Prévenu par le commissaire Fournet qu'il va être appréhendé sous peu, Joseph Joanovici prend la fuite, le 17 mars 1947, et échappe ainsi à l'arrestation en quittant précipitamment la France. Il se réfugie à Munich, au quartier général des troupes américaines d'occupation en Allemagne. C'est une habitude, chez Joanovici, de jouer la carte de l'occupant...
Né le 4 juin 1902 au sein de la communauté juive de Kichinev, en Bessarabie, Joanovici arrive en France au début des années 20, armé d'un formidable culot et d'une grande détermination à s'enrichir par tous les moyens. Beaucoup et vite. « Ne sachant ni lire ni écrire, nous apprend Philippe Randa, s'exprimant dans un sabir hallucinant où se mêlent le roumain, le russe, le yiddish et le français, mais sachant compter, il se fait chiffonnier dans la zone de Saint-Ouen ». Les affaires prospèrent rapidement, dans le cadre d'une entreprise de récupération de chiffons et de ferraille... qui «récupère» parfois aussi bien d'autres choses. Mais les soupçons de recel ne déboucheront jamais sur des poursuites, «Monsieur Jo» ayant rapidement compris l'intérêt de se faire des relations bien placées (et bien payées). La construction de la ligne Maginot lui permet de réaliser de juteuses affaires. En 1939, Joanovici figure parmi les cinq premiers ferrailleurs de France.
Mais c'est la guerre qui va lui permettre de donner toute sa mesure.
Curieux personnage et triste sire, Joanovici réunit en sa personne bien des ambiguïtés et des contradictions d'une époque où se côtoyaient l'héroïsme et l'ignominie. Pour ce qui est de l'héroïsme, Joanovici n'était pas un spécialiste. Par contre, en matière d'ignominie, il fit très fort.
Contacté par Hermann Brundl, directeur du bureau d'achat de la Wehrmacht, Joanovici s'engage à fond dans la collaboration économique et fournit pour cinq milliards de francs (de l'époque) de métaux non-ferreux mais aussi des cuirs, des tissus, du beurre. Il y gagne une énorme fortune mais aussi le statut, très envié, de WWJ (Wirtschftlich Wertvoller Jude, « Juif économiquement précieux »). Pour plus de sûreté, Joanovici obtient de faire figurer, sur une fiche de la police française le concernant, qu'il est de religion... orthodoxe. Et puis il cultive les amitiés utiles : il traite fastueusement Henri Lafont et Bony, les patrons de l'antenne de la « Gestapo française » installée rue Lauriston. Lesquels lui fournissent des gardes du corps, dont Pierre Loutrel, devenu célèbre sous le surnom de « Pierrot le Fou ».
Joanovici applique un principe simple : tout s'achète et tout se vend. Il suffit d'y mettre le prix. Après la guerre, enfin appelé à rendre des comptes devant un tribunal, le ferrailleur milliardaire explique tranquillement, au sujet de l'occupation : « Avec des cigarettes américaines et du chocolat dans les poches, on faisait beaucoup de choses ». Autre principe : ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier. Joanovici a donc financé le réseau de résistance « Honneur de la police ».
Son passé finit cependant par le rattraper. Incarcéré et jugé en France, il est condamné en 1949 à cinq ans de prison. Il n'en fait que deux et, sitôt libéré, entreprend de se lancer dans «les affaires». En 1957 il s'enfuit en Israël mais c'est un client un peu voyant. Expulsé. il se retrouve aux Baumettes. Il ne désespérait pas, dans les dernières années de sa vie, de refaire surface ...
P V National Hebdo du 12 au 18 mars 1998
Pour approfondir : Philippe Randa, Dictionnaire commenté de la collaboration français, Jean Picollec. Commandes : Centre MBE 246 - 69 boulevard Saint-Marcel- 75013 Paris.
Né le 4 juin 1902 au sein de la communauté juive de Kichinev, en Bessarabie, Joanovici arrive en France au début des années 20, armé d'un formidable culot et d'une grande détermination à s'enrichir par tous les moyens. Beaucoup et vite. « Ne sachant ni lire ni écrire, nous apprend Philippe Randa, s'exprimant dans un sabir hallucinant où se mêlent le roumain, le russe, le yiddish et le français, mais sachant compter, il se fait chiffonnier dans la zone de Saint-Ouen ». Les affaires prospèrent rapidement, dans le cadre d'une entreprise de récupération de chiffons et de ferraille... qui «récupère» parfois aussi bien d'autres choses. Mais les soupçons de recel ne déboucheront jamais sur des poursuites, «Monsieur Jo» ayant rapidement compris l'intérêt de se faire des relations bien placées (et bien payées). La construction de la ligne Maginot lui permet de réaliser de juteuses affaires. En 1939, Joanovici figure parmi les cinq premiers ferrailleurs de France.
Mais c'est la guerre qui va lui permettre de donner toute sa mesure.
Curieux personnage et triste sire, Joanovici réunit en sa personne bien des ambiguïtés et des contradictions d'une époque où se côtoyaient l'héroïsme et l'ignominie. Pour ce qui est de l'héroïsme, Joanovici n'était pas un spécialiste. Par contre, en matière d'ignominie, il fit très fort.
Contacté par Hermann Brundl, directeur du bureau d'achat de la Wehrmacht, Joanovici s'engage à fond dans la collaboration économique et fournit pour cinq milliards de francs (de l'époque) de métaux non-ferreux mais aussi des cuirs, des tissus, du beurre. Il y gagne une énorme fortune mais aussi le statut, très envié, de WWJ (Wirtschftlich Wertvoller Jude, « Juif économiquement précieux »). Pour plus de sûreté, Joanovici obtient de faire figurer, sur une fiche de la police française le concernant, qu'il est de religion... orthodoxe. Et puis il cultive les amitiés utiles : il traite fastueusement Henri Lafont et Bony, les patrons de l'antenne de la « Gestapo française » installée rue Lauriston. Lesquels lui fournissent des gardes du corps, dont Pierre Loutrel, devenu célèbre sous le surnom de « Pierrot le Fou ».
Joanovici applique un principe simple : tout s'achète et tout se vend. Il suffit d'y mettre le prix. Après la guerre, enfin appelé à rendre des comptes devant un tribunal, le ferrailleur milliardaire explique tranquillement, au sujet de l'occupation : « Avec des cigarettes américaines et du chocolat dans les poches, on faisait beaucoup de choses ». Autre principe : ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier. Joanovici a donc financé le réseau de résistance « Honneur de la police ».
Son passé finit cependant par le rattraper. Incarcéré et jugé en France, il est condamné en 1949 à cinq ans de prison. Il n'en fait que deux et, sitôt libéré, entreprend de se lancer dans «les affaires». En 1957 il s'enfuit en Israël mais c'est un client un peu voyant. Expulsé. il se retrouve aux Baumettes. Il ne désespérait pas, dans les dernières années de sa vie, de refaire surface ...
P V National Hebdo du 12 au 18 mars 1998
Pour approfondir : Philippe Randa, Dictionnaire commenté de la collaboration français, Jean Picollec. Commandes : Centre MBE 246 - 69 boulevard Saint-Marcel- 75013 Paris.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire