samedi 30 octobre 2010

L’Apocalypse permanente : Napoléon et le 666

Le 666 ou nombre de la bête a toujours fait rêver les foules d’ésotéristes amateurs ou professionnels. On lui a associé toutes sortes de monstres divers et variés issus de l’histoire du monde, à terminer par Bush, Ben Laden ou même ce pauvre Bill Gates. En 2000, arguant du fait qu’en hébreu la lettre vav ou W vaut 6, j’avais même associé le nombre maudit au développement du réseau (WWW…) et ainsi écrit mon livre Internet la nouvelle voie initiatique, qui traitait des rapports complexes de la technologie et de la gnose ou de la cabale. Le 666, fait plus intéressant, a aussi été associé à la base 6 du code-barres que l’on voit sur tous les produits que nous consommons. À l’époque où cette information était parue, les sectes en faisaient leurs choux gras. Aujourd’hui tout le monde s’en fout ; il faut dire, et je le répète, que Da Vinci Code et le raseur Braun a liquidé l’intérêt des foules ou de ce qu’il en reste pour l’ésotérisme. L’avenir nous dira si c’est un bienfait ou non (au cas ou l’euro s’effondre et nous mène à la famine, il faudra se rappeler qu’il valait 6.66 francs ou presque…)
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Le fanatisme numérologique ne date pas d’hier. Mais je trouve dans Guerre et Paix de Tolstoï ces lignes étranges dont je fais profiter mes lecteurs. Nous sommes au début du tome 2. Tolstoï décrit les vaticinations intellectuelles de son fameux héros Pierre Bésoukhov, personnage témoin par excellence qui assiste aux temps prodigieux, qui nous changent des nôtres, de l’invasion de la Russie par Napoléon. Voici ce qu’il écrit de Pierre : « Il était lié par serment à la franc-maçonnerie qui prêchait la fin des guerres et la paix perpétuelle. »

Cette appartenance suppose bien sûr une bonne volonté issue des Lumières et de Kant, mais elle suppose aussi une volonté d’interpréter qui touche parfois à l’irrationnel. On sait par ailleurs que l’Évangile selon Saint Jean est le préféré des maçons et des initiés en tout genre. C’est ainsi que, ajoute Tolstoï non sans une certaine distance, « Pierre épiait partout avec impatience les signes avant-coureurs de cette catastrophe imminente. »
Saisi par l’ennui de la vie, Pierre cherche en effet un sens à sa vie, et il guette des signes. C’est alors que la Bible et surtout ses exégètes viennent à la rescousse.
« Un des frères maçons lui avait révélé la prophétie suivante se rapportant à Napoléon, extraite de l’Apocalypse de Saint Jean : au chapitre treize, verset dix-huit de l’Apocalypse, il est dit : “c’est ici la sagesse, que celui qui a l’intelligence compte le nombre de la Bête, car c’est un nombre d’homme et ce nombre est 666“. »
Bien entendu, de même que chaque époque guette son Apocalypse, chaque interprète guette son monstre. Avec Napoléon, Pierre se trouve servi ; et Tolstoï d’ajouter :
« Si l’on donne aux lettres de l’alphabet français la même valeur numérique qu’aux lettres de l’ancienne écriture hébraïque où les dix premières lettres représentent les unités et les autres les dizaines, on obtient le tableau suivant (suit le tableau).
Si on chiffre conformément à ce tableau les mots l’empereur Napoléon, il se trouve que la somme des nombres est égale à 666 et que Napoléon est donc la Bête prédite par l’Apocalypse ; de plus, en chiffrant de même les mots quarante-deux, c’est-à-dire la période assignée à la Bête pour proférer des paroles arrogantes et blasphématoires, on trouve encore une fois 666. Il en ressort que l’année 1812 marque la limite du pouvoir de Napoléon qui a eu cette année-là quarante-deux ans. »
Pierre tente ensuite la même opération avec le nom du tsar Alexandre, le sien propre, celui de la Russie ; « mais la somme des chiffres était supérieure ou inférieure à 666 ». Il parvient toutefois en élidant l’e d’un article à voir dans le groupe nominal l’russe Bézoukhov quelque chose qui s’en rapproche, comme s’il voulait donner à sa destinée une signification même méphitique qu’elle ne possède pas. La puissance de ces pages de Tolstoï est en tout cas valable pour toutes les époques, qu’elle concerne par cette volonté de deviner et dénoncer à tout prix les événements ou les personnages qui nous échappent.

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