Le drame vient de très loin, et pendant longtemps nul ne s'en douta. 1848 avait vu triompher dans la rue la classe ouvrière. Aux élections qui suivirent, tous les candidats voulurent donc se recommander du prolétariat triomphant, même ceux qui n'avaient rien à voir avec lui. Ouvrier, c'était la suprême référence sur les affiches électorales d'avril 1848. Celui qui il 'avait jamais travaillé de ses mains exhibait les souvenirs manuels de quelque lointain parent. Le candidat Levassor expliquait dans sa profession de foi : « Mon grand-père était ouvrier. Mon père était ouvrier. Je suis ouvrier moi-même, ouvrier notaire. »
Sévit alors ce que le caricaturiste Cham appelait « la députamanie ». Les hommes de lettres en furent les premiers et les plus gravement atteints. Alphonse Karr se présentait au Havre et expliquait aux citoyens :
- « Je n'étais pas républicain, mais je défendais sans relâche par mes écrits tous les droits du peuple. Je n'étais pas républicain, mais je ne choisissais pas mes amis parmi les plus riches et les plus puissants. »
A quoi ses adversaires répondaient : « M. Alphonse Karr est un républicain du lendemain ».
Alfred de Vigny lui-même, candidat en Charente où il possédait une propriété, exposait : « J'apporte à la fondation de la République ma part de travaux dans la mesure de mes forces. Quand la France est debout, qui pourrait s'asseoir pour méditer ? ». Il ne recueillit que dix voix. Il est vrai qu'il n'avait même pas fait l'effort de quitter Paris pour aller saluer les électeurs charentais.
Les conversions étaient nombreuses après tant de révolutions et tant de régimes successifs. Répondant à Odilon Barrot, Ledru-Rollin lui lançait :
- « Vous vous dîtes attaché à la République. Je veux croire que vous l'aimez, mais vous l'aimez comme vous aimiez la dynastie d'Orléans que vous avez renversée tout en l'aimant. »
Le même Odilon Barrot devait faire un peu plus tard un bel exercice d'équilibre en donnant à la fois des gages au général Cavaignac et au prince Louis-Napoléon Bonaparte. Il est vrai que lorsque ce dernier présenta sa candidature à la présidence de la République, il enregistra les ralliements de la plupart de ceux qui allaient un peu plus tard mener la lutte contre l'Empire. Victor Hugo, Molé, Emile Ollivier, Montalembert, Thiers, furent à ce moment bonapartistes.
Emile Ollivier raconte dans ses souvenirs que ce fut son porteur d'eau qui persuada Thiers de se rallier à Louis-Napoléon.
Victor Hugo fit alors l'apprentissage douloureux de la vie de député. Le projet du prince-président de modifier la loi électorale avait successivement amené à la tribune Cavaignac, Jules Favre, Lamartine, Léon Faucher, lorsque Victor Hugo intervint et, sous les applaudissements de toute la gauche, il entreprit de dénoncer une manœuvre du « parti-prêtre » :
- « Cette loi, dit-il, je ne dirai pas, à Dieu ne plaise, que c'est Tartuffe qui l'a faite, mais j'affirme que c'est Escobar qui l'a baptisée. »
Montalembert, qui détestait Hugo depuis longtemps, bondit alors à la tribune pour lui répondre. Il le traita de « poète politicomane », lui reprocha d'avoir chanté successivement toutes les causes, d'avoir célébré sous la Restauration le baptême du duc de Bordeaux et le sacre de Charles X, puis il enchaîna :
- « Aussitôt après la révolution de Juillet, comme pour racheter cette faute de jeunesse, il a chanté les obsèques des héros de Juillet, et cela au lendemain de la chute de Charles X... Oui, je n'ai pu me défendre d'un mouvement d'indignation quand je me suis souvenu d'avoir entendu moi-même, en pleine Cour des Pairs, adressée par lui au roi Louis-Philippe, les paroles les plus adulatrices qui aient jamais frappé mes oreilles, et qu'ensuite, deux ans après, à cette même tribune où je parle, il est revenu à l'Assemblée constituante féliciter le peuple de Paris d'avoir brûlé le trône où siégeait ce vieux roi, naguère adulé et d'où était descendu sur lui le brevet de pair de France. »
L'assemblée acclama celui qui venait ainsi de démasquer l'idole.
Cette assemblée de la Ile République finit le 2 décembre 1851. Les soldats de Saint-Arnaud se chargèrent alors de conduire vers les cellules qui leur étaient destinées les députés qui avaient émis la prétention de siéger en face du coup d'État. Ce fut pour quelques-uns d'entre eux l'occasion de prononcer des mots historiques. Au moment de monter dans le panier à salade, le duc de Montebello lança d'une voix forte aux soldats :
- « C'est aujourd'hui l'anniversaire de la bataille d'Austerlitz et le gendre du maréchal Bugeaud fait monter dans la voiture des forçats le fils du maréchal Lannes. »
Victor Hugo chercha vainement a soulever les faubourgs ouvriers pour défendre les droits de l'Assemblée. Le peuple goguenard refusa de se laisser entraîner. Regardant passer les voitures qui transportaient les députés vers la prison, les ouvriers applaudissaient en criant : « Les vingt-cinq francs sont coffrés... Bravo !... C'est bien joué... ».
P.F. National Hebdo du 20 au 26 octobre 1988
Sévit alors ce que le caricaturiste Cham appelait « la députamanie ». Les hommes de lettres en furent les premiers et les plus gravement atteints. Alphonse Karr se présentait au Havre et expliquait aux citoyens :
- « Je n'étais pas républicain, mais je défendais sans relâche par mes écrits tous les droits du peuple. Je n'étais pas républicain, mais je ne choisissais pas mes amis parmi les plus riches et les plus puissants. »
A quoi ses adversaires répondaient : « M. Alphonse Karr est un républicain du lendemain ».
Alfred de Vigny lui-même, candidat en Charente où il possédait une propriété, exposait : « J'apporte à la fondation de la République ma part de travaux dans la mesure de mes forces. Quand la France est debout, qui pourrait s'asseoir pour méditer ? ». Il ne recueillit que dix voix. Il est vrai qu'il n'avait même pas fait l'effort de quitter Paris pour aller saluer les électeurs charentais.
Les conversions étaient nombreuses après tant de révolutions et tant de régimes successifs. Répondant à Odilon Barrot, Ledru-Rollin lui lançait :
- « Vous vous dîtes attaché à la République. Je veux croire que vous l'aimez, mais vous l'aimez comme vous aimiez la dynastie d'Orléans que vous avez renversée tout en l'aimant. »
Le même Odilon Barrot devait faire un peu plus tard un bel exercice d'équilibre en donnant à la fois des gages au général Cavaignac et au prince Louis-Napoléon Bonaparte. Il est vrai que lorsque ce dernier présenta sa candidature à la présidence de la République, il enregistra les ralliements de la plupart de ceux qui allaient un peu plus tard mener la lutte contre l'Empire. Victor Hugo, Molé, Emile Ollivier, Montalembert, Thiers, furent à ce moment bonapartistes.
Emile Ollivier raconte dans ses souvenirs que ce fut son porteur d'eau qui persuada Thiers de se rallier à Louis-Napoléon.
Victor Hugo fit alors l'apprentissage douloureux de la vie de député. Le projet du prince-président de modifier la loi électorale avait successivement amené à la tribune Cavaignac, Jules Favre, Lamartine, Léon Faucher, lorsque Victor Hugo intervint et, sous les applaudissements de toute la gauche, il entreprit de dénoncer une manœuvre du « parti-prêtre » :
- « Cette loi, dit-il, je ne dirai pas, à Dieu ne plaise, que c'est Tartuffe qui l'a faite, mais j'affirme que c'est Escobar qui l'a baptisée. »
Montalembert, qui détestait Hugo depuis longtemps, bondit alors à la tribune pour lui répondre. Il le traita de « poète politicomane », lui reprocha d'avoir chanté successivement toutes les causes, d'avoir célébré sous la Restauration le baptême du duc de Bordeaux et le sacre de Charles X, puis il enchaîna :
- « Aussitôt après la révolution de Juillet, comme pour racheter cette faute de jeunesse, il a chanté les obsèques des héros de Juillet, et cela au lendemain de la chute de Charles X... Oui, je n'ai pu me défendre d'un mouvement d'indignation quand je me suis souvenu d'avoir entendu moi-même, en pleine Cour des Pairs, adressée par lui au roi Louis-Philippe, les paroles les plus adulatrices qui aient jamais frappé mes oreilles, et qu'ensuite, deux ans après, à cette même tribune où je parle, il est revenu à l'Assemblée constituante féliciter le peuple de Paris d'avoir brûlé le trône où siégeait ce vieux roi, naguère adulé et d'où était descendu sur lui le brevet de pair de France. »
L'assemblée acclama celui qui venait ainsi de démasquer l'idole.
Cette assemblée de la Ile République finit le 2 décembre 1851. Les soldats de Saint-Arnaud se chargèrent alors de conduire vers les cellules qui leur étaient destinées les députés qui avaient émis la prétention de siéger en face du coup d'État. Ce fut pour quelques-uns d'entre eux l'occasion de prononcer des mots historiques. Au moment de monter dans le panier à salade, le duc de Montebello lança d'une voix forte aux soldats :
- « C'est aujourd'hui l'anniversaire de la bataille d'Austerlitz et le gendre du maréchal Bugeaud fait monter dans la voiture des forçats le fils du maréchal Lannes. »
Victor Hugo chercha vainement a soulever les faubourgs ouvriers pour défendre les droits de l'Assemblée. Le peuple goguenard refusa de se laisser entraîner. Regardant passer les voitures qui transportaient les députés vers la prison, les ouvriers applaudissaient en criant : « Les vingt-cinq francs sont coffrés... Bravo !... C'est bien joué... ».
P.F. National Hebdo du 20 au 26 octobre 1988