À Alger, le 11 mai 1958, est célébrée en l'église Saint-Charles-de-l'Agha la messe anniversaire de la mort de l'empereur Napoléon 1er, à la mémoire duquel sont associés les héros de la Grande Armée. La cérémonie a été organisée par le colonel Thomazo, dit «Nez de cuir». Le prince Napoléon est présent. Des bonapartistes l'entourent et le pressent de questions. L'heure ne serait-elle pas venue de remettre la dynastie impériale au cœur des affaires françaises ? Le climat créé par la guerre d'Algérie est propice... Le prince répond qu'il est un simple citoyen. Et qu'il est gaulliste.
Les gaullistes ont des réseaux où se retrouvent ceux qui voient dans la montée des exaspérations, en métropole et en Algérie, l'occasion de remettre sur la scène de l'histoire leur grand homme, marqué par sa traversée du désert (il a confié à Newirth : « Le régime pourrit sur place. Ils appelleront De Gaulle sur les décombres »). Réminiscence d'une lecture maudite (Les Décombres, de Rebatet)? Toujours est-il que le général laisse les partisans s'agiter dans l'ombre sans manifester clairement ses intentions.
À Alger et à Paris, une coalition hétéroclite s'est constituée, regroupant des poujadistes, des anciens combattants d'Indochine, des étudiants conduits par Lagaillarde et des contre-révolutionnaires, groupés autour de Robert Martel, qui rêvent d'être de nouveaux Chouans et misent sur l'appui de quelques grands noms militaires (les généraux Cherrière et Chassin). Tout cela fait du monde mais manque de cohérence politique - alors que les gaullistes, eux, savent parfaitement où ils veulent aller.
Au matin du 13 mai, des tracts sont distribués dans les rues d'Alger et les villages de l'Algérois. L'objectif est de susciter une manifestation de masse capable de mettre en question la légitimité d'un pouvoir qu'incarne avec bonhommie René Coty, président d'une IVe République en pleine déliquescence et minée par l'affaire algérienne. Dans l'après-midi, une foule immense se rend au monument aux morts, sous la conduite de Martel et de Lagaillarde. Celui-ci harangue les milliers d'hommes et de femmes qui se pressent au coude à coude, leur faisant prêter le serment d'aller jusqu'au bout. À 18 heures, le général Salan arrive, au cœur d'une mêlée homérique, fait observer une minute de silence et dépose une gerbe. Puis il repart, le visage tendu, entouré de son état-major. Lagaillarde rameute alors la foule et la lance à l'assaut du gouvernement général. Le bâtiment, symbole d'un régime dont l'autorité n'est plus reconnue, est investi en quelques minutes. Les manifestants se répandent dans les étages, au milieu d'un désordre total. Les CRS n'ont rien fait pour s'interposer. Ils sont d'ailleurs rapidement relevés par des parachutistes, à l'évidence peu disposés à barrer la route aux manifestants. Sur un coin de table, un comité civil et militaire de salut public est improvisé. Le général Massu en donne la liste à la foule, depuis le balcon du G. C. Enthousiasme, joie délirante chez les partisans de l'Algérie française, convaincus d'avoir enfin orienté l'histoire comme ils le souhaitaient. Mais déjà les gaullistes sont à l'œuvre pour récupérer le mouvement et en faire un tremplin au service de leur chef. L'histoire de France, qui a connu plusieurs « journées des dupes », en compte désormais une de plus.
P. V National Hebdo du 7 au 13 mai 1998
Les gaullistes ont des réseaux où se retrouvent ceux qui voient dans la montée des exaspérations, en métropole et en Algérie, l'occasion de remettre sur la scène de l'histoire leur grand homme, marqué par sa traversée du désert (il a confié à Newirth : « Le régime pourrit sur place. Ils appelleront De Gaulle sur les décombres »). Réminiscence d'une lecture maudite (Les Décombres, de Rebatet)? Toujours est-il que le général laisse les partisans s'agiter dans l'ombre sans manifester clairement ses intentions.
À Alger et à Paris, une coalition hétéroclite s'est constituée, regroupant des poujadistes, des anciens combattants d'Indochine, des étudiants conduits par Lagaillarde et des contre-révolutionnaires, groupés autour de Robert Martel, qui rêvent d'être de nouveaux Chouans et misent sur l'appui de quelques grands noms militaires (les généraux Cherrière et Chassin). Tout cela fait du monde mais manque de cohérence politique - alors que les gaullistes, eux, savent parfaitement où ils veulent aller.
Au matin du 13 mai, des tracts sont distribués dans les rues d'Alger et les villages de l'Algérois. L'objectif est de susciter une manifestation de masse capable de mettre en question la légitimité d'un pouvoir qu'incarne avec bonhommie René Coty, président d'une IVe République en pleine déliquescence et minée par l'affaire algérienne. Dans l'après-midi, une foule immense se rend au monument aux morts, sous la conduite de Martel et de Lagaillarde. Celui-ci harangue les milliers d'hommes et de femmes qui se pressent au coude à coude, leur faisant prêter le serment d'aller jusqu'au bout. À 18 heures, le général Salan arrive, au cœur d'une mêlée homérique, fait observer une minute de silence et dépose une gerbe. Puis il repart, le visage tendu, entouré de son état-major. Lagaillarde rameute alors la foule et la lance à l'assaut du gouvernement général. Le bâtiment, symbole d'un régime dont l'autorité n'est plus reconnue, est investi en quelques minutes. Les manifestants se répandent dans les étages, au milieu d'un désordre total. Les CRS n'ont rien fait pour s'interposer. Ils sont d'ailleurs rapidement relevés par des parachutistes, à l'évidence peu disposés à barrer la route aux manifestants. Sur un coin de table, un comité civil et militaire de salut public est improvisé. Le général Massu en donne la liste à la foule, depuis le balcon du G. C. Enthousiasme, joie délirante chez les partisans de l'Algérie française, convaincus d'avoir enfin orienté l'histoire comme ils le souhaitaient. Mais déjà les gaullistes sont à l'œuvre pour récupérer le mouvement et en faire un tremplin au service de leur chef. L'histoire de France, qui a connu plusieurs « journées des dupes », en compte désormais une de plus.
P. V National Hebdo du 7 au 13 mai 1998
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