis à la mort de Constance de Castille, Louis VII se maria pour la troisième fois, cette fois-ci avec Adèle de Champagne, nièce d'Etienne de Blois qui avait été roi d'Angleterre... Henri II, très mécontent de cette alliance, en profita pour faire tout de suite célébrer le mariage promis des petits Henri (cinq ans) et Marguerite (deux ans), et annexa à l'Angleterre ainsi le Vexin et Gisors.
Thomas Beckett
Or au même instant, Henri II voulut imposer à l'Angleterre des Constitutions qui soumettaient toute la vie ecclésiastique au contrôle du pouvoir politique. L'archevêque de Cantorbery, Thomas Beckett, se rebiffa et dut venir se réfugier en France où Louis VII l'accueillit avec les plus grands honneurs, au moment où le pape Alexandre III, opposé à l'anti-pape Victor IV, se retrouvait sans domicile fixe et ne pouvait guère défendre un fugitif. Ce fut Louis VII et son ami Maurice de Sully, lequel était en train de commencer de bâtir Notre-Dame de Paris, qui aidèrent seuls Thomas dans le besoin. Celui-ci, prêt au martyre pour défendre l'intégrité de la foi, retourna en Angleterre. Et ce fut alors le tragique « meurtre dans la cathédrale » du 29 décembre 1170 à Cantorbery où Thomas tomba près de l'autel sous les coups d'épée de quatre chevaliers amis d'Henri II...
Les choses tournaient plutôt mal pour Henri II, qui possédait toujours l'équivalent de quarante-sept de nos départements : ses fils devenus grands, Henri Court-Mantel, gendre de Louis VII, et Richard Cœur de Lion, se rebellaient et même, un jour, Aliénor échappée en habit d'homme d'une prison où l'avait jetée son second mari, tenta de se mettre sous la protection de son premier ! On le voit : Louis VII, même s'il n'était pas parvenu à en finir par les armes avec Henri II, n'était pas perdant sur toute la ligne...
Naissance de  Philippe-Auguste
Il ne baissa nullement les bras. Et sa persévérance fut récompensée puisque, le 21 août 1165, Adèle de Champagne lui donna, enfin !, un fils, Philippe, qu'il attendait depuis vingt-huit ans ! Tous les espoirs étaient permis et Louis pouvait préparer son âme à Dieu. Sûr que Thomas Beckett était un saint, il l'avait prié avec insistance. En 1179, plus ou moins réconcilié avec Henri II, Louis VII retourna sur la tombe de son saint ami : le jeune Philippe, son unique héritier, venait d'être victime d'un accident de chasse et sa vie était menacée ; on devine avec quelle ferveur Louis se recueillit sur cette tombe bénie ! Atteint de paralysie à son retour, il s'empressa de faire sacrer Philippe, alors âgé de quatorze ans et complètement rétabli. Henri II se fit représenter à la cérémonie du sacre le 1er novembre 1179 par son fils Henri Court-Mantel, manière involontaire de rendre hommage à la puissance morale de la France, d'autant plus que Philippe, roi associé, venait de signer avec Henri II le traité de Gisors, mettant fin - du moins l'espérait-on ! - à la série de guerres continuelles entre les deux royaumes.
Quand survint la mort de Louis VII, le 18 septembre 1180, la position de Philippe - lequel allait être appelé Auguste -, seul roi à quinze ans, était plutôt forte. Il entretenait des liens d'amitié avec les fils d'Henri II : Henri Court-Mantel - l'éternel révolté - , Richard Cœur de Lion, - l'héritier du trône anglais - , Jean sans Terre (premier, deuxième et cinquième des enfants d'Henri II) mais sans quitter des yeux les possessions acquises en France par le roi anglais, lequel devait trépasser le 6 juillet 1189, après avoir reconnu Richard comme son héritier. Puis voici Philippe (vingt-cinq ans) et Richard (trente-trois ans) entraînés par le pape Grégoire VIII à la troisième croisade, qui se proposait de reprendre Jérusalem à Saladin.
Richard Cœur de Lion
Dès le début de cette grande aventure la rivalité entre les deux jeunes rois allait s'accuser, et Philippe, en fort mauvaise santé, veuf d'Isabelle de Hainaut depuis mars 1190, dut rentrer précipitamment à Paris dès le 27 décembre 1191. Il lui fallait un nouvelle épouse, car Isabelle lui avait donné un seul garçon, Louis (quatre ans) ; il songea alors à Ingeburge de Danemark, à seule fin d'indisposer les rois anglais, car cette femme descendait des rois ayant régné sur l'Angleterre bien avant la conquête de l'île par Guillaume le Conquérant et il comptait sur les princes danois pour tenter avec eux une invasion de l'Angleterre. Mais, quand il comprit que les Danois ne bougeraient pas, il chercha à se débarrasser d’lngeburge et d'épouser Agnès de Méranie, ce qui lui valut de sévères sanctions de la part de Rome...
Empêtré par ses affaires de mariage, Philippe-Auguste avait tenté de profiter de l'absence d'Angleterre de Richard Cœur de Lion (1), pour négocier avec le frère de celui-ci, Jean Sans Terre, quelques arrangements territoriaux en Normandie. Dès son retour en 1194, Richard riposta vertement. Ces escarmouches aboutirent au traité de Gaillon le 15 janvier 1196 : Richard cédait à Philippe Gisors et le Vexin normand et Philippe lui abandonnait quelques-unes de ses conquêtes normandes ainsi que ses prétentions sur le Berry et l'Auvergne.
Jean Sans Terre
Puis la guerre se transporta en Berry, et jusqu'à la mort de Richard (26 mars 1199), l'on tenta de négocier. Jean sans Terre devenu alors roi d'Angleterre, Philippe eut l'habileté de soutenir les prétentions au trône anglais du jeune Arthur de Bretagne (fils d'un des frères de Jean, Geoffroy II de Bretagne) qui lui rendit hommage pour les possessions françaises des Plantagenêt. Jean Sans Terre fut alors bien obligé de signer le traité du Goulet, entre Vernon et Les Andelys, en mai 1200, qui scella le mariage du jeune Louis de France (futur Louis VIII le Lion) avec Blanche de Cas tille, nièce de Jean Sans Terre. Puis Philippe Auguste remporta d'autres victoires, qui lui rendirent toute la Normandie, ainsi que Poitiers, Loches et Chinon, avant que les deux rois convinssent d'une trêve à Thouars (octobre 1206).
De plus en plus la querelle franco-anglaise allait s'imbriquer dans la grande politique européenne, avec l'arrivée sur le trône impérial germanique d'Otton de Brunswick, neveu de Jean Sans Terre. Philippe Auguste, lui, comptait s'appuyer sur le rival de celui-ci, Frédéric II, fils d'Henri VI, « roi des Romains ». Les hostilités reprirent au début de 1214 entre Jean sans Terre et Philippe Auguste, mais Philippe envoya son fils Louis (futur Louis VIII le Lion) combattre les Anglais vers le sud, où Louis infligea à Jean Sans Terre à La Roche aux Moines le 2 juillet une cruelle déroute, tandis que Philippe Auguste remontait à la rencontre de ses ennemis germaniques qui faisaient cause commune avec les Anglais et fit éclater leur coalition par son triomphe de Bouvines le 27 juillet, dont nous reparlerons dans Écrits de Paris de juillet à l'occasion du huitième centenaire. Rappelons que le 25 avril précédent était né, chez Louis et Blanche de Castille, le futur Louis IX, saint Louis. Le royaume du « Christ qui aime les Francs » allait être comblé de grâces...
Envahir l’Angleterre ?
Après cela Jean Sans Terre mourut d'une indigestion le 19 octobre 1216, peu après que le prince Louis de France eut tenté, mais sans succès, de conquérir le royaume anglais avec l'aide de quelques barons d'outre-Manche hostiles à Jean. Il parvint à entrer solennellement dans Londres, mais les barons, dans leur unanimité, firent aussitôt couronner roi d'Angleterre le fils aîné de Jean Sans Terre et d'Isabelle d'Angoulème, Henri Plantagenêt, âgé de neuf ans, lequel devint Henri III, et Louis dut rebrousser chemin et rentrer en France, pour combattre les Albigeois. (2)
La santé de son père déclinait : Philippe II Auguste mourut le 14 juillet 1223 à Mantes, laissant la France en pleine prospérité et considérablement agrandie ! Louis VIII, sacré le 6 août 1223, n'abandonnait pas son souhait de voir les Anglais quitter intégralement la France. Profitant de la minorité du jeune Henri III, il s'empara des terres d'Aquitaine encore anglaises : les villes du Poitou, de la Saintonge, du Périgord et de l'Angoumois tombèrent comme châteaux de cartes entre 1224 et 1226, mais, au cours de sa campagne contre l'hérésie cathare, son armée couverte de gloire fut frappée de dysenterie et le roi tomba gravement malade. Il mourut à l'abbaye bénédictine de Montpensier en novembre 1226, après un règne de trois années. Le règne de saint Louis allait ainsi commencer plus tôt que prévu...
Déjà, Henri III cherchait à s'immiscer dans les affaires de France en soutenant quelques féodaux révoltés contre l'ordre capétien ; une guerre s'ensuivit mais le nouveau Louis eut bien vite fait, au Pont de Taillebourg sur la Charente en 1242, puis à Saintes la même année, d'infliger une bonne leçon au nouveau Plantagenêt et à ses comparses.
Une décision surprenante
Louis, doux et humble de cœur, ne pouvait supporter cette situation, vieille de plus d'un siècle, reposant sur la méfiance et la haine, où chacun ne songeait qu'à s'emparer si possible du royaume de l'autre. N'oubliant point qu'Henri III et lui-même étaient arrière-petits-fils d'Aliénor d'Aquitaine, il tendit la main à ce cousin belliqueux, en annonçant sa décision de lui rendre le Périgord, le Quercy, et une partie de l'Agenais et de la Saintonge ! Les barons français n'en crurent pas leurs oreilles. La controverse fut vive durant quelques mois. Mais le roi ne se plaçait pas sur le même plan que ses conseillers : en donnant au roi d'Angleterre ce qu'il n'était point tenu de lui donner, il voulait, disait-il, « mettre amour extrême entre mes enfants et les siens qui sont cousins germains » (son épouse Marguerite de Provence était la sœur d"Éléonore de Provence, épouse de Henri III). Mais ne croyons pas qu'agissant ainsi, il eût négligé les considérations politiques : « Il me semble, ajoutait-il, que ce que je lui donne, je l'emploie bien, puisqu'il n'était pas mon homme et qu'il entre en mon hommage. » Le roi d'outre Manche devenait en effet homme lige du roi de France, lequel, en roi chrétien, jouait la carte du pardon et se fondait sur le respect de la parole donnée. Et le "cadeau" était mesuré : Louis IX gardait pour lui la Normandie, l'Anjou, la Touraine, le Maine et le Poitou, et Henri devait consentir à rendre hommage à Louis pour ses anciens territoires récupérés. Il s'agissait donc plus d'une délégation que d'un abandon de souveraineté.
Le temps de la Chrétienté
Ainsi les deux rois signèrent le 28 mai 1258 un traité qui, pour une fois, n'avait pas pour justification l'intérêt mais seulement la charité. Il fut ratifié le 4 décembre 1259, le jour où, dans l'île de la Cité, Henri III « tête nue, sans manteau, ceinture, armes, ni éperons, s'agenouilla devant le roi de France et, mettant sa main dans la sienne, lui jura fidélité (3) » Par la suite Henri III, lui-même harcelé par ses barons, ferait appel à l'arbitrage du roi Louis, « véritable suzerain moral de tous les princes d'Occident (4) » Le cardinal Pie a résumé toute la politique du saint roi par ces mots : « Commander à tout l'univers par la force n'est pas possible, mais commander à tout l'univers par sa vertu, par sa probité ; tenir au milieu des tous les rois le sceptre de la conscience et de la loyauté : voilà la gloire véritable (5) ». Quant à Jacques Bainville, il a expliqué : « La pensée de saint Louis était politique et non mystique. Il portait seulement plus haut que les autres Capétiens la tendance de sa maison qui était de mettre le bon droit de son côté. (6) »
Pour bien comprendre l'attitude de saint Louis dans cette affaire, il faut se rappeler que l'Europe était alors la Chrétienté, que donc tous les hommes parlaient d'un même cœur un langage commun et respectaient les mêmes références. Depuis que Luther a fait éclater au XVIe siècle cette Europe unie, le devoir reste pour chaque nation de renforcer sans cesse ses défenses, ce qui n'est pas un progrès, comme disait Maurras. Aujourd'hui où l'Europe elle-même renie toute référence chrétienne, il serait même criminel de faire un cadeau à l'adversaire. On aura bien remarqué que cet abandon qui était plutôt une délégation de souveraineté consenti par saint Louis, n'a rien de commun avec l'ignoble abandon de l'Algérie à de sauvages terroristes en 1962...
Fils aîné de l’Église
Toujours dans cet esprit de « fils aîné de l'Église », saint Louis prit des mesures pour punir le blasphème et interdire les jeux d'argent. Il s'efforça aussi de luter contre l'usure (prêt à intérêt), c'est ce qui la conduisit à se montrer ferme à l'égard des juifs, allant même jusqu'à saisir leurs biens pour indemniser les victimes de prêts usuraires, leur laissant toutefois l'indispensable et leurs synagogues (7).
En fait, contrairement à ce qui se passait dans d'autres pays d'Europe, jamais il ne toléra de persécutions : dans le juif, il ne rejetait que l'hérétique obstiné à ne pas reconnaître Notre Seigneur Jésus-Christ, et ses duretés n'avaient d'autre visée que d'amener les juifs à la foi chrétienne, pour pouvoir les intégrer à la communauté française. C'est pourquoi il fit brûler vers 1240 des livres talmudiques. Le roi a longtemps refusé de contraindre les juifs au port de la rouelle, que Rome exigeait depuis longtemps, et ce furent les juifs convertis qui furent les plus empressés à lui demander de faire adopter cette mesure. Envers les convertis, il se montrait d'une grande générosité, acceptant parfois d'être lui-même parrain à leur baptême ; de même il faisait recueillir les orphelins juifs qui étaient alors instruits dans la foi chrétienne aux fais du roi.
La VIIIe croisade
Passé la quarantaine, saint Louis, dit Georges Bordonove (8), était « cet homme si doux, ce prince aux yeux de colombe, modestement vêtu mais peigné avec soin, et portant un chapeau en plumes de paon, ce roi au visage angélique très grand, un peu maigre » que les Parisiens vénéraient. Cette âme si parfaitement royale cachait pourtant un grand mystère : il brûlait d'offrir sa vie par amour de Jésus-Christ, dont il voulait défendre l'honneur jusqu'au bout. Depuis son retour, insatisfait, de Palestine en 1254, l'idée de repartir en croisade ne l'avait jamais quitté.
Dès le 25 mars 1267, jour de l'Annonciation, il avait fait part de sa volonté de reprendre la Croix pour soustraire Jérusalem aux mains du sultan mamelouk d’Égypte Baybars. En juin, il avait armé chevalier son fils Philippe, vingt-cinq ans, devenu l'héritier après la mort de son aîné Louis à l'âge de seize ans en 1260. En 1269, le roi avait visité plusieurs régions de son domaine, désireux de tout laisser en ordre. Pour le gouvernement, il eût pu nommer régente son épouse, Marguerite de Provence, mais il la savait trop avide du pouvoir et trop portée à se venger de Charles, duc d'Anjou, roi de Sicile (son double beau-frère), qui avait reçu la Provence par son mariage avec Béatrice de Provence. Il avait donc confié le royaume à Mathieu de Vendôme, abbé de Saint-Denis, et à Simon de Nesle. Toutefois le projet royal était loin de réaliser l'unanimité parmi les chevaliers. Le roi passa outre et annonça que l'on effectuerait un mouvement tournant par Tunis. De là, pensait le roi, on attaquerait l'Egypte par terre et par mer. Puis l'on pourrait aller reprendre Jérusalem. Les dominicains n'avaient-ils pas laissé entendre que le sultan (on disait le "roi") de Tunis était favorable au christianisme ? Tout devait donc bien se dérouler.
La mort d’un saint
Le 14 mars 1270, Louis leva l'oriflamme à saint Denis, puis alla prier pieds nus à la Sainte Chapelle et à Notre-Dame. Il embrassa ses plus jeunes enfants en pleurs : Blanche (dix-sept ans), Marguerite (seize ans), Robert (treize ans), futur fondateur de la maison capétienne des Bourbons, et Agnès (dix ans). En juin, après s'être arrêtée dans chaque basilique, voici, comme vingt-deux ans plus tôt, l'armée à Aiguës-Mortes où les nefs arrivaient lentement. Toutefois l'on appareilla le 2 juillet. Bien vite la tempête fit perdre beaucoup de temps, sans compter les désaccords entre les équipages... Il y eut des morts.
Le 15 juillet, on aperçut Tunis. Chose curieuse : aucun défenseur sur le rivage ! On accosta le 18. Pas un point d'eau sous une canicule effarante ! On s'empara facilement du château de Carthage sous le harcèlement de quelques Tunisiens, mais l'on ne tarda pas à comprendre que les braves dominicains avaient pris leurs saints désirs pour des réalités : le "roi" de Tunis voulait bel et bien la guerre !
Louis se trouvait dans la pire des situations pour l'affronter. Son armée fut vite décimée, gagnée par la peste. L'air devenait irrespirable. Les meilleurs chevaliers moururent. Le roi gisait quand on vint lui apprendre, avec mille précautions, que son fils bien-aimé Jean Tristan, né à Damiette pendant la précédente croisade, fiancé à Yolande de Bourgogne, était déjà mort, à juste vingt ans... Alors Louis, à bout de forces, dicta ses admirables instructions au prince hériter, Philippe.
Sur un lit de cendres
Le dimanche 24 août, se détachant de plus en plus du monde, bien qu'encore soucieux des moyens d'amener le "roi" de Tunis à la foi chrétienne, il se confessa et reçut le saint viatique puis il entra en prières étendu sur un lit de cendres en forme de croix. Il trépassa sereinement le 25 août à trois heures de l'après-midi, l'heure même où avait expiré Notre Seigneur au Golgotha.
Aussitôt Philippe, devenu Philippe III roi de France, reçut l'hommage des barons, tandis que Charles, duc d'Anjou, roi de Sicile, arrivant tardivement avec son armée se suppléait à son neveu trop abasourdi par l'événement. Il infligea une cuisante leçon au "roi" de Tunis qui fut contraint de négocier et de donner toute liberté aux missionnaires chrétiens. Tout n'avait pas été vain dans ce voyage, et Tunis ressentait comme un frisson la victoire morale de Louis dans sa mort.
L'épidémie n'ayant pas régressé, Philippe III ordonna le 11 novembre le rembarquement. Pendant le retour, son épouse Isabelle d'Aragon, mère du futur Philippe IV le Bel, devait mourir d'épuisement, le 28 janvier 1271 en Calabre, enceinte de son cinquième enfant, de même que son oncle, Alphonse, comte de Poitiers, et l'épouse de celui-ci, Jeanne de Toulouse, qui moururent près de Sienne en août 1271.
Louis IX allait être canonisé en 1297 par le pape Boniface VIII. Huit cents ans après sa naissance, nous ne pouvons que nous incliner devant ce monarque exceptionnel qui, à notre France engluée dans le matérialisme, cherchant en vain son unité et la paix civile, vient rappeler que les hommes ne se sont jamais unis dans la laïcité, mais qu'au contraire ils n'ont jamais été plus en harmonie que lorsqu'ils ont connu un point d'accord entre les lois de la cité temporelle et celles de la Cité de Dieu. Comme le dit le duc de Lévis-Mirepoix (9), nous ne le quitterons pas « sans le considérer dans son charme mystique, dans cette grâce aérienne de son âme, dans cette fraîcheur que son nom évoque, dans cette vision qu'il représente du printemps de la France... »
Michel FROMENTOUX. Écrits de Paris Janvier 2014
1) Régine Pernoud : Richard Cœur de Lion. Fayard, 1988
2) Voir notre article dans le dernier Écrits de Paris
3) Paul Guth : Saint Louis, un roi au pieds du pauvre. SOS, 1970
4) Guillain de Bénouville : Saint Louis ou le printemps de la France. Robert Laffont 1970
5) Cardinal Pie : Panégyrique de saint Louis. Publié par Lecture et Tradition, mars 1970
6) Jacques Bainville : Histoire de France. Fayard, 1959
7) Georges Bordonove : Saint Louis. Pygmalion, 1984.
8) Georges Bordonove : Saint Louis. Pygmalion, 1984
9) Duc de Lévis Mirepoix : Le roi n'est mort qu'une fois. Perrin, 1965