lundi 1 décembre 2008

Les « Guerres de religions », mythe et réalité

La thèse « officielle » de l’historiographie est que, durant les Guerres de religions, les protestants furent placés en position de légitime défense. Le sang versé – car il y en eut des flots – est imputé à « l’intolérance » et au « fanatisme , qui se seraient implantés de façon quasi spontanée dans le cœur des catholiques plutôt que dans celui des réformés. Mais la réalité, symbolique ou politique, n’est pas si simple…

Dès 1581, un historien tenant le parti des réformés, Henri Lancelot du Voisin de La Popelinière, publiait à La Rochelle une Histoire des troubles et guerres civiles en France pour le fait de la religion depuis 1555 jusqu’en 1581. L’expression « pour le fait de la religion » marquait aussi nettement la conscience, contemporaine des événements, d’un lien de causalité immédiate entre les guerres civiles et les tensions proprement doctrinales engendrées par la prédication de Luther et de ses émules, en France, de Calvin.

Que penser des thèses officielles concernant les “Guerres de religion” ? Dans son dernier ouvrage, Les ligueurs de l’exil, M. Robert Descimon n’hésite pas à renvoyer aux « mythes de notre monde contemporain », parmi lesquels trône « le développement de la légende d’Henri IV, un des seuls parmi les héros nationaux français à ne pas avoir connu une dévaluation radicale ». Il souligne un glissement, intervenu dans le dernier quart du XXe siècle, d’une « histoire dominante des conflits religieux du XVIe siècle […] écrite du point de vue des huguenots et des politiques », c’est-à-dire des partisans de l’État sécularisé, à une histoire désormais « placée sous le signe de l’œcuménisme ». Il est utile de prendre une distance critique à l’égard de ces enjeux historiographiques.

C’est à Wassy en 1562 que l’on situe ordinairement l’origine des troubles civils. En réalité, ce qui se passa dans cette grange ne fut pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Henri Lancelot, ce contemporain que nous venons de citer, situe, lui, l’origine des troubles en 1555. Peu importe ! Le fait est que Wassy s’inscrit dans une série de confrontations dont les protestants ont, sans conteste, pris l’initiative. A l’exemple de ce qui se produisait dans les pays environnants, les principautés allemandes et l’Angleterre notamment, les réformés ont adopté deux stratégies successives fort déterminées.

La conscience du Roi

La première stratégie consistait à gagner le pouvoir de l’intérieur en agissant directement sur la conscience du roi pour le convaincre de se convertir aux théories nouvelles. Tant que François Ier parut, sous l’influence de sa sœur, Marguerite d’Angoulême, enclin à écouter ceux qu’il pensait « habiles gens », les réformés crurent le but à portée de leurs ambitions. Pourtant, dès 1529, les premières violences, pour symboliques qu’elles se soient voulues dans leur principe – puisqu’elles atteignaient les images et les statues de la Vierge et des saints en une flambée iconoclaste aujourd’hui bien connue – mirent le feu dans les esprits avant d’être la cause principale de l’embrasement des bûchers. Ainsi, la nuit de la Pentecôte 1529, des réformés abattirent la tête d’une figure de la Vierge nichée au mur d’une maison faisant l’angle de la rue des Rosiers et de la rue des Juifs ; ils poignardèrent son vêtement, souillèrent son couvre-chef, brisèrent aussi la tête de l’Enfant et jetèrent les restes derrière des pierres. La vague iconoclaste, découlant de la théologie protestante, sévit partout, à Paris et en province. On comprend pourquoi François Ier laissa le parlement de Paris ouvrir les informations et poursuites contre de tels faits. Une nuit, on vint placarder jusque sur la porte de la chambre du roi des affiches ridiculisant l’eucharistie, le Saint-Père et la Vierge Marie. C’est la provocation célèbre des « placards », en octobre 1534. Elle prouve assez que les protestants espéraient encore enrôler le roi. La dédicace à François Ier de son Institution chrétienne par Calvin va dans le même sens. Il s’agit de hisser le roi en souverain absolu au-dessus des lois de Dieu et de l’Église, dans une vaste entreprise de conversion nationale. Si les français refusèrent leur participation au concile de Trente, ce fut pour mieux affirmer le rôle prétendument exclusif du pouvoir civil dans la réforme de l’Église. Il faut avouer d’ailleurs que c’est justement aux autorités judiciaires, et non ecclésiastiques, qu’il faut imputer la responsabilité d’avoir engagé le roi dans une politique de répression, en fait assez intermittente, contre les protestants.

Une guerre de princes

La deuxième stratégie, résultant de l’échec de la première, consistait à prendre le pouvoir de l'extérieur, car la cohabitation ne semblait pas davantage possible aux réformés qu'aux catholiques. Or, dès la fin du règne de François Ier et dans les années 1555-1560 surtout, au moment par exemple de la conjuration d’Amboise – lorsqu'au nom des réformés, le prince de Condé tente sans succès de neutraliser les Guises, considérés comme les mentors du jeune roi François II - il était devenu évident que le roi de France ne se convertirait pas et n'abandonnerait pas le catholicisme. Le rôle des princes et des grands protestants est alors devenu décisif : à défaut d’une loi royale, générale, qui aurait aboli la messe et satisfait pour le reste à la doctrine protestante en forçant le peuple à l’apostasie, ils entreprirent de supprimer le culte catholique localement, en détail. La structure encore fort originale d’un État né de la féodalité favorisa leurs intentions. En Bretagne, en Poitou, en Languedoc, en Béarn, par exemple, les seigneurs gagnés aux idées nouvelles, appelèrent dans leurs villes des prédicants, leur firent ouvrir – de force – les églises. Par un coup de force, le frère de Coligny, d’Andelot, imposa, en 1558, la prédication protestante au Croisic et au bourg de Batz, à des assemblées de fidèles disposés pourtant à entendre la messe, mais terrifiées par le déploiement de la force seigneuriale. La question essentielle réside alors dans le choix des seigneurs et des grands : les clans d’influence contraire s’organisent, à partir du milieu du siècle, en fonction des positions religieuses. Outre une sincérité de conscience qui échappe évidemment au jugement de l’historien, il faut envisager sérieusement les raisons sociales et politiques qui incitèrent des princes – les Bourbons, rois de Navarre, par exemple, ou les Rohan – à soutenir, contre le roi, une doctrine religieuse : celle-ci leur rendait de facto un pouvoir au moins régional qui échappait à la féodalité mourante depuis que les rois avaient renforcé leur autorité. À partir du moment où des seigneurs armaient leurs partisans, qu'ils fussent protestants ou catholiques ne changeait rien à l'inéluctabilité de la guerre civile.

De la guerre de religion à la guerre civile

C’est ce qui fait le caractère inextricable des guerres de religions parce que toutes les intrigues, et des plus compliquées et fumeuses, se nouèrent autour d'un enjeu désormais capital : c’était le contrôle d'un pouvoir, au demeurant affaibli, par sa jeunesse, par son inexpérience, et par ses hésitations. La difficulté majeure pour l'autorité était de traiter d'une question religieuse, en chrétiens, alors que les enjeux politiques multipliaient les pièges. L'horreur de la Saint-Bathélemy, le 24 août 1572, ne s’explique que dans cette perspective. A la prise de contrôle de la royauté, envisagée par Condé au profit des Bourbon dès 1560, succéda la tentative de sécession du royaume en plusieurs États dont l'unité religieuse serait imposée par le choix du prince. Le modèle allemand était évidemment dans l'esprit de tous. Devant un tel risque, les partisans de l'unité historique du royaume, unité mystique aussi dans la conception dominante, tendirent à subordonner le spirituel à un salut temporel au profit d'un roi, héritier de droit coutumier, et catholique, non de conviction mais de « droit divin ». En signant l'édit de Nantes, le 13 avril 1598, Henri IV traitait la question en politique, non en converti.
Le souvenir de ces événements de la deuxième moitié du XVIe siècle resta terriblement douloureux tout au long du XVIIe siècle et la crainte de nouvelles flambées de violences armées persista, au moins, jusqu’à l’édit d’Alès en 1629. Aussi attribuait-on généralement à Louis XIII, non à Henri IV, le mérite d’avoir éteint les guerres de religion : le jour de la majorité de Louis XIV, en 1651, le chancelier Séguier honorait Louis XIII d’avoir « affranchi [...] son royaume du monstre de la rébellion que la différence de religion avait fait naître ». La guerre civile était réduite ici à sa dimension politique : la révolte contre le roi, et, si la cause religieuse subsistait, la « différence de religion », l'auteur laissait néanmoins penser qu’elle pouvait être surmontée par la seule union politique restaurée autour de la reconnaissance enfin unanime de la même autorité civile. En révoquant l’édit de Nantes, en 1685, Louis XIV rompit un pacte politique : l'unité de foi mise au service du seul roi, en ameublissant le ciment de l'État royal, allait devenir la « cause religieuse » (Dale van Kley) d’une Révolution d’où devait triompher le libéralisme issu de la pensée protestante.

Claire Ysabeau Objections - n°4 - mars 2006
http://revue.objections.free.fr

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