samedi 18 avril 2009

18 MARS 1921 : CRONSTADT, LA FIN DU RÊVE

La révolution bolchevique de 1917 a été, selon la forte définition de Dominique Venner, « un soulèvement de millions de croquants hérissés de baïonnettes, conduits par une petite meute de fanatiques à bésicles » (Les Blancs et les Rouges. Histoire de la guerre civile russe 1917-1921, Pygmalion, 1997). Mais certains groupes ont joué un rôle moteur dans l'enclenchement et le déroulement des événements révolutionnaires. Parmi eux, en bonne place, « les marins de Cronstadt ».
Port militaire à l'embouchure de la Néva, dans le golfe de Finlande, Cronstadt (ou Kronstadt) est le plus grand ensemble fortifié de la Baltique. Le premier fort y fut édifié par le tsar Pierre 1er en 1703. La visite qu'y effectua en 1891 l'escadre de l'amiral Gervais fut un prélude à l'alliance franco-russe, qui devait jouer un rôle déterminant dans le déclenchement de la guerre de 1914-1918.
Lors de la révolution de 1905, « répétition générale sans laquelle celle de 1917 eût peut-être échoué » (D. Venner), l'agitation au sein de l'armée a touché tout spécialement certains ports : dans la flotte de la mer Noire, la mutinerie du cuirassé Potemkine (exaltée par le film d'Eisenstein en 1925), fin juin, a eu comme écho, en novembre, des révoltes de matelots à Sébastopol et à Cronstadt (où elles se soldèrent par plus de 1 400 arrestations et 36 condamnations à mort). En 1917, les marins de Cronstadt ont joué un rôle important dans le psychodrame qui aboutit, le 15 mars, à l'abdication du tsar Nicolas II. La veille, leur mutinerie avait été marquée par l'assassinat du gouverneur de la base maritime, l'amiral Viren, suivi d'une chasse aux officiers. Les mutins ont établi la liste de ceux qu'il faut éliminer et, à l'issue d'une nuit de massacre, plusieurs dizaines d'entre eux sont tués : selon un témoin anarchiste, « les marins pénétraient dans les demeures de leurs chefs, les traînaient dehors et les fusillaient au bord du fossé ». Un autre témoin, Louis de Robien, attaché à l'ambassade de France, raconte : « la plupart des officiers de marine de Kronstadt sont à la merci des équipages et sont astreints par ceux-ci aux travaux les plus durs et les plus humiliants. Ceux qui se rebellent sont mis à mort. »
En juillet 1917, les marins de Cronstadt sont très actifs dans la tentative de renversement du président du Conseil Kérenski qui a lieu à Pétrograd, après la défaite infligée par les Allemands aux troupes russes à Tarnopol. C'est un échec, mais les 7, 8 et 9 novembre (du calendrier grégorien, c'est-à-dire les 24, 25 et 26 octobre du calendrier julien... d'où l'expression « Révolution d'octobre »), une nouvelle tentative réussit. Avec l'appui, à vrai dire symbolique (un coup de canon... à blanc !), du croiseur Aurora, les émeutiers, parmi lesquels se remarquent mille cinq cents matelots arrivés de Cronstadt, jettent à bas sans difficulté le gouvernement provisoire de Kérenski, lequel s'est enfui, et mettent en place le nouveau pouvoir bolchevique.
Celui-ci doit s'imposer par la force dans une Russie épuisée par la guerre. Sont donc envoyés dans toutes les provinces des commissaires politiques et des agents de propagande protégés par des détachements de marins de Cronstadt. Ceux-ci jouent donc le rôle de gardes rouges. Ils accompagnent le commissaire du peuple à la Guerre Krylenko lorsque ce dernier vient notifier au général Doukhonine, chef d'état-major général des armées russes, qu'il est relevé de ses fonctions. Avant d'être lardé de coups de baïonnettes. A la suite de l'attentat manqué contre Lénine (30 août 1918), un journal bolchevique de Pétrograd écrit : « Les intérêts de la révolution exigent l'extermination physique de la classe bourgeoise. » Aussitôt dit, aussitôt fait : cinq cents officiers enfermés à la forteresse de Cronstadt sont fusillés par les matelots rouges.
Ceux-ci sont considérés comme le fer de lance de la révolution. Et pourtant leurs yeux vont s'ouvrir. Pendant l'hiver 1920-1921, ils ont profité de permissions pour se rendre dans leurs familles. Et là ils découvrent une réalité que la propagande essayait de dissimuler : la famine, une misère noire écrasent la population des campagnes, laissées sans aide aucune dans une situation bien pire qu'avant la révolution. La police politique, la Tchéka, fait partout régner une terreur sans limites, y compris dans les usines de Petrograd paralysées par des grèves dont le moteur est le désespoir. Désespoir d'ouvriers à qui on avait promis des lendemains qui chantent et condamnés à vivre quotidiennement la réalité bolchevique.
Alors les marins de Cronstadt s'insurgent. Leurs délégués rédigent une longue résolution qui exige des élections libres, au scrutin secret, l'abolition de la dictature du parti bolchevique, la dissolution de la Tchéka, la libération des détenus politiques, la fin des réquisitions, la liberté de l'artisanat et du commerce. Bref, une nouvelle révolution.
Les bolcheviques essayent tout d'abord de biaiser, de parlementer. Leurs émissaires sont chassés ou mis en prison par les marins qui, solidement installés dans la forteresse de Cronstadt, se constituent en soviet révolutionnaire. Alors intervient Trotski. Il organise le blocus de Cronstadt puis, le 8 mars 1921, ordonne l'assaut.
Celui-ci, dirigé par Toukhatchevski, est vigoureusement repoussé. Mais le suivant, huit jours plus tard, réussit. Les 50 000 hommes mis en action investissent la forteresse et, pendant toute une journée, des combats de rue, à la grenade et à la baïonnette, se déroulent dans la ville. A la nuit, les rebelles survivants parviennent à s'enfuir vers la Finlande. La résistance leur a coûté 600 morts, 1 000 blessés et 2 000 prisonniers. Mais ils ont infligé à Toukhatchevski et à Trotski 25 000 tués ou blessés !
Lénine a compris l'avertissement.
Quelques jours plus tard il fait adopter par le Congrès du parti la NEP (« Nouvelle politique économique »), qui reprend à son compte - sans le dire, bien sûr - plusieurs exigences des marins de Cronstadt.
P.V Rivarol du 27 mars 2009

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