jeudi 30 avril 2009

L’éloquence chez les Gaulois

La vulgate historique nous dit que de nos ancêtres gaulois, il ne reste rien. La langue, les coutumes, tout aurait été balayé en deux ou trois siècles par Rome, et remplacé par une culture purement gréco-latine.
Si je prends une carte de France et que je la compare aux frontières de la Gaule antique telle que décrite par César, je vois pourtant, non une ressemblance, mais plutôt une gémellité quasi-parfaite.
Objection, me diront certains, la Gaule de Vercingétorix comprenait la Belgique et la Suisse. Certes ; mais tout le monde sait bien que Suisses et Belges francophones ne sont rien d’autre que des Français que des événements historiques, qu’il ne nous appartient pas de relater ici, ont un jour séparé de la mère-patrie. La langue française est en même temps le marqueur d’une appartenance culturelle séculaire et une part essentielle de cette culture. Nous pouvons en conclure que les Gaulois actuels sont tout simplement les Européens de langue maternelle française. La Belgique wallonne risque fort, d’ailleurs, de retourner à la France d’ici peu.
Quant à la Suisse germanophone et à la Belgique néerlandophone, qui faisaient aussi partie de la Gaule antique, il nous suffira de préciser qu’elle n’ont été germanisées que pendant les invasions barbares. On nous dit que les Francs et autres peuplades d’outre-Rhin ont toujours été extrêmement minoritaires en Gaule, ce qui est vrai, mais on devrait préciser que, dans les régions frontalières du monde germanique, ce n’est pas simplement à la prise du pouvoir politique par quelques bandes d’aventuriers que nous avons assisté, mais à l’arrivée brutale de peuples entiers, qui ont soit chassé, soit submergé les autochtones dont l’identité celtique s’est effacée par dissolution ethnique.
La partie de la Suisse et de la Belgique actuellement francophones sont celles qui, à l’époque du déferlement venu d’outre-Rhin, étaient restées majoritairement gauloises.
Cette objection étant éclaircie, et sans oublier d’autres exceptions comme la Corse, conquise ultérieurement, cette analogie ethno-géographico-linguistique évidente nous oblige à considérer la Gaule comme source du peuple ayant donné à la France son identité, et à constater qu’il n’y a aucune rupture profonde entre le peuple gaulois et le peuple français, du moins jusqu’à des événements migratoires récents qui tendent à remplacer définitivement la conception ethnique du mot « Français » par une définition juridique et contractuelle.
Depuis très longtemps, nous vivons sur un mensonge : la croyance qu’une nation peut abandonner tout socle ethnique historique pour n’être plus qu’un club politique, l’adhésion de peuples venant de tous les coins du monde à deux ou trois grands principes abstraits devant suffire à assurer leur insertion dans la société humaine d’origine.
Le mot « France » symbolise à lui seul ce mensonge.
En 1792, pendant une de ces périodes incertaines ou il suffit d’un rien pour que l’histoire bascule dans un sens ou dans un autre, plusieurs pétitions furent adressées à la Convention pour que la France reprenne le nom de Gaule. Voilà par exemple celle du citoyen Ducalle :
« CITOYENS ADMINISTRATEURS,
Jusques à quand souffrirez-vous que nous portions encore l’infâme nom de Français ? Tout ce que la démence a de faiblesse, tout ce que l’absurdité a de contraire à la raison, tout ce que la turpitude a de bassesse, ne sont pas comparables à notre manie de nous couvrir de ce nom.
Quoi ! Une troupe de brigands (les Francs conquérants) vient nous ravir tous nos biens, nous soumet à ses lois, nous réduit à la servitude, et pendant quatorze siècles ne s’attache qu’à nous priver de toutes les choses nécessaires à la vie, à nous accabler d’outrage, et lorsque nous brisons nos fers, nous avons encore l’extravagance bassesse de continuer à nous appeler comme eux !
Sommes-nous donc descendants de leur sang impur ? À Dieu ne plaise, citoyens, nous sommes du sang pur des Gaulois !
Chose plus qu’étonnante, Paris est une pépinière de savants, Paris a fait la révolution, et pas un de ces savants n’a encore daigné nous instruire de notre origine, quelque intérêt que nous ayons à la connaître. »
« Il est deux qualités, disait César, plus importantes que tout pour les Gaulois : bien se battre et bien parler. » Cette dernière assertion, au vu de notre histoire, semble se vérifier. L’éloquence fut, jusqu’à nos jours, un élément tout à fait central dans la façon dont de grands hommes surent s’imposer.
Remontons beaucoup plus loin dans le temps, au IIe siècle de notre ère. Un Grec, Lucien de Samosate, se trouve, en terre gauloise, face à une représentation d’Ogmios, équivalent selon lui d’Hercule. Ogmios a bien les attribut d’Hercule : couvert d’une peau de lion, il porte à la main droite une massue, dans la gauche un arc, à ses épaules un carquois. Mais, alors qu’Hercule est chez les Grecs un personnage jeune et musclé, Ogmios a l’apparence d’un vieillard décrépit.
Plus étrange encore : le bout de la langue d’Ogmios est percé par de petites chaînettes, qui relient le dieu gaulois à une multitude d’hommes aux oreilles attachées par ces liens. Le dieu marche en entraînant ces hommes derrière lui, tout en se retournant vers eux pour exhiber un large sourire, alors que ceux-ci, loin de paraître contraints, le suivent avec un bonheur visible.
À ce stade, Lucien de Samosate se trouve dans le brouillard le plus complet quant à la signification de cette scène. Voyant son désarroi, un Gaulois, parlant le grec, lui donne la clef de cette allégorie :
« Je vais vous donner le mot de l’énigme, car je vois bien que cette figure vous jette dans un grand trouble. Nous autres, Celtes, nous représentons l’éloquence, non comme vous, Hellènes, par Hermès ! Mais par Hercule, car Hercule est beaucoup plus fort. Si on lui a donné l’apparence d’un vieillard, n’en soyez pas surpris, car seule l’éloquence arrive dans sa vieillesse à maturité, si toutefois les poètes disent vrai : “ L’esprit des jeunes gens est flottant mais la vieillesse s’exprime plus sagement que la jeunesse. ” C’est pour cela que le miel coule de la bouche de Nestor et que les orateurs troyens font entendre une voix fleurie de lis, car il y a des fleurs du nom de lis si j’ai bonne mémoire. Ne vous étonnez pas de voir l’éloquence représentée sous forme humaine par un Hercule âgé, conduire de sa langue les hommes enchaînés par les oreilles ; ce n’est pas pour insulter le dieu qu’elle est percée. Je me rappelle d’ailleurs que j’ai appris chez vous certains ïambes comiques : “ Les bavards ont tous le bout de la langue percé. ” Enfin, c’est part son éloquence achevée, pensons-nous, qu’Hercule a accompli tous ses exploits et par la persuasion, qu’il est venu à bout de tous les obstacles. Les discours sont pour lui des traits acérés qui portent droit au but et blessent les âmes. Vous-mêmes dites que les paroles sont ailées. »
Cette conception gauloise de l’autorité est le contraire exact de la conception romaine ou islamique, où seul la trique et la promesse d’avantages matériels peuvent entraîner des millions d’hommes à la suite d’un seul.
Relisons Camille Jullian : « L’action de Vercingétorix était à la fois plus limitée et plus vaste que celle d’un dictateur militaire. Elle était d’abord tempérée par les rapports permanents avec les chefs supérieurs des cités confédérées ; il n’était pas dans la nature des Gaulois d’obéir sans condition et sans discussion au général qu’ils avaient élu même à l’unanimité [...] Il fallait, avant les questions importantes, que Vercingétorix les réunit en conseil ; il fallait, après l’événement, qu’il rendit compte de ce qu’il avait fait [...] »
Vercingétorix, en charge non pas d’un « État », mais de tribus totalement indépendantes qui avaient décidé de se coaliser autour de lui contre l’envahisseur, devait sans cesse prouver qu’il était le plus apte à les mener à la victoire. Les Gaulois le suivirent parce qu’ils reconnurent aussi en lui un idéaliste qui ne cherchait aucun intérêt personnel, qui avait décidé de lier irrévocablement son destin à celui de son peuple. C’est d’ailleurs en toute logique qu’il finit, cinq ans après la reddition d’Alésia, étranglé comme une bête dans une prison romaine.
Vercingétorix employa, pour fédérer autour de son nom la majorité des tribus gauloises, deux armes, le courage et l’éloquence, qui confirment parfaitement le propos de César.

lundi 20 avril 2009

26 mars 1962 : une ténébreuse affaire

C'EST celle de la fusillade de la rue d'Isly qui chaque année, dans l'émotion et le recueillement, est commémorée par les Français d'Algérie et leurs amis, qui n'ont rien oublié. Sur cette tragédie, Jean Monneret publie un livre (1). Sa formation d'historien lui a permis d'éviter le sensationnalisme ou l'exagération qui marque souvent les évocations journalistiques. Il s'est appuyé sur une bibliographie comportant une quinzaine de livres dont le plus fondamental (qu'il cite à plusieurs reprises) est celui de notre grande amie disparue Francine Dessaigne, Un crime sans assassins, paru aux éditions Castille (il resterait des exemplaires proposés par « Jeune Pied Noir » et l'Association des Familles des Victimes du 26 mars). L'auteur s'est livré aussi à des enquêtes et recherches car il reste des témoins. Mais certains documents officiels, comme le rapport du commandant de gendarmerie Garat après une reconstitution des faits, sont maintenant interdits de communication, alors qu'ils étaient librement consultables il y a quelques années encore. Heureusement, Jean Monneret y avait eu accès.
Son livre est au fond une enquête très sérieuse. Avec quelques défauts. La carte du centre d'Alger proposée en début de l'ouvrage est trop petite. Dans les annexes, la liste des morts du 26 mars aurait pu être ajoutée même si elle n'est pas définitive puisqu'à ce jour, malgré les efforts de Mme Simone Gautier (voir L'Algérianiste de mars 2008), elle n'est toujours pas complète.
A noter que le 19 mars on a eu la surprise de revoir sur la chaîne Planète le téléfilm (imparfait) sur le 26 mars, projeté l'an dernier sur France 3 (voir RIV. du 26/9/08).
AVANT LE DRAME
Pour comprendre le 26 mars, il faut remonter le temps. La date du 26 avait en effet été choisie pour une manifestation ordonnée par le colonel Vaudrey de l'OAS (mais improvisée et ignorée par d'autres responsables) pour protester contre le blocus de Bab el Oued. Depuis le 19 mars (fausse fin de la guerre d' Algérie), le combat de l'Organisation Armée Secrète était de plus en plus difficile et sa stratégie risquée. Le général Salan avait lancé le 22 une directive prônant dans certaines conditions une insurrection. Le 22 mars en plein, centre d'Alger (le tunnel des Facultés), plusieurs gendarmes mobiles avaient été tués dans une embuscade tendue par l'OAS. Evénement tellement occulté à l'époque qu'il resta inconnu de la population. La stratégie consistant à faire de Bab el Oued un bastion de l'Organisation (avec une fausse comparaison avec Budapest) fut un échec tragique qui aboutit à un blocus impitoyable par les forces de l'ordre (plusieurs milliers de fonctionnaires) aidées par l'aviation et munies de blindés.
C'est pour marquer la solidarité avec le quartier encerclé que fut décidée une manifestation pacifique « contre l'étranglement de Bab el Oued ». Qui vu la configuration d'Alger, ne pouvait passer que par des rues très longues. Faciles à barrer ou à contrôler.
FEU À VOLONTÉ ET MENSONGE D'ETAT
Et à l'entrée de la rue d'Isly, à 14h50, ce fut la fusillade que Jean Monneret étudie de manière scientifique, en confrontant les points de vue contradictoires des Français d' Algérie. des autorités, des officiers et en se livrant à une étude pointue sur des gens armés de fusils-mitrailleurs et qui auraient attaqué la troupe. Pour les premiers, les soldats ont tiré à bout portant et sans sommations. Ce fut un massacre. Pour les autorités, dès le 27 mars, un communiqué officiel fait état d'une enquête dont on donne les « premiers résultats ». Jean Monneret reproduit ce texte. Il est invraisemblable (et prudemment n'a pas été rediffusé par la suite). Mais il annonce la ligne du « mensonge d'Etat » : la troupe a riposté aux tirs de l'OAS. On accuse un petit groupe (dont une femme), protégé par la foule, qui aurait tiré et même aurait eu trois morts. Il y aurait même eu des arrestations mais aucun nom n'a jamais été fourni. On va même (rapport Garat) jusqu'à mentionner un individu avec imperméable (le temps était magnifique) et chapeau noir faisant feu sur les soldats.
La controverse la plus sérieuse porte sur ces fameux FM qui, d'un balcon ou des toits, (pourtant occupés par des soldats), ont ouvert le feu. Jean Monneret fait justice de ces affabulations, après les avoir examinées à la loupe. Parmi les blessés dans la troupe, aucun par tir de FM mais, au contraire, de nombreux civils. Il y aurait douze emplacements de tir sur certains documents ou photos représentés par des cercles ! Mais aucune preuve décisive. Le triste Christian Fouchet, alors Haut Commissaire à Alger, écrit dans ses Mémoires sa "conviction" qu'il y a eu « UN tireur de toit (comme à Paris en août 1944 ?) mais que personne ne le prouvera jamais ». Fermez le ban... Jean Monneret conclut à « une panique de tir », fait courant étudié par des experts militaires.
LA QUESTION ESSENTIELLE
En fait, toutes ces arguties ont pour but de masquer le point névralgique. Ceux qui ont tiré appartenaient au 4e régiment de Tirailleurs, amenés du bled quelques jours auparavant. Une troupe hétéroclite (il y avait parmi eux des ralliés du FLN et des messalistes rescapés des troupes bellounistes ) encadrée par des Européens, mais la moins faite pour le maintien de l'ordre alors que la ville regorgeait d'éléments spécialisés : CRS et gendarmes mobiles. Une troupe qui deux jours auparavant avait reçu pour consigne d'ouvrir le feu contre les tireurs de toit. Jean Monneret consacre plusieurs chapitres à cette énigme D'autant moins explicable que ce régiment était cantonné à Berrouaghia, à plus de cent kilomètres d'Alger, et que son patron, le colonel Goubard, avait élevé de très vives objections sur l'envoi à Alger et l'utilisation de ces hommes. Le général Ailleret l'avait rencontré sur place, et approuvé. De retour à Alger, il avait lancé dans ce sens une note (la 905) qui a disparu mais que de nombreux officiers ont lue. Quelle autorité a donc pesé plus lourd que le général commandant les troupes en Algérie ?
Monneret cite les témoignages d'officiers supérieurs qui ne coïncident pas. Mais nombreux étaient ceux qui n'étaient pas sur le terrain. Comme le colonel devenu général Goubard. Il avait longtemps cru à la responsabilité de l'OAS dont il devait estimer plus tard qu'elle était "indémontrable" ou "indirecte". Et pour lui le 26 mars, c'est un piège qui s'était refermé et sur ses hommes et sur la population. Un « sac à feu » en termes militaires. Jean Monneret donne aussi des extraits de l'entretien qu'eut Francine Dessaigne avec le préfet d'Alger, Vitali Cros. Il n'y a pas eu de sommations, parce que « ça, c'est bon pour le cinéma » ! C'est le général Capodanno, sous ses ordres, qui a pris la responsabilité d'ouvrir le feu, en accord avec lui : « Dès qu'un coup de feu était tiré, nous étions en état de légitime défense.» Et qui a tiré ? Sous-entendu l'OAS.
A noter qu'il y eut une autre fusillade le même jour, beaucoup plus bas. Au carrefour de l'Agha. Et là ce sont les CRS qui ouvrirent le feu, tuant trois personnes. Jean Monneret cite le témoignage de M. Yves Pleven qui a tout vu en sortant d'un immeuble proche, le Mauretania. Mais la revue L'Algérianiste (mars 2007) a publié les photos prises par un photographe de la Dépêche Quotidienne Robert Rolando, grand-père de Thierry Rolando. Les CRS, un genou par terre, alignant froidement sur le trottoir d'en face un groupe qui passait par là. Même pas des manifestants, de simples promeneurs. Qui sait si dans les archives officielles il n'y a pas d'autres documents aussi accusateurs ?
Jean Monneret conclut rapidement. Pour lui il y a bien eu «une machination» dépassant « la simple erreur de commandement ». Il fallait, sous un prétexte quelconque, briser le moral de la population civile complice de la "subversion". En Conseil des ministres le 23 mars, De Gaulle avait donné une directive : « Briser par tous les moyens et réprimer impitoyablement l'insurrection armée qui se développe dans les grandes villes d'Algérie. »
Pour le 26 mars, il ne faut plus parler d'un « crime sans assassins ». L'assassin est connu.
Jean-Paul ANGELELLI. Rivarol du 27 mars 2008
Une ténébreuse affaire par J. Monneret, 159 pages, 15,50 € plus 3,02 € de port (le livre ne sera disponible que le 15 avril). Editions L'Harmattan, 5-7 rue de l'Ecole Polytechnique, 75005 Paris.

dimanche 19 avril 2009

13 mai 1958 : la Journée des dupes

À Alger, le 11 mai 1958, est célébrée en l'église Saint-Charles-de-l'Agha la messe anniversaire de la mort de l'empereur Napoléon 1er, à la mémoire duquel sont associés les héros de la Grande Armée. La cérémonie a été organisée par le colonel Thomazo, dit «Nez de cuir». Le prince Napoléon est présent. Des bonapartistes l'entourent et le pressent de questions. L'heure ne serait-elle pas venue de remettre la dynastie impériale au cœur des affaires françaises ? Le climat créé par la guerre d'Algérie est propice... Le prince répond qu'il est un simple citoyen. Et qu'il est gaulliste.
Les gaullistes ont des réseaux où se retrouvent ceux qui voient dans la montée des exaspérations, en métropole et en Algérie, l'occasion de remettre sur la scène de l'histoire leur grand homme, marqué par sa traversée du désert (il a confié à Newirth : « Le régime pourrit sur place. Ils appelleront De Gaulle sur les décombres »). Réminiscence d'une lecture maudite (Les Décombres, de Rebatet)? Toujours est-il que le général laisse les partisans s'agiter dans l'ombre sans manifester clairement ses intentions.
À Alger et à Paris, une coalition hétéroclite s'est constituée, regroupant des poujadistes, des anciens combattants d'Indochine, des étudiants conduits par Lagaillarde et des contre-révolutionnaires, groupés autour de Robert Martel, qui rêvent d'être de nouveaux Chouans et misent sur l'appui de quelques grands noms militaires (les généraux Cherrière et Chassin). Tout cela fait du monde mais manque de cohérence politique - alors que les gaullistes, eux, savent parfaitement où ils veulent aller.
Au matin du 13 mai, des tracts sont distribués dans les rues d'Alger et les villages de l'Algérois. L'objectif est de susciter une manifestation de masse capable de mettre en question la légitimité d'un pouvoir qu'incarne avec bonhommie René Coty, président d'une IVe République en pleine déliquescence et minée par l'affaire algérienne. Dans l'après-midi, une foule immense se rend au monument aux morts, sous la conduite de Martel et de Lagaillarde. Celui-ci harangue les milliers d'hommes et de femmes qui se pressent au coude à coude, leur faisant prêter le serment d'aller jusqu'au bout. À 18 heures, le général Salan arrive, au cœur d'une mêlée homérique, fait observer une minute de silence et dépose une gerbe. Puis il repart, le visage tendu, entouré de son état-major. Lagaillarde rameute alors la foule et la lance à l'assaut du gouvernement général. Le bâtiment, symbole d'un régime dont l'autorité n'est plus reconnue, est investi en quelques minutes. Les manifestants se répandent dans les étages, au milieu d'un désordre total. Les CRS n'ont rien fait pour s'interposer. Ils sont d'ailleurs rapidement relevés par des parachutistes, à l'évidence peu disposés à barrer la route aux manifestants. Sur un coin de table, un comité civil et militaire de salut public est improvisé. Le général Massu en donne la liste à la foule, depuis le balcon du G. C. Enthousiasme, joie délirante chez les partisans de l'Algérie française, convaincus d'avoir enfin orienté l'histoire comme ils le souhaitaient. Mais déjà les gaullistes sont à l'œuvre pour récupérer le mouvement et en faire un tremplin au service de leur chef. L'histoire de France, qui a connu plusieurs « journées des dupes », en compte désormais une de plus.
P. V National Hebdo du 7 au 13 mai 1998

samedi 18 avril 2009

2 mai 1716 : la fortune anonyme et vagabonde

Autorisée par lettres patentes, une banque est fondée à Paris le 2 mai 1716. Société par actions, au capital de 6 millions de livres, cette banque privée, d'escompte et d'émission, habilitée à émettre des billets au porteur, est étroitement liée au pouvoir puisque 75 % de son capital sont en billets d'Etat. Le paiement des impôts en billets de banque sera d'ailleurs autorisé le 10 avril 1717. Ces privilèges sont dus à l'appui que fournit le Régent Philippe d'Orléans au fondateur de la banque John Law.
Ce personnage est pourtant quelque peu louche. Fils d'un orfèvre installé à Edimbourg et qui a acheté à grands frais des domaines qui lui permettent de se faire appeler « baron de Lauriston », John Law, après avoir dissipé sa fortune à Londres, a nomadisé à travers toute l'Europe avant de jeter son dévolu sur Paris en 1708. Il fréquente les tripots et joue gros jeu. S'étant introduit dans l'entourage du duc d'Orléans, il capte son attention en lui proposant des solutions hardies pour remédier aux difficultés financières de l'Etat. Les dépenses de l'Etat, qui ont doublé entre 1689 et 1967, ont doublé à nouveau entre 1701 et 1714... Cet accroissement des dépenses ne peut être couvert que par un ensemble d'expédients et par le recours à l'emprunt. C'est dans cette conjoncture difficile que Law prétend apporter un remède miracle. Après un départ précipité de Paris, sur ordre du lieutenant de police qui l'accuse de malversations (« il en savait trop aux jeux qu'il avait introduits dans cette capitale »), l'aventurier y revient après la mort de Louis XIV et retrouve aussitôt l'oreille de Philippe d'Orléans, désormais Régent - et très sensible aux questions d'argent, comme devaient l'être nombre de ses descendants.
L'ascension de Law est spectaculaire. Les billets émis par sa banque, se substituent à la lettre de change traditionnelle, jusque sur la place d'Amsterdam. Le 4 décembre 1718, un édit transforme la banque privée en Banque Royale. Par ailleurs, Law a fondé en août 1717 la Compagnie du commerce d'Occident, dont sa banque a souscrit le capital. Obtenant le privilège exclusif du commerce avec la Louisiane et le Canada (pour les peaux de castor), la Compagnie reçoit ensuite le monopole du commerce avec les Indes, la Chine et l'Afrique.
L'argent des particuliers afflue rue Quincampoix, au siège de la banque Law obtient le bail des fermes et gère le remboursement de la dette publique par une émission continuelle de monnaie fiduciaire. Tout semble lui sourire. Consécration : il accède au contrôle général des Finances en janvier 1720. Les billets remboursables au porteur et à vue, obtenus contre de bons écus, représentent bientôt la somme fabuleuse de 2 696 400 000 francs. La fureur spéculative est au comble et l'on se bouscule frénétiquement rue Quincampoix.
Mais quelques grands personnages (dont le duc de Bourbon et le prince de Conti), qui ont beaucoup investi, prennent peur et se dégagent. Le château de cartes s'écroule, la panique se répand. Des milliers d'imprudents sont ruinés du jour au lendemain, certains se suicident.
Quelques malins ont fait des fortunes spectaculaires. Law, lui, s'enfuit sous un déguisement jusqu'à Bruxelles.
P. V National Hebdo du 30 avril au 6 mai 1998

18 MARS 1921 : CRONSTADT, LA FIN DU RÊVE

La révolution bolchevique de 1917 a été, selon la forte définition de Dominique Venner, « un soulèvement de millions de croquants hérissés de baïonnettes, conduits par une petite meute de fanatiques à bésicles » (Les Blancs et les Rouges. Histoire de la guerre civile russe 1917-1921, Pygmalion, 1997). Mais certains groupes ont joué un rôle moteur dans l'enclenchement et le déroulement des événements révolutionnaires. Parmi eux, en bonne place, « les marins de Cronstadt ».
Port militaire à l'embouchure de la Néva, dans le golfe de Finlande, Cronstadt (ou Kronstadt) est le plus grand ensemble fortifié de la Baltique. Le premier fort y fut édifié par le tsar Pierre 1er en 1703. La visite qu'y effectua en 1891 l'escadre de l'amiral Gervais fut un prélude à l'alliance franco-russe, qui devait jouer un rôle déterminant dans le déclenchement de la guerre de 1914-1918.
Lors de la révolution de 1905, « répétition générale sans laquelle celle de 1917 eût peut-être échoué » (D. Venner), l'agitation au sein de l'armée a touché tout spécialement certains ports : dans la flotte de la mer Noire, la mutinerie du cuirassé Potemkine (exaltée par le film d'Eisenstein en 1925), fin juin, a eu comme écho, en novembre, des révoltes de matelots à Sébastopol et à Cronstadt (où elles se soldèrent par plus de 1 400 arrestations et 36 condamnations à mort). En 1917, les marins de Cronstadt ont joué un rôle important dans le psychodrame qui aboutit, le 15 mars, à l'abdication du tsar Nicolas II. La veille, leur mutinerie avait été marquée par l'assassinat du gouverneur de la base maritime, l'amiral Viren, suivi d'une chasse aux officiers. Les mutins ont établi la liste de ceux qu'il faut éliminer et, à l'issue d'une nuit de massacre, plusieurs dizaines d'entre eux sont tués : selon un témoin anarchiste, « les marins pénétraient dans les demeures de leurs chefs, les traînaient dehors et les fusillaient au bord du fossé ». Un autre témoin, Louis de Robien, attaché à l'ambassade de France, raconte : « la plupart des officiers de marine de Kronstadt sont à la merci des équipages et sont astreints par ceux-ci aux travaux les plus durs et les plus humiliants. Ceux qui se rebellent sont mis à mort. »
En juillet 1917, les marins de Cronstadt sont très actifs dans la tentative de renversement du président du Conseil Kérenski qui a lieu à Pétrograd, après la défaite infligée par les Allemands aux troupes russes à Tarnopol. C'est un échec, mais les 7, 8 et 9 novembre (du calendrier grégorien, c'est-à-dire les 24, 25 et 26 octobre du calendrier julien... d'où l'expression « Révolution d'octobre »), une nouvelle tentative réussit. Avec l'appui, à vrai dire symbolique (un coup de canon... à blanc !), du croiseur Aurora, les émeutiers, parmi lesquels se remarquent mille cinq cents matelots arrivés de Cronstadt, jettent à bas sans difficulté le gouvernement provisoire de Kérenski, lequel s'est enfui, et mettent en place le nouveau pouvoir bolchevique.
Celui-ci doit s'imposer par la force dans une Russie épuisée par la guerre. Sont donc envoyés dans toutes les provinces des commissaires politiques et des agents de propagande protégés par des détachements de marins de Cronstadt. Ceux-ci jouent donc le rôle de gardes rouges. Ils accompagnent le commissaire du peuple à la Guerre Krylenko lorsque ce dernier vient notifier au général Doukhonine, chef d'état-major général des armées russes, qu'il est relevé de ses fonctions. Avant d'être lardé de coups de baïonnettes. A la suite de l'attentat manqué contre Lénine (30 août 1918), un journal bolchevique de Pétrograd écrit : « Les intérêts de la révolution exigent l'extermination physique de la classe bourgeoise. » Aussitôt dit, aussitôt fait : cinq cents officiers enfermés à la forteresse de Cronstadt sont fusillés par les matelots rouges.
Ceux-ci sont considérés comme le fer de lance de la révolution. Et pourtant leurs yeux vont s'ouvrir. Pendant l'hiver 1920-1921, ils ont profité de permissions pour se rendre dans leurs familles. Et là ils découvrent une réalité que la propagande essayait de dissimuler : la famine, une misère noire écrasent la population des campagnes, laissées sans aide aucune dans une situation bien pire qu'avant la révolution. La police politique, la Tchéka, fait partout régner une terreur sans limites, y compris dans les usines de Petrograd paralysées par des grèves dont le moteur est le désespoir. Désespoir d'ouvriers à qui on avait promis des lendemains qui chantent et condamnés à vivre quotidiennement la réalité bolchevique.
Alors les marins de Cronstadt s'insurgent. Leurs délégués rédigent une longue résolution qui exige des élections libres, au scrutin secret, l'abolition de la dictature du parti bolchevique, la dissolution de la Tchéka, la libération des détenus politiques, la fin des réquisitions, la liberté de l'artisanat et du commerce. Bref, une nouvelle révolution.
Les bolcheviques essayent tout d'abord de biaiser, de parlementer. Leurs émissaires sont chassés ou mis en prison par les marins qui, solidement installés dans la forteresse de Cronstadt, se constituent en soviet révolutionnaire. Alors intervient Trotski. Il organise le blocus de Cronstadt puis, le 8 mars 1921, ordonne l'assaut.
Celui-ci, dirigé par Toukhatchevski, est vigoureusement repoussé. Mais le suivant, huit jours plus tard, réussit. Les 50 000 hommes mis en action investissent la forteresse et, pendant toute une journée, des combats de rue, à la grenade et à la baïonnette, se déroulent dans la ville. A la nuit, les rebelles survivants parviennent à s'enfuir vers la Finlande. La résistance leur a coûté 600 morts, 1 000 blessés et 2 000 prisonniers. Mais ils ont infligé à Toukhatchevski et à Trotski 25 000 tués ou blessés !
Lénine a compris l'avertissement.
Quelques jours plus tard il fait adopter par le Congrès du parti la NEP (« Nouvelle politique économique »), qui reprend à son compte - sans le dire, bien sûr - plusieurs exigences des marins de Cronstadt.
P.V Rivarol du 27 mars 2009

jeudi 9 avril 2009

11 mars 1947 : Joanovici

Prévenu par le commissaire Fournet qu'il va être appréhendé sous peu, Joseph Joanovici prend la fuite, le 17 mars 1947, et échappe ainsi à l'arrestation en quittant précipitamment la France. Il se réfugie à Munich, au quartier général des troupes américaines d'occupation en Allemagne. C'est une habitude, chez Joanovici, de jouer la carte de l'occupant...
Né le 4 juin 1902 au sein de la communauté juive de Kichinev, en Bessarabie, Joanovici arrive en France au début des années 20, armé d'un formidable culot et d'une grande détermination à s'enrichir par tous les moyens. Beaucoup et vite. « Ne sachant ni lire ni écrire, nous apprend Philippe Randa, s'exprimant dans un sabir hallucinant où se mêlent le roumain, le russe, le yiddish et le français, mais sachant compter, il se fait chiffonnier dans la zone de Saint-Ouen ». Les affaires prospèrent rapidement, dans le cadre d'une entreprise de récupération de chiffons et de ferraille... qui «récupère» parfois aussi bien d'autres choses. Mais les soupçons de recel ne déboucheront jamais sur des poursuites, «Monsieur Jo» ayant rapidement compris l'intérêt de se faire des relations bien placées (et bien payées). La construction de la ligne Maginot lui permet de réaliser de juteuses affaires. En 1939, Joanovici figure parmi les cinq premiers ferrailleurs de France.
Mais c'est la guerre qui va lui permettre de donner toute sa mesure.
Curieux personnage et triste sire, Joanovici réunit en sa personne bien des ambiguïtés et des contradictions d'une époque où se côtoyaient l'héroïsme et l'ignominie. Pour ce qui est de l'héroïsme, Joanovici n'était pas un spécialiste. Par contre, en matière d'ignominie, il fit très fort.
Contacté par Hermann Brundl, directeur du bureau d'achat de la Wehrmacht, Joanovici s'engage à fond dans la collaboration économique et fournit pour cinq milliards de francs (de l'époque) de métaux non-ferreux mais aussi des cuirs, des tissus, du beurre. Il y gagne une énorme fortune mais aussi le statut, très envié, de WWJ (Wirtschftlich Wertvoller Jude, « Juif économiquement précieux »). Pour plus de sûreté, Joanovici obtient de faire figurer, sur une fiche de la police française le concernant, qu'il est de religion... orthodoxe. Et puis il cultive les amitiés utiles : il traite fastueusement Henri Lafont et Bony, les patrons de l'antenne de la « Gestapo française » installée rue Lauriston. Lesquels lui fournissent des gardes du corps, dont Pierre Loutrel, devenu célèbre sous le surnom de « Pierrot le Fou ».
Joanovici applique un principe simple : tout s'achète et tout se vend. Il suffit d'y mettre le prix. Après la guerre, enfin appelé à rendre des comptes devant un tribunal, le ferrailleur milliardaire explique tranquillement, au sujet de l'occupation : « Avec des cigarettes américaines et du chocolat dans les poches, on faisait beaucoup de choses ». Autre principe : ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier. Joanovici a donc financé le réseau de résistance « Honneur de la police ».
Son passé finit cependant par le rattraper. Incarcéré et jugé en France, il est condamné en 1949 à cinq ans de prison. Il n'en fait que deux et, sitôt libéré, entreprend de se lancer dans «les affaires». En 1957 il s'enfuit en Israël mais c'est un client un peu voyant. Expulsé. il se retrouve aux Baumettes. Il ne désespérait pas, dans les dernières années de sa vie, de refaire surface ...
P V National Hebdo du 12 au 18 mars 1998
Pour approfondir : Philippe Randa, Dictionnaire commenté de la collaboration français, Jean Picollec. Commandes : Centre MBE 246 - 69 boulevard Saint-Marcel- 75013 Paris.

mardi 7 avril 2009

7 mars 1948 : De Gaulle et les communistes

Mars 1948 : la France s'est enlisée dans une guerre d'Indochine qui illustre la collusion entre communistes français et combattants du Viêt-minh. Quelques jours plus tôt, à Prague, les communistes tchèques ont pris le pouvoir grâce à un coup de force appuyé, évidemment, par les Soviétiques. Le 7 mars, De Gaulle parle à Compiègne et commente ainsi les événements de Tchécoslovaquie :
« L'idéologie qui sert d'avant-garde à l'URSS cumule les sombres attraits de la révolte et de la termitière, de la conquête et du désespoir. C'est par là qu'elle dispose, dans chaque contrée de la terre, du concours de séparatistes exclusivement à ses ordres et dont toute l'activité tend à s'emparer de l'Etat. » Cette mise en garde est lucide et opportune, au moment où la subversion communiste se développe tous azimuts. Mais elle s'inscrit dans l'histoire tourmentée des rapports entre De Gaulle et les communistes. Des rapports dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils ont été souvent, trop souvent ambigus.
Comme l'a bien montré Henri-Christian Giraud dans son livre, De Gaulle et les communistes (2 vol. Albin Michel), De Gaulle a noué à partir de novembre 1942 une alliance privilégiée avec le PCF, préparée et rendue possible par l'accord secret qu'il avait conclu dès juillet 1941 avec Staline. Pragmatique, De Gaulle a vu dans cette union avec le diable le moyen de s' imposer en tant que chef de la France libre, tant vis-à-vis des Alliés que de la Résistance intérieure. Cette alliance, profitable aux deux parties tant que dure la guerre mondiale, devient source de tensions à partir du moment où De Gaulle, chef du gouvernement d'une France libérée, entend être libre à l'égard des partis, revenus en force dès que le dernier uniforme de la Wehrmacht a disparu.
Les élections du 21 octobre 1945 ont envoyé à l'Assemblée une majorité de communistes et socialistes. « La France, note Jacques Fauvet, semble alors mûre pour le Front populaire, peut-être même pour la démocratie populaire. » Les démocrates-chrétiens se regroupent dans le MRP. Le 13 novembre, les députés élisent à l'unanimité De Gaulle chef du gouvernement. Jeu de dupes - et De Gaulle le sait bien. En effet, deux jours plus tard, Thorez vient lui préciser les exigences des communistes : tenir un des trois ministères considérés, à juste titre, comme des postes clés, l'Intérieur, la Défense ou les Affaires étrangères. Selon une méthode qui lui est chère, De Gaulle répond par un discours à la nation radiodiffusé où il dit des communistes : « Je ne croyais pas pouvoir leur confier aucun des trois leviers qui commandent la politique étrangère, savoir : la diplomatie qui l'exprime, l'armée qui la soutient, la police qui la couvre. » Et, refusant de couvrir de son nom un retour à ce régime des partis qu'il rend responsable de la catastrophe de 1940, De Gaulle menace de partir. Mauriac écrit dans Le Figaro : « Que Charles De Gaulle s'éloigne et la France devient le champ clos où deux géants s'affronteront. ( ... ) Charles De Gaulle écarté, c'est une tête de pont que nous risquons de devenir, soviétique ou anglo-saxonne. »
Sur le moment, les communistes s'inclinent et De Gaulle gagne son coup de poker. Mais il sait bien que ce n'est que partie remise. Les débats au Parlement lui inspirent « tristesse et dégoût ». Alors, selon la formule de Lacouture, « il fait sonner la retraite ». Et quitte le pouvoir en claquant la porte au nez des partis, le 20 janvier 1946.
Le 7 avril 1947, De Gaulle annonce à Strasbourg la création du Rassemblement du Peuple français. Vont s' y retrouver les hommes les plus déterminés à faire barrage au communisme.
P V National Hebdo du 5 au 11 mars 1998

lundi 6 avril 2009

Le 3 mars 1918 : le réalisme du tsar rouge

En signant la paix de Brest-Litovsk, le 3 mars 1918, entre l'Allemagne impériale et la toute nouvelle Russie communiste, Lénine se conduit à la fois en chef d'Etat avisé et en chef révolutionnaire conséquent, c'est-à-dire appliquant avec une froide logique un principe de guerre subversive. Il sait en effet, d'une part avoir besoin de se libérer du poids de la guerre pour consacrer toutes les forces bolcheviques, très minoritaires dans le pays, à imposer le nouveau régime ; mais il sait aussi, d'autre part, que la paix est un thème mobilisateur pour déclencher une vague de sympathie agissante en Allemagne, où il veut étendre la révolution bolchevique. Si l'on en croit Victor Serge, Lénine livrait le fond de sa pensée devant ses proches : « Nous voulons la paix générale, mais nous ne redoutons pas la paix révolutionnaire. Si le peuple allemand nous voit disposés à discuter toutes les offres de paix, la coupe débordera, ce sera la révolution allemande. » Le langage officiel était tout autre. Le préambule du décret de paix affirme en effet que « le gouvernement ouvrier et paysan invite toutes les nations belligérantes et leurs gouvernements à ouvrir sans délai les négociations d'une juste paix démocratique ». Comme quoi il faut savoir traduire la langue communiste ...
La paix de Brest-Litovsk, maître coup d'un joueur d'échecs expérimenté, est l'aboutissement d'une manœuvre lancée dès le 20 novembre 1917 :
Lénine, Trotski et Krylenko ont adressé ce jour au général Doukhonine, chef d'état-major général, l'ordre de proposer un armistice immédiat aux forces allemandes. Sur refus de Doukhonine. celui-ci est relevé de ses fonctions et décrété « ennemi du peuple ». Il est remplacé par un vieux bolchevique, le commissaire du peuple à la Guerre Krylenko. Le nouveau généralissime exhorte très officiellement chaque unité russe du front à élire ses délégués, qui devront engager directement des pourparlers avec l'ennemi. La bolchevisation de l'armée est en marche.
A ceux qui en douteraient, Krylenko adresse un message clair : Doukhonine, inconscient de ce qu'est le communisme, vient saluer le 18 novembre son successeur, arrivé au quartier général en train spécial ; il est immédiatement assailli, jeté sur le quai et tué à coups de baïonnettes. Le 30 novembre, un décret annonce la suppression des anciens grades et des décorations, les nouveaux chefs d'unité devant être élus par les soviets de soldats. Toute mesure de discipline dépendra des soviets.
La première conséquence de ces décisions est de multiplier les assassinats d'officiers, dans des conditions atroces (au Turkestan, ses assassins laissent agoniser pendant des heures le général Korovitchenko et font payer trente kopecks aux amateurs d'un spectacle si édifiant). Un climat d'anarchie se répand : d'anciens soldats forment des bandes de pillards, dévalisant en particulier les stocks de l'armée. Ceux qui restent sous l'uniforme passent le plus clair de leur temps à s'enivrer avec beaucoup d'application.
A partir du 7 janvier 1918, les pourparlers avec les Austro-Allemands sont conduits, du côté russe, par Trotski. Maximaliste, il entend provoquer une rupture de pourparlers, persuadé que c'est le meilleur moyen de déclencher une vague révolutionnaire en Allemagne. Plus réaliste, Lénine veut la paix. Les tergiversations des bolcheviques amènent les Allemands à déclarer rompu l'armistice. Et à reprendre l'offensive contre des armées russes qui, démoralisées, se débandent par unités entières. C'est pourquoi Lénine réussit à faire triompher son point de vue au Comité central bolchevique, qui décide d'accepter toutes les conditions allemandes. La Russie perd le contrôle de l'Ukraine, de la Finlande, de la Pologne, de la Transcaucasie, des Pays baltes. La part du feu ...
P V : National Hebdo du 26 février au 4 mars 1998
À lire : Dominique Venner, Les Blancs et les Rouges, Pygmalion, 1997.