mercredi 31 décembre 2008

2 janvier 1919 : la menace spartakiste

En proclamant la grève générale en Allemagne le 2 janvier 1919, les Spartakistes espèrent enclencher un mouvement insurrectionnel généralisé. Ils veulent tirer parti, au maximum, de la défaite de leur pays pour utiliser l'amertume de l'opinion comme un levier révolutionnaire.
Lorsque, le 9 novembre 1918, le socialiste Scheidemann, vieux routier de la politique parlementaire, a crié, du balcon du Reichstag, « Vive la République allemande », en écho Karl Liebknecht, du balcon du château impérial déserté par les Hohenzollern, a proclamé la République socialiste.
Liebknecht sort de prison. C'est un professionnel de l'agitation révolutionnaire. A partir de 1916 il a publié, sous le titre de Spartacus, des textes incendiaires. Entouré de Rosa Luxembourg, de Clara Zetkin il a constitué un noyau dur destiné à orienter l'aile gauche des sociaux-démocrates vers des positions antimilitaristes et défaitistes.
La révolution bolchevique de 1917 en Russie leur paraît le déclic décisif : les prolétaires allemands doivent imiter ce grand exemple, cette « lumière qui s'est levée à l'Est » et imposer le pouvoir des Soviets. Leur hantise : il ne faut surtout pas laisser les sociaux-démocrates s'installer au pouvoir. Par les mutineries au sein de régiments travaillés depuis longtemps par une propagande souterraine, par l'insurrection, par le pouvoir de la rue il faut imposer le règne du drapeau rouge. Le 4 novembre, le scénario semble se dérouler selon les espérances des Spartakistes : les marins de Kiel se révoltent, massacrent leurs officiers et un conseil de soldats proclame le début de la révolution. Dans les jours qui suivent, Munich, Hanovre, Brunswick s'embrasent à leur tour. Mais c'est l'entrée de Berlin dans le mouvement qui semble décisive : les Spartakistes peuvent à bon droit se dire qu'ils sont désormais au cœur d'un dispositif capable de faire basculer l'Allemagne dans le communisme.
Face à leur détermination et à leur fanatisme idéologique, les politiciens sociaux-démocrates, les bourgeois centristes - si l'on peut utiliser un tel pléonasme -, la vieille clique des hobereaux réactionnaire à monocle ne semblent pas pouvoir peser bien lourd. La fin d'un monde, fondé sur les valeurs bourgeoises, paraît inéluctable. D'autant que les combattants revenus du front, las et amers, n'ont aucune raison de défendre une « société civile » qui fait peu de cas de l'inutile héroïsme déployé, pendant quatre ans d'une guerre effroyable, dans la boue, le froid, le sang et la merde des tranchées.
Il faudra que quelques milliers de « réprouvés » au cœur rebelle se dressent, autour d'un chef, d'un drapeau, pour sauver la partie de la menace anarcho-gauchiste. Dans les forêts sableuses du Baltikum comme dans les rues des grandes villes, les corps-francs, insensibles à l'incompréhension et à la veulerie de leurs concitoyens, choisissent de se battre pour la seule cause qui importe à ces fraternités guerrières : l'honneur et la fidélité.
✍ P. V Rivarol du 29 décembre 1994 au 4 janvier 1995

lundi 29 décembre 2008

15 novembre 1939 : la trahison communiste

Dans une France en guerre depuis deux mois et demi, Maurice Thorez, chef du parti communiste français, est condamné le 15 novembre 1939 par le tribunal militaire d'Amiens. Il a en effet déserté le 4 octobre, non sans avoir beaucoup hésité devant les risques que cela entraînait. Il répond ainsi au mot d'ordre donné par le bureau politique du PC, qui a mis en action l'appareil clandestin prévu depuis longtemps en cas d'interdiction du parti, sous l'autorité de Thorez et de Duclos. Un décret gouvernemental, en date du 26 septembre 1939, a en effet dissout le parti communiste et « toute association, toute organisation ou tout groupe de fait qui s'y rattachent. »
Cette mesure est le résultat de la volte-face qu'ont dû improviser très rapidement les communistes français, dans un premier temps très désorientés, à la suite de la signature, le 23 août 1939, du pacte germano-soviétique : après avoir appelé à grands cris à la guerre contre l'Allemagne, il leur a fallu s'aligner sur le réalisme géostratégique de Staline... Le moins ardent à exalter ce revirement n'est pas Louis Aragon qui, dans le style qu'il affectionne, écrit dans le journal communiste Ce Soir : « Silence à la meute antisoviétique ! Nous sommes au jour de l'effondrement de ses espérances ».
Les palinodies communistes étaient dénoncées depuis longtemps par certains observateurs, y compris à gauche. Le journal radical-socialiste La Relève affirmait ainsi, dès le 20 novembre 1938 : « Il ne faut pas hésiter à le dire, à l'écrire, à le proclamer : le parti communiste est en état de complot permanent contre la République et contre la patrie. Il constitue, par ses procédés, son organisation, sa propagande de toute nature, le type parfait de la ligue factieuse, de ces ligues factieuses que l'on a dissoutes, il y a quelques années, pour bien moins que tout cela. La conclusion s'impose : au nom des libertés républicaines, au nom du salut de la nation qui ne saurait tolérer davantage sur son propre sol les agissements d'agents avoués de l'étranger, semeurs de haine et de désordre, il faut dissoudre le parti communiste ».
Le 16 janvier 1940, la chambre des députés vote la déchéance des élus communistes. Le rapporteur du projet de loi, le socialiste Georges Barthélémy, explique qu'il faut « réduire à l'impuissance les traîtres dont l'action, quoique insidieuse, peut tuer aussi sûrement que les balles ennemies ».
Mais, plus encore que des mesures de répression, le parti communiste a à souffrir de crises de conscience qui règnent dans ses rangs. Certains de ses députés, écœurés par le cynisme soviétique, ont annoncé dès octobre 1939 qu'ils coupaient les ponts avec leur ancien parti. François Chasseigne, ancien responsable des jeunesses communistes, va jusqu'à préconiser pour ses anciens amis « le coup de pistolet derrière la nuque qu'on donne dans les caves de Moscou ». En fait, ce sont beaucoup de ces ex-communistes repentis qui seront assassinés, au cours des années suivantes, par des terroristes communistes chargés d'éliminer les «traîtres».
P.V National Hebdo du 10 au 16 novembre 1994

vendredi 26 décembre 2008

LE GENOCIDE VENDEEN

La guerre de Vendée et le système de dépopulation

En 1795, s’appuyant sur le procès de Jean-Baptiste Carrier (1), inventeur des « chapelets républicains » de Nantes (des milliers de personnes noyées dans la Loire), Gracchus Babeuf, père du communisme, s’interrogeait benoîtement sur la répression – un véritable génocide, en fait – menée en Vendée. Son livre, Du système de dépopulation, étudie la « politique » menée par les Conventionnels en 1793 et 1794. Une « politique » qui avait pour finalité avouée l’extermination totale de tous les Vendéens. Bleus et Blancs confondus,

En s’attaquant par priorité aux femmes et aux enfants.

Dans la nouvelle édition de ce texte, Reynald Secher, auteur notamment de La Vendée-Vengée : le génocide franco-français (Perrin, 2006), et Stéphane Courtois, à qui l’on doit le monumental Livre noir du communisme (Robert Laffont, 1997), établissent, documents à l’appui, la filiation directe entre l’idéologie de Robespierre et celle de Lénine et de ses héritiers.

C’est à Gracchus Babeuf que l’on doit les termes populicide, plébéicide, nationicide, pour désigner la politique d’extermination des Vendéens votée par la Convention en 1793. Sous sa plume, on relève nombre d’expressions qui soulignent l’ampleur du génocide : « Un si grand amoncelage de crimes », « Immolations féroces de milliers de vos frères », « Des peuplades entières effacées du nombre des vivants », « L‘égorgerie de nos frères », « Le grand hachis », « Tuerie générale », « Exécrations nationicides », « Massacrerie », « Boucherie horrible », « Système pratique d‘égorgement », « Extrême barbarie », « Système de destruction », etc.

Gracchus Babeuf écrit à propos du génocide vendéen : « On n’y croirait pas si nous ne les confirmions par des faits précis et authentiques. » Et aussi : « Il est d’autres faits si étrangement atroces que nous avons glissé rapidement à leur égard parce que l’imagination se refuse presque à les croire, malgré que, par l’analogie, rien ne doive plus paraître incroyable, d’après la certitude des actes forcenés que nous avons été dans la position de décrire. »

« Contemporain des événements, informé de première main grâce aux révélations suscitées par les crimes de Vendée après la chute de Robespierre, Babeuf aurait pu taire ce qui apparaît comme une tache indélébile dans le cours de sa chère révolution », écrit Stéphane Courtois. Il ne l’a pas fait, nous donnant du même coup une analyse implacable de cette préfiguration des génocides modernes. Le génocide vendéen est gros des génocides communistes et nazis. Avec des euphémismes du même ordre. Le représentant révolutionnaire Lequinio évoque « des mesures de rigueur (…) employées sans discernement ». Les nazis parleront de « solution finale ». Les communistes de « mesure punitive la plus élevée ».

Ce livre est un réquisitoire qui dit – et prouve – tout. Nous y reviendrons.

(1) Que d’aucuns, authentiques révisionnistes continuateurs des « buveurs de sang » de 1793, s’appliquent aujourd’hui à réhabiliter !

Les Editions du Cerf.

Article D’Alain Sanders dans le quotidien PRESENT

http://www.libeco.net/magazine.htm

dimanche 14 décembre 2008

5 septembre 1661 : d'Artagnan arrête Fouquet

Charles de Batz de Castel more, comte d'Artagnan, doit ce nom sonore à une seigneurie de Gascogne sise près de Vic-en-Bigorre. Entré en 1640 aux gardes, il revêt la casaque des mousquetaires en 1644, après avoir participé à la campagne du Roussillon. Légitimement fier d'appartenir à un corps d'élite - à qui Alexandre Dumas saura donner une rare aura littéraire - d'Artagnan combat en Flandre avec le vicomte de Turenne. Sous-lieutenant des mousquetaires en 1658, il escorte Louis XIV partant accueillir sa fiancée Marie-Thérèse d'Autriche à Saint-Jean-de-Luz. Après avoir accédé au grade de capitaine de la première compagnie de mousquetaires, il continuera une remarquable carrière, pour finir maréchal de camp et gouverneur de la place de Lille en 1672.
C'est à cet officier prestigieux, à ce serviteur solide, fidèle et incorruptible que s'adresse le roi en 1661 pour lui confier une mission de confiance, hautement délicate : arrêter l'un des plus éminents personnages du royaume, Nicolas Fouquet, comte de Vaux, marquis de Belle-Isle, surintendant des finances.
Face à face, donc, l'homme d'épée et l'homme d'argent. Car c'est sur l'argent, par l'argent que Fouquet a construit une puissance considérable. Trop considérable pour ne pas inquiéter le souverain. Fils d'un riche armateur, maître des requêtes et conseiller d'Etat, Fouquet a commencé sa carrière dans la magistrature. Conseiller au parlement de Metz, puis maître des requêtes, il remplit plusieurs missions d'intendant qui l'amènent à se lier avec Mazarin. Nominé par lui intendant de Paris, Fouquet sert le cardinal avec efficacité et fidélité, sauvant même ses précieuses collections pendant la Fronde. Ces services sont récompensés par la charge de surintendant des Finances.
A ce poste, le ministre utilise à plein le pouvoir de l'argent. Il use et abuse de tous les expédients, dévaluations, anticipations sur les rentrées fiscales, emprunts. Pour renflouer le Trésor, certes ... mais aussi pour se remplir les poches. Car Fouquet a fâcheusement tendance à confondre allègrement ses finances propres et celles de l'Etat : prêtant à l'Etat comme particulier, il se rembourse comme surintendant ! A ce rythme, il accumule en quelques années, grâce à sa charge, une fortune considérable, en particulier en spéculant sur les emprunts, en multipliant les malversations (II empoche, par exemple, de très gros pots-de-vin lors de l'affermage des impôts indirects). Il se fait construire un splendide château sur sa terre de Vaux et joue largement les mécènes en faveur d'artistes et d'écrivains (dont La Fontaine et Molière). Il a groupé. autour de lui une coterie, a des amis partout, pensionne les gens en place - y compris la reine mère. Il est persuadé qu'il est intouchable, que l'argent peut tout.
Exaspéré par les prétentions et les manœuvres de Fouquet, Louis XIV charge d'Artagnan de l'arrêter. Action symbolique : en brisant cette féodalité financière, le jeune roi s'affirme en souverain et inaugure son règne personnel. Enfermé à Pignerol, Fouquet disparaît en 1680 dans des conditions mystérieuses. La charge de surintendant des Finances ne lui survit pas. C'était le temps, l'heureux temps où l'argent n'était pas encore maître du jeu.
✍ Pierre VIAL National Hebdo du 1 au 7 septembre 1994

15 août 778 : Roland Le Preux

Fruit d'une antique tradition populaire orale et composée à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle par un certain Turold, un long poème épique intitulé La chanson de Roland a suscité dans l'Europe féodale un enthousiasme durable et a servi de modèle éthique à de nombreuses générations de chevaliers. Ceux-ci brûlaient de s'identifier au héros principal de cette chanson de geste, le preux Roland, incarnation des vertus guerrières de notre race.
Roland est un personnage historique. Neveu de Charlemagne, il fait partie de l'entourage immédiat du roi franc qui a organisé son royaume, puis son empire (à partir du couronnement impérial à Rome, à la Noël de l'an 800) en fonction des vieux principes des peuples germaniques et celtiques c'est-à-dire, selon la formule utilisée par l'historien Pierre Riché, en « chef de clan ». Charles confie à ses proches des postes de confiance, chargés de lourdes responsabilités. Ainsi Roland reçoit-il le commandement d'une de ces zones frontières, toujours chaudes, qui protègent les limites du territoire carolingien et que l'on appelle des Marches - d'où le titre de marquis. Roland a en charge la Marche de la Bretagne, qui couvre le pays franc contre les éventuelles incursions des remuants Bretons, dont Charlemagne a la sagesse de ménager l'ombrageuse indépendance.
Roland s'est révélé un chef aussi avisé que courageux. Aussi, Charles l'emmène-t-il avec lui dans une délicate expédition montée outre-Pyrénées pour exploiter les dissensions qui existent entre les chefs musulmans d'Espagne - et qui opposent en particulier, comme toujours, Berbères et Arabes. Charles, en allant guerroyer en Espagne, entend perpétuer la lutte de ses père et grand-père contre les musulmans (on sait que Charlemagne est le petit-fils de Charles Martel ... ). Au retour de cette équipée, Roland se voit confier le commandement de l'arrière-garde de l'armée franque pour le passage, délicat, des Pyrénées.
A Roncevaux, les Basques attaquent. Ces montagnards expérimentés ont la maîtrise du terrain. Leur embuscade est terriblement efficace. Les Francs, acculés, combattent jusqu'au dernier. Le chef donne l'exemple, comme il se doit : « Le comte Roland ne se ménage pas. Il frappe de sa lance tant que la hampe lui dure, mais après quinze coups, il l'a brisée et mise hors d'usage. Il tire alors Durendal, sa bonne épée, toute nue. » Ses compagnons tombés les uns après les autres autour de lui, Roland est à son tour touché à mort. Selon l'auteur de La chanson, ses dernières pensées sont toutes de fidélité à son idéal, à sa nation, à son clan : « Le comte Roland est couché sous un sapin. De maintes choses, il lui vient souvenance : de tant de terres qu'il a conquises en preux, de la douce France, des hommes de son lignage. » Et Roland célèbre en un ultime hommage sa bonne épée, symbole de ce combat qui donne sens à toute vie : « Ah ! Durendal ! Comme tu es belle et claire et blanche, comme tu luis et flamboies au soleil ! »
✍ Pierre VIAL National hebdo du 18 au 24 août 1994

jeudi 11 décembre 2008

3 juillet 1940 : perfide Albion

Au matin du 3 juillet 1940, il fait très beau à Mers el-Kébir. Dans cette vaste et solide base navale, à la périphérie d'Oran, - l'escadre de haute mer de la marine française a trouvé refuge, conduite par les cuirassés Dunkerque et Strasbourg. Les marins français ont vu avec étonnement une armada se présenter, à six heures et demi, au large de Mers el-Kébir. A 10 h 10, le commandant du Strasbourg reçoit de l'Amirauté un inquiétant message : « Flotte anglaise venue proposer un armistice inacceptable. » D'autant plus inacceptable qu'en fait d'armistice, il s'agit plutôt d'une reddition pure et simple ... Partie de Gibraltar, croise au large une force composée des cuirassés Hoad, Valiant, Resolution, du porte-avions Ark-Royal, de deux croiseurs et onze destroyers. Son chef, l'amiral Somerville, a reçu de Londres mission d'enjoindre à la flotte française de se rendre aux forces britanniques : « Les navires français doivent accepter nos conditions, ou se saborder ou être coulés avant la nuit. »
La flotte française était le cauchemar de Churchill. Dès le 12 juin, il avait pris l'amiral Darlan à part pour l'adjurer de ne jamais céder la flotte aux Allemands. Darlan avait eu un haut-le-cœur : cela allait de soi et il fallait être Anglais pour en douter... Sa parole néanmoins donnée, il l'avait renouvelée le 18 juin, accompagnée de celle du maréchal Pétain. Churchill avait même pu prendre connaissance des ordres secrets envoyés par Darlan pour le sabordage éventuel des navires français.
Faisant fi de ces engagements, Churchill prépare, dès la semaine qui suit la signature de l'armistice franco-allemand, une opération de grand style, baptisée «Catapulte», destinée à anéantir la flotte française. C'est donc en application des ordres de Londres que l'amiral Somerville transmet à son homologue français, l'amiral Gensoul, un ultimatum volontairement conçu en termes inacceptables.
Sur les navires français encore à quai, les - salves pleuvent à partir de 17 h 54. Tirées par des «alliés» qui ont déjà royalement laissé tomber les Français à Dunkerque ... Le Bretagne et le Provence, touchés à mort sont en flammes et coulent. Les explosions se succèdent et une épaisse fumée couvre d'un voile de deuil l'agonie - des Français. Le Dunkerque s'échoue. Seul le Strasbourg parvient à forcer le passage pour gagner la haute mer, en dépit des attaques répétées des avions torpilleurs partis de l'Ark Royal. Les cadavres de plus de 1 300 marins français, assassinés par la traîtrise anglaise, gisent à Mers el-Kébir. Ce ne seront pas les derniers de la guerre...
De Londres, de Gaulle fait un discours pour justifier la destruction des navires français : « L'ennemi les aurait un jour employés soit contre l'Angleterre soit contre notre propre Empire. Eh bien ! je dis sans ambages qu'il vaut mieux qu'ils aient été détruits. »
Henri Béraud dénonça, avant et pendant la guerre, la duplicité anglaise. Ce qu'on ne lui pardonna pas : il fut condamné à mort en 1945 et la vraie raison de cette condamnation est la publication, en 1935, d'un talentueux réquisitoire intitulé Faut-il réduire l'Angleterre en esclavage ? où il rappelait : « John Bull n'a qu'une politique : celle de ses banquiers et de ses marchands ; les droits et les besoins d'autrui n'ont, au regard de la Cité, pas plus d'importance que la peau d'un Boer ou le ventre creux d'un Hindou, c'est-à-dire qu'ils n'en ont exactement aucune. »
✍ Pierre VIAL National Hebdo du 30 juin au 6 juillet 1994

mercredi 10 décembre 2008

31 juillet 1914 : la mort de Jaurès

Le 1er août 1914, en première page du Petit Parisien quotidien populaire qui se vantait d'avoir "le ) plus fort tirage des journaux du « monde entier » - s'étalent côte à côte, sous un chapeau commun ("Heures tragiques"), deux nouvelles : « La situation internationale s'aggrave » et « On a assassiné Jaurès ». C'est en effet trois jours avant la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France que disparaît, le 31 juillet, Jean Jaurès. La mort du chef socialiste semble être le tragique lever de rideau d'une catastrophe qui devait saigner à blanc les principaux pays de l'Europe.
Jean Jaurès a pris au fil des décennies, sous la plume de ses thuriféraires et pour servir une mythologie politicienne, des allures de prophète humaniste, qui aurait pu empêcher la dérive du socialisme international vers le messianisme totalitaire qu'est le marxisme. La réalité est plus complexe. Car, malgré les images d'Epinal qu'essaye aujourd'hui de ressortir de la naphtaline un parti socialiste démonétisé, voulant ainsi redorer un blason totalement terni, Jaurès a en quelque sorte incarné les contradictions internes qui habitaient le socialisme au début du XXe siècle, écartelé qu'il était entre l'idéologie internationaliste et la réalité nationale.
Jaurès, qui s'est voulu le chantre du peuple laborieux, était issu d'une famille bourgeoise. Son cousin, le contre-amiral Benjamin Jaurès, a été député du Tarn en 1871 et a soutenu à la Chambre la politique de Thiers, le fusilleur des Communards qui a refusé la grâce du colonel Louis Rossel, ardent officier engagé par patriotisme dans les rangs de la Commune pour sauver Paris des troupes prussiennes. Sénateur en 1876, ambassadeur à Madrid puis à Saint-Petersbourg, Benjamin Jaurès achève sa carrière politique comme ministre de la Marine en 1889. C'est lui qui met le pied à l'étrier au jeune Jean Jaurès, élu, grâce à son appui, député du Tarn en 1885, à vingt-six ans.
C'est un brillant sujet. Reçu premier à l'Ecole normale supérieure, agrégé de philosophie en 1881, il est nommé professeur au lycée d'Albi, puis chargé de cours à la faculté des lettres de Toulouse dès 1883. Pris par la politique, il restera un homme de haute culture, lisant sur son banc de parlementaire, dix minutes avant de monter à la tribune de l'Assemblée, dans le texte grec, le Symposium du grand sophiste athénien Lucien. Il s'est mis à l'espagnol pour lire Cervantes, à l'anglais pour apprécier comme Il se doit la dramaturgie shakespearienne ...
Un homme de pondération
Homme du Midi, à l'éloquence claironnante, Jaurès a des yeux bleus voilés par instants de pitié pour cette humanité dont il se veut l'inlassable défenseur.
Quand il se lance en politique, c'est sous l'étiquette de républicain modéré. Malgré sa fougue oratoire, il restera toujours un homme de pondération. Le militantisme révolutionnaire le rebute. Or, dans les années 1880, le socialisme français est encore très marqué par la tradition blanquiste, hostile à toute idée de collaboration avec le libéralisme bourgeois. Mais vers 1892, sous l'influence de Lucien Herr, Jaurès se convainc de l'efficacité politique de la référence socialiste. Cet intellectuel a réalisé quel mythe puissant peut être véhiculé par le mot même de "socialisme", compris comme exigence de subordination des intérêts particuliers à l'intérêt collectif.
Député de Carmaux en 1893, Jaurès s'engage dans le camp dreyfusard, à la différence de nombre de ses amis politiques. Il soutient en 1899 le gouvernement Waldeck-Rousseau et là encore beaucoup de socialistes lui reprochent de collaborer avec le pouvoir bourgeois. Cependant sa forte personnalité s'impose dans les débats parlementaires. Lorsque, sous la pression de la IIe Internationale (congrès d'Amsterdam) les socialistes français sont Invités à cesser leurs dissensions et à s'unir dans un seul grand parti (création de la SFIO en 1908), Jaurès en devient le leader.
Il va jouer ce rôle avec subtilité. Sa fine intelligence trouve en effet trop abrupt, trop simpliste le catéchisme marxiste. Lorsqu'il fonde, en 1904, L'Humanité, son éditorial donne, dans le premier numéro, l'explication du titre : « L'humanité n'existe point encore ou elle existe à peine. A l'intérieur de chaque nation, elle est compromise et comme brisée par l'antagonisme des classes, par l'inévitable lutte de l'oligarchie capitaliste et du prolétariat. Seul le socialisme, en absorbant toutes les classes dans la propriété commune des moyens de travail, résoudra cet antagonisme et fera de chaque nation enfin réconciliée avec elle-même une parcelle d'humanité ».
Loin de vouloir abolir la référence nationale, comme l'affiche le marxisme, Jaurès proclame que la classe ouvrière doit être l'héritière de la tradition nationale, les socialistes se devant d'être des patriotes exemplaires. En faisant la liaison entre le national et le social l'Etat - loin de devoir disparaître, comme l'affirme le marxisme - doit se faire l'arbitre entre les intérêts divergents qui, inévitablement, s'affrontent au sein du corps social.
Quand, dans les premiers mois de 1914, des odeurs de guerre se font de plus en plus insistantes en Europe, Jaurès préconise inlassablement sang-froid et maîtrise des passions. Il voit avec anxiété s'accumuler à l'horizon de sanglantes nuées. On sait aujourd'hui quel rôle de boute-feu ont joué les milieux panslaves de Russie, malgré le tsar. Quel rôle néfaste, aussi, fut celui d'un Poincaré entrant dans un tel jeu. Et comment d'énormes sommes d'argent furent distribuées aux journaux français pour pousser l'opinion française à la guerre. Au seul Figaro, Calmette a touché gros : treize millions de francs (après sa mort, on découvrira que Jaurès, lui, avait pour toute fortune un peu plus de dix mille francs ... ) Jaurès, qui essaye d'inciter le gouvernement français à la prudence, n'est pas dupe. En sortant d'une entrevue avec le président du conseil, Viviani, Jaurès croise l'ambassadeur de Russie et lance de sa voix de stentor : « Cette canaille d'Iswolsky va avoir sa guerre ! »)
Une haineuse campagne de presse est déclenchée contre Jaurès, accusé d'avoir appelé les peuples à refuser la guerre qui vient. Devant témoins, Jaurès murmure : « Nous devons nous attendre à être assassinés au premier coin de rue ». C'est attablé au café du Croissant, dans la soirée du 31 juillet, que Jaurès est mortellement touché par les coups de feu tirés par un illuminé. Lors de ses obsèques, le 4 août, le secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux, appelle les Français à l'union sacrée. Il sera entendu. Mais, à l'annonce de la guerre, le futur maréchal Lyautey devait s'écrier, atterré : « Une guerre entre Européens est une guerre civile. c'est la folie la plus monumentale que le monde ait jamais commise ! »
✍ Pierre VIAL National Hebdo du 4 au 10 août 1994

mardi 9 décembre 2008

27 juillet 1214 : Bouvines

En faisant procéder au couronnement de son seul fils, Philippe, âgé de quatorze ans et demi, le roi Louis VII a voulu, au printemps 1179, prémunir son royaume contre les effets de cette mort qu'il sentait progresser dans sa chair. Il a ainsi agi aussi sagement que ses prédécesseurs : le principe de l'élection du souverain par les Grands était sauf, mais la continuité du pouvoir était assurée, la couronne restant dans la maison des Capétiens. Ceux-ci, tout en mettant en place une monarchie héréditaire dans les faits, ont su se présenter en gardiens de l'antique tradition franque, qui voulait que le roi fût le chef élu de ses guerriers.
Le royaume de France avait bien besoin d'une telle pérennité. Car la puissance des féodaux était si grande que le pays ressemblait à une véritable mosaïque politique, le domaine royal semblant cerné par ces ducs, ces comtes qui contrôlaient des provinces entières, de la Flandre au Toulousain et de la Bretagne à la Champagne. Le roi n'avait pour lui qu'une poignée de fidèles, sur un domaine royal trop mince, étiré de Beauvais à Orléans. Mais il avait aussi, mais il avait surtout l'aura magique apportée par le sacre. D'ailleurs le vieux roi Louis VII n'avait-il pas vu en songe son fils présenter aux Grands du royaume un calice étrangement semblable au Graal - cette coupe de vie mythique dont la description, dans les romans de la Table Ronde, exaltait en ces temps de chevalerie tous les preux de l'Europe ? Les hommes croyaient alors aux signes : dès le rêve fait par son père, le futur roi de France était marqué par le plus fort des symboles de l'imaginaire médiéval, celui de la souveraineté sacrée.
Tout au long de son règne, le roi Philippe devait se montrer soucieux d'incarner le précepte que l'enchanteur Merlin rappelait au roi Arthur, en chantant les vertus de l'épée Excalibur : « Il faut à la terre un roi, il faut une terre au roi. » Le roi étant la personnalisation emblématique de son peuple, c'était une façon de dire qu'un peuple et sa terre ne font qu'un, qu'un lien vital unit le sol et le sang - et que l'oublier c'est se condamner à mort.
Philippe eut bien souvent, en quarante-trois ans de règne, l'occasion de mettre en pratique ce devoir de souveraineté qui fonde la légitimité d'un pouvoir politique. Il lui fallut guerroyer beaucoup, et longtemps, pour imposer son pouvoir et le principe dont il était porteur.
Le principal adversaire était le Plantagenet. Celui-ci possédait, outre l'Angleterre, la Normandie, le Maine et l'Anjou, l'Aquitaine... Contre Henri III, puis ses fils et successeurs Richard Cœur de Lion et Jean Sans Terre, la lutte fut âpre. Finalement, Philippe réussit à quadrupler par ses conquêtes l'étendue du domaine royal : il méritait ainsi l'épithète d'Auguste (étymologiquement, « celui qui augmente »). Mais, en un dernier sursaut, Jean Sans Terre noua une coalition avec l'empereur germanique Othon IV. Ainsi le sort du royaume se joua-t-il sur le champ de bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214.
D'un côté, Othon IV et ses alliés - vassaux du roi de France révoltés contre lui ; de l'autre, les chevaliers fidèles au roi renforcés par des communiers (hommes des communes) auxquels Philippe a fait appel et à qui il a confié l'oriflamme de Saint-Denis, le rouge étendard de guerre des rois de France. Beau symbole : le peuple, en ses diverses composantes, s'est levé pour défendre la cause nationale. Et le peuple a vaincu. Bouvines est un moment fort de l'histoire du nationalisme français.
✍ Pierre VIAL National Hebdo du 28 juillet au 3 août 1994
Pour approfondir : Gérard Sivéry, Philippe Auguste, Plon, 1993

10 AOUT 480 AVANT L'ERE CHRETIENNE : SPARTE, UN EXEMPLE

En cette fin du Ve siècle deux mondes sont face à face. D'un côté, Xerxès, le Grand Roi des Perses, et son empire cosmopolite composé, si l'on en croit Hérodote, de quarante-six peuples... De l'autre, la Grèce. C'est-à-dire la matrice historique de cette culture européenne dont sont porteurs, aujourd'hui, ceux qui, en France et dans tous les autres pays d'Europe, se battent pour leurs racines, leur identité, leur peuple et leur terre.
Après les vains efforts de son père Darius, tenu en échec par les hoplites athéniens à Marathon (490), Xerxès entend soumettre à son fouet ces Grecs qui osent récuser l'honneur d'être vassalisés par une superpuissance porteuse d'un nouvel ordre mondial (l'empire des Perses achéménides reprend les visées hégémoniques des empires orientaux qui l'ont précédé - empire babylonien et empire assyrien). Il y a donc confrontation entre deux civilisations, deux cultures, deux conceptions du monde. Le combat des guerriers grecs contre l'impérialisme oriental constitue un enjeu fondamental : « Il ne s'agissait pas seulement, écrit François Chamoux, de la vie et de l'indépendance d'un peuple, mais de l'avenir d'une civilisation (...) Cette fois il ne s'agissait pas d'un conflit ordinaire, où la "guerre, mère de toutes les choses", comme disait Héraclite, opposait les humains et leurs convoitises » ; l'entreprise de Xerxès, en effet, « apparaissait comme une tentative pour imposer à la Grèce non seulement une domination étrangère, mais aussi une philosophie politique, celle des grands états orientaux où, sous l'autorité du souverain de droit divin, vivent non des citoyens, mais des sujets, foule anonyme et servile où l'individu se trouve noyé. » Les guerriers grecs « ont défendu par les armes l'idéal juridique d'une cité composée d'hommes libres. »
Pour briser les Hellènes, Xerxès, après avoir conclu une entente avec Carthage, lance sur la Grèce une armée composite mais dont la masse numérique est effrayante (Hérodote parle, avec peut-être un peu d'exagération, d'un million sept cent mille hommes... ). C'est la plus formidable machine de guerre qu'ait jamais vu le monde méditerranéen.
La nouvelle invasion provoque une réunion panhellénique sur l'Isthme de Corinthe. Oubliant leurs rivalités, les cités grecques proclament l'union sacrée et confient le commandement des armées aux Spartiates.
L'ennemi occupant déjà le nord de la Grèce, Il faut ralentir au maximum sa progression pour pouvoir organiser la résistance du Péloponnèse. Un des rois de Sparte, Léonidas, prend la tête d'une petite troupe et vient occuper le passage des Thermopyles (« la porte des eaux chaudes », nom dû à des sources sulfureuses.) Entre les pentes escarpées de l'Œta et la mer, Il n'y a que la largeur d'une chaussée. Assaut après assaut, pendant plusieurs jours, les armées de Xerxès essayent de forcer le passage. Léonidas et ses trois cents Spartiates se souviennent du principe qu'on inculque, chez eux, au futur guerrier : on ne recule pas jamais. Léonidas et les siens se font donc tuer sur place, jusqu'au dernier.
Ce sacrifice sauva la Grèce. Aux Thermopyles, sur la roche fut gravé : « Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses lois. »
✍ Pierre VIAL National hebdo du 11 au 17 août 1994

vendredi 5 décembre 2008

CHOUAN, EN AVANT ! LE CRI DE LA CHOUETTE

Souvent confondus avec les Vendéens, les Chouans hantent l'œuvre des plus grands romanciers, de Balzac à La Varende. Mais leur histoire dépasse, en grandeur, les meilleures œuvres d'imagination.
C'est ce que démontre, avec un beau talent, Anne Bernet.
Une historienne nous est née. Voilà la bonne nouvelle apportée aux lecteurs des Grandes Heures de la chouannerie. Des lecteurs dont certains, jusqu'alors, appréciaient - et j'en suis - la finesse des analyses littéraires d'Anne Bernet. Sans se douter que le démon de l'Histoire allait, pour notre plus grand bonheur, la saisir. Car c'est bien d'Histoire qu'il s'agit, et de la meilleure : celle qui sait faire revivre avec force les émotions, les enthousiasmes, les passions, les drames d'hommes engagés à la vie à la mort dans un grand combat, tout en peignant avec une claire érudition la toile de fond sur laquelle se déroulent ces tragiques destins.
✑ Terrible paysage : pendant quinze ans, de 1789 à 1804, la France est plongée dans la fureur, les larmes - et le sang, le sang partout, le sang toujours ! Tandis qu'à Paris vont s'échelonner les scènes les plus atroces de notre histoire, les provinces subissent, par contrecoup, les soubresauts de la folie parisienne.
✑ Les terres de l'Ouest vont payer un très lourd tribut. La Vendée bien sûr. Mais aussi l'Anjou, le Maine, la Normandie, la Bretagne. Terres d'élection de la chouannerie, née comme une réaction de survie face à la folie meurtrière des sectateurs de la sainte Égalité, nouvelle religion au culte sanglant desservie par des prêtres fous. À vrai dire, l'Ouest a connu, dans les premiers temps de 1789, la tentation des idées à la mode. Des insensés ont joué avec le feu : certains nobles, amusés par les nouveautés dont se gargarisaient des bavards, ont contribué à saper l'édifice sous les ruines duquel ils devaient se retrouver ensevelis... Et, surtout, il y a ce sacré tempérament breton qu'Anne Bernet croque à merveille en quelques mots : « Les vingt-cinq mille gentilshommes bretons étaient souvent plus gueux que leurs manants et plus à l'aise en sabots qu'en escarpins. Leur orgueil était donc chatouilleux, leur épée prompte à sortir du fourreau et ils regardaient volontiers les initiatives du pouvoir central comme des affronts faits à l'antiquité de leur sang bleu. » Il était donc tentant, en 1789, d'affirmer l'identité bretonne face à Versailles. Mais, très vite, l'aristocratie bretonne a compris que la terrible mécanique enclenchée par les émeutes parisiennes conduisait tout droit au précipice.
✑ Armand de la Rouërie a été de ceux qui n'entendaient pas subir. Ayant gardé de sa participation aux guerres des Amériques le sens de la guérilla, il entreprit d'organiser à travers toute la Bretagne de vastes réseaux destinés à se mobiliser pour défendre la Croix et les Lis. Car la menace se précisait, au fil de 1790, 1791, 1792... D'abord la constitution civile du clergé, peu appréciée dans les provinces de l'Ouest ; puis les humiliations successives infligées au roi et à sa famille ; puis les exigences de plus en plus insupportables de ce pouvoir fou qui siégeait à Paris... Quand on apprit l'assassinat du roi, stupeur et consternation semblèrent assommer l'Ouest, le plonger dans une léthargie comateuse. Il en sortit, rouge de colère, en mars 1793.
✑ Lorsque la République avait fait appel à des volontaires pour meubler les rangs de ses armées, elle n'avait pas eu beaucoup de succès... En décidant la levée en masse, par conscription obligatoire, la Convention mit le feu aux poudres. Rennes, Vannes, Pontivy, La Roche-Bernard : de jeunes citadins trouvent quelques pétoires, les paysans ont des faux emmanchées à rebours, ou tout simplement le bon vieux couteau à tout faire, qui vous saigne proprement un goret. Ou un gabelou, comme le savait bien Jean Cottereau, grand faux-saunier devant l'Éternel et connaissant comme sa poche, grâce à cet art, les confins de Bretagne et du Maine. Et qui avait hérité d'un aïeul le surnom de Chouan (le hululement du chat-huant étant le cri de ralliement, le signal convenu des bandes faisant le trafic, les nuits sans lune, du sel de contrebande).
✑ Au printemps 1793, les foyers d'insurrection se multiplièrent. La République était défiée, ridiculisée le chevalier de Boishardy s'emparait de la berline de poste chargée d'assignats destinés à Paris. L'argent républicain finançait la Contre-Révolution ! À Saint-Paul de Léon, les Bleus entendaient monter des rangs de leurs adversaires de rauques chants issus de la longue mémoire celtique : « Si c'est querelle et bataille qu'ils cherchent, avant qu'il soit jour ils seront satisfaits ! Avant le jour, ils auront querelle et bataille ! Nous le jurons par la mer et la foudre. Nous le jurons par la lune et les astres. Nous le jurons par le ciel et la terre. »
L'habileté diplomatique du général républicain Canclaux désamorça la révolte dans le nord du Finistère. Mais, au printemps 1793, toute la Mayenne vibrait au bruit des coups de main de Jean Chouan et de ses compagnons. Grand rêve : que les gens du Maine puissent tendre la main au Bretons et aux Vendéens, et les jours de la République honnie seraient comptés...
✑ On pouvait y croire : les hommes du prince de Talmont et de Jean Chouan n'ont-ils pas infligé une sévère frottée aux Bleus de Westermann en octobre 1793, à la Croix-Bataille ? Là se sont déployées les qualités manœuvrières de ces chouans dont les longs cheveux se confondaient au poil de chèvre de leur veste, marquée du sacré-cœur et sur laquelle brinquebalait le rosaire aux grains de plomb. Anne Bernet décrit superbement la tactique de ces partisans : « Les Mainiaux avançaient dans les ténèbres comme des chats : vieille habitude des expéditions nocturnes aux buts pas toujours avouables. Aucun caillou ne roulait sous leur pas. Ils marchaient à l'oreille, se guidant sur les commandements braillés par les Bleus, trop sûrs de surprendre les royaux endormis. Pas de chance, citoyens, à cette heure-ci, les chouettes ne dorment pas. » Familiarité avec le terrain, frappe forte et rapide, embuscades à répétition... Lorsque les chouans peuvent mettre en pratique ces principes, ils sont intouchables. Mais, sortis de leurs bois, exposés à une campagne plus classique, ils souffraient durement. L'épuisante longue marche que fut la virée de Galerne, pendant sept semaines du terrible automne 1793, marqua l'échec d'une coalition où Bretons, Angevins, Vendéens étaient censés unir leurs forces, en une grande armée catholique et royale. L'héroïsme de beaucoup ne suffit pas à donner de véritable homogénéité à une troupe aussi farouche que disparate, souffrant des tiraillements et dissensions de l'état-major. Après la terrible épreuve - la fin atroce de l'armée catholique et royale, massacrée dans les marais de Savenay -, Jean Chouan et ses hommes replongèrent dans la clandestinité des sous-bois, où étaient creusées de véritables tanières, abris souterrains surmontés de trappes recouvertes de mousse. Là était leur domaine.
✑ La fin de Jean Chouan fut, comme celle de beaucoup des siens, héroïque. Cerné par les Bleus, il s'exposa sciemment à leurs balles pour détourner leur attention et permettre, ainsi, à sa belle-sœur enceinte de se sauver, Il rendit l'âme en pensant à ses deux jeunes sœurs, Perrine et Renée, guillotinées à l'âge de dix-huit et quinze ans, mortes en criant : « Vive le Roi. Vive mon frère Jean Chouan ! » Jean Chouan fut placé par ses hommes en un refuge secret, creusé dans cette terre pour laquelle il s'était bien et longtemps battu. « Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre... » Mais la mort de Jean Chouan ne fut pas celle de la chouannerie. Il laissait un exemple, un modèle. Ils furent suivis. Tandis que sur la guillotine installée à Laval se succédaient, jour après jour, nobles et gueux, hommes et femmes, jeunes et vieux, religieux et laïques, les campagnes de la Mayenne, au printemps 1794, bruissaient aux cris de mille chouettes. Kléber était conscient de l'enracinement de la révolte car il était plutôt moins obtus que la moyenne des généraux républicains : « Ces bandes, disséminées sur un grand espace, mendient ou travaillent le jour, la nuit se livrent au brigandage. Elles forment, pour ainsi dire, toute la population du territoire. Les hommes qui semblent travailler le jour au labourage se réunissent la nuit aux Brigands. »
✑ Les bandes chouannes se groupent autour de chefs improvisés. Certains sont peu expérimentés et du coup l'affaire finit assez mal et assez vite. Mais d'autres sont des solides. Tel ce Jean-Louis Tréton, dit Jambe d'argent à cause d'une terrible claudication, héritée d'une enfance particulièrement misérable. Entouré de gaillards aux noms sonores (« Va-de-bon-cœur », « Brise-Bleus »... ) Jambe d'argent entreprend de se fédérer les groupes de chouans qui s'agitent aux quatre coins de la Mayenne. Rude tâche. Il y parvient de son mieux et crée mille soucis aux Bleus jusqu'en février 1795.
Dans le Morbihan, Georges Cadoudal s'activait. Il fut de ceux qui ne crurent pas aux folles promesses d'une paix «menteuse» - paix envisagée, souhaitée par deux chefs de bonne volonté, le général républicain Humbert et le chef chouan Jérôme de Boishardy. Certes, elle était belle, l'espérance d'une paix enfin revenue, pour panser les blessures et fermer les cruelles cicatrices de la guerre civile. Mais à quel prix ? Reconnaître la République honnie et s'incliner devant elle ? Renoncer à la fidélité jurée aux lis ? Mieux valait mille fois la mort ! Cette mort, le trop crédule Boishardy la trouva, au coin d'un champ, le 17 juin 1795. Lui qu'on avait surnommé le Sorcier, tant il avait de tours et de ruses de guerre dans son sac, ne trouva ce jour-là d'autre issue que de bien mourir.
✑ Cependant le débarquement d'une armée blanche à Quiberon avait fait lever les plus folles espérances. Las ! Hoche, profitant des hésitations des chefs blancs, sut les enfermer dans la presqu'île « comme des rats dans une ratière ». Et puis il vida la ratière et extermina les rats jusqu'au dernier... Des garçons de seize ans aux vieillards octogénaires, tous y passèrent. Jambe d'argent eut, lui, la bonne fortune de mourir les armes à la main, en combattant une fois de plus un parti des Bleus, le 27 octobre 1795. Le boiteux courait plus vite que tout le monde, ce jour-là, pour aller sus à l'ennemi. En tête, tout seul loin devant ses hommes. Belle cible...
✑ Avec de tels exemples, la chouannerie ne pouvait pas mourir. Au point d'enflammer à son tour la sage Normandie, fin 1795. Derrière Louis de Frotté, qui avait pris pour nom de guerre Blondel. Ce Blondel a la qualité des vrais chouans et applique leurs recettes : « Se battre tous les jours ; se dérober plus souvent encore ; surprendre pour ne pas être surpris, et renoncer à la gloire, du moins à celle que peignent les manuels d'Histoire ».
Mais la fatigue finit par gagner les terres chouannes : au printemps 1796, l'Anjou, le Bas-Maine, la Bretagne, la Normandie acceptèrent de cesser le combat. Pour la plus grande gloire du «pacificateur», Lazare Hoche...
✑ Pourtant des insoumis, des indomptables restaient tapis au creux des bois. Les événements leur donnèrent raison : malgré les apaisantes promesses de la République, celle-ci s'évertua à pourchasser et à éliminer, en 1797 et 1798, tout ce qui pouvait ressembler à un chouan. Le 12 juillet 1799, la Loi des Otages autorisait à emprisonner les parents, grands-parents, frères et sœurs des chouans à la place des rebelles en fuite. Et à tirer dans le tas, en cas de « tentative d'évasion » (éternel et commode prétexte des policiers assassins)...
✑ Contre le Directoire agonisant, une nouvelle levée de chouannerie se produisit à l'automne 1799. Cette fois-ci, les Lis allaient revenir ! C'était compter sans un certain général Bonaparte. Celui-ci, en apportant l'apaisement religieux, désarmait moralement bien des combattants de la Croix et des Lis. Jusqu'au bout, cependant, un dernier chouan résista, lutta, courut au-devant de la mort. Il s'appelait Georges Cadoudal. Il reste un symbole pour ceux qui savent que vivre dans la fidélité implique de mourir, quand il le faut, pour la fidélité.
✍ PIERRE VIAL Le Choc du Mois Avril 1993
Anne Bernet, Les grandes heures de la chouannerie, Perrin 375 pages,

jeudi 4 décembre 2008

23 mai : la Lituanie sous le knout

☞ L'URSS a mis à profit la Seconde Guerre mondiale pour accroître son territoire, par rapport à 1939, de 682 809 kilomètres. Ceci avec l'accord implicite des Occidentaux qui, à la suite des conférences de Téhéran (décembre 1943), Yalta (février 1945) et Postdam (juillet-août 1945) ont laissé agir l'impérialisme soviétique, lavé de ses péchés pour avoir activement participé à la « croisade des démocraties » lancée contre les forces du mal...
☞ Les peuples baltes, accusés d'avoir fait le jeu de l'ennemi allemand, furent systématiquement traités en suspects. Ils devaient être punis de leur traditionnel antisoviétisme et, dès l'hiver 1944/1945, les Soviétiques utilisèrent les quelques communistes locaux et les sympathisants, en particulier juifs, issus des milieux intellectuels pour administrer les pays baltes sous le contrôle du NKVD. Mais ils durent faire face à une résistance tenace.
☞ Pour briser le peuple lituanien, 145 000 personnes furent déportées en 1946. Le clergé catholique paya un lourd tribut : la moitié des prêtres et la quasi-totalité des évêques furent arrêtés; l'évêque de Telsfaï, Mgr Borisevius, condamné à mort le 3 janvier 1947, fut aussitôt exécuté ; le primat de Lituanie, Mgr Reinys, archevêque de Vilnius, fut déporté en Sibérie où il mourut en 1953.
☞ C'est aussi le chemin de la Sibérie que prirent les 300 000 hommes, femmes et enfants arrêtés le 23 mai 1947. Malgré cela, la résistance des paysans à la collectivisation des terres se poursuivit et les Soviétiques durent encore déporter en Sibérie, en mars 1949, 60 000 Lituaniens. A leur place, les Soviétiques firent venir des colons slaves, pour modifier la composition ethnique de la population des pays baltes et russifier ces territoires.
Indomptables, des partisans lituaniens, réfugiés dans les forêts du sud du pays, menèrent contre les occupants une guérilla acharnée qui se prolongea jusqu'à la fin des années 50. Ces combattants portaient le beau nom, hérité du Moyen Age, de « Frères de la forêt ».
☞ Parallèlement à cette résistance armée, une résistance culturelle préparait la renaissance nationale. Car, pour survivre à la glaciation soviétique, les peuples baltes ont compris qu'il leur fallait avoir recours à leur plus longue mémoire. Ils ont donc entretenu avec un soin jaloux un héritage venu du fond des âges, colporté par les chants choraux, la poésie, les fêtes communautaires qui marquent équinoxes et solstices. Ainsi les daïnos - courts poèmes lituaniens comparables aux haïkus japonais - représentent-ils, pour la Lituanie d'aujourd'hui, la voix - et la voie - des ancêtres. une voix qui chante l'éternel retour des forces de vie :
« Je suis allé voir l'Etoile du Matin
L'Etoile du Matin m'a répondu :
Il me faut de bonne heure
allumer le feu pour le Soleil!
Je suis allé voir l'Etoile du Soir
L'Etoile du Soir m'a répondu :
Il me faut ce soir
préparer le lit du Soleil ! »
✍ Pierre VIAL National Hebdo du 26 mai au 1er juin 1994

mardi 2 décembre 2008

A propos du mythe d'Al Andalus

Le Prix Lyssenko a été créé en 1990 par le Club de l'Horloge (4 rue de Stockholm, 75008 Paris) pour "couronner" un auteur ou une personnalité ayant, par ses écrits ou ses actes, « apporté une contribution exemplaire à la désinformation en matière scientifique ou historique, avec des méthodes et arguments idéologiques ». Le 23 octobre, il a été décerné par Henry de Lesquen, président des "Horlogers" (ainsi que de Radio Courtoisie) à l'universitaire Alain de Libera, ce médiéviste et historien de la philosophie s'acharnant à démontrer « les racines musulmanes de l'Europe chrétienne », en exaltant par exemple la "tolérance" et l'amour des sciences qui auraient régné dans les Espagnes tombées sous le joug islamique et notamment en Andalousie. Un mythe réduit à néant par l'historien Philippe Conrad dans l'allocution qu'il a prononcée le 23 octobre.
Après avoir exalté, durant les guerres balkaniques des années quatre-vingt-dix, le mythe de la « Sarajevo multiconfessionnelle », havre de "tolérance" entre les diverses religions présentes au sein des territoires européens de l'Empire ottoman, les tenants de la bien-pensance "multiculturelle" ont mis en avant - principalement depuis 1992, date anniversaire de la découverte de l'Amérique ; de la prise de Grenade et de l'expulsion des juifs d'Espagne - une Andalousie rêvée, celle où la domination musulmane aurait permis la coexistence pacifique des « trois religions », garantie par la remarquable "tolérance" qui aurait régné sous les califes de Cordoue ou les émirs de Grenade. Ce « mythe d'AI Andalus » que vient d'analyser, dans un essai aussi percutant que documenté, la philosophe espagnole Rosa Maria Rodriguez Magda (« Inexistente Al Andalus. De como los intelectuales reinventan el Islam » ([Une Al Andalus inexistante. Comment les intellectuels réinventent l'Islam]) apparaît comme l'héritage de la découverte romantique des vestiges musulmans d'Espagne du sud, quand, de Chateaubriand à Washington Irving, un "orientalisme" né de l'imagination des voyageurs d'alors proposait aux esprits européens en mal d'exotisme une vision de l'islam et des sociétés musulmanes bien éloignée des réalités. Les historiens prirent ensuite le relais, mais la plupart d'entre eux, de F.J. Ramonet à Levi Provençal ou Menendez Pidal, rendirent compte exactement de ce qu'avait été le passé musulman d'une partie de l'Espagne,
Les grandes interrogations engendrées par la crise de 1898 conduisirent ensuite à un large débat à propos de l'identité espagnole et, quelques années plus tard, c'est l'occasion pour Americo Castro d'affirmer, face au médiéviste C. Sanchez Albornoz, que l'Espagne était née, à parts égales, des apports musulmans, juifs et chrétiens. Une thèse largement réfutée, mais qui a préparé le terrain à la surévaluation de la part musulmane intervenant dans « l'essence de l'Espagne ». La valorisation de la Reconquista réalisée durant l'époque franquiste et la place exclusive faite alors à l'héritage catholique consubstantiel à l'identité nationale suscitèrent en réaction, une fois survenue la transition démocratique, une valorisation exclusive du passé musulman, instrumentalisée par une lntelliguentsia et des institutions européennes favorables à un processus de mondialisation écartant toute relation conflictuelle avec l'Islam et faisant de l'Andalousie "tolérante" des VIII-XVe siècles le modèle de la coexistence harmonieuse qu'il convenait de mettre en œuvre dans l'avenir entre l'Europe de tradition chrétienne et l'Orient ou le Sud méditerranéen, riches de leurs héritages musulmans. La Reconquista apparaît dans cette perspective comme un « épisode sombre » de notre Histoire européenne, comme un « génocide culturel », comme la première étape de l'expansion coloniale européenne des siècles ultérieurs. Cette condamnation de l'Europe barbare, destructrice du brillant foyer de civilisation apparu dans le sud de la péninsule ibérique, allait de pair avec la valorisation d'une culture arabe sans laquelle l'Occident n'aurait pu récupérer l'héritage de la pensée grecque et réaliser ensuite la montée en puissance que l'on sait.
Le Xe siècle, qui correspond à l'apogée du califat de Cordoue, fut à l'évidence une période des plus brillantes et il est vrai que cette époque vit se relâcher quelque peu l'orthodoxie musulmane qui fondait la domination des fidèles du Prophète sur les populations chrétiennes et juives, réduites au statut de "dhimmi", c'est-à-dire de protégés appelés à subir de multiples discriminations condamnant sans appel toute idée d'une "tolérance" au sens moderne du terme, en tout état de cause totalement anachronique dans le contexte de l'époque. La réalité fut en effet, on s'en doute, beaucoup moins souriante. La conquête arabo-berbère fut brutale et ce fut par la force des armes que furent subjuguées les populations romano-wisigothiques. Ainsi soumis, les chrétiens mozarabes multiplièrent les révoltes et maintinrent pendant plusieurs siècles leur foi, l'exil vers les régions demeurées chrétiennes ou le recours au martyre témoignant également du peu de cas qui leur était fait par la religion victorieuse. Les garanties procurées par le statut de "dhimmi" étaient bien fragiles et, au fil du temps, la situation des chrétiens se détériora, notamment après l'irruption des Almoravides et des Almohades qui, aux Xe et XIIe siècles, aboutit à leur déportation massive et à leur disparition en Afrique du Nord.
Si l'on retient les préoccupations culturelles d'un souverain tel que le calife Al Hakham, le zèle religieux de ses successeurs, parmi lesquels le terrible Al Mansour, aboutit à la destruction de tous les livres inspirés par les « sciences antiques ». Les périodes propices à l'essor culturel se révélèrent généralement très courtes et, aussi bien dans les « reinos de taifas » qui prennent la suite du califat qu'à l'époque des conquérants marocains, la "tolérance" tant célébrée de nos jours se révèle inexistante. Le savant juif Maïmoni doit s'enfuir en Egypte pour sauver sa peau et les autorités musulmanes du temps s'en prennent pratiquement à tous les esprits cultivés qui ont fait la réputation intellectuelle d'Al Andalus, d'Averroès à Ibn Arabi en passant par Ibn Hazm. L'islam sunnite malékite andalou prédisposait de toute manière à une lecture fondamentaliste des textes sacrés et écartait toute tentative de spéculation rationnelle.
En 2004, l'historien Serafin Fanjul a pu titrer l'un de ses livres « Al Andalus contra España » [Al Andalus contre l'Espagne] et un autre « La quimera d'Al Andalus » [La chimère d'Al Andalus]. Il rendait ainsi compte de l'entreprise idéologique visant à opposer l'épisode historique andalou à l'identité espagnole telle qu'elle s'est forgée au fil des siècles, en même temps qu'à suggérer à l'Occident les "repentances" nécessaires, la Reconquête s'inscrivant désormais dans la longue série des crimes supposés des Européens. Il s'agissait ainsi d'imposer cette « tyrannie de la pénitence » évoquée par Pascal Bruckner dans l'essai qu'il a consacré au masochisme occidental. L'entreprise de mise en accusation ainsi engagée s'inscrit évidemment dans un projet plus vaste visant au désarmement psychologique et idéologique d'un Occident qui n'en finit pas de demander pardon. On peut cependant espérer que les nostalgies andalouses formulées aujourd'hui dans le monde musulman susciteront les réactions nécessaires et conforteront « l'homme espagnol » cher à Bartolomé Benassar dans son identité, enracinée dans la préservation d'une authentique mémoire nationale qui lui permettra de dissiper les chimères entretenues par certains esprits malades. Il faut cependant rappeler que, quand Pierre Guichard, le meilleur spécialiste français de l'Andalousie musulmane, que personne ne songerait à ranger parmi les tenants de la théorie du « choc des civilisations », fut invité en 1992 à rédiger une « contribution sur l'influence d'Al Andalus sur l'Europe et la région méditerranéenne », son texte fut refusé, car « il ne correspondait pas suffisamment aux idéaux de coexistence qui étaient à l'origine du projet ».
✍ Philippe CONRAD. RIVAROL 14 NOVEMBRE 2008

lundi 1 décembre 2008

Les « Guerres de religions », mythe et réalité

La thèse « officielle » de l’historiographie est que, durant les Guerres de religions, les protestants furent placés en position de légitime défense. Le sang versé – car il y en eut des flots – est imputé à « l’intolérance » et au « fanatisme , qui se seraient implantés de façon quasi spontanée dans le cœur des catholiques plutôt que dans celui des réformés. Mais la réalité, symbolique ou politique, n’est pas si simple…

Dès 1581, un historien tenant le parti des réformés, Henri Lancelot du Voisin de La Popelinière, publiait à La Rochelle une Histoire des troubles et guerres civiles en France pour le fait de la religion depuis 1555 jusqu’en 1581. L’expression « pour le fait de la religion » marquait aussi nettement la conscience, contemporaine des événements, d’un lien de causalité immédiate entre les guerres civiles et les tensions proprement doctrinales engendrées par la prédication de Luther et de ses émules, en France, de Calvin.

Que penser des thèses officielles concernant les “Guerres de religion” ? Dans son dernier ouvrage, Les ligueurs de l’exil, M. Robert Descimon n’hésite pas à renvoyer aux « mythes de notre monde contemporain », parmi lesquels trône « le développement de la légende d’Henri IV, un des seuls parmi les héros nationaux français à ne pas avoir connu une dévaluation radicale ». Il souligne un glissement, intervenu dans le dernier quart du XXe siècle, d’une « histoire dominante des conflits religieux du XVIe siècle […] écrite du point de vue des huguenots et des politiques », c’est-à-dire des partisans de l’État sécularisé, à une histoire désormais « placée sous le signe de l’œcuménisme ». Il est utile de prendre une distance critique à l’égard de ces enjeux historiographiques.

C’est à Wassy en 1562 que l’on situe ordinairement l’origine des troubles civils. En réalité, ce qui se passa dans cette grange ne fut pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Henri Lancelot, ce contemporain que nous venons de citer, situe, lui, l’origine des troubles en 1555. Peu importe ! Le fait est que Wassy s’inscrit dans une série de confrontations dont les protestants ont, sans conteste, pris l’initiative. A l’exemple de ce qui se produisait dans les pays environnants, les principautés allemandes et l’Angleterre notamment, les réformés ont adopté deux stratégies successives fort déterminées.

La conscience du Roi

La première stratégie consistait à gagner le pouvoir de l’intérieur en agissant directement sur la conscience du roi pour le convaincre de se convertir aux théories nouvelles. Tant que François Ier parut, sous l’influence de sa sœur, Marguerite d’Angoulême, enclin à écouter ceux qu’il pensait « habiles gens », les réformés crurent le but à portée de leurs ambitions. Pourtant, dès 1529, les premières violences, pour symboliques qu’elles se soient voulues dans leur principe – puisqu’elles atteignaient les images et les statues de la Vierge et des saints en une flambée iconoclaste aujourd’hui bien connue – mirent le feu dans les esprits avant d’être la cause principale de l’embrasement des bûchers. Ainsi, la nuit de la Pentecôte 1529, des réformés abattirent la tête d’une figure de la Vierge nichée au mur d’une maison faisant l’angle de la rue des Rosiers et de la rue des Juifs ; ils poignardèrent son vêtement, souillèrent son couvre-chef, brisèrent aussi la tête de l’Enfant et jetèrent les restes derrière des pierres. La vague iconoclaste, découlant de la théologie protestante, sévit partout, à Paris et en province. On comprend pourquoi François Ier laissa le parlement de Paris ouvrir les informations et poursuites contre de tels faits. Une nuit, on vint placarder jusque sur la porte de la chambre du roi des affiches ridiculisant l’eucharistie, le Saint-Père et la Vierge Marie. C’est la provocation célèbre des « placards », en octobre 1534. Elle prouve assez que les protestants espéraient encore enrôler le roi. La dédicace à François Ier de son Institution chrétienne par Calvin va dans le même sens. Il s’agit de hisser le roi en souverain absolu au-dessus des lois de Dieu et de l’Église, dans une vaste entreprise de conversion nationale. Si les français refusèrent leur participation au concile de Trente, ce fut pour mieux affirmer le rôle prétendument exclusif du pouvoir civil dans la réforme de l’Église. Il faut avouer d’ailleurs que c’est justement aux autorités judiciaires, et non ecclésiastiques, qu’il faut imputer la responsabilité d’avoir engagé le roi dans une politique de répression, en fait assez intermittente, contre les protestants.

Une guerre de princes

La deuxième stratégie, résultant de l’échec de la première, consistait à prendre le pouvoir de l'extérieur, car la cohabitation ne semblait pas davantage possible aux réformés qu'aux catholiques. Or, dès la fin du règne de François Ier et dans les années 1555-1560 surtout, au moment par exemple de la conjuration d’Amboise – lorsqu'au nom des réformés, le prince de Condé tente sans succès de neutraliser les Guises, considérés comme les mentors du jeune roi François II - il était devenu évident que le roi de France ne se convertirait pas et n'abandonnerait pas le catholicisme. Le rôle des princes et des grands protestants est alors devenu décisif : à défaut d’une loi royale, générale, qui aurait aboli la messe et satisfait pour le reste à la doctrine protestante en forçant le peuple à l’apostasie, ils entreprirent de supprimer le culte catholique localement, en détail. La structure encore fort originale d’un État né de la féodalité favorisa leurs intentions. En Bretagne, en Poitou, en Languedoc, en Béarn, par exemple, les seigneurs gagnés aux idées nouvelles, appelèrent dans leurs villes des prédicants, leur firent ouvrir – de force – les églises. Par un coup de force, le frère de Coligny, d’Andelot, imposa, en 1558, la prédication protestante au Croisic et au bourg de Batz, à des assemblées de fidèles disposés pourtant à entendre la messe, mais terrifiées par le déploiement de la force seigneuriale. La question essentielle réside alors dans le choix des seigneurs et des grands : les clans d’influence contraire s’organisent, à partir du milieu du siècle, en fonction des positions religieuses. Outre une sincérité de conscience qui échappe évidemment au jugement de l’historien, il faut envisager sérieusement les raisons sociales et politiques qui incitèrent des princes – les Bourbons, rois de Navarre, par exemple, ou les Rohan – à soutenir, contre le roi, une doctrine religieuse : celle-ci leur rendait de facto un pouvoir au moins régional qui échappait à la féodalité mourante depuis que les rois avaient renforcé leur autorité. À partir du moment où des seigneurs armaient leurs partisans, qu'ils fussent protestants ou catholiques ne changeait rien à l'inéluctabilité de la guerre civile.

De la guerre de religion à la guerre civile

C’est ce qui fait le caractère inextricable des guerres de religions parce que toutes les intrigues, et des plus compliquées et fumeuses, se nouèrent autour d'un enjeu désormais capital : c’était le contrôle d'un pouvoir, au demeurant affaibli, par sa jeunesse, par son inexpérience, et par ses hésitations. La difficulté majeure pour l'autorité était de traiter d'une question religieuse, en chrétiens, alors que les enjeux politiques multipliaient les pièges. L'horreur de la Saint-Bathélemy, le 24 août 1572, ne s’explique que dans cette perspective. A la prise de contrôle de la royauté, envisagée par Condé au profit des Bourbon dès 1560, succéda la tentative de sécession du royaume en plusieurs États dont l'unité religieuse serait imposée par le choix du prince. Le modèle allemand était évidemment dans l'esprit de tous. Devant un tel risque, les partisans de l'unité historique du royaume, unité mystique aussi dans la conception dominante, tendirent à subordonner le spirituel à un salut temporel au profit d'un roi, héritier de droit coutumier, et catholique, non de conviction mais de « droit divin ». En signant l'édit de Nantes, le 13 avril 1598, Henri IV traitait la question en politique, non en converti.
Le souvenir de ces événements de la deuxième moitié du XVIe siècle resta terriblement douloureux tout au long du XVIIe siècle et la crainte de nouvelles flambées de violences armées persista, au moins, jusqu’à l’édit d’Alès en 1629. Aussi attribuait-on généralement à Louis XIII, non à Henri IV, le mérite d’avoir éteint les guerres de religion : le jour de la majorité de Louis XIV, en 1651, le chancelier Séguier honorait Louis XIII d’avoir « affranchi [...] son royaume du monstre de la rébellion que la différence de religion avait fait naître ». La guerre civile était réduite ici à sa dimension politique : la révolte contre le roi, et, si la cause religieuse subsistait, la « différence de religion », l'auteur laissait néanmoins penser qu’elle pouvait être surmontée par la seule union politique restaurée autour de la reconnaissance enfin unanime de la même autorité civile. En révoquant l’édit de Nantes, en 1685, Louis XIV rompit un pacte politique : l'unité de foi mise au service du seul roi, en ameublissant le ciment de l'État royal, allait devenir la « cause religieuse » (Dale van Kley) d’une Révolution d’où devait triompher le libéralisme issu de la pensée protestante.

Claire Ysabeau Objections - n°4 - mars 2006
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